Aye Min Sein, En vérité אמת, si près de la mort מת...
J'ai vu le jour le 13 novembre 1995. Je suis venu au monde comme mon « jumeau » Melchior Estrello dans cette propriété au Chili, dans la province d'Araucanie.
Pendant ses études aux Etats-Unis, je suis resté là où est ma place, à attendre son retour en prenant soin de cette famille qui est la mienne. Ma mère a donné le sein m'a-t-on dit à l'héritier du nom, je suis donc son frère de lait et bien plus que ça. Lui et moi sommes chargés de défendre les valeurs des nôtres envers et contre tout et tous : obéissance et honneur est notre devoir !
J'ai donc 27 ans et je suis toujours à la Casa Guzman, chauffeur et ombre du jeune maître dont je ne puis être séparé bien longtemps, à quelques kilomètres de l'Argentine, à près de 800 km de Santiago du Chili.
Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai d'autre but dans la vie que faire correctement ce pour quoi j'ai été créé, et je le fais à la perfection, du moins jusqu'à présent.
J'ai fait mes études grâce au vieux Guzman, celui qui a posé le pied au Chili en 1948 après une période trouble en Europe venant d'Allemagne. Moi, je serais Birman, du moins d'origine, né au Chili je suis Chilien, je ne me suis jamais demandé comment ni pourquoi, je le suis, c'est tout, les questionnements ne mènent à rien et gênent l'action. Otto m'a instruit, il m'a appris non seulement tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce monde et y tenir la place qui est mienne, mais bien d'autres choses encore.
Je suis le gardien des traditions, le protecteur de cette famille et je le serai tant que je vivrais. De ma naissance, si providentiellement orchestrée le jour même de celle de Mel, je ne sais rien, je n'ai plus ma mère pour me le raconter, comme lui n'a plus la sienne.
Je vis dans cette demeure isolée habitée par l'Ancêtre âgé de cent cinq ans, sa domesticité et Mel Guzman, l'avenir du clan... Nous sommes seuls et souhaitons le rester dans la mesure du possible.
Ayelén Cardenas , Mel E. Guzman-Cea et Aye Min Sein,
Début 2023
Les choses vont trop vite, peut-être suis-je lent à penser ? Je ne sais pas, j'ai si peu de contact avec le monde que je n'ai jamais pu comparer. Si je suis long à agir -intellectuellement- physiquement je me téléporte presque, Mel est tombé ! Comme une masse ! Le Vieux là-haut a senti une chose que moi j'ai intériorisé dès leur arrivée : Melchior et la fille partagent un lien subtil et bizarre qui n'a rien à voir avec celui qu'il l'unit à Otto, ou à moi, mais un lien réel et tenace ? Comment une chose pareille peut-elle être ?
Il est au sol, et fait signe, il porte sa main sur son front de droite à gauche et moi je fais « non » de la tête ! Non ! Je ne le ferai pas, et elle ne comprend pas, c'est parfait ! Il ne peut pas ! Si cela était... Au lieu de répondre à son vœu, je pose la paume de ma main sur mon front qui comme le sien laisse désormais apparaître la magie, puis sur le sien. Tu es moi et je suis toi ! Tu es mon frère, ma moitié ! Tu ne peux pas la suivre ! Il ne faut pas ! A travers lui, à travers elle, je sens en moi quelque chose que je n'ai jamais connu avant : du chagrin ? De la peine ? Même lorsqu'on m'a annoncé la mort de mon père je n'ai rien ressenti de tel, il avait failli, baissé la garde, le duo qu'il formait avec Adolfo était mort, le père de Melchior s'est lui-même retiré dans l'ombre... Nous étions désormais les gardiens.
Là, à l'idée de perdre Melchior, j'ai peur, mal et surtout, je ressens ce sentiment purement humain ! La douleur, le chagrin, l'amour ? Je suis pétri de souffrance certes, mais je n'ai pas de chagrin, juste parfois une sorte de poids dû à la fatigue ou à la difficulté d'une situation, l'amour ? Otto lui opposerait le devoir !
« Sein, n'aie pas peur. Non, je ne détruirai rien, je ne suis qu'une opportunité.»
Une opportunité ? Qu'est-ce qu'une « opportunité » ? Nous sommes là pour protéger cette terre dont nous sommes nés, protéger Otto. Les deux se mêlent et s'emmêlent ! En chassant les intrus de la terre mapuche, nous défendons à la fois le sauveur et l'oppresseur ? Je ne sais plus ! Je ne suis pas un chercheur de vérité mais un gardien d'éternité !
- Bien sûr j'ai peur ! Tu vas le détruire ! Regarde !
Elle ne semble pas m'entendre ? Il faut qu'elle écoute ! Si Mel se rebelle il sera châtié, bien plus qu'il ne l'est là sous nos yeux, et s'il est détruit, je vais disparaître ! Depuis combien de temps n'avons-nous pas vu Adolfo Guzman ? Il serait en voyage, de par le vaste monde ? Mais... il est nôtre ? S'il marchait sur la terre et non dessous, nous sentirions ses pulsations, aussi loin soit-il ? Ce n'est pas dit, Otto ne l'a jamais admis, mais un gardien solitaire est inutile, donc il retourne à la terre dont il a été tiré !
Et puis !
L'indicible !
L'inimaginable !
- Veux-tu te délier ?
- Non !
Non ! C'est à lui qu'elle le dit mais je réponds pour deux ! Non ! S'il revenait à lui ? Lui pourrait expliquer ? Dans la chambre je sens la colère, que dis-je la rage, mais aussi l'épuisement, le doute, la crainte, l'impuissance ! Il est trahi par son corps, il faut faire vite, s'il reconnaît sa faiblesse il voudra recouvrer … Appliquer la sentence l'a défait de ses forces, il faut en profiter.
- Aide-moi !
Je fais un signe de tête en direction de Melchior, des yeux je cherche un drap, un plaid, n'importe quel linge qui ferait un linceul correct ? Pourquoi un linceul ? Il n'est pas mort, pas encore ! Mais il se rebiffe, il refuse l'autorité, il risque fort d'y perdre sa forme à défaut de son être. J'arrache d'un fauteuil un grand tissu de laine finement ouvragée et rebrodé, le pose au sol et déplace dessus avec d'immenses précautions le corps inanimé de mon jumeau, j'ai peur que -prenant chacun un des coins de ce brancard improvisé nous nous retrouvions soudain avec … un tas de terre sèche et brûlée.
- On va le sortir, quoi qu'il arrive ne le lâche pas ! Quoi qu'il arrive ! Je me mets devant pour te guider !
Je me mets devant, je dois faire très vite, Otto quand il se sera remis de l'épuisement où l'a plongé la punition à Melchior pourra nous suivre de la pensée. Là où je veux aller, je crois qu'il ne sent rien ?
