Prologue
La famille Desnuits déménagea à Paris, sur la butte Montmartre, au printemps 90. Artiste dans l'âme, Bénédicte était une passionnée de théâtre, excellente pianiste de surcroît, et tentait bon an, mal an, d'en vivre. Issue d'une famille plutôt modeste, elle avait rapidement enchaîné les petits boulots pour payer les frais de conservatoire. Des étoiles plein les yeux, elle y croyait dur comme fer, à ses rêves. Consciente depuis toute jeune de n'avoir qu'une vie, elle l'a croquait par tous les bouts, amoureuse de la liberté et de tout ce qui était possible. Et même si parfois, souvent ou toujours, la réalité la rattrapait, elle conservait cette puissance de vie qui lui permettait de ne jamais sombrer. Une capacité de résilience hors du commun qu'elle transmis à sa petite fille, Cassiopée. Elle avait rencontré son père, Frédéric Desnuits, lors d'une tournée de théâtre en Italie. Cadre supérieur travaillant dans le commerce international, ce fut une improbable mais authentique rencontre qui aboutit à leur mariage en 1981.
Fille unique, Cassiopée hérita donc d'un caractère enjoué, optimiste et généreux, entourée de l'affection de ses parents. Un prénom rarissime, choisi avec amour par une maman fantasque et altruiste. Amitieuse, spontanée, rêveuse notoire, son enfance fut joyeuse et simple. Elle côtoya les coulisses des théâtres, s'amusant parfois avec sa mère sur les planches. Confrontée très jeune à rencontrer des inconnus, elle acquit une aisance certaine des relations humaines qui, aujourd'hui, pouvait surprendre.
Et puis...
Et puis un jour, la petite fille heureuse perdit sa mère. Une mort annoncée six mois auparavant. Six mois à vivre. Six mois. Une éternité. Une seconde.
Elle avait 12 ans. Elle eut l'âme vieille en quelques heures.
Elle souhaita apprendre le piano.
Cette épreuve lui offrit le choix de s'apitoyer ou de mordre cette putain de vie encore plus intensément. Mais Frédéric Desnuits, en hommage à son épouse, à ce qu'elle était, eut à cœur de sublimer sa disparition, mettant tout en œuvre pour que leur enfant s'en trouve grandie et forte. Les griffes de la mort aurait pu l'anéantir. Ce fut donc l'inverse qui se produisit. Cassiopée se construisit sur l'espoir immuable du Beau, du Bien, du Bon. Entière, elle n'acceptait pas la demi mesure.
A toute ombre sa lumière, tel fut son intime conviction.
Chapitre 1-Paris
Une ville tout en contrastes, aux couleurs froides et chaudes, aux coins et recoins merveilleux où il faisait bon se prélasser ou rêver. Des terrasses léchées par des ambiances chics ou atypiques ; des abords de Seine, où les corps, enfin sortis des placards, se prélassaient dès les premiers rayons du soleil. Les rues grouillantes de touristes, les glaces délicieuses sur l'île Saint Louis, les galeries d'art, les quartiers populaires où il était bon de faire semblant de se perdre. Le plaisir de l'ailleurs qu'offraient les boutiques hétéroclites, indiennes ou asiatiques. Cassiopée raffolait déambuler dans le Tout Paris avec ou sans but précis. Elle avait la capitale dans la peau, irrémédiablement.
Bachelière à 17 ans puis étudiante en sciences humaines à l'université Descartes, elle se plongea, presque comme l'on se noyait, à travers les labyrinthes mystérieux et étranges, ou bien logiques et prévisibles des comportements humains et de toutes les émotions inhérentes à cette race fascinante, qui n'en finissait pas d'évoluer et de se modifier. Un authentique rat de bibliothèque qui finit par sentir la poussière et la toile d'araignée, tant elle se passionna pour son cursus. La soif de comprendre et d'acquérir des connaissances la rongeait comme les crocs de l'enfer. Brillante, jusqu'en boutiste, elle ne lâchait rien, passant des nuits sans couleur à analyser des problématiques complexes.
Fidèle et loyale dans l'amitié, valeur qu'elle tenait en très haute estime, son entourage l'appréciait pour sa joie de vivre, ses déconnades, ses folies, cette écoute particulière où l'on se sentait soudain unique au monde. Bienveillante, empathique, elle distillait la lumière sans s'en rendre compte. Autant elle cherchait à comprendre les autres, autant elle se fichait de ses propres pourquoi-comment. Elle aspirait à « être » de manière absolue. C'était ainsi, tout simplement.
Chapitre 2-Fall in love-
Tête en l'air, souffrant du syndrome des fainéants matinaux, se lever pour être à l'heure était une souffrance répétée pour la rousse.
Mi-juin 2007, oral de Master. A la bourre, le téléphone sonna alors qu'elle n'était pas encore prête pour sortir; elle n'aurait jamais dû répondre mais dans un réflexe, décrocha. C'était son père. Elle perdit du temps et finit par partir en panique et en retard. Elle courut, déambula à toute berzingue dans le campus, les escaliers, les couloirs et s'arrêta enfin, essoufflée devant la porte de la salle d'examen. Un groupe d'étudiants papotait, chacun attendant son tour. Alors qu'elle rangeait son téléphone, Cassiopée réalisa qu'elle portait ces horribles tongs rose bonbon qu'elle enfilait chez elle. Damned ! Impossible de se présenter avec ces claques et pieds nus de surcroît ! Contrariée, elle se maudit et puis...et puis merde ! Avec un peu de chance, le jury ne verrait rien. Au pire, il ne relèvera pas. Au mieux, elle prendra l'air assuré de la fille qui s'habille chic alors qu'en fait, c'était parfaitement ridicule. Flotter la tête dans les nuages n'apportait pas que des bonnes choses...
Elle s'assit à côté d'un étudiant, sur le banc du couloir. La tête appuyée contre le mur, elle soupira son lit et les vacances. La rouquine n'avait même pas réalisé qu'une haute et ostentatoire choucroute de cheveux emmêlés, attachés à l'arrache, ornaient son crâne. Dans sa précipitation, elle avait complètement oublié de se coiffer. Sa tignasse débordait de partout. Les minutes passaient et trépassaient, étouffantes d'ennui. Mine de rien, elle finit cependant par remarquer que le beau gosse assis à côté d'elle, la reluquait avec insistance, le visage tourné vers elle. « Qu'est-ce qu'il me veut celui-là ? », pensa t-elle agacée. Au bout d'un moment, n'y tenant plus, elle lui planta ses iris dans les yeux et les sourcils en l'air, demanda, l'air faussement inquiet :
-J'ai une tâche?Il s'appelait Matthieu. Matthieu aux prunelles bleues et à la peau dorée par le soleil. Cassiopée en tomba amoureuse. Une passion.
Exigeante et entière, la parisienne ne donnait pas facilement son cœur. Depuis toujours, elle était habitée par cette étrange intuition que très peu pouvait comprendre la valeur qu'elle donnait à l'Amour, avec un grand « A » et comment elle entendait le vivre et le partager. Elle rêvait à ce qu'un seul regard leur suffise pour se comprendre. Qu'ils se devinent au-delà des apparences, se soutiennent immuablement. Un pacte scellé dans la pierre et l'éternité. Elle s'amusait à lui demander des choses impossibles, espérant secrètement une réponse sérieuse et sincère, bien qu'elle n'en parlait pas: « Si tu devais manger un crapaud vivant pour me sauver la vie, tu le ferais ? » Et si...Et si...
Une rencontre de hasard ou de destinée, prescience invisible d'un amour indéfectible, perpétuel. Elle y croyait dur comme fer , la fille au prénom d'étoiles. Enlacée dans ses songes éveillés, Cassiopée béait à un bonheur de fiction, confiante et naïve.
Chapitre 3- Sainte Anne-
Jeune diplômée et docteur en psychopathologie clinique et en psychanalyse, elle travailla en milieu hospitalier, volontaire pour ce fameux poste dans le service spécialisé en addictologie.
L'expérience fut douloureuse et âpre en ses débuts. Elle aspirait si fort à tous les sauver, ces malades si mal en vie.
L'univers de la psychiatrie était un monde à part où toute forme sensible se déformait, abîmée. L'azur n'était plus que ce blanc sans fond, étalé sans vagues ni défauts aux plafonds des chambres. L'avenir de bien des patients semblaient ne plus être qu'un long tunnel sans fin. Mais la médecine et les compétences de toute une équipe soignante œuvraient sans relâche pour que ces échoués de l'espérance s'en sortent coûte que coûte.
Elle apprit l'humilité et la patience. Ouverte d'esprit, elle chercha à adapter certaines méthodes canadiennes et américaines qu'elle avait étudiées durant son cursus, auprès de ses patients. Il fallut du temps et de nombreuses réunions avant qu'on ne l'autorise à mettre en place un nouveau protocole. Mais les résultats furent probants et bientôt, sa réputation dépassa les frontières de Paris et se répandit partout en France. Jeune praticienne d'à peine 30 ans, avec tout juste cinq ans d'expérience, elle aurait pu être fière du travail accompli. Tout au plus satisfaite, elle était loin de cet orgueil mal placé qui gangrène de l'intérieur. Lorsqu'un collègue la complimentait ou pire, la flattait, elle se contentait de hausser les épaules, lâchant un mot d'humour ou remettant les choses à leur juste place.
Chapitre 4- Rupture et rédemption
Belle ironie d'utopie. Celui qu'elle a aimé. Celui qu'elle aime. Celui qu'elle n'aimera plus...
Les rêves ne sont que des chimères éphémères et la réalité pure et dure rattrape sans relâche ceux qui tentent de lui échapper.
Le bel et adorable Matthieu déclara un beau soir, qu'il ne l'aimait plus. Terrible. Révoltant. Humiliant.
Elle se sentit crucifiée. L'âme, torturée. La raison, terrassée. Il fallut bien survivre, surmonter, avancer. Un jour après l'autre.
Elle travailla comme l'on meurt, engluée par une monotonie mortifère, pour oublier. Jusqu'à ce jour, à l'issue d'une réunion, où le chef de service la convoqua dans son bureau.
-Los Angeles?C'était inespéré. Une opportunité qui ne se reproduirait peut-être jamais.
«
Compagnon de sevrage ». Quel terme bizarre, si l'on y regardait de plus près. Elle savait que la mise en place de cette procédure était assez précurseur aux États-Unis.
Le temps d'un sourire. Trois secondes.
-Très bien. Je dois être là-bas quand ?Elle lâchait tout : son père, la famille, les amis...Mais une petite voix, tout au fond, lui susurrait les merveilles de l'inconnu, de la nouveauté, du souffle du vent qui vous emporterait là où il voulait.
Une page blanche, un ticket pour un ailleurs neuf et sans mémoire.
Épilogue
Extraits du dossier patient n° 215AC-456
Alastar Black-37 ans- Astrophysicien
Veuf + décès enfant en gestation (5 mois)
Cocaïne+++
«cure de désintoxication, patient foncièrement compliqué et impénétrable».
Protocole CS- Cassiopée referma les pages d'un coup sec. Dans quoi s'était-elle fourrée? Elle allait vivre au quotidien avec un patient.
Un homme à sauver. Peut-on sauver quelqu'un malgré lui ?
Un doux sourire illumina son visage. Elle aurait une réponse, un jour. Une authentique réponse.