J'ai plus de 3 siècles, mais j’ai l’air d’avoir 35 ans. Je vivais paisiblement ma vie de soldat dans Cité d’Hai'za jusqu’à ce qu'Hassan al Tubaz, meneur des Djinns de l'eau, ne prenne le pouvoir. Fidèle protecteur des Nar, mais surtout de ma Reine Syana al Raed, je me suis battu pour empêcher la chute du Royaume. C’est ainsi que le Nouveau Roi autoproclamé Hassan et ses Marids m’ont maudit. Mon âme a été transférée dans une amulette, devenue ma prison depuis plusieurs décennies. Ma seule possibilité de sortir de là est d’être invoqué par un djinn, à qui je devrai protection et fidélité : un serviteur dévoué, plus communément appelé esclave. J’aurais pu y rester encore des siècles si une drôle d’humaine ne m’avait pas fait sortir de là par je ne sais quel moyen. Mise à part cela, je suis célibataire et le resterai jusqu’à la fin : car les esclaves ne se marient pas…
Spoiler:
La date de naissance de Nahil est approximative, mais estimée à plusieurs siècles auparavant : quand on peut vivre longtemps, les chiffres n’ont pas d’importance. Depuis son plus jeune âge, il a vécu en communauté, étudié l’histoire et la culture des plus anciens, travaillé auprès des femmes et des hommes Nar qui faisaient prospérer la Cité d’Hai'za. Doté de capacités physiques très avancées pour son âge, le jeune djinn avait rapidement attiré l’attention des hommes. Il grandissait vite, et s’étoffait rapidement. Pour sa mère, ce n’était qu’une réponse de son corps aux sollicitations importantes qu’il lui faisait endurer. Courir, grimper, aider… toute la journée, et parfois toute la nuit. Nahil s’ennuyait vite, et proposait ses services aux personnes qui l’entouraient pour contrer cela. Sa mère venait parfois le traîner par le col pour le ramener à la maison, de peur que ses pairs ne finissent par le tuer d’épuisement. Mais le jeune djinn était ainsi : dévoué pour son peuple, fidèle à ses valeurs, prêt à tout pour servir sa Reine. Naturellement, lorsqu’ils pensèrent à lui pour rejoindre la garde de sa Majesté, il en fut très honoré. Nahil était le plus jeune djinn à qui on proposait ce privilège. L’histoire n’en avait vu aucun autre avant lui. Il s’engagea sans réfléchir, ignorant les cris sidérés de sa génitrice le mettant en garde. S’en suivirent de longues années de formation, où les guerriers les plus puissants de la garde –composée de peuples de toutes origines (Nar, bien sûr, mais aussi Tubaz et Kuartiz)- se succédaient pour lui apprendre les techniques de combat pour la plupart ancestrales. On lui apprit à forger ses armes par la magie du feu, à les enflammer pour être plus performant… mais aussi à tuer de sang-froid, sans poser de questions. Son dévouement le propulsa à la tête de la Garde Royale : il était devenu une arme si puissante que la Reine elle-même faisait appel à ses services. Former de jeunes gardes, diriger les expéditions, participer aux conseils politiques, parler de stratégie de guerre, faisaient partie de ses missions quotidiennes. Dans l’ombre de sa Majesté, Nahil était les yeux, les oreilles, la défense, et même la confidence du Royaume d’Hai'za. Combattant hors pair, Nahil était réputé pour son agilité au combat, sa discrétion à l’approche d’une cible, ou encore sa ruse. Il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Particulièrement dévoué à son Royaume, il se montrait docile, confiant lorsque sa Reine lui confiait une tâche -la plus ingrate soit-elle. Mais seul contre toute une armée de Tubaz lors de leur prise de pouvoir, il avait été contraint –par magie, plutôt mourir que de l’accepter- de fléchir le genou devant le nouveau Roi. Hassan avait terriblement besoin de lui, de sa notoriété, pour rallier le peuple derrière lui. La suite était bien plus simple à résumer : il ne courbait pas l’échine. Jamais. Il sortait des rangs, refusait les ordres de celui qui le remplaçait. Alors, puisque l’insoumis ne fatiguait pas, le Roi répandit des rumeurs malveillantes : les massacres qu’il aurait faits pour la précédente Reine, ses propres intérêts qu’il aurait servis sans se soucier du bien-être de son peuple. Passé du guerrier le plus aimé du peuple, Nahil devint le Shaytan (démon) de la Cité. Le peuple de souleva pour demander son exclusion : maudit des mains du Roi qu’il ne voulait pas considérer comme le sien, il fut interdit de séjourner à Hai'za, et enfermé dans son précieux collier en fer forgé, en espérant que personne ne pourrait l’en délivrer.
La peur. Il l’avait cherchée, et elle lui répondait à travers les prunelles ambrées de son interlocutrice : la femme semblait indécise, entre l’angoisse et la provocation. Les émotions se bousculaient sans réelle logique, tandis qu’elle passait de questionnements bancals à affirmations. Contrairement au Djinn, elle reflétait tout un tas de contradictions. Elle se moquait bien de savoir quels pouvoirs extraordinaires il pouvait avoir dans ce nouveau corps –et ça le dépassait, car lui-même brûlait d’envie de découvrir ses facultés-, mais d’un autre côté, elle lui demandait quand il partait ?
« Que savez-vous de ces gens, de cette ville ? Pensez-vous que la colère est gratuite ? » Répliqua-t-il avec plus de questions encore qu’elle ne lui en avait posé. Au fond, elle n’avait pas tort : les gens qui hurlaient à l’extérieur n’étaient pas les responsables de sa captivité, mais ils avaient contribué malgré eux à la garder active. En trouvant son amulette et la faisant voyager de main en main, les humains avaient entretenu la malédiction musclée de l’Illégitime Hassan.
Il était difficile d’imaginer que la température puisse être plus intense encore que celle du désert. Pourtant, l’incendie se propageait dans les ruelles, délogeait son peuple à mesure que la fureur grandissait en lui.
Sa raison était tue par ses émotions incontrôlables, et sa magie explosait d’autant plus. « J’ai du mal à croire qu’une telle assurance n’ait rien à me dévoiler. » Dit-il sur un ton un peu plus posé, cette fois. Maudite amulette… elle l’ignorait, mais le terme ne pouvait pas être plus approprié car le sort qui lui était réservé ne risquait pas d’arranger les choses. Il avait été enfermé dans sa prison de fer pendant un quart de siècle. A présent en possession d’un corps de chair et d’os, Nahil était prisonnier d’un lien plus puissant encore.
Loin d’être sorti d’affaire, sa vie sembla s’effondrer… comme l’une des poutrelles soutenant la toiture de fortune qui s’écrasa lourdement, à cet instant, entre les deux silhouettes. Au dernier moment, la longrine effectua un mouvement imperceptible à l’œil nu, évitant de justesse d’assener un coup fatal à l’humaine avec qu’il s’entretenait. Un claquement de doigts secret l’en avait dissuadé.
Si elle devait mourir, un accident n’en serait pas la cause. Pour l’instant. Il n’était physiquement pas en capacité de la tuer de ses propres mains, mais la cruauté d’Hassan n’avait pas de limites : Le Naar ne connaissait pas le contenu de la malédiction. La mort accidentelle de sa Détentrice… pouvait tout à fait présenter un risque pour lui.
Il ne restait plus rien des étoffes qui recouvraient la pièce autrefois. Un épais brouillard charbonneux venait s’ajouter au brasier : si pour Nahil cette fumée ne perturbait ni la respiration ni la vision, elle pouvait s’avérer extrêmement toxique pour l’humaine. « Quelque chose me dit que cette ville ne vous aime pas beaucoup, vous non plus ! » Déclara-t-il. On ne devient pas voleuse par vocation : même dans la Cité sacré, il avait déjà pu constater ce phénomène.
Cette fois, il ferma les yeux et ses doigts s’entrechoquèrent de manière sonore : les flammes qui les entouraient s’écartèrent vivement pour tracer un passage sécurisé vers l’extérieur. « A vous de voir. » Le choix –qui n’en était pas un- lui était laissé. Sans un regard, il utilisa ses nouvelles jambes pour s’aventurer dans le passage incandescent. C’était une imposture, évidemment : son attitude ne faisait aucun doute sur le fait qu’elle le suivrait. Elle n’avait pas l’âme d’une suicidaire, et son instinct de survie serait plus fort que celui de rejet.
Le Djinn marcha d’un pas souple, expérimentant son équilibre tout en appréciant le souffle du vent sur sa peau sombre. Il n’était pas libre, mais il était vivant. Plus vivant que jamais.
Le couloir le mena jusqu’à l’une des portes de la ville dont il ignorait le nom. Il se retourna pour contempler l’éclat rougeoyant sur les bâtiments. Sa connaissance de la géographie humaine était plutôt limitée, mais ses yeux ne le trompaient pas : le voyage serait long jusqu’à Hai’za.
J'ai environ 25 ans, mais j’ignore exactement quand je suis née. Je vis dans une vielle maison abandonnée. Dans la vie, je suis voleuse et arnaqueuse et je m'en sors comme je peux. Sinon, je suis célibataire. J’ai parfois l’impression de ne rien saisir au monde, comme si je n’avais ma place nulle part
Ses poings se serraient, si fort que ses ongles cassés s’enfonçaient profondément dans ses paumes de main. La sensation douloureuse, les yeux larmoyant à cause de la fumée, ses poumons qui peinaient à se soulever à cause de l’épaisse brume qui les entourait. Toutes ces choses étaient bien trop réelles. Ca ne pouvait être qu’un cauchemar. Pourtant, elle avait déjà connu tout cela, toutes ces sensations, les hurlements de terreurs, la fumée. Elle connaissait déjà tout ça. Elle savait à quel point tout ceci était réel. Son corps était traversé par la peur, son esprit se figeait. Elle luttait tant bien que mal contre la paralysie qui s’installait progressivement. Elle devait réfléchir, s’enfuir. Elle devait bouger. Faire quelque chose ! Elle n’était plus une enfant. Elle n’était plus impuissante. Elle pouvait faire quelque chose. Elle pouvait…
Tu ne peux rien faire.
La voix s’insinua en elle, comme un serpent distillant son poison. Aysha était impuissante. Elle ne pouvait rien faire. Elle était faible, sans défense. A nouveau. Alors que lui, il… Il était… puissant, implacable. Face à elle : une montagne. Et elle : un insecte. Pitoyable insecte, qui devrait s’écraser, abolir toutes pensées, ne plus qu’être un être dénué de sens et de vie : un esclave.
Aysha se mordit la langue. Non ! Elle hurla dans sa tête. Non, elle n’était pas une esclave. Elle refusait cette réalité. « J’en sais sûrement plus que vous sur eux ! Trouvez autre chose pour vous défoulez. » Ses poing se serrent un peu plus alors qu’elle est prise d’une quinte de toux. Ces gens ne l’aimaient pas, certains la rejetaient même, mais trop nombreux étaient ceux qui n’avaient pas idée de son existence, et aucun d’eux ne méritait cette souffrance. Celle de voir son monde ravager par les flammes, de voir les êtres aimer mourir sous leurs yeux. Ils ne méritaient pas ça, elle ne laisserait pas cela arriver.
L’humaine pinça les lèvres. Il la pensait assurer ? Tant mieux si c’est ce qu’elle dégageait, si c’est ce qu’il croyait. Peut-être qu’il la verrait autrement. Ou bien cela ne ferait qu’empirer la situation, qu’empirer son besoin de domination, comme tous ceux avant lui. Sa toux reprit, l’impression que ses poumons brûlaient eux aussi. « Ma vie… ne vous concerne… pas. » Il n’avait aucun jugement à porter sur sa vie. L’humaine connaissait suffisamment le mépris pour savoir ce qu’il pensait d’elle. Qu’importe ce qu’il faisait, ce qu’il disait, il ne faisait pas ça par compassion. Il en était dénuée.
Les flammes s’écartèrent enfin, obéissant aux ordres du Djinn. Il lui lança cette expression suffisante qu’il semblait tant affectionné, avant de la dépasser et s’aventurer dans le tunnel de feu. La toux et ses larmes s’intensifiaient. Elle ne pouvait pas rester là. Elle ne pouvait pas le suivre. Aysha savait ce qu’il allait faire d’elle. Elle ne pouvait pas. Elle refusait, pas une nouvelle fois.
Un débris s’écroula non loin d’elle, des hurlements continuaient de résonner dans toute la ville. Il allait continuer, il ne s’arrêterait pas jusqu’à avoir ce qu’il voulait. Il ne s’arrêterait pas jusqu’à l’avoir Elle. Il la tuerait et il tuerait toute la ville.
Ses jambes la portèrent d’elles-mêmes, traversant les ruines de ce qui s’était apparenté à une maison – qui n’avait jamais eu cette place dans son cœur – et suivi l’ombre du Djinn. Sa bouche était sèche, ses yeux la brûlaient et des larmes dévalaient ses joues, traçant des lignes plus claires sur la suie qui s’était déposée sur son visage. Ses poings ne s’étaient pas desserrés un instant, son regard envoyait des éclairs dans le dos de ce monstre. Plus ils avançaient à travers les flammes, plus Aysha sentait le poids des chaînes invisibles qui se verrouillaient autour de ses chevilles, ses poignets, sa gorge. Elle eut l’impression de peser aussi lourd qu’une pierre, tandis qu’elle traversait les hurlements et les flammes. Aysha ne se boucha pas les oreilles, elle ne ferma pas les yeux. Elle continua d’avancer.
La jeune femme s’arrêta, se retournant pour regarder la ville d’Héliopolis, dévorée par les flammes, faisant rougeoyer le ciel nocturne, la lune et les étoiles éclairant ce triste spectacle. Cette ville qui l’avait accueilli depuis quelques temps désormais, partait en fumée, à cause d’elle. Encore. Aysha vint saisir la manche du Djinn, attirant son attention. « Vous aviez ce que vous voulez, alors arrêtez ça maintenant. » Sa main tremble légèrement, elle tousse à nouveau, mais elle tient tête. Elle ne supplie pas. Elle est tenace. Elle ne le laissera pas voir sa terreur. Seulement sa colère. Jusqu’à ce qu’elle s’échappe pour de bon.
J'ai plus de 3 siècles, mais j’ai l’air d’avoir 35 ans. Je vivais paisiblement ma vie de soldat dans Cité d’Hai'za jusqu’à ce qu'Hassan al Tubaz, meneur des Djinns de l'eau, ne prenne le pouvoir. Fidèle protecteur des Nar, mais surtout de ma Reine Syana al Raed, je me suis battu pour empêcher la chute du Royaume. C’est ainsi que le Nouveau Roi autoproclamé Hassan et ses Marids m’ont maudit. Mon âme a été transférée dans une amulette, devenue ma prison depuis plusieurs décennies. Ma seule possibilité de sortir de là est d’être invoqué par un djinn, à qui je devrai protection et fidélité : un serviteur dévoué, plus communément appelé esclave. J’aurais pu y rester encore des siècles si une drôle d’humaine ne m’avait pas fait sortir de là par je ne sais quel moyen. Mise à part cela, je suis célibataire et le resterai jusqu’à la fin : car les esclaves ne se marient pas…
Spoiler:
La date de naissance de Nahil est approximative, mais estimée à plusieurs siècles auparavant : quand on peut vivre longtemps, les chiffres n’ont pas d’importance. Depuis son plus jeune âge, il a vécu en communauté, étudié l’histoire et la culture des plus anciens, travaillé auprès des femmes et des hommes Nar qui faisaient prospérer la Cité d’Hai'za. Doté de capacités physiques très avancées pour son âge, le jeune djinn avait rapidement attiré l’attention des hommes. Il grandissait vite, et s’étoffait rapidement. Pour sa mère, ce n’était qu’une réponse de son corps aux sollicitations importantes qu’il lui faisait endurer. Courir, grimper, aider… toute la journée, et parfois toute la nuit. Nahil s’ennuyait vite, et proposait ses services aux personnes qui l’entouraient pour contrer cela. Sa mère venait parfois le traîner par le col pour le ramener à la maison, de peur que ses pairs ne finissent par le tuer d’épuisement. Mais le jeune djinn était ainsi : dévoué pour son peuple, fidèle à ses valeurs, prêt à tout pour servir sa Reine. Naturellement, lorsqu’ils pensèrent à lui pour rejoindre la garde de sa Majesté, il en fut très honoré. Nahil était le plus jeune djinn à qui on proposait ce privilège. L’histoire n’en avait vu aucun autre avant lui. Il s’engagea sans réfléchir, ignorant les cris sidérés de sa génitrice le mettant en garde. S’en suivirent de longues années de formation, où les guerriers les plus puissants de la garde –composée de peuples de toutes origines (Nar, bien sûr, mais aussi Tubaz et Kuartiz)- se succédaient pour lui apprendre les techniques de combat pour la plupart ancestrales. On lui apprit à forger ses armes par la magie du feu, à les enflammer pour être plus performant… mais aussi à tuer de sang-froid, sans poser de questions. Son dévouement le propulsa à la tête de la Garde Royale : il était devenu une arme si puissante que la Reine elle-même faisait appel à ses services. Former de jeunes gardes, diriger les expéditions, participer aux conseils politiques, parler de stratégie de guerre, faisaient partie de ses missions quotidiennes. Dans l’ombre de sa Majesté, Nahil était les yeux, les oreilles, la défense, et même la confidence du Royaume d’Hai'za. Combattant hors pair, Nahil était réputé pour son agilité au combat, sa discrétion à l’approche d’une cible, ou encore sa ruse. Il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Particulièrement dévoué à son Royaume, il se montrait docile, confiant lorsque sa Reine lui confiait une tâche -la plus ingrate soit-elle. Mais seul contre toute une armée de Tubaz lors de leur prise de pouvoir, il avait été contraint –par magie, plutôt mourir que de l’accepter- de fléchir le genou devant le nouveau Roi. Hassan avait terriblement besoin de lui, de sa notoriété, pour rallier le peuple derrière lui. La suite était bien plus simple à résumer : il ne courbait pas l’échine. Jamais. Il sortait des rangs, refusait les ordres de celui qui le remplaçait. Alors, puisque l’insoumis ne fatiguait pas, le Roi répandit des rumeurs malveillantes : les massacres qu’il aurait faits pour la précédente Reine, ses propres intérêts qu’il aurait servis sans se soucier du bien-être de son peuple. Passé du guerrier le plus aimé du peuple, Nahil devint le Shaytan (démon) de la Cité. Le peuple de souleva pour demander son exclusion : maudit des mains du Roi qu’il ne voulait pas considérer comme le sien, il fut interdit de séjourner à Hai'za, et enfermé dans son précieux collier en fer forgé, en espérant que personne ne pourrait l’en délivrer.
Tandis que les flammes ouvraient la voie vers l’extérieur de la Cité, elle l’avait suivi. Son regard avait embrassé la silhouette chaotique des monuments luttant pour continuer à percer les dunes du désert. Il ignorait tout de cet endroit qu’il venait de réduire en cendres : cette place qui l’avait conservé emprisonné dans son amulette.
Ce fut le seul moment où il se retourna. Ensuite, il oublia la hutte drapée dans laquelle il avait fait connaissance avec ses os, sa chair, ses muscles. Il laissa de côté la fureur pour faire place à ce qui viendrait ensuite. Un voyage, le plus long qu’il lui ait été donné de faire -en toute conscience, disons. Pour cela, il devrait se repérer lorsque le noir serait complet.
Et dans sa marche qui l’éloignerait de la pollution visuelle, elle l’avait suivi. Il avançait d’un pas souple, à grandes enjambées, comme si ce corps avait toujours été le sien. Bien sûr, c’est ce qu’on pouvait se dire en l’observant se mouvoir. Lui se sentait rouillé, obligé d’apprendre à ses cellules à se comporter comme que le Naar qu’il était, et qu’il enveloppait. Bientôt, ses bras devraient se battre avec une arme, ses jambes éviter les coups avec souplesse, ses épaules soulever des montagnes s’il le fallait, pour passer de l’autre côté.
Rien. Absolument rien ne pourrait se mettre en travers de son chemin vers Hai’za. Et dans cette quête, elle l’avait suivi. Lui se fiait à son instinct, laissant quelques suppositions mener vers le tracé qu’il emprunterait. Sans faiblir dans son rythme, l’homme jetait quelques regards vers les cieux. Plus il s’éloignait de la Cité brûlée, plus la voûte céleste se dessinait avec netteté, et lui offrait de nouvelles perspectives.
Il était pourtant rare qu’un Naar se fie aux étoiles. Plutôt familiers avec les éléments chaleureux, le peuple du feu se servait de la chaleur du soleil, sol ou de l’air désertique pour se repérer la journée, là où le peuple de l’eau aurait utilisé leur humidité. Le peuple des sables avait un rapport différents aux éléments, projetant le moindre grain de sable ou de terre dans l’espace pour se repérer. La complexité de chaque djinn s’ajoutait aux capacités de son peuple. Pourtant, il existait bien des points communs entre eux : points communs qu'ils avaient préféré oublier avec des générations de guerres.
Dans un environnement désertique, les Naar voyaient leurs capacités décuplées de jour alors que les températures faisaient exploser le mercure. La nuit, ils reprenaient des forces en méditant silencieusement à l’abri du vent. Attiser la flamme, simplement. Pour les Djins de l’eau, c’était l’inverse : ils préféraient la fraicheur de la nuit, et évitaient les températures extrêmes qui réduisaient leurs capacités. La constance, elle, était propre aux Djinns du sable. Peu importait le jour ou la nuit.
La fatigue n’existait pas dans le corps du Djinn : plutôt dans son esprit. Il avait vécu pendant ces quelques heures plus de chamboulements qu’en plusieurs décennies, et voilà qu’il se décidait à voyager de nuit ? Derrière lui, s’efforçant de suivre dans un sable beaucoup trop souple pour un humain… elle l’avait suivi, et continuait de le suivre.
La peur ? Oui. Celle de mourir si elle restait au coeur des flammes. Elle l’avait emporté sur la peur de lui, et c’était ainsi qu’il avait procédé. Elle devait venir avec lui. Quelque chose au fond de lui lui murmurait qu’elle avait quelque chose à lui apporter. Il ignorait encore ce qu’il allait faire d’elle, mais il trouverait bien.
Un nouveau regard vers le ciel et l’information qu’il capta lui permit de ralentir le pas pour que l’humaine reprenne son souffle. Ils empruntaient la bonne direction, il en avait maintenant la certitude. L’alignement des étoiles était idéal. Nahil s’arrêta et s’installa dans le sable encore tiède de la journée. D’un claquement de doigts, il fit danser des flammes au-dessus du sol, comme un feu de camp… mais sans bois à flamber.
Toujours silencieusement, le Djinn croisa les jambes en tailleur, et laissa ses songes s’évanouir dans le paysage. Bientôt, il serait rentré.
* * *
Lorsque la petite voleuse ouvrit une paupière, l’aube avait pointé le bout de son nez. Epuisée, elle n’avait même pas réalisé qu’il s’était absenté pour trouver une gourde en terre cuite et quelques biscuits secs qu’il avait déposés dans un linge humide à ses pieds. Il attendit à peine qu’elle ait tout englouti, et reprit son chemin sans en dire plus. Ils avaient encore à faire.
J'ai environ 25 ans, mais j’ignore exactement quand je suis née. Je vis dans une vielle maison abandonnée. Dans la vie, je suis voleuse et arnaqueuse et je m'en sors comme je peux. Sinon, je suis célibataire. J’ai parfois l’impression de ne rien saisir au monde, comme si je n’avais ma place nulle part
Alors qu’ils avançaient à travers les flammes de la ville, les yeux de Aysha balayait les grandes allées de Héliopolis. La ville du soleil, désormais ravagée par les flammes et les hurlements des pauvres âmes peuplant ces lieux. La fumée noire envahissait tout, devenait étouffante, tout comme la chaleur, qui lui semblait bien plus faible que les flammes de ses souvenirs. Peut-être était-ce à cause des cris de terreurs et de douleurs, plus intense que tout ce qu’elle avait connu, ou bien l’odeur de la chair brûlée qui soulevait son cœur. Elle voulait se soustraire à toute cette horreur. Se couvrir les oreilles, fermer les yeux, boucher son nez, mais elle n’en faisait rien. Tout ça était sa faute. Si seulement elle n’avait pas pris cette amulette, si seulement elle l’avait vendu plutôt que de la jeter au feu. Si seulement elle n’avait jamais existé…
Ils arrivèrent sur la colline qui surplombait la ville. Aysha s’arrêta et se retourna pour observer la ville, dont les flammes montaient toujours vers le ciel, accentuant l’aspect oranger du crépuscule. Les larmes continuaient de dévaler ses joues. L’humaine ignorait si cela était simplement dû à la fumée qui avait agressé ses yeux, ou bien si elle ressentait de la peine de se voir à nouveau arracher à sa vie. Cet endroit n’avait jamais été chez elle. Personne ne l’avait jamais accepté, elle n’était qu’une fugitive, comme toute sa vie avant cela. Pourtant… Malgré le rejet et la douleur, cela n’empêchait pas de se sentir encore arraché, de tout perdre, à nouveau. Le sol se dérobait sous ses pieds, une roche lourde écrasait sa poitrine, broyait ses os. Elle ne pouvait ni respirer, ni réfléchir, ni même bouger.
Aysha entendit les bruits de pas du Djinn commencer à s’éloigner, tandis qu’il relâchait son contrôle sur les flammes de la ville qui s’apaisait lentement. Elle ne bougea pas immédiatement, ses yeux ne pouvant se détacher du spectacle horrible qui se jouait sous ses yeux. Elle se mordit la langue, le goût du sang envahit sa bouche. Aller, bouge ! Ses poings se serrèrent et Aysha tourna le dos à la ville du soleil et emboita le pas à la puissante créature qu’elle avait libéré.
Aysha dardait son regard fixé sur le dos massif qui marchait à grandes enjambées. Elle tentait de le suivre, son corps plus frêle et épuisé à la fois par le manque de nourriture, la déshydratation et le choc émotionnel, peinait à tenir la cadence. Elle n’ouvrit pourtant pas un instant les lèvres, gardant la mâchoire si serrer qu’elle se faisait mal. Elle aurait pu apprécier cette marche sur le sable et sous la voûte céleste dans la fraicheur du soir qui commençait à s’installer au fur et à mesure que le soleil disparaissait complètement, cédant sa place à sa sœur la lune. Elle appréciait toujours être en pleine nature. Mais pas cette fois. Cette fois, elle ne pouvait que laisser sa rage la consumer pour garder la force d’avancer.
L’humaine trébuchait dans le sable, la fatigue prenant le dessus malgré tout ses efforts, la toux secouant ses poumons pour essayer de ce débarrasser de la suie et la fumée. Elle continuait, un pas après l’autre, ses pieds s’enfonçant dans le sable encore chaud, mais elle se rattrapait chaque fois, continuant cette marche inexorable. Où allait-il ? Vers quel endroit terrible l’emmenait-il ? Pourquoi l’avoir emmené avec elle ? Pourquoi n’avait-il pas cédé à son désir de la tuer ? Qu’allait-il faire d’elle ? Nombres d’images et d’idées traversaient son esprit, réveillant ses profondes angoisses et traumatismes.
Soudain, il ralentit. Déconnecté par le rythme de la marche et la fatigue, Aysha faillit le percuter. Elle l’observa faire. Sans dire un mot, il s’assit. Elle n’eut pas la force de sursauter en voyant les flammes se dresser soudainement. Elle était debout, l’observant. Est-ce qu’elle pourrait fuir ? L’humaine finit par se laisser tomber au sol en face de lui, tournant le dos à la créature. Elle tira l’écharpe sur sa tête, couvrant ses cheveux et son visage, cherchant une position adéquate. Epuisée, le sommeil ne tarda pas à venir clore ses paupières et l’emporter dans des songes faits de flammes et de cris.
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Le soleil vint doucement se poser délicatement sur son visage, la tirant de son sommeil agité. Ses paupières s’ouvrent difficilement, encore collées par la nuit. Sa bouche, ses yeux, sa gorge, sa peau… Elle prit quelques instants à se remémorer où elle se trouvait, ce qui s’était passé la veille. Du mouvement prêt d’elle la fit se relever en sursaut et ses yeux se posèrent sur Lui. Elle sentit un frisson parcourir son corps, l’angoisse traçant à nouveau son chemin. Elle détourna les yeux pour cacher sa peur et remarqua le petit tas à ses pieds. Elle en fut surprise. Pourquoi ? Elle ne dit pourtant rien et récupéra la gourde, buvant quelques gorgées, essayant d’économiser malgré sa soif intense. Elle mangea les gâteaux, passant le linge humide sur la peau de son visage pour essayer de faire disparaitre la suie et l’odeur âcre de la fumée qui flottait toujours tout autour d’elle.
Le Djinn se mit en branle. Aysha l’observa, serrant la gourde entre ses doigts. Elle finit par se lever, ses muscles réagissant douloureusement à la soudaine sollicitation. Elle attacha la gourde à sa taille, puis suivi son bourreau. A nouveau, ils passèrent la journée à marcher sous le soleil de plomb. Le tissu rabattu sur sa tête et sa tenue lui permettait de résister correctement à la chaleur, pourtant elle savait qu’à ce rythme, elle ne pourrait tenir longtemps sans eau ni nourriture. Elle ne dit pourtant rien, continuant à avancer, à trébucher, se relever sans rien dire. Elle veillait aussi à garder ses repères, surveillant son environnement pour ne pas se perdre. Elle comptait toujours s’échapper et il fallait qu’elle sache par où aller.
Ils finirent par faire une pause sous un promontoire rocheux, permettant à Aysha un peu d’ombre, mais surtout elle vit des cactus dont les fruits étaient sur les pointes. Elle s’en rapprocha, enroulant sa main dans le tissu pour prélever délicatement un certains nombres, puis elle créa un petit baluchon, ne pouvant les consommer immédiatement. L’humaine finit par tourner la tête vers l’homme, se mordant ses lèvres asséchées. Visiblement il comptait la garder en vie, alors… « Vous pourriez allumer un feu ? » Sa voix était rauque, tant par le manque d’eau, la fumée, qu’une certaine angoisse qu’elle dissimulait. « J’en ai besoin une minute pour consommer ces fruits. » Elle le regardait sans fléchir malgré ses émotions. Si elle voulait rester en vie, s’il voulait qu’elle continue d’avancer, il devrait bien faire cela pour elle. Manger ces fruits la nourrirait autant qu’elle lui donnerait l’eau dont elle avait besoin pour tenir le coup.
Assise face à lui après avoir récupérer autant de fruits qu’elle le pouvait, Aysha continua d’observer le visage du Djinn, se questionnant toujours sur ses intentions. « Comment est-ce que vous vous appelez ? » Il ne pouvait pas seulement s’appeler Djinn et il n’avait pas semblé apprécié qu’elle l’appelle Efrit. Peut-être qu’en apprenant un peu plus sur lui, il lui paraitrait moins effrayant. « Où est-ce que vous nous emmenez ? » Le questionna-t-elle. Son corps se tendit, s’attendant à tout moment à ce qu’il se lève et abatte sa main sur elle pour avoir osé prononcer des mots et poser des questions sans autorisation. Elle baissa les yeux, mangeant quelques fruits pour essayer d’apaiser sa soif et sa faim. « Le voyage sera long ? Il faudrait se rapprocher d’un point d’eau si vous ne voulez pas que je meurs bientôt. » Lui dit-elle, malgré sa crainte de se faire frapper, espérant que sa voix n’en laisse rien montrer. Elle espérait simplement que l’idée de la garder en vie et capable de marcher serait plus forte que l’envie de la frapper et la mettre à terre.
J'ai plus de 3 siècles, mais j’ai l’air d’avoir 35 ans. Je vivais paisiblement ma vie de soldat dans Cité d’Hai'za jusqu’à ce qu'Hassan al Tubaz, meneur des Djinns de l'eau, ne prenne le pouvoir. Fidèle protecteur des Nar, mais surtout de ma Reine Syana al Raed, je me suis battu pour empêcher la chute du Royaume. C’est ainsi que le Nouveau Roi autoproclamé Hassan et ses Marids m’ont maudit. Mon âme a été transférée dans une amulette, devenue ma prison depuis plusieurs décennies. Ma seule possibilité de sortir de là est d’être invoqué par un djinn, à qui je devrai protection et fidélité : un serviteur dévoué, plus communément appelé esclave. J’aurais pu y rester encore des siècles si une drôle d’humaine ne m’avait pas fait sortir de là par je ne sais quel moyen. Mise à part cela, je suis célibataire et le resterai jusqu’à la fin : car les esclaves ne se marient pas…
Spoiler:
La date de naissance de Nahil est approximative, mais estimée à plusieurs siècles auparavant : quand on peut vivre longtemps, les chiffres n’ont pas d’importance. Depuis son plus jeune âge, il a vécu en communauté, étudié l’histoire et la culture des plus anciens, travaillé auprès des femmes et des hommes Nar qui faisaient prospérer la Cité d’Hai'za. Doté de capacités physiques très avancées pour son âge, le jeune djinn avait rapidement attiré l’attention des hommes. Il grandissait vite, et s’étoffait rapidement. Pour sa mère, ce n’était qu’une réponse de son corps aux sollicitations importantes qu’il lui faisait endurer. Courir, grimper, aider… toute la journée, et parfois toute la nuit. Nahil s’ennuyait vite, et proposait ses services aux personnes qui l’entouraient pour contrer cela. Sa mère venait parfois le traîner par le col pour le ramener à la maison, de peur que ses pairs ne finissent par le tuer d’épuisement. Mais le jeune djinn était ainsi : dévoué pour son peuple, fidèle à ses valeurs, prêt à tout pour servir sa Reine. Naturellement, lorsqu’ils pensèrent à lui pour rejoindre la garde de sa Majesté, il en fut très honoré. Nahil était le plus jeune djinn à qui on proposait ce privilège. L’histoire n’en avait vu aucun autre avant lui. Il s’engagea sans réfléchir, ignorant les cris sidérés de sa génitrice le mettant en garde. S’en suivirent de longues années de formation, où les guerriers les plus puissants de la garde –composée de peuples de toutes origines (Nar, bien sûr, mais aussi Tubaz et Kuartiz)- se succédaient pour lui apprendre les techniques de combat pour la plupart ancestrales. On lui apprit à forger ses armes par la magie du feu, à les enflammer pour être plus performant… mais aussi à tuer de sang-froid, sans poser de questions. Son dévouement le propulsa à la tête de la Garde Royale : il était devenu une arme si puissante que la Reine elle-même faisait appel à ses services. Former de jeunes gardes, diriger les expéditions, participer aux conseils politiques, parler de stratégie de guerre, faisaient partie de ses missions quotidiennes. Dans l’ombre de sa Majesté, Nahil était les yeux, les oreilles, la défense, et même la confidence du Royaume d’Hai'za. Combattant hors pair, Nahil était réputé pour son agilité au combat, sa discrétion à l’approche d’une cible, ou encore sa ruse. Il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Particulièrement dévoué à son Royaume, il se montrait docile, confiant lorsque sa Reine lui confiait une tâche -la plus ingrate soit-elle. Mais seul contre toute une armée de Tubaz lors de leur prise de pouvoir, il avait été contraint –par magie, plutôt mourir que de l’accepter- de fléchir le genou devant le nouveau Roi. Hassan avait terriblement besoin de lui, de sa notoriété, pour rallier le peuple derrière lui. La suite était bien plus simple à résumer : il ne courbait pas l’échine. Jamais. Il sortait des rangs, refusait les ordres de celui qui le remplaçait. Alors, puisque l’insoumis ne fatiguait pas, le Roi répandit des rumeurs malveillantes : les massacres qu’il aurait faits pour la précédente Reine, ses propres intérêts qu’il aurait servis sans se soucier du bien-être de son peuple. Passé du guerrier le plus aimé du peuple, Nahil devint le Shaytan (démon) de la Cité. Le peuple de souleva pour demander son exclusion : maudit des mains du Roi qu’il ne voulait pas considérer comme le sien, il fut interdit de séjourner à Hai'za, et enfermé dans son précieux collier en fer forgé, en espérant que personne ne pourrait l’en délivrer.
Plus la journée avançait, plus le mercure augmentait, laissant le Djinn dans son confort le plus total : il s’acclimatait à son nouveau corps, apprivoisant chacun de ses muscles qui répondait avec plus d’agilité que la seconde précédente. La chaleur de l’atmosphère se posait doucement sur sa peau, lui offrant l’énergie pour continuer à d’avancer.
Pourtant, à chacun de ses pas, Nahil avait conscience que plus il était confortable, plus ce serait difficile pour l’humaine de le suivre. Là où le soleil écrasant le comblait de bonheur, il compresserait toutes les cellules du corps de la jeune femme jusqu’à la réduire en charpie. Il se rendit vite à l'évidence : ils ne pourraient pas continuer d'emprunter le chemin le plus court, bien que l’envie de cavaler jusqu’à Hai’za soit tentante. Ou alors, il lui faudrait voyager de nuit, avec le risque que lui-même s’épuise totalement, et qu’elle gagne en vivacité.
Il décida donc de bifurquer légèrement de son itinéraire initial pour mettre le cap vers le Nil : le tracé serait plus long, mais ils parviendraient tout de même à regagner la Cité des Djinns dans un délai... disons raisonnable.
Quelques semaines, au mieux. Plusieurs mois, à ce rythme.
Alors que le soleil atteignait son zénith, les silhouettes d'un groupe d'arbres se dessinèrent devant leurs yeux. Le Djinn n’eut pas la moindre envie de s’y intéresser, mais les besoins primaires de l’humaine ne lui laissèrent pas le choix. Elle devenait de plus en plus lente, et à chaque fois qu’il se retournait pour analyser sa condition, il constatait qu’elle souffrait encore plus que la fois d’avant. Certes, il allait devoir trouver une solution rapidement, sinon il pouvait faire une croix sur son retour à la Cité. Accessoirement, il n’avait pas encore la moindre idée de ce qu’il se passerait pour lui si elle venait à mourir -même s’il n’y était pour rien…
Il bifurqua donc vers cette oasis, et s’installa en tailleur, en plein soleil, alors qu’elle cherchait l’ombre des arbres. Chaque rayon de soleil capté par la peau d’un Nar lui donnait la vitalité pour se mouvoir, et exercer sa magie.
Les premiers mots qui brisèrent le silence, installé depuis leur départ vers Hai’za, furent prononcés par l’humaine. Comment s’appelait-elle, déjà ? Elle avait dû lui dire, mais la colère avait pris le dessus, et il avait dû sélectionner les informations les plus importantes de la discussion. Il se contenterait de l’humaine tant que la mémoire ne lui serait pas revenue… Sa voix n’avait pas la même tonalité lorsqu’elle était calme. Il tourna ses deux iris ambrées vers sa silhouette recouverte de tissus de son interlocutrice, et sans prononcer un mot, il avança sa paume droite vers le sable. Sans plus tarder, les dessins sur sa peau prirent une teinte incandescente, et un feu se démarra aux pieds de la jeune femme. Les flammes magiques ne touchaient pas le sol : elles se contentaient de danser à quelques centimètres de la surface terrestre.
Lorsqu’il eut terminé, les traits des dessins inscrits dans son épiderme reprirent la couleur de l’encre. Nahil ne sourcilla pas, bien que ce phénomène fut totalement inédit. Il n’avait jamais rien vu de tel sur un Djinn de son peuple. Voilà quelque chose qu’il devrait creuser en arrivant chez lui. Chez lui… Pouvait-il encore penser cela d’Hai’za, après toutes ces années ?
La question qu’elle lui posa ensuite le sortit de ses pensées : il se demandait exactement la même chose… à la différence près que lui n’avait jamais annoncé qui il était. Bien qu’il ne soit pas tout à fait dans sa nature de raconter sa vie à des inconnus, il pouvait au moins faire l’effort de s’annoncer... « Nahil el Nar. » souffla-t-il d’une voix rauque, aussi solennellement que s’il avait donné son nom à corps d’armée. Il l’observa avec méfiance, mais sans ajouter un mot, attendant qu’elle décline son identité complète. Les règles de bienséance le voulant… même s’ils se trouvaient en plein désert, et qu’il n’avait pas tout à fait été des plus courtois.
Il avait quand même était le plus proche conseiller de la Reine. Sa Reine..
Parlait-elle toujours autant ? Il attendit un court instant qu’elle ait terminé de lui poser ses questions tout en utilisant les fruits pour retrouver un peau d’hydratation. « D’autant plus long qu’il faudra longer un cours d’eau pour vous garder en vie. » Annonça-t-il comme une évidence, la voix tranchante. Le genre d’évidence qui fait froid dans le dos. « Le Nil n’est plus très loin. » ajouta-il en secouant les doigts au-dessus des flammes, qui furent attirées comme des aimants vers leurs maîtres en se vivifiant au contact de ses doigts. « En attendant, je vous recommande de préserver votre salive pour que vos jambes continuent à suivre. »
Le conseil n’était pas des plus agréables, mais il était plutôt sage. Ils reprirent donc leur chemin. Après de longues heures de marche, les berges du Nil firent leur apparition en même temps que le crépuscule. Nahil, loin d’être friand de l’humidité ambiante, dressa un petit feu de camp à quelques mètres de la surface lisse du fleuve. Son regard ambré croisé de nouveau celui de l’humaine, et il désigna le cours d’eau qu’elle mourrait d’envie de rejoindre pour lui indiquer qu’elle pouvait s’approcher.
De nouveau, il se positionna en tailleur, gardant un oeil attentif au moindre fait et geste de la jeune femme.
J'ai environ 25 ans, mais j’ignore exactement quand je suis née. Je vis dans une vielle maison abandonnée. Dans la vie, je suis voleuse et arnaqueuse et je m'en sors comme je peux. Sinon, je suis célibataire. J’ai parfois l’impression de ne rien saisir au monde, comme si je n’avais ma place nulle part
Le soleil était désormais au zénith, dans une forte chaleur, loin de la fournaise les plus intenses au cœur de l’été, mais dont la température était difficile à soutenir sans suffisamment d’eau pour tenir une journée, plus encore après les événements de la nuit dernière qui avait assoiffé son organisme. Sa bouche et ses yeux étaient secs, sa peau la tirait, son corps lui faisait mal. Pourtant elle ne disait rien de tout cela. Elle continuait d’avancer, pas après pas, supportant les rayons ardents. Sa tenue l’aidait à supporter la chaleur, l’air circulant entre les épaisseurs de tissus. Pourtant, elle sentait ses forces diminuées au fur et à mesure de leur avancée. Elle ne cherchait pas à suivre le rythme du Djinn, n’ayant aucune intention de s’épuiser plus que nécessaire. Cette journée était suffisamment rude pour elle. Ce n’était pas tant la chaleur ou le désert, Aysha y était habituée, mais simplement son état émotionnel. Elle se sentait en rage, une rage qu’elle alimentait en fixant le dos qui avançait à grand pas. Mais elle savait aussi bien trop ce qui se trouvait sous cette rage et qu’elle pourrait s’effondrer n’importe quand. Ce n’était pas possible.
L’humaine le voyait se retourner de temps à autre, comme pour s’assurer que la distance entre eux ne se creusait pas trop, qu’elle ne tentait pas de s’échapper. Elle y pensait, mais ce serait une folie. Il n’y avait que le désert autour d’eux, elle était trop faible pour courir suffisamment longtemps, alors que lui semblait plus fort encore. Aysha ne faisait que lui renvoyer un regard sombre tout en continuant à avancer sans dire un mot.
Ils finirent par s’arrêter près d’un endroit où elle pourrait trouver de l’ombre et un peu de nourriture. De quoi étancher sa soif qui commençait à brûler sa gorge. Lui resta en plein soleil, tandis qu’elle cherchait l’ombre. Elle finit par briser le silence, sa voix un peu rauque à cause de la déshydratation. Elle espérait que cela cacherait les tremblements de sa voix à cause de l’angoisse. Il tourna les yeux vers elle, créant un frisson dans tout son corps. Elle serra les dents, affichant une flamme dans son regard pour faire illusion. Elle suivit son geste du regard, cachant ses tremblements face à la force qu’il déploya et… une certaine fascination les quelques marques visibles qui s’illuminèrent, tandis que des flammes s’allumaient à ses pieds. Elle observa les flammes un instant, se remémorant un peu trop ce qui s’était passé hier.
Aysha s’assit sur le sable et mit les fruits dans les flammes qui s’éteignirent quelques secondes après. Elle les récupéra, détachant les aiguilles, puis fit glisser le voile qui couvrait son visage, le conservant sur ses cheveux. Elle glissa quelques fruits entre ses lèvres, forçant ses mâchoires à se desserrer pour mâcher lentement afin de faire durer la sensation d’eau que lui procura le fruit, mais également pour que son corps prenne le temps de s’habituer.
La jeune femme leva les yeux vers lui, observant les quelques parties de son visage visible, et fut même un instant intrigué par les pupilles jaunes de ce monstre. Ce monstre oui… dont elle ignorait tout, jusqu’à son identité. Est-ce que cela avait de l’importance ? Peut-être pas… mais après tout, si elle en apprenait plus sur lui, sur l’endroit où ils allaient, s’ils se confiaient, peut-être qu’elle pourrait en tirer quelque chose. Alors elle lui parla, faisant tout pour cacher son angoisse en manipulant les fruits entre ses doigts, ses muscles tendus, prête à encaisser le moindre coup.
Aysha fut surprise de l’entendre répondre. Sa voix était plus posée, empli d’une arrogance dont seul ceux qui étaient habitués au pouvoir était dotée. Elle l’observa sans répondre. Il lui avait déjà demandé son nom et ce type d’individu n’avait aucun souhait de la connaitre. Elle n’était rien pour lui. Juste un objet et un objet n’avait ni conscience, ni identité. Elle pourrait lui dire, peut-être que cela l’humaniserait, mais ses expériences précédentes lui montraient tout l’inverse. A la place, elle décida d’en savoir plus, pour espérer un peu cette torture que d’ignorer où il l’emmenait, ce qu’il comptait faire d’elle aussi… Questions qu’il ignora superbement. Il semblait au moins conscient des besoins vitaux de l’humaine. Elle lui lança alors un autre regard noir. « Je n’ai pas besoin de vos conseils, je connais le désert. »
Ils se remirent en route, continuant leur marche interminable. Elle détourna les yeux du dos du Djinn, laissant son regard dérivé sur les dunes, prenant le temps d’apprécier le paysage, unique façon de s’échapper de ses pensées. Ils finirent par le fleuve, rappelant bien plus fortement sa soif intense. Elle se contint de se précipiter vers l’eau et croisa le regard de Nahil qui hocha la tête. Elle se détesta d’attendre bien sagement son autorisation, mais il valait mieux garder la tête basse pour le moment. Il la sous-estimait, comme tous. Et comme tous, ils regretteraient de l’avoir sous-estimer de la sorte.
Aysha marcha jusqu’à l’eau, observant les berges pour s’assurer qu’aucun animal n’était présent. Elle sentit l’eau lécher ses pieds, un sentiment agréable l’envahissant. Elle s’accroupit, observant son reflet épuisé. Elle plongea ses doigts dans l’eau, frottant sa peau pour faire disparaitre la suie. Elle recueillit ensuite le liquide dans la paume de ses mains pour s’en abreuver. Son regard passa par-dessus son épaule et croisa les yeux du Djinn. L’humaine aurait apprécié pouvoir entrer dans l’eau, sentir l’eau fraiche sur son corps, se débarrasser de cette odeur qui ne cessait de la suivre, de cette suie qui la couvrait, mais il n’y avait aucune possibilité qu’elle se dénude en sentant ses yeux sur lui.
La jeune femme leva les yeux, observant l’autre côté du Nil. Elle pouvait plonger dans l’eau et essayer d’atteindre l’autre rive. Il semblait tant apprécié la chaleur et le feu, peut-être que le milieu liquide lui déplaisait ? C’était une chance oui… Mais la rive était loin et elle se sentait bien trop faible… « Tiens, tiens… voyons voir sur quoi on tombe ce soir ? » Elle sursauta, se relevant d’un bond. Ses yeux se posèrent sur quelques hommes qui approchèrent, jusqu’ici dissimuler derrière des affleurement rocheux et coude du fleuve. Elle recula d’un pas. Ces hommes n’avaient rien de sympathiques nomades… Ses yeux lancèrent un rapide coup d’œil au Djinn, toujours à l’écart. Pouvait-elle se servir de ces hommes pour s’enfuir ? « Ne pense même pas à t’enfuir. » Un sourire mauvais étira les lèvres du brigand, dont la main posée sur le pommeau de son sabre la menaçait clairement.
Aysha tourna les talons, essaya de s’enfuir. L’homme fut plus prompt à réagir. Il saisit son bras et la tira brutalement vers lui. « Tu n’iras nulle part chérie. » Ils n’avaient pas encore remarqué Nahil. Il fallait qu’ils le remarquent, qu’ils se frappent l’un l’autre, qu’elle s’échappe. Il voulait la garder en vie, elle ignorait pourquoi, mais il n’allait pas la laisser n’est-ce pas ?
Son cœur battait la chamade, son corps empli de peur. Elle ne pouvait pas compter sur lui. Elle ne pouvait pas attendre après quelqu’un. Elle pouvait sentir le corps de l’homme derrière elle. Aysha bascula brutalement sa tête en arrière et percuta le visage du brigand. Il poussa un cri de douleur et recula, la lâchant. Elle le repoussa brutalement et se mit à courir, cherchant à fuir, à la fois les brigands et Nahil.
J'ai plus de 3 siècles, mais j’ai l’air d’avoir 35 ans. Je vivais paisiblement ma vie de soldat dans Cité d’Hai'za jusqu’à ce qu'Hassan al Tubaz, meneur des Djinns de l'eau, ne prenne le pouvoir. Fidèle protecteur des Nar, mais surtout de ma Reine Syana al Raed, je me suis battu pour empêcher la chute du Royaume. C’est ainsi que le Nouveau Roi autoproclamé Hassan et ses Marids m’ont maudit. Mon âme a été transférée dans une amulette, devenue ma prison depuis plusieurs décennies. Ma seule possibilité de sortir de là est d’être invoqué par un djinn, à qui je devrai protection et fidélité : un serviteur dévoué, plus communément appelé esclave. J’aurais pu y rester encore des siècles si une drôle d’humaine ne m’avait pas fait sortir de là par je ne sais quel moyen. Mise à part cela, je suis célibataire et le resterai jusqu’à la fin : car les esclaves ne se marient pas…
Spoiler:
La date de naissance de Nahil est approximative, mais estimée à plusieurs siècles auparavant : quand on peut vivre longtemps, les chiffres n’ont pas d’importance. Depuis son plus jeune âge, il a vécu en communauté, étudié l’histoire et la culture des plus anciens, travaillé auprès des femmes et des hommes Nar qui faisaient prospérer la Cité d’Hai'za. Doté de capacités physiques très avancées pour son âge, le jeune djinn avait rapidement attiré l’attention des hommes. Il grandissait vite, et s’étoffait rapidement. Pour sa mère, ce n’était qu’une réponse de son corps aux sollicitations importantes qu’il lui faisait endurer. Courir, grimper, aider… toute la journée, et parfois toute la nuit. Nahil s’ennuyait vite, et proposait ses services aux personnes qui l’entouraient pour contrer cela. Sa mère venait parfois le traîner par le col pour le ramener à la maison, de peur que ses pairs ne finissent par le tuer d’épuisement. Mais le jeune djinn était ainsi : dévoué pour son peuple, fidèle à ses valeurs, prêt à tout pour servir sa Reine. Naturellement, lorsqu’ils pensèrent à lui pour rejoindre la garde de sa Majesté, il en fut très honoré. Nahil était le plus jeune djinn à qui on proposait ce privilège. L’histoire n’en avait vu aucun autre avant lui. Il s’engagea sans réfléchir, ignorant les cris sidérés de sa génitrice le mettant en garde. S’en suivirent de longues années de formation, où les guerriers les plus puissants de la garde –composée de peuples de toutes origines (Nar, bien sûr, mais aussi Tubaz et Kuartiz)- se succédaient pour lui apprendre les techniques de combat pour la plupart ancestrales. On lui apprit à forger ses armes par la magie du feu, à les enflammer pour être plus performant… mais aussi à tuer de sang-froid, sans poser de questions. Son dévouement le propulsa à la tête de la Garde Royale : il était devenu une arme si puissante que la Reine elle-même faisait appel à ses services. Former de jeunes gardes, diriger les expéditions, participer aux conseils politiques, parler de stratégie de guerre, faisaient partie de ses missions quotidiennes. Dans l’ombre de sa Majesté, Nahil était les yeux, les oreilles, la défense, et même la confidence du Royaume d’Hai'za. Combattant hors pair, Nahil était réputé pour son agilité au combat, sa discrétion à l’approche d’une cible, ou encore sa ruse. Il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Particulièrement dévoué à son Royaume, il se montrait docile, confiant lorsque sa Reine lui confiait une tâche -la plus ingrate soit-elle. Mais seul contre toute une armée de Tubaz lors de leur prise de pouvoir, il avait été contraint –par magie, plutôt mourir que de l’accepter- de fléchir le genou devant le nouveau Roi. Hassan avait terriblement besoin de lui, de sa notoriété, pour rallier le peuple derrière lui. La suite était bien plus simple à résumer : il ne courbait pas l’échine. Jamais. Il sortait des rangs, refusait les ordres de celui qui le remplaçait. Alors, puisque l’insoumis ne fatiguait pas, le Roi répandit des rumeurs malveillantes : les massacres qu’il aurait faits pour la précédente Reine, ses propres intérêts qu’il aurait servis sans se soucier du bien-être de son peuple. Passé du guerrier le plus aimé du peuple, Nahil devint le Shaytan (démon) de la Cité. Le peuple de souleva pour demander son exclusion : maudit des mains du Roi qu’il ne voulait pas considérer comme le sien, il fut interdit de séjourner à Hai'za, et enfermé dans son précieux collier en fer forgé, en espérant que personne ne pourrait l’en délivrer.
Celle qui se vantait de bien connaître le désert semblait plutôt en souffrir. Mais non, Nahil ne releva pas : elle était humaine, après tout. Elle n’était pas la première qu’il rencontrait, et malheureusement elle ne risquait pas d’être la dernière en considérant qu’ils longeraient le Nil jusqu’à Hai’za. Il savait que la connaissance du désert dont elle parlait était superficielle. Elle y avait probablement vécu longtemps -ce qui avait du sens, considérant qu’elle était une voleuse dans une ville entourée de désert. Cependant, pouvait-on vraiment affirmer le connaître sans y avoir vécu entièrement ? Nahil lui-même n’avait pas cette prétention.
Le Djinn resta donc silencieux pendant la suite du chemin, se retournant toujours régulièrement pour voir si elle était toujours vivante. Elle s’accrochait à la vie avec une hargne déconcertante, ce qu’il ne pouvait pas lui enlever. Alors que les berges du fleuve se dessinaient devant leurs yeux, les deux voyageurs eurent tous deux une réaction différente : Nahil resta prudent, détaillant chaque recoin du paysage pour s’assurer qu’ils seraient en sécurité. Avec les humains, mieux valait se méfier, ils pouvaient être totalement imprévisibles. Hors d’Hai’za, il était tout aussi visible que s’il l’était lui-même… sauf qu’ils verraient vite qu’il avait quelques... particularités propres, disons. De son côté, l’humaine dont il avait oublié le prénom ne tarda pas à se rendre vers la surface limpide de l’eau.
Il eut un sentiment de dégoût en la voyant entrer dans l’eau pour faire sa toilette. Que pouvaient-ils trouver d’intéressant à se mouiller ? Cette simple pensée lui procura un frisson désagréable dans l’échine. L’eau ne le tuerait pas, mais il ne la portait pas dans son cœur. D’ailleurs, comme s’il avait quelque chose à prouver à ce sujet, Nahil claqua des doigts et alluma un petit feu, le même qu'il l’avait fait plus tôt dans la journée. Il lui servirait à surveiller l’escroc, et elle pourrait simplement se réchauffer ou se restaurer avec.
Nahil l’avait seulement quittée des yeux un centième de seconde pour contempler la délicate flamme qui dansait devant ses yeux, avec fascination. Un centième de seconde, c’est tout. Pourtant, c’est pendant ce court instant qu’un groupe s’aventura vers l’humaine qu’il surveillait. En contrebas, le long de la berge, il ne parvenait pas à comprendre exactement ce qu’ils lui disaient. Sa seule certitude était qu’ils s’adressaient directement à elle.
Dans un silence de chasseur, le Djinn se redressa pour englober dans son champ de vision le groupe de cinq ou six brigands qui venaient de rejoindre son périmètre de surveillance. Les malheureux petits gens n’avaient clairement pas choisi leur moment. Ni leur endroit, d’ailleurs. Pourtant, il se contenta de rester là, à observer la situation.
Elle n’avait pas eu besoin de ses conseils. Si elle connaissait si bien le désert, elle saurait renvoyer une bande d’écervelés dans les voiles de leurs mères. Il croisa les bras sur sa poitrine, un léger rictus au bord des lèvres. Il était curieux de voir les techniques de survie qu’elle emploierait.
Enfin, pour cela, il fallait encore qu’elle initie un mouvement. Ne serait-ce qu’une esquive, non ? “Même une grand-mère Djinn peut être plus vive que cela”, se surprit-il à ronchonner dans sa barbe. Que faisait-elle, exactement, à part lui jeter des coups d’œil pour savoir s’il viendrait à son secours.
Bah tiens ! Là tout de suite on a besoin du grand méchant Djinn, n’est-ce pas ?
Rien. Toujours rien. Si bien qu’un des membres du groupe s’empara de son bras et la tira vers lui fermement en lui affirmant qu’elle n’irait nulle part. Hum… L’idée de se débarrasser d’elle pouvait avoir quelque chose d’alléchant, c’était vrai… mais il devait la ramener à Hai’za pour lever la malédiction. Et s’ils la tuaient ? Risquait-il d’y passer aussi ? Hors de question de tenter cette expérience.
Bien sûr, il n’avait pas encore récupéré d’armes… il jura à voix basse, puis se promit de se mettre en recherche dès le lever du jour. En attendant, son nouveau corps devrait apprendre à lui obéir. L’homme s’approcha du petit groupe, à pas feutrés, juste à temps pour voir le coup de tête qu’elle venait de mettre dans les dents de celui qui le retenait. C’était un mouvement… certes pas le plus mâlin -elle aurait un mal de crâne conséquent ensuite. C'était quand même mieux que de rester figée et attendre la mort.
Nahil attrapa le premier qui venait par le drapé de son habit, puis le souleva comme un baluchon, et l’envoya valser à quelques mètres de là. Il se retourna pour observer la distance entre lui et sa première victime, plutôt agréablement surpris par la force qu’il avait déjà. Ensuite, son instinct de guerrier prit le dessus.
Il attrapa le second et le troisième -un dans chaque main- et les entrechoqua comme s’ils étaient de vulgaires figurines de plomb. Il esquiva ensuite une lame -bien trop lente pour ses propres réflexes-, asséna un coup violent en direction du foie de son adversaire puis lorsqu’il fut à terre, il s'empara de l’arme pour la retourner contre lui. Il l’orienta ensuite vers le dernier, juste là encore intact. Il lisait un mélange de peur et de hargne dans ses yeux. “Je serais vous, je m’en irais sagement loin d’ici. Très loin. A moins que vous préfériez subir le même sort que vos petits copains.” A cet instant, les symboles inscrits sur son corps s’illuminèrent, et les hurlements de terreur du groupe de brigands lui firent dire qu’ils avaient compris le message. “C’est ça, cassez-vous bande de crasseux.” Grogna-t-il en cherchant du regard l’humaine.
Ses tatouages ne s’estompèrent pas : elle courait. Non, en fait, elle essayait de s’échapper. “Lamentable.” Il canalisa la colère qui le rongeait, concentrant son énergie sur une butte de sable qui se tenait à quelques mètres devant sa silhouette apeurée. A peine l’eut-il repérée qu’elle s’enflamma. Une barrière flamboyante se dressa devant elle, mais cette fois, elle ne détruisait pas le sol qui la contenait. Nahil croisa de nouveau les doigts sur la poitrine, lèvres pincées de colère. “Tu t’es trompée de côté, le campement est par ici.” Lâcha-t-il sèchement, d’une voix qui raisonna dans le paysage maintenant désert -sans mauvais jeu de mot. Il avait lâché le vouvoiement, estimant qu’un tel comportement ne valait plus la peine qu’il garde une seule marque de respect.
J'ai environ 25 ans, mais j’ignore exactement quand je suis née. Je vis dans une vielle maison abandonnée. Dans la vie, je suis voleuse et arnaqueuse et je m'en sors comme je peux. Sinon, je suis célibataire. J’ai parfois l’impression de ne rien saisir au monde, comme si je n’avais ma place nulle part
La journée avait été longue et rude, les puissants rayons du soleil pesant sur ses épaules. Son corps, qu’elle avait pourtant exercé durant ses fuites dans la ville et ses nombreuses grimpes, souffrait pourtant de cet effort. Après tout, quoi de plus normal ? N’importe quel humain savait que marcher durant les heures les plus chaudes n’était en rien conseiller, mais ce fou cherchait peut-être à la tuer lentement après tout… Si seulement le manque d’alimentation toutes ces années ne l’avait pas autant marqué, peut-être aurait-elle mieux résister ? Peut-être aurait-elle été plus en capacité de s’enfuir. Qu’importe. Elle ne comptait pas abandonner aussi facilement.
La vision du Nil fut un puissant soulagement pour Aysha, qui se sentait sur le point de s’effondrer sur place et de passer la nuit sur le sable pour mourir dessécher. Elle dut faire preuve de tout le contrôle dont elle était capable pour ne pas se précipiter vers l’eau et y plonger pour essayer d’étancher cette soif, sa gorge lui semblant aussi aride que le sable à ses pieds. Elle plongea ses mains dans l’eau, appréciant la fraicheur, buvant quelques gorgées. Elle sentait le regard brûlant du Djinn sur sa nuque, mais essayé de profiter de ce moment éloigné de son influence. Elle pensa à sa fuite, mais aussi peut-être laisser ses émotions se libérer un instant, pour faire sortir ce qui se trouvait sous sa rage. Si elle s’effondrait, juste un instant, ce ne serait pas si grave n’est-ce pas ?
D’une certaine façon, l’intervention des brigands la sauva de ses sombres pensées qui risquaient de balayer toutes ses défenses. Aysha avait peur face à eux. Mais, plus que d’avoir peur d’eux, elle avait peur de Nahil. Cette peur, plutôt que de la tétaniser, la poussa à se débattre pour se libérer et s’élancer loin de tous. Humains comme Djinns, ils semblaient tous les mêmes. Aysha vit du coin de l’œil Nahil intervenir, saisir l’un des hommes et l’envoyer voler aussi facilement qu’un fétu de paille. Son regard ne se perdit pas sur la scène et bascula vers l’avant pour fuir le plus vite possible. Son cœur battait la chamade, l’adrénaline parcourait ses veines, la portaient et donnaient un nouvel élan à ses jambes épuisées. Elle devait réfléchir. Vite ! Savoir où aller ! Ces brigands devaient avoir des bêtes, des animaux pour se déplacer. Si elle en attrapait un, peut-être… Oui, peut-être qu’elle pourrait s’enfuir.
Oui ! Elle pouvait réussir. Son corps la porte, ses pieds s’enfoncent dans le sable. Elle continue. Le Djinn est occupé. Elle ne sentait pas ses flammes, il ne voulait pas se fatiguer à les utiliser ? Tant mieux. Plus son esprit était concentré sur ces brigands, plus elle avait de chance de s’échapper. Elle pouvait réussir. Elle va réussir !
Des flammes !
Des flammes se dressèrent devant elle. Aysha se figea. Ses yeux d’ambre sont posés sur les flammes, tandis que le mur se dresse devant elle, violent, insupportable, insurmontable. Un tremblement prend son corps. Elle fit un pas en arrière. Elle aurait pu s’échapper. Elle devait s’échapper. Elle… Si seulement elle avait été plus rapide. Si seulement elle avait été plus forte, plus maligne. Si seulement elle avait été plus. Tellement plus…
La voix de Nahil sonne comme un glas qui vint achever Aysha. Elle y avait cru. Elle s’était imaginée avoir couru assez vite pour s’éloigner de lui, mais à peine… Il avait été si vif qu’elle n’avait pu s’enfuir que de quelques mètres. Mais, plutôt que de la terrasser, elle sentit la vague de colère bondir en elle. Elle pivota vers lui, ses yeux lançant des éclairs. « Ce n’est certainement pas moi la plus pitoyable ici ! » S’exclame-t-elle, folle de rage et d’amertume, dirigée contre elle plus que lui. Il avait réussi son objectif après tout, la retenir, tandis qu’elle avait échoué au sien… « Vous êtes celui qui prend plaisir à brûler des innocents et briser des vies. C’est bien plus lamentable. » Folle qu’elle est, emportée par le tumulte de ses émotions accumulées depuis leur rencontre, elle fait un pas vers lui. « Alors je me passerai de ton jugement. » Sans s’en rendre compte, elle était passée au tutoiement, mais après tout elle n’était plus à une transgression prêt.
Mais derrière la colère, il y avait aussi la peur. Elle gardait pourtant la tête haute pour ne pas paraître effrayée. Elle se mordit la langue, se maudissant intérieurement pour sa langue trop vive, qui lui avait déjà joué bien trop de tour par le passé. Elle l’affronta du regard malgré tout, malgré sa crainte qu’à chaque instant il pouvait lui faire payer son insolence. Elle se préparait aux coups qui allait pleuvoir sur elle. Ou peut-être préférait-il la brûler ? Cela serait sûrement plus amusant pour lui… Le seul avantage, c’est que dans les deux cas, ça le ralentirait pour ses projets de l’emmener dans cet endroit aussi horrible que lui sans aucun doute. Et, malgré sa crainte, elle pensait tout ce qu’elle venait de dire. Après tout, elle avait pris le risque d’essayer de s’enfuir, rassembler son courage pour tenter une folie, sans aucun doute, mais s’il pensait l’avoir dressé gentiment, il se trompait lourdement. Et cela nécessitait certainement plus de courage que de brûler une ville et frapper quelques brigands sans intérêt.
J'ai plus de 3 siècles, mais j’ai l’air d’avoir 35 ans. Je vivais paisiblement ma vie de soldat dans Cité d’Hai'za jusqu’à ce qu'Hassan al Tubaz, meneur des Djinns de l'eau, ne prenne le pouvoir. Fidèle protecteur des Nar, mais surtout de ma Reine Syana al Raed, je me suis battu pour empêcher la chute du Royaume. C’est ainsi que le Nouveau Roi autoproclamé Hassan et ses Marids m’ont maudit. Mon âme a été transférée dans une amulette, devenue ma prison depuis plusieurs décennies. Ma seule possibilité de sortir de là est d’être invoqué par un djinn, à qui je devrai protection et fidélité : un serviteur dévoué, plus communément appelé esclave. J’aurais pu y rester encore des siècles si une drôle d’humaine ne m’avait pas fait sortir de là par je ne sais quel moyen. Mise à part cela, je suis célibataire et le resterai jusqu’à la fin : car les esclaves ne se marient pas…
Spoiler:
La date de naissance de Nahil est approximative, mais estimée à plusieurs siècles auparavant : quand on peut vivre longtemps, les chiffres n’ont pas d’importance. Depuis son plus jeune âge, il a vécu en communauté, étudié l’histoire et la culture des plus anciens, travaillé auprès des femmes et des hommes Nar qui faisaient prospérer la Cité d’Hai'za. Doté de capacités physiques très avancées pour son âge, le jeune djinn avait rapidement attiré l’attention des hommes. Il grandissait vite, et s’étoffait rapidement. Pour sa mère, ce n’était qu’une réponse de son corps aux sollicitations importantes qu’il lui faisait endurer. Courir, grimper, aider… toute la journée, et parfois toute la nuit. Nahil s’ennuyait vite, et proposait ses services aux personnes qui l’entouraient pour contrer cela. Sa mère venait parfois le traîner par le col pour le ramener à la maison, de peur que ses pairs ne finissent par le tuer d’épuisement. Mais le jeune djinn était ainsi : dévoué pour son peuple, fidèle à ses valeurs, prêt à tout pour servir sa Reine. Naturellement, lorsqu’ils pensèrent à lui pour rejoindre la garde de sa Majesté, il en fut très honoré. Nahil était le plus jeune djinn à qui on proposait ce privilège. L’histoire n’en avait vu aucun autre avant lui. Il s’engagea sans réfléchir, ignorant les cris sidérés de sa génitrice le mettant en garde. S’en suivirent de longues années de formation, où les guerriers les plus puissants de la garde –composée de peuples de toutes origines (Nar, bien sûr, mais aussi Tubaz et Kuartiz)- se succédaient pour lui apprendre les techniques de combat pour la plupart ancestrales. On lui apprit à forger ses armes par la magie du feu, à les enflammer pour être plus performant… mais aussi à tuer de sang-froid, sans poser de questions. Son dévouement le propulsa à la tête de la Garde Royale : il était devenu une arme si puissante que la Reine elle-même faisait appel à ses services. Former de jeunes gardes, diriger les expéditions, participer aux conseils politiques, parler de stratégie de guerre, faisaient partie de ses missions quotidiennes. Dans l’ombre de sa Majesté, Nahil était les yeux, les oreilles, la défense, et même la confidence du Royaume d’Hai'za. Combattant hors pair, Nahil était réputé pour son agilité au combat, sa discrétion à l’approche d’une cible, ou encore sa ruse. Il avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Particulièrement dévoué à son Royaume, il se montrait docile, confiant lorsque sa Reine lui confiait une tâche -la plus ingrate soit-elle. Mais seul contre toute une armée de Tubaz lors de leur prise de pouvoir, il avait été contraint –par magie, plutôt mourir que de l’accepter- de fléchir le genou devant le nouveau Roi. Hassan avait terriblement besoin de lui, de sa notoriété, pour rallier le peuple derrière lui. La suite était bien plus simple à résumer : il ne courbait pas l’échine. Jamais. Il sortait des rangs, refusait les ordres de celui qui le remplaçait. Alors, puisque l’insoumis ne fatiguait pas, le Roi répandit des rumeurs malveillantes : les massacres qu’il aurait faits pour la précédente Reine, ses propres intérêts qu’il aurait servis sans se soucier du bien-être de son peuple. Passé du guerrier le plus aimé du peuple, Nahil devint le Shaytan (démon) de la Cité. Le peuple de souleva pour demander son exclusion : maudit des mains du Roi qu’il ne voulait pas considérer comme le sien, il fut interdit de séjourner à Hai'za, et enfermé dans son précieux collier en fer forgé, en espérant que personne ne pourrait l’en délivrer.
Oh, était-ce une tentative de colère noire qui s’échappait du regard de sa prisonnière ? Peut-être, mais il avait un peu de mal à se sentir menacé. Il n’avait pas brûlé d’innocents, juste une ville qui l’avait longtemps retenu prisonnier. Quel mal à cela ? Le Djinn resta dans la même position, soutenant -de loin, car elle avait quand même tenté de lui échapper- son regard furibond.
Ses réflexes de guerrier reprenaient le dessus, lui rappelant que la surenchère de colère ne menait jamais à un accord. Cela dit, vu comme ça, il n’avait aucun accord à passer... Quelques flammes, et elle n’aurait pas d’autre choix que de le suivre.
Les heures passées à marcher dans le désert brûlant avaient rechargé ses batteries : il se sentait plus vivant, plus fort encore, mais surtout, il avait retrouvé patience.
Oui, aussi étrange que cela puisse paraître, en temps de guerre, Nahil était le plus réfléchi. Celui vers qui on se tourne quand un mouvement de panique surgit dans les rangs. Notons quand même que dans “le plus réfléchi”, il convient de se remémorer que Nahil dirigeait une armée de Djinns. Les combattants choisis par sa Reine n’étaient pas les plus réputés pour leur sens de la réflexion. Lui-même avait été sélectionné pour ses capacités physiques, son sens de l’observation, et ses stratégies militaires… Mais il s’était détaché du lot en utilisant un peu plus son cerveau que sa force. Pourtant, il était loin de se considérer comme malin.
Le silence s’était installé entre eux, mais pas seulement. Le Nil lui-même semblait se terrer dans son lit, taisant son clapotis pour se faire le plus discret possible. Nahil jugea, puisqu’on parlait de jugement, qu’il perdrait son temps à argumenter. Il préféra donc laisser l’atmosphère s’alourdir encore et encore. Le calme lui plaisait, et serait toujours plus agréable de se faire traiter de lamentable par une humaine.
L’indifférence. C’était la stratégie qu’il aimait le plus utiliser en temps de guerre. La haine de ses adversaires augmentait, et de ce fait, leur risque de faire une erreur s’accroissait : il n’avait plus qu’à attendre le moment opportun pour les anéantir. Voilà ce qui faisait la force de Nahil del Nar. Certainement pas une malédiction lancée par la Reine pour le rendre plus puissant, bien que tous les deux aient profité de ces rumeurs pour le faire craindre plus que jamais. Il avait toujours pensé que la naïveté appartenait aux humains… mais avait vite compris en les dirigeant que les Djinns aussi pouvaient être stupides.
Les flammes ne baissèrent pas d’intensité, ouvrant la voie à la jeune femme pour qu’elle regagne le campement. Nahil, lui, avait tourné le dos et s’était avancé vers la zone où les brigands s’en étaient pris à elle. Terrorisés par sa présence, certains avaient lâché leurs armes avant de prendre les jambes à leur cou.
Il se trouvait un peu trop proche de l’eau à son goût, mais se félicita d’être intervenus avant qu’ils ne la jettent dans le fleuve… Les suites auraient été moins confortables.
Sans trop s’attarder, il ramassa un poignard quelconque qui s’était planté dans une petite dune, et une épée de piètre qualité qui siégeait à ses côtés… Il devrait un peu arranger les objets pour une utilisation décente, mais elles feraient l'affaire.
Le dernier objet dont il s’empara était un ballot de vieux haillons, suffisamment lourd pour qu’il puisse lui être utile : il le jeta sur son épaule sans prendre connaissance -pas encore- de son contenu.
Lorsqu’il remonta la berge pour retrouver le campement de fortune, l’humaine n’avait pas bougé. Soit. Qu’elle reste là-bas, ça ne changerait rien à sa vie. Elle se fatiguerait bien plus vite que lui car les flammes qui dansaient autour d’elle étaient loin de puiser dans ses forces. Elles s’entretiendraient jour et nuit sans qu’il ait besoin d’y penser.
Nahil s’assit en tailleur, puis entreprit de dénouer le maigre butin. Il plissa le nez en constatant qu’il était surtout constitué de nourriture -viande séchée, fruits secs. Quel fardeau d’avoir besoin de se nourrir ! Ils transportaient leur source d’énergie sur eux, là où lui n’avait qu’à la capter dans son environnement.
En déplaçant les objets du sac de fortune, le Djinn mit la main sur une petite bourse remplie de monnaie humaine. “Eh bien voilà, je savais que vous aviez un petit quelque chose pour moi.” Chuchota Nahil en la fixant sur sa ceinture auprès du poignard.
Finalement, il renoua le sac, et le jeta dans la direction de l’humaine qui continuait de bouder dans son coin. “Mange. Si tu veux apprendre à te battre correctement, il va te falloir de l’énergie.” Dit-il finalement.
Ce fut sa seule et unique phrase de toute la nuit. Il resta en tailleur, mains sur les genoux, dans une position de méditation propre à son espèce. A aucun moment il ne lâcha l’humaine du regard. Il ne dormait pas, jamais. Il avait seulement besoin de surveiller les alentours et attendre que le jour ne se lève pour repartir vers la Cité des Djinns.
J'ai environ 25 ans, mais j’ignore exactement quand je suis née. Je vis dans une vielle maison abandonnée. Dans la vie, je suis voleuse et arnaqueuse et je m'en sors comme je peux. Sinon, je suis célibataire. J’ai parfois l’impression de ne rien saisir au monde, comme si je n’avais ma place nulle part
La colère, la rage, la peur, l’angoisse, toutes ces émotions s’étaient accumulées durant ces deux jours de marches forcées. La faim, la fatigue, et cette violente désillusion face à l’échec total et sans équivoque de sa fuite contribuèrent à l’explosion du volcan en elle. Elle n’avait pas pu faire plus de quelques mètres, elle avait pourtant cru en cet espoir fou. Juste un instant. Elle aurait pourtant dû savoir que ça ne serait pas aussi simple. Ce n’était jamais simple. Sa vie entière n’avait jamais été simple.
Alors tout explosa. Sa vision s’étrécit, son cœur se mit à battre à tout rompre, si fort qu’elle n’entendait plus que sa pulsation à ses oreilles. Ses poings étaient serrés si fort que ses ongles s’enfonçaient dans sa peau douloureusement. L’espoir de liberté – cette liberté si durement cherchée et si fraiche – qu’on lui arrachait de nouveau. Encore et encore. Son esprit cédait face à toute cette pression. Et, malheureusement, l’expression de toute cette rage s’abattait au pire moment et sur la pire option : son ravisseur.
Sa tirade terminée, ses yeux lançant toujours des éclairs, son corps tremblant de cette colère noire, un éclat de lucidité traça petit à petit son chemin. Il va me tuer. Cette pensée fut si claire, qu’elle sut que cette fois si, elle ne s’en sortirait pas. Son corps fut prit de nouveaux tremblements, de craintes. Non ! Ne craque pas, ne craque pas ! s’invectiva-t-elle. Elle refusait qu’il puisse voir sa peur de mourir.
Aysha continuait de l’affronter du regard, même si son regard noir n’était plus qu’un masque pour cacher son angoisse. Une angoissante grandissante, tandis que Les yeux jaunes du Djinn l’observait, la jaugeait, dans un silence pesant et un temps infini. Il ne bougeait pas, sa posture et son regard indéchiffrable. Nahil esquissa enfin un mouvement, provoquant un léger mouvement de recul que l’humaine fit de son mieux pour arrêter, tendant ses muscles, attendant la sentence qui tardait.
Les flammes s’ouvrirent, elle serra les poings et… Il se détourna et s’éloigna d’elle. La surprise peignit son visage, balayant le reste de colère et, pendant un instant, balaya même son angoisse. Que se passait-il ? Pourquoi est-ce qu’il ne réagissait pas ? Elle l’avait insulté, défié et essayé de s’échapper. Pour une seule de ses actions, elle aurait dû subir une violente correction. Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il ne disait rien ? Pourquoi est-ce qu’il se détournait simplement ? Pourquoi ?! Il voulait qu’elle choisisse à nouveau de le suivre après avoir essayé de s’enfuir ? Il voulait voir ce qu’elle ferait ? Un test ? Savoir si elle était assez désespérée pour choisir les flammes ? Non, non, non. Ne craque pas.
Aysha ne sut combien de temps elle passa debout au cœur des flammes, à sentir ses pensées s’emballer, son angoisse monter. Elle n’avait pas le choix… Abandonnant, serrant les dents, ses jambes s’activèrent et rejoignirent le campement. Le Djinn lança un sac à ses pieds. A nouveau la surprise teinta son visage, trop épuisée pour essayer de dissimuler son émotion. « Me battre ? Pourquoi est-ce que vous feriez ça ? » La colère apaisée, le vouvoiement revint par habitude, non pour chercher un apaisement.
Les lèvres de Nahil restèrent clauses, mais sont regard ne la lâchèrent pas. Elle s’assit, ouvrant le sac pour en prélever une petite quantité. Elle mâchonna sans faim, la boule d’angoisse si forte qu’elle avait du mal à avaler. Qu’allait-il faire d’elle ? Des combats ? La jeter dans une de ces arènes pour se donner en spectacle ? C’était ridicule. Il n’était pas idiot et c’était un guerrier. Il savait se battre et il avait seulement suffit d’un regard de sa part pour deviner qu’elle ne valait rien. Elle s’était souvent battue pourtant, mais sans technique, juste une boule de rage pour essayer de rester en vie. Parfois elle gagnait, souvent elle fuyait, et, d’autres fois, elle n’était pas assez vive. Alors pour participer à une guerre ? L’envoyer comme de la chair à canon dans une guerre qui n’était pas la sienne ? C’était tout aussi ridicule. Une humaine sans capacité. Ca n’avait aucun sens. Rien de tout ceci n’avait de sens.
Les pensées s’enchaînaient dans son esprit sans cohérence, imaginant des scénarios improbable. Elle avait fini par s’allonger, lui tournant le dos. Son angoisse était toujours présente. Elle se sentait perdre pied, le désespoir s’abattant sur elle. Des larmes brouillèrent sa vue et quelques-unes s’échappèrent silencieusement. Aucun son, aucun sanglot ne s’échappa de ses lèvres. Elle avait appris à pleurer en silence, à s’effacer pour que personne ne sache. Jamais.
Le silence entre eux s’éternisa au réveil, ses yeux s’ouvrant sur l’étendue du désert et le Nil, dont le cours d’eau poursuivait sa course, entité imperturbable par les malheurs qui touchaient son observatrice silencieuse. La nature était aussi indifférente à son sort que l’était son bourreau. Et c’est ce même silence qui les accompagna tout au long de la journée, l’humaine se questionnant encore et encore sur les intentions qu’il pouvait bien avoir. Essayant de se soustraire à cette torture mentale, elle cessa de fixer le dos large pour laisser son regard vagabonder sur le paysage, essayant de gérer son angoisse, s’attendant à tout instant à une représailles quelconque, et ne cessant de penser aux dernières paroles qu’il avait prononcé.
La journée s’écoula comme les autres, le rythme de ses pas la mettant presque dans un état de semi-conscience, ses pieds avançant avec automatisme, son esprit dérivant, remarquant à peine la chute du soleil qui atteignait l’horizon et l’arrêt de son geôlier, dont elle manqua de peu de le percuter. Elle s’arrêta juste à temps et recula vivement, la ramenant brusquement à la réalité et à son sort. Le regard du Djinn ne tarda pas à se poser sur elle, la faisant frisonner. Elle pinça les lèvres, essayant de se reprendre. « Pourquoi vouloir apprendre à me battre ? Ca n’a pas de sens. Dit-elle, brisant le silence entre eux, essayant de comprendre, même si elle doutait d’obtenir la moindre réponse. Et elle ajouta pour elle-même, détournant le regard. Comme m’emmener avec vous… Ca vous fait perdre du temps pour aller là-bas. » Elle ignorait toujours où il la conduisait. Elle savait seulement son prénom et qu’il était immensément fort. Aysha releva les yeux sur lui. « Si c’est pour me prouver que vous pourriez m’écraser avec une seule main, je ne crois pas que ce soit utile. » Une punition, si loin de son crime ? Ca n’avait pas de sens. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance. L’épargner pour sévir maintenant. Non, déciment elle n’arrivait pas à comprendre ce qui se tramait dans l’esprit du Djinn.
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Accorder sa confiance revient-il donc toujours à offrir son dos au poignard ? [pv Stormy Dream]