- Vite, très vite ! Suis-moi, ne t'étonne de rien ! Garde bien les mains sur le tissu et suis-moi !
Je regarde la pièce d'où je suis sorti. Ils doivent partir, les hommes doivent partir ! Il ne serait pas juste qu'ils payent une faute qu'ils n'ont pas commise ?
- Dis à tes amis de s'en aller, de défoncer la pédale d'accélérateur pour filer comme une comète très loin ! Et surtout, de ne pas t'attendre, tu les rejoindras.
De cela je ne suis pas sûr ? Et pourquoi suis-je en train de perdre du temps à tenter de les sortir d'ici ? Que m'importe ce qui leur arrive après tout ? Alors que Melchior menace de … ! Je la regarde, ses amis, puis Mel ! S'ils ne veulent pas, tant pis pour eux, il faut extraire Mel de la maison, l'éloigner, le cacher !
Comme si elle m'avait entendu, la pluie se met à tomber, une pluie démente et forte accentuée par le tonnerre au loin, je regarde le corps sur son brancard improvisé, aller jusqu'à la voiture et le mettre dans le coffre ! à plat... puis... à mon tour de montrer mes talents de chauffeur !
Le son - Thunder, Rain & Water Create Perfect Storm Sounds
J'ai 27 ans et je vis à Témuco, au Chili. Dans la vie, je suis dans plein de petits boulots et je m'en sors pas trop mal finalement car je m'éclate avec la musique et le chant. Je suis célibataire et je le vis très bien car je m'en fous royalement. Ayelèn ça veut dire la joie. Un comble quand on connait la vie de merde que je me suis cognée avec un père alcoolo et une mère grandiose par son absence. Je ne l'ai jamais connue et c'était tabou d'en parler pour le chaw dépassé par une gosse dont il ne savait que faire. Il m'a aimée je suppose comme il a pu, à sa façon, c'est à dire très mal et carencée d'affection et de sécurité. J'ai grandi à la va comme je te pousse, aléatoire, versatile, excessive, paumée. Muter en parent de son parent c'est glauque, tordu. Mais j'avais une liberté de folie et je ne saurai jamais comment j'ai fait pour ne pas me retrouver sur le trottoir ou droguée ou assassinée ou torturée! J'aurais pu tomber dans n'importe quel trou noir et ne plus en sortir. À la place de ça, j'ai culbuté dans le grand chaudron de la musique. Ça a du me sauver.
Le jour de mes 18 ans, j'ai dit au revoir à mon père, épuisée des relents de trop d'années qui puaient les égouts. Je lui rends visite de temps en temps mais je ne fais plus le ménage ni les courses ni le reste et le deux pièces miteux dans lequel j'ai créché pendant mon enfance est devenu un taudis qui me donne des hauts le cœur.
Je bosse partout où il y a du taf sans aucun diplôme, mal payé évidemment mais je m'en fous, je mange à peu près à ma faim, je partage un studio avec une fille qui galère comme moi mais à deux, c'est plus facile. J'ai vécu une période assez longue dans la rue mais ça, je n'en parle jamais et personne des gens que je connais en ce moment ne sait. J'en ai gardé des cicatrices moches sur le corps, des terreurs que je gère pas et si on me demande, je réponds que j'me suis faite bouffée par un clébard.
Activiste à mes heures, j'ai embrassé la cause des Mapuches comme une gosse embrasse sa mère, parce que j'y crois tout simplement. J'espère dur comme fer qu'on aura -bientôt- la place qui nous revient de DROIT.
J'ai aimé une fille une fois, à la folie. J'm'étais tatouée des mots doux, des mots d'éternité sur l'épaule gauche du côté du cœur. Et puis elle a fait comme ma mère, elle s'est tirée sans me prévenir après toutes nos promesses et nos bonheurs. Alors, j'ai pris un couteau et j'me suis arrachée la peau pour tout enlever.
« ...La tribu des damnés, des éternels crève-corps, crève-cœur, porteurs de souffrances et de deuils, si mal gâtés que la moindre miette de vie était reçue comme un don inespéré. Les déshérités...avaient quelque motif de vouer un infini amour à la vie : car de l'existence ils avaient bu toute l'eau amère ; ils en avaient goûté aussi, de temps à autre, les saveurs inouïes. »
F. Cheng
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Sa vie n'avait été qu'une échappatoire, à la fois grandiose et misérable, des contraintes, des obligations de toutes sortes. La LIBERTÉ. Sa seule et unique raison de vivre! Totale, absolue autant que faire ce peut, incompréhensible pour les uns, démente pour les autres. Travailler se résumait à une éventualité pour ne pas crever de faim et encore, elle volait de temps à autre, chapardait sur les étals, piquait une fringue étendue sur un fil de fer... Les nuits emmêlées aux jours, les sommeils collés aux réveils et vice versa... La musique et presque rien d'autre... Vivre LIBRE ! LIBRE !
Et cette trop belle baraque puait l'emprisonnement, voilà ce que ça lui criait depuis qu'ils avaient pénétré dans ce nid d'aigle ! Voilà ce qu'elle avait reçu de plein fouet lorsque la terre les avait empêchés de se mouvoir ! Des chaînes invisibles serpentaient entre ces trois hommes. Elle ne comprenait pas leur lien mais tout d'elle se tendait à lutter contre. Un voile se déchirait dans sa conscience et elle refusait de toute sa force la sensation qui en découlait. Ça l'étouffait, ils l'étouffaient. Il étouffait Mel ! Insupportable ! Révoltant ! Sein n'éprouvait pas la même chose, elle ne parvenait pas à capter sa vibration mais le blond ! C'était comme si... une infâme masse noire se diffusait en lui, lui ôtant l'air des poumons et de l'âme. Fut-il roi ou pauvre ère, elle œuvrerait de la même façon pour le dé-chaîner ! Le vieux là-haut se mettait entre leur chemin comme une bête vorace. Paupières closes, concentrée à manipuler les éléments en furie mais surtout à parler par l'esprit à Melchior, elle entendit à peine le refus de Sein, ne vit pas tout de suite le corps qui s'effondrait.
-Ne le laisse pas t'envahir... Je peux t'aider...
Otto était dans sa tête. Sa puissance ne l'effraya pas car c'est à son « fils » qu'il s'accrochait, usant de son plein pouvoir sur lui. Elle ne parvenait pas à le chasser malgré tous les efforts dont elle faisait preuve et ouvrit brusquement les yeux lorsque Sein appela à l'aide. D'un coup, la chambre du créateur retrouva le calme. Melchior gisait sur le sol ! Elle obéit rapidement aux indications de Sein sans rien dire, acquiesçant simplement de la tête.
-Partez ! J'vous rejoindrai plus tard ! Prenez la caisse et tirez-vous ! Ne cherchez pas à comprendre ! Y'a rien de grave mais tirez-vous ! Tout de suite !
Elle savait lequel d'entre eux aurait rouspété, râlé. Comme elle savait également quel ton de voix prendre pour qu'ils comprennent qu'ils devaient véritablement partir et vite.
Dehors, telle une réplique, la pluie et l'orage faisaient rage. Ils parvinrent à déposer Mel toujours inconscient dans la voiture. Tandis qu'ils roulaient à vive allure, Ayelén eut l'impression qu'un poids énorme s'envolait de ses épaules. En silence, elle soupira longuement, soulagée, regardant droit devant elle. En vérité, que s'était-il passé ? Par quelle...magie avait-elle pu provoquer un tel chaos ?! Et Melchior qui n'allait pas bien ! Elle devait l'aider ! Ce n'était pas une option mais un appel ! Pourquoi ? Pourquoi ?!
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Val
Sam 4 Nov - 5:08
Aye Min Sein, En vérité אמת, si près de la mort מת...
J'ai vu le jour le 13 novembre 1995. Je suis venu au monde comme mon « jumeau » Melchior Estrello dans cette propriété au Chili, dans la province d'Araucanie.
Pendant ses études aux Etats-Unis, je suis resté là où est ma place, à attendre son retour en prenant soin de cette famille qui est la mienne. Ma mère a donné le sein m'a-t-on dit à l'héritier du nom, je suis donc son frère de lait et bien plus que ça. Lui et moi sommes chargés de défendre les valeurs des nôtres envers et contre tout et tous : obéissance et honneur est notre devoir !
J'ai donc 27 ans et je suis toujours à la Casa Guzman, chauffeur et ombre du jeune maître dont je ne puis être séparé bien longtemps, à quelques kilomètres de l'Argentine, à près de 800 km de Santiago du Chili.
Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai d'autre but dans la vie que faire correctement ce pour quoi j'ai été créé, et je le fais à la perfection, du moins jusqu'à présent.
J'ai fait mes études grâce au vieux Guzman, celui qui a posé le pied au Chili en 1948 après une période trouble en Europe venant d'Allemagne. Moi, je serais Birman, du moins d'origine, né au Chili je suis Chilien, je ne me suis jamais demandé comment ni pourquoi, je le suis, c'est tout, les questionnements ne mènent à rien et gênent l'action. Otto m'a instruit, il m'a appris non seulement tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce monde et y tenir la place qui est mienne, mais bien d'autres choses encore.
Je suis le gardien des traditions, le protecteur de cette famille et je le serai tant que je vivrais. De ma naissance, si providentiellement orchestrée le jour même de celle de Mel, je ne sais rien, je n'ai plus ma mère pour me le raconter, comme lui n'a plus la sienne.
Je vis dans cette demeure isolée habitée par l'Ancêtre âgé de cent cinq ans, sa domesticité et Mel Guzman, l'avenir du clan... Nous sommes seuls et souhaitons le rester dans la mesure du possible.
Ayelén Cardenas , Mel E. Guzman-Cea et Aye Min Sein,
Début 2023
Que suis-je en train de faire ?
La question ne s'est pas posée, Melchior Estrello Guzman-Cea est mon frère, ma moitié, l'autre partie de ce moi que les légendes disent avoir été un être à quatre bras et quatre jambes, collé comme un siamois à son « âme sœur »... Si ce concept m'est étranger, lui et moi avons été modelés de la même terre, avons reçu les mêmes sangs pour irriguer nos corps de glaise... Melchior et moi ne pouvons vivre l'un sans l'autre, la chute de mon père a entraînée celle d'Adolfo, son double, les Gardiens de la terre vivent et meurent ensemble, la paire qu'ils forment est indissociable.
Je roule sur les chemins pierreux à toute allure, je mets entre la Casa Guzman et nous une distance qui ne suffira pas si je me suis trompé... Arrivé en vue de l'endroit que j'ai choisi, je descends le 4x4 précautionneusement, et entre en partie dans l'eau pour le cacher derrière la cascade dans la grotte où je compte me réfugier. Je gare la voiture le plus loin possible de l'entrée, dans la pénombre presque totale, descends vais ouvrir le coffre où Mel gît.
- Aide moi à nouveau, il faut continuer, plus loin il y a un lac souterrain avec une sorte d'île au milieu. Fais attention dans les tunnels, c'est bas de plafond et étroit.
C'est ça mon idée ! L'eau et la terre se complètent mais en cas de désaccord, c'est l'eau qui domine et envahit les sols... Elle peut mettre à mal un paysage en le ravinant, le creusant, l'inondant. Une crue ou une tempête sont dévastatrices, la terre ici est muselée, il n'y en a quasiment pas, les murs sont de roches, les sols tous parcourus par des ruisselets d'eau vagabonde. Il va falloir que je lui explique mais je pense qu'elle comprendra en partie mes paroles... Si elle est Mapuche, je peux employer les mots de sa langue et les termes de sa pensée... Dans la terre là haut, au dessus de nous, il y a le sang de ses ancêtres... et des miens d'une certaine manière.
- Tu as vu ce qu'Il peut faire ? Ce que … nous... pouvons faire, tous les trois, mais lui plus que nous. L'eau est une protection, il ne saura pas nous trouver si nous sommes coupés de la terre, c'est notre élément, nous sommes liés aux esprits de la terre, de la vie...
J'ai un moment avant de reprendre, doutant désormais de tout ce que j'ai défendu jusqu'à présent.
- Enfin, j'espère que ça marchera, je veux que ça marche... S'il nous retrouve, ni Melchior ni moi ne survivrons, et toi il te faudra fuir.
Pendant que je parlais nous avons avancés. J'ouvre le tissu pour vérifier que mon frère est toujours de chair et de sang, le soulagement me fait pousser un soupir la tête lancée en arrière et les yeux fermés.
- Je vais essayer d'expliquer, mais ça risque d'être un peu... ardu à comprendre même pour une femme de cette terre. Si tu es construite de logique et de réel, il va falloir l'oublier, ni lui je montre le corps encore inconscient - ni moi n'appartenons à la réalité de cette époque... Mais nous sommes chez nous ici, pas des étrangers comme tu l'as dit... toi ou un de tes amis, je ne sais plus...
Je ne suis pas doué pour parler, surtout de ça avec une fille qui ne sait rien de rien ! Elle est sorcière je le sens mais elle-même ne le sait pas. Elle ne peut qu'être sorcière ? Sinon comment se serait-elle imposée à Melchior ? Et en partie à moi, puisque je suis là, traître à ma cause et à ma raison d'être.
- Crois-tu aux esprits ? Crois-tu que la terre, l'eau, l'air et le feu peuvent être invoqués et répondre à la prière de l'homme ?
J'ai 27 ans et je vis à Témuco, au Chili. Dans la vie, je suis dans plein de petits boulots et je m'en sors pas trop mal finalement car je m'éclate avec la musique et le chant. Je suis célibataire et je le vis très bien car je m'en fous royalement. Ayelèn ça veut dire la joie. Un comble quand on connait la vie de merde que je me suis cognée avec un père alcoolo et une mère grandiose par son absence. Je ne l'ai jamais connue et c'était tabou d'en parler pour le chaw dépassé par une gosse dont il ne savait que faire. Il m'a aimée je suppose comme il a pu, à sa façon, c'est à dire très mal et carencée d'affection et de sécurité. J'ai grandi à la va comme je te pousse, aléatoire, versatile, excessive, paumée. Muter en parent de son parent c'est glauque, tordu. Mais j'avais une liberté de folie et je ne saurai jamais comment j'ai fait pour ne pas me retrouver sur le trottoir ou droguée ou assassinée ou torturée! J'aurais pu tomber dans n'importe quel trou noir et ne plus en sortir. À la place de ça, j'ai culbuté dans le grand chaudron de la musique. Ça a du me sauver.
Le jour de mes 18 ans, j'ai dit au revoir à mon père, épuisée des relents de trop d'années qui puaient les égouts. Je lui rends visite de temps en temps mais je ne fais plus le ménage ni les courses ni le reste et le deux pièces miteux dans lequel j'ai créché pendant mon enfance est devenu un taudis qui me donne des hauts le cœur.
Je bosse partout où il y a du taf sans aucun diplôme, mal payé évidemment mais je m'en fous, je mange à peu près à ma faim, je partage un studio avec une fille qui galère comme moi mais à deux, c'est plus facile. J'ai vécu une période assez longue dans la rue mais ça, je n'en parle jamais et personne des gens que je connais en ce moment ne sait. J'en ai gardé des cicatrices moches sur le corps, des terreurs que je gère pas et si on me demande, je réponds que j'me suis faite bouffée par un clébard.
Activiste à mes heures, j'ai embrassé la cause des Mapuches comme une gosse embrasse sa mère, parce que j'y crois tout simplement. J'espère dur comme fer qu'on aura -bientôt- la place qui nous revient de DROIT.
J'ai aimé une fille une fois, à la folie. J'm'étais tatouée des mots doux, des mots d'éternité sur l'épaule gauche du côté du cœur. Et puis elle a fait comme ma mère, elle s'est tirée sans me prévenir après toutes nos promesses et nos bonheurs. Alors, j'ai pris un couteau et j'me suis arrachée la peau pour tout enlever.
« ...La tribu des damnés, des éternels crève-corps, crève-cœur, porteurs de souffrances et de deuils, si mal gâtés que la moindre miette de vie était reçue comme un don inespéré. Les déshérités...avaient quelque motif de vouer un infini amour à la vie : car de l'existence ils avaient bu toute l'eau amère ; ils en avaient goûté aussi, de temps à autre, les saveurs inouïes. »
F. Cheng
avatar :Dariya Stavrovich copyright:️ Ma pomme
Hypnotherapology
Hypnothérapie:
Tu peux sentir comme je le sens aussi un million d'esprits, mais seulement deux qui fixent le ciel étoilé et atteignent les raisons du pourquoi
Tu m'appelles à la lumière d'une bougie, à la lumière d'une bougie Tu sais que le moment est venu, le moment est venu
Il était une fois un paradigme tout le monde vit à l'intérieur Tu m'attires vers l'extérieur, tu m'attires vers l'intérieur Tes sorts rampent à travers ma peau, ma peau
Maintenant c'est juste toi et moi et ton hypnothérapie
Je n'ai plus que toi et moi et ton hypnothérapie Toi et moi et ton hypnothérapie sur moi Ton hypnothérapie sur moi Ton hypnothérapie sur moi Ton hypnothérapie sur moi Ton hypnothérapie sur moi !
Il conduisait vite le bonhomme à tel point qu'elle serra les mâchoires à deux reprises sur des virages qu'il prenait trop secs. Mais les pneus du 4X4 accrochaient bien la piste. Ils roulèrent ainsi un bout de temps, chacun ancré dans un mutisme. « Qu'est-ce que je fous là ?! Qu'est-ce que je fous là !!! ... » tournait et tourneboulait dans son esprit malmené. Que s'était-il passé ?! Un conflit d'émotions, d'incompréhension, d'évidence, de naturel, de chaos, d'équilibre, de bon, de mauvais, de pouvoir, d'impuissance...la bringuebalait. À la fois empêtrée et coriace, bousculée mais solide, elle plongeait dans l'inconnu tête baissée.
Le vieux là-haut...lui inspirait des instincts de meurtre ! Elle détestait l'émanation...maléfique ? qui s'en dégageait au travers des murs. C'était comme...une espèce de vortex qui cherchait à aspirer, à maîtriser ce qui vivait autour et une injonction irrationnelle lui commandait de la repousser à tout prix ! Elle palpait l'attraction liée aux deux hommes sans discerner la nature de leur relation. Mais ça puait ! Horriblement ! La visualisation de chaînes noircies et incandescentes s'imposaient à son esprit sans qu'elle ne puisse rien y faire. La terre se révoltait, la terre grondait, la terre bouillait...Machinalement, elle frotta ses mains douloureuses, brûlantes de milliers de piqûres. Ce flux immense et lourd qui l'avait submergée !
Perdue au milieu de nulle part, elle se laissait mener.«...il y a un lac souterrain avec une sorte d'île au milieu... » Le visage grave, elle fixait sans mot dire la nuit devant. L'isolement rendait l'instant sinistre, l'embarquant au delà de sa volonté avec deux types qu'elle ne connaissait pas. Le corps de Melchior enveloppé dans le coffre, le fracas de la cascade, la brise qui se manifestait par intermittence, ce grésillement incompréhensible qui la traversait de part en part...
-Oui, j'ai vu.
Et elle avait osé s'y opposer sans rien attendre en retour ! Sans un deal où elle y gagnerait quelque chose ! Rien n'était gratuit ici bas, la loi du plus fort prévalait pour presque tout, seuls les loups s'en sortaient. Alors, pourquoi s'être jetée corps et âme brusquement dans une « cause » qui ne lui appartenait pas ? Pour deux inconnus notoires ! Contre un grabataire chelou ! Tout ça pour...du néant ?! Pour une gloire invisible ?! Non...Il s'avérait nécessaire, vital même de rétablir un équilibre. Une force d'ailleurs lui imposait cette « mission » avec une implacable logique ...comme si...comme...le sang circulant dans les veines, comme l'eau abreuvant le végétal, comme la sève nourrissant les arbres ! Elle DEVAIT agir, au nom de ses ancêtres, de ceux qui gisaient sous les racines...pour tous ceux à qui les blancs avaient volé leur terre...Et « ça » se fichait qu'elle soit d'accord ou pas.
« ...la terre, c'est notre élément, nous sommes liés aux esprits de la terre, de la vie.. »
Elle l'écouta en dépit de cette révolte qui grondait en elle. Comment pouvait-il se prétendre de SA terre ! Tous ces étrangers qui leur avaient arrachée ! Elle se retint de rétorquer, vibrant encore de cette source irradiée qui l'étouffait. La terre murmurait...exprimait sa générosité dans la bouche de Sein.« Mapuche, tu n'en possèdes pas l'exclusivité ! » dit la Pensée Souveraine. C'était Elle, le Terreau de l'humanité, qui décidait de ses enfants ! Et Elle ordonnait impérieusement de les protéger ! Chacun ! Ainsi, Ayelèn avait obéi malgré elle à l'impulsion de « sauvetage » envers Melchior luttant contre une puissance destructrice. Parce-que-la-terre-l'avait-imposé. Parce que le peuple mapuche obéit à la terre.
Chanting Witches
Un bref silence s'installa de nouveau entre eux. Les pupilles aux éclats sombres dévoraient celles de Sein. Elle aurait apprécié connaître ses pensées à cet instant précis. Fuir ? Elle haussa les épaules signifiant le dénigrement de son sort pour le moment.
-Il ne me fait pas peur.
Provocation ? Insolence ? Sans le lâcher du regard, elle songea qu'elle pouvait se fourvoyer sur ses capacités mais s'en foutait ! L'urgence se nommait Melchior, le reste...
Il ouvrit enfin le coffre, découvrit son acolyte grandement soulagé. Hé quoi ! Il n'était qu'évanoui non ? Fronçant les sourcils, interpellée par sa réaction, elle s'approcha vivement et posa deux doigts sur la carotide du blond. Le battement pulsait trop lentement, corpulent. Elle se tourna vers Sein :
-Explique ! Exigea t-elle d'un ton péremptoire.
Il s'exécuta de bonne grâce a priori. "...ni lui...ni moi n'appartenons à la réalité de cette époque... nous sommes chez nous ici..." Démunie face à ses paroles, à la situation, Ayelèn ne pouvait que constater cette espèce de magie dont ils suintaient. Leur comportement, les mystères qu'ils sous entendaient, ces non dits épais qui collaient à la peau de l'esprit...Bien sûr qu'elle avait déjà entendu les légendes, les récits d'anciens, les rêves prémonitoires, les rituels des soirs de lune rousse ou pleine, les chants sacrés...Toutes ces choses ressenties au fil des ans, volontairement omises et mises sous le tapis...Les visions chassées...
Elle détestait les riches, leurs malhonnêtetés, leurs hypocrisies, leur bonne conscience, leurs pingreries, leur mépris, leur condescendance... Ecoeurée, haïssante, repoussante. Et voilà qu'elle se retrouvait au plus près d'entre eux ! Attirée ! Déstabilisée ! Mue par une énergie qui la poussait à les « libérer ?! » Et ce, sans rien comprendre telle une bête bondissante, grondante ! À l'aveugle !
« ...ni lui...ni moi n'appartenons à la réalité de cette époque... Mais nous sommes chez nous ici, pas des étrangers comme tu l'as dit... »
Extraire la vérité de ce tissu de mensonges ! Mais la mémoire de la pulsation inhumaine qu'elle avait tâtée se diffusait encore au bout de ses doigts. Elle sut que Sein disait vrai.
"Crois-tu aux esprits ? Crois-tu que la terre, l'eau, l'air et le feu peuvent être invoqués et répondre à la prière de l'homme ? "
À quoi jouait-il putain !? Ce n'était franchement pas le moment de l'interroger sur ses croyances! Avec ce qui s'était passé en plus! Elle devrait être ailleurs! AILLEURS! Rien de tout ça n'aurait du se produire!
-Comment veux tu que je le sache?! Je ne sais pas! JE NE SAIS PAS! Cria t-elle.
Il l'énervait, tout ça l'énervait!
-Allons-y!
Elle ne savait plus...éperdue...perdue...Mais elle l'avait entendu. Elle l'avait vu. Elle l'avait senti son cœur...
Ce cœur Baoum Baoum Clignait au pouls de la terre Baoum Baoum Au pouls de la terre...
Pulsations*
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Oskar
Mer 13 Déc - 8:23
Mel E. Guzman-Cea
J'ai vu le jour dans cette propriété le 13 novembre 1995. C'est à ma mère Alba que je n'ai jamais connue que je dois de porter deux magnifiques prénoms impossibles à exporter -Melchior Estrello- J'ai donc 27 ans et je suis actuellement de retour chez moi au Chili, dans la province d'Araucanie à vol d'oiseau à quelques kilomètres de l'Argentine, pas très loin non plus -pour un condor- de la ville de Pucón, à près de 800 km au sud de Santiago du Chili, dans un environnement à la fois minimaliste et grandiose. Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai guère la réputation d'être altruiste ou empathique. Je suis et reste un propriétaire terrien d'Amérique du Sud, riche, très riche...
J'ai fait mes études à l'académie de West Point, aux Etats-Unis. L'une des vingt recrues étrangères proposées par leur pays d'origine chaque année... Malgré des classes exemplaires : j'ai obtenu avec mention mes diplômes et ai laissé là-bas un souvenir tel qu'on m'a proposé la double nationalité, je n'ai pas souhaité poursuivre dans la carrière militaire. Pour résumer tout en restant discret, nous dirons que mes besoins sont autres et que je fais tout aussi bien à manifester mon autorité naturelle ailleurs que sanglé dans un uniforme.
Je vis dans cette demeure isolée que je partage avec mon grand-père paternel âgé de cent cinq ans. A part l'ancêtre, sa domesticité et la mienne qui se résume à un factotum : valet, chauffeur, garde du corps, pilote de l'hélicoptère familial, il n'y a que moi ici.
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A vol de condor...
Ayelén Cardenas, Mel E. Guzman-Cea & Aye Min Sein
Mars 2023
Je me sens revivre. Revivre ? Quelle drôle d'expression, si galvaudée par les hommes du monde entier ! Un coup de fatigue, une contrariété, puis tout à coup une embellie dans le marasme quotidien et on te dit : je me sens revivre... Moi, c'est littéral, du premier degré. Otto m'a puni, en moi il y a eu comme un reflux de vitalité, un durcissement corporel, je me suis trouvé pris dans une gangue rigide et j'ai senti mon esprit se pulvériser, craignant que mon corps ne suive. Alors oui, sous la terre, dans le ventre de la mère, avec pas loin Sein et il me semble... elle... la vie petit à petit reprend possession de mon être. Elle ?
- Sein ! Tu n'as pas ?!
Non, il « n'a pas », elle est en pleine possession de ses moyens, et si je sens son sang battre c'est dans ses veines et non dans les miennes ! Aurait-il pu sans Otto ? Je l'ignore... et Otto aurait-il accepté alors que je venais de le défier ouvertement ? Je ne sais pas. D'une main prudente je tâte mon corps, mon visage, mon front...
- Explique!
- Crois-tu aux esprits ? Crois-tu que la terre, l'eau, l'air et le feu peuvent être invoqués et répondre à la prière de l'homme ?
- Je peux marcher, laissez moi me relever !
Je n'en suis pas sûr, mais c'est un moyen comme un autre de le stopper, de couper court à ce qu'il va révéler. Avons-nous le droit ? Ce n'est pas que notre secret, est-elle capable de garder ça ? Jusqu'où devra-t-on dire ? Le Vieux n'a pas accepté leur entrée dans notre antre sans idée derrière la tête, une femme, une femme Mapuche qui plus est...
Cet endroit, c'est le refuge d'Aye Min Sein, depuis notre... enfance ? Peut-on parler d'enfance nous concernant ? Cela non plus n'a pas de réponse... Il a fallu qu'elle arrive pour que je me pose tant de questions, avant elle, il y avait le savoir et le devoir, depuis elle, le doute... Doute de savoir, doute de devoir … Je me fais la réflexion qu'il y a un fossé sans mesure entre ce qu'Otto a rapporté d'Europe : Dieu a créé le monde et l'a donné à l'homme pour qu'il le domine, et celle des gens d'ici relayée par Sein : « la Terre ne nous appartient pas, c’est nous qui appartenons à la Terre. Si on cause des dommages à la Terre, on se fait du mal à nous-mêmes. » (1)
Ils m'ont posé au sol et il me fait signe qu'il me faut non marcher mais monter dans la barque. Une fois sur la « carapace de la tortue assoupie au fond de l'eau » comme il se plaisait à le dire lorsque -croissant- nous nous enfuyions pour souffler un peu entre deux leçons de l'aïeul, nous serons en sécurité ? Je l'entends. Il a le regard planté dans les yeux d'Ayélen.
Tvfa tayiñ kemvl gillatupeyem, Ce sont les mots rituels pikey ta pu Machi disent les femmes Machi Mai, eymvn ta kimnieymvn : Oui, vous les connaissez tous bien : Pu Logko, Fvchakeche ka pu Chefs et jeunes, aînés Wechekeche Wenu Mapu mvlelu de la Terre au-dessus Mvleymvn wvnmalechi zeqvñ miaulement Vous tous, habitants du volcan ka kuyfike Machi allkvtulelu l'aube et les anciens hommes Machi qui entendent tayiñ lllellipun nos prières Tvfa tañi mvlen kutrankvlechi Ne le laissez pas seul maintenant gotru : neyeley car nous l'avons amené… (2)
Il a étendu les mains au dessus de mon corps, je suis allongé, beaucoup plus faible que je ne l'aurais voulu... Je le regarde, intensément, en lui le birman et la mapuche se mélangent, moi, seul l'allemand a eu gain de cause... Est-ce que nous portons sur nos traits l'ancestrale vision du monde de nos pères ? Lui prêt à admettre la divinité de chaque élément constituant notre planète, moi... issu normalement de la tradition juive dont Otto s'est paré pour nous créer ? En quoi la religion a-t-elle son mot à dire dans ce que nous sommes désormais ? En quoi avait-il le droit de s'approprier le pouvoir divin ?
J'ai entendu tout à l'heure, dans un semi coma « ...ni lui...ni moi n'appartenons à la réalité de cette époque... Mais nous sommes chez nous ici, pas des étrangers comme tu l'as dit... » Je complète la prière de Sein,
Eymi d'accord, witrage fotvm Et toi, relève-toi, fils Llellipun pipigey Wenu Mapu Les prières sont répétées ñi kurantumalal miaulement sur les parois rocheuses du ciel ka nepeyey pu kona ka kvpaygvn et les guerriers se réveillent ka zew kvpaygvn et venez, maintenant ils viennent
Puis... tente de répondre ? - Je ne suis pas sûr que tu peux comprendre... C'est, fou à entendre pour une humaine. Je suis, il est... la Terre. Nous sommes nés de terre et de sang, comment te dire ça sans que tu nous prennes pour deux échappés de l'asile...
Je souris, un pauvre sourire épuisé. Je mesure en revenant à moi combien la semonce a été rude. Nous avons déplu à notre créateur, moi surtout mais maintenant que nous sommes là, s'il nous trouve, l'un comme l'autre tomberons en poussière... et elle...
Non, il ne doit pas nous trouver !
- Nguruvilu protège cet endroit ? Tu es sûr ? Il ne faut en aucun cas qu'IL la prenne !
Sein hausse les épaules, il ne sait pas, il espère... Il espère que l'eau protègera notre trio, il attend d'elle cette faveur ultime... C'est à Ayelèn que je m'adresse désormais...
- Est-ce que ton peuple croit encore que les wekufe existent ? Les esprits malfaisants ? A l'origine, Otto, le Vieux que tu as senti là-bas, voulait le bien... et puis... avec le temps, sa pensée a dévié, du bien pour les hommes et la terre, il en est venu à vouloir le sien. Cette terre Ayelén...
Je n'arrive pas à continuer, Sein trouvera mieux les mots, il sait dire simple quand moi je me perds en phrases qui n'en finissent plus...J'ai un relent, un souvenir, une soirée inoubliable qui a signé pour moi le début de la rébellion et de l'individualisme... Je murmure plus que je ne chante « Sweet dreams are made of this, Who am I to disagree, Travel the World and the seven seas, Everybody's looking for something, »
- Tu te souviens ? Tu me fusillais du regard mais tu as chanté aussi...
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Sources : - Vision du monde dans la religion mapuche traditionnelle
(1) - Elicura Chihuailaf, poète mapuche dans une interview à Marsactu
(2) - Elicura Chihuailaf, Six Poèmes de De sueños azules y contrasueños [Des rêves bleus et contre-rêves] ( 1995)
Je prie sur les parois rocheuses du ciel:
Llellipun wenu mapu ñi kurantumalal mew (Machivl ñi vlkantun) Tvfa tayiñ kemvl gillatupeyem, pikey ta pu Machi Mai, eymvn ta kimnieymvn : Pu Logko, Fvchakeche ka pu Wechekeche Wenu Mapu mvlelu Mvleymvn wvnmalechi zeqvñ miaulement ka kuyfike Machi allkvtulelu tayiñ lllellipun Tvfa tañi mvlen kutrankvlechi gotru : neyeley Kisu tranakvnukifilmvn kvpalelfiyiñ ta quelquesla Tayiñ Lawen ka, taiñ métawe miaulement, kvpalelfiyiñ Liwen Lvgko Kvpage !, tayiñ pvllv miaulement nieyiñ ta mogen wayzvf pvle witrukechi lewfv ñi ko Pvtokoge. Welu est Genechen eymi mvten ta fvskvmafimi Fey mu ka eymi ta zuguwkeyiñ weza kvrvf Chem weza fvtra vgpun ka zumiñkvleymi epe konchi antv mew ta miyawkeymi ? Eymi ta zuguwkeyiñ vypvratuchi kvtral koylatukelu ka ellka narvmpelu Âge de Kizu ñi Ouais !, amutuge ka wetrofige tati rvgi wvlelvñ ma mu pefiel taiñ fotvm : Ponon miaulement, ñi amupeyem ñi mollfvñ feychi piwke Wekvfv ñi lloftuniel zewma gvrv reke, chem weza weraw mvpvlechi logko reke, rayvlechi qvla reke kimelpelu ñi mvleal wezakezugu Ñi kvme nvmvn lawen mew amutuge feypikey ta pu Machi, eymi weza pewma reke mvlekeymi zewma konvn antv miaulement nelvmge!, kiñepvle kvnuwge mi pun leliwvlfige Kallfvley liwen ñi ayliñ Eymi d'accord, witrage fotvm Llellipun pipigey Wenu Mapu ñi kurantumalal miaulement ka nepeyey pu kona ka kvpaygvn ka zew kvpaygvn Ouh ! Wilvfi Pichike Chalwa Reke kvpalu Wenu Mapu zewma kvpayey ta liwkvn fvtrake manke antv. Je prie sur les parois rocheuses du ciel (Poème à la manière de la chanson des femmes Machi) Ce sont les mots rituels disent les femmes Machi Oui, vous les connaissez tous bien : Chefs, aînés et jeunes de la Terre au-dessus Vous tous, habitants du volcan l'aube et les anciens hommes Machi qui entendent nos prières Voici le malade : respirer Ne le laissez pas seul maintenant car nous l'avons amené herbes médicinales et, dans nos pichets, le cristallin eau de l'aube Viens! Nous avons dans nos âmes la vie des rivières qui montent vers l'Est Boire. Mais oui, Genechen Toi seul la fera apaiser C'est pourquoi nous vous parlons aussi vent méchant Comme c'est profondément rusé et sombre tu dois bâiller errer dans le crépuscule du jour ? Nous te parlons vent ressuscité qui ment et se cache ton vrai visage Assez! Va casser la canne avec lequel tu as battu notre fils : Dans les poumons, dans le sang le coeur Force méchante qui traque trompeur en vue comme n'importe quel autre renard, comme n'importe quel vieux guairao, comme des têtes qui volent comme des quilas en fleurs qui annonce nos peines Lancez-vous dans le parfum de nos remèdes, disent les femmes Machi toi qui bouge comme un mauvais rêve au crépuscule Lâcher! Libère tes ténèbres regarde, car le bleu est la lumière du matin Et toi, relève-toi, fils Les prières sont répétées sur les parois rocheuses du ciel et les guerriers se réveillent et venez, maintenant ils viennent Ouh ! Comme des petits poissons qui brillent depuis la terre d'en haut ils viennent, les transparents et les nobles condors du soleil.
Aye Min Sein, En vérité אמת, si près de la mort מת...
J'ai vu le jour le 13 novembre 1995. Je suis venu au monde comme mon « jumeau » Melchior Estrello dans cette propriété au Chili, dans la province d'Araucanie.
Pendant ses études aux Etats-Unis, je suis resté là où est ma place, à attendre son retour en prenant soin de cette famille qui est la mienne. Ma mère a donné le sein m'a-t-on dit à l'héritier du nom, je suis donc son frère de lait et bien plus que ça. Lui et moi sommes chargés de défendre les valeurs des nôtres envers et contre tout et tous : obéissance et honneur est notre devoir !
J'ai donc 27 ans et je suis toujours à la Casa Guzman, chauffeur et ombre du jeune maître dont je ne puis être séparé bien longtemps, à quelques kilomètres de l'Argentine, à près de 800 km de Santiago du Chili.
Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai d'autre but dans la vie que faire correctement ce pour quoi j'ai été créé, et je le fais à la perfection, du moins jusqu'à présent.
J'ai fait mes études grâce au vieux Guzman, celui qui a posé le pied au Chili en 1948 après une période trouble en Europe venant d'Allemagne. Moi, je serais Birman, du moins d'origine, né au Chili je suis Chilien, je ne me suis jamais demandé comment ni pourquoi, je le suis, c'est tout, les questionnements ne mènent à rien et gênent l'action. Otto m'a instruit, il m'a appris non seulement tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce monde et y tenir la place qui est mienne, mais bien d'autres choses encore.
Je suis le gardien des traditions, le protecteur de cette famille et je le serai tant que je vivrais. De ma naissance, si providentiellement orchestrée le jour même de celle de Mel, je ne sais rien, je n'ai plus ma mère pour me le raconter, comme lui n'a plus la sienne.
Je vis dans cette demeure isolée habitée par l'Ancêtre âgé de cent cinq ans, sa domesticité et Mel Guzman, l'avenir du clan... Nous sommes seuls et souhaitons le rester dans la mesure du possible.
Ayelén Cardenas , Mel E. Guzman-Cea et Aye Min Sein,
Début 2023
L'eau de la cascade au-dessus est audible même d'ici. Elle couvre par une sorte de sourd bruissement le silence, nos pas, nos paroles aussi... Melchior est là, défait comme je ne l'ai jamais vu, d'une faiblesse qui me fait mal en pompant mon énergie pour se disperser... Lui, moi, sommes frères, d'esprit et de corps, et la défaillance de l'un affecte l'autre, comme toujours... Peut-elle comprendre à quel point ? J'en doute.
- Est-ce que ton peuple croit encore que les wekufe existent ? a-t-il demandé ? Qu'elle y croit ou pas a si peu d'importance... Je ne suis pas un « croyant » fervent, à vrai dire, je ne crois en rien... sinon que la terre est ma mère et qu'en toute circonstance je dois la protéger. Pour la plupart des gens, c'est juste une façon de parler, une métaphore pour exprimer que la planète doit être préservée pour être « sauvée » mais si l'homme continue à se conduire comme il le fait ce n'est pas la planète qui sera détruite mais l'espèce humaine. Mon souci est d'un autre ordre, quand je parle de sauvegarder je ne veux pas que les animaux, plantes et toute formes de vie s'y sentent bien et parviennent à subsister, mais bien que la terre-mère vive, respire, à la limite débarrassée de tous ces parasites qui y ont élu domicile... nos essences corporelles comme les autres.
- Il y a soixante-quinze ans un homme a débarqué à Santiago arrivant d'Europe, d'Allemagne pour être exact. Il avait trente et un ans et venait de vivre une tragédie qui lui avait pris famille, fortune, amis, santé... et probablement un peu de raison .. On l'avait enfermé, torturé, humilié, épouvanté par ce ce qu'il avait pu voir, entendre et connaître...
Je regarde Mel ? Ne faut-il pas être un peu fou pour décider de créer ce que ses livres saints décrivent comme l’œuvre d'hommes qui veulent égaler leur dieu ? Je ne sais pas, je n'ai pas de dieu, hormis les esprits protecteurs dont je suis persuadés qu'ils existent... N'existons-nous pas, nous ?
C'est difficile de raconter, difficile de rendre ça intelligible, surtout pour moi qui ne suis pas habitué à parler. Mon rôle est d'obéir en silence, mais il m'a bien fait sentir que je devais dire et ce qu'il veut, je veux.
- Il a raconté à Melchior que ce qu'il avait subi l'avait conforté dans une seule idée : que jamais ça ne puisse recommencer. Plus jamais a-t-il dit -à moi aussi- plus jamais les faibles ne seraient attaqués et décimés par les forts ! Pour cela, il fallait des gardiens... Des êtres que jamais aucun homme ne pourrait détruire sans le Savoir, des créatures magiques et divines que le sacrifice des humbles rendrait immortels et tout puissants...
Enfant, je ne savais pas, Mel non plus ne savait pas... Nous remarquions juste l'absence de nos mères, l'immense trou affectif qu'elle représentait. Aussi présents que puissent être nos pères -et à vrai dire ils l'étaient peu- rien ne remplacerait jamais l'amour qu'une mère peut donner. Mais comment savoir ? Comment imaginer ce qu'il avait fait pour que nous puissions naître ?
- Il a donc créé ses gardiens. Il avait avec lui un serviteur, un réfugié aussi qui venait lui d'Asie, comment il était arrivé là je n'ai jamais su, c'est mon grand-père pourtant. L'un et l'autre ont contribué à la naissance de nos pères... Eux deux, et deux jeunes femmes, mapuches...
Les avait-il choisies parce qu'elles étaient enfants de cette terre ? Ou simplement parce qu'à l'époque personne ne se préoccuperait de la disparition de deux indigènes ? Je l'ignore, le Vieux n'a qu'un véritable confident -auquel il cache bien des choses- et ce n'est pas moi. Moi, je suis le domestique, le second gardien.
Des yeux j'appelle Melchior à l'aide. Comment puis-je continuer ? Elle va s'enfuir, horrifiée ? Comment lui dire que les deux hommes ont modelé avec de la terre de ce pays deux êtres, deux formes humaines... Qu'ils ont ouvert leur veines et y ont mis leur sang, et leur semence aussi, puis qu'une fois ce plan effectué ils ont sacrifié les deux femmes pour que la chose primitive prenne forme ? Adolfo -qui préférait qu'on l'appelle Karl- et mon père sont nés, de cette sorcellerie. Ils avaient un rôle unique : défendre cette terre et ceux qui la peuplaient... Puis, avec les années, Otto a changé, il n'a plus parlé que de la terre, SA terre, ce qu'ils devaient défendre c'était son clan. De mon grand-père je ne sais qu'une chose, il a participé, et s'est suicidé quand il a compris ce qu'il venait de mettre au monde ! Jamais mon père n'a connu le sien, ni sa mère -bien entendu-, il est devenu la créature du vieil homme, comme celui qu'il appelait son fils. Quand l'un a failli, l'autre est devenu obsolète, je ne sais pas pourquoi Otto voulait une paire de gardiens et non un seul...
- T'expliquer, finalement c'est beaucoup plus compliqué qu'il me semblait...
Je me passe la main sur le visage, me demandant comment dire ce que nous sommes. Je murmure presque...
- Il a pris la terre, modelé ses gardiens, versé le sang, tracé le Mot et prononcé la formule, il dit que ce n'est pas de la magie mais de la foi, moi je ne sais pas... je ne crois pas en dieu. Une fois la vie dans la créature, il a veillé à ce qu'elle reste en bonne santé, en l'irriguant, tout le long de sa croissance...
Tous les cinq ans environ devrais-je compléter... Comme il n'y a plus de représentant de ma branche il « m'irrigue » lui-même, le sang versé, le sien et celui d'une femme... mapuche. Je la regarde, aurait-elle suffit pour deux ? Pendant cette cérémonie, ni Melchior ni moi ne sommes conscients. Mais nous honorons nos « mères » en les rendant à la terre-mère...
- Ni lui ni moi ne voulions que ... Je ne finis pas, je ferme les yeux puis les rouvre en regardant le blond aussi bouleversé que moi... Non, j'ignore si le fait de n'être pas « renouvelés » nous coûtera la vie, mais nous nous sommes trouvés d'accord pour dire que nous ne voulions plus que cela soit, et surtout pas ... grâce à elle ! Apparemment, notre régénérescence est aussi celle d'Otto, comment, pourquoi ? C'est beaucoup trop complexe pour moi. Mais quand nous, ses gardiens et enfants, retrouvons de la puissance, lui gagne des années... Cela explique sans doute pourquoi d'une cérémonie vers nos dix ans puis quinze ans, il a augmenté la fréquence, au point que les autorités ont lancé une enquête classée sans suite il y a trois ou quatre ans, parce que de trop nombreuses filles s'évaporaient ?
J'appelle à l'aide, qu'il continue, qu'il précise s'il veut, moi, je ne peux pas. Ce que je suis me fait soudain horreur, mais qu'y puis-je ? Le puma ne refuse pas d'être carnivore ? Nous sommes nés de la terre et du sang, et le sang il nous faut pour vivre... Est-ce une certitude ? Si nous y renonçons, nous le verrons, plus que nous, notre aïeul me semble-t-il est menacé par la disette... Et s'il mourrait, le Savoir serait perdu.
Le son - A SACRIFICE TO SAVE YOU | by Efisio Cross
J'ai 27 ans et je vis à Témuco, au Chili. Dans la vie, je suis dans plein de petits boulots et je m'en sors pas trop mal finalement car je m'éclate avec la musique et le chant. Je suis célibataire et je le vis très bien car je m'en fous royalement. Ayelèn ça veut dire la joie. Un comble quand on connait la vie de merde que je me suis cognée avec un père alcoolo et une mère grandiose par son absence. Je ne l'ai jamais connue et c'était tabou d'en parler pour le chaw dépassé par une gosse dont il ne savait que faire. Il m'a aimée je suppose comme il a pu, à sa façon, c'est à dire très mal et carencée d'affection et de sécurité. J'ai grandi à la va comme je te pousse, aléatoire, versatile, excessive, paumée. Muter en parent de son parent c'est glauque, tordu. Mais j'avais une liberté de folie et je ne saurai jamais comment j'ai fait pour ne pas me retrouver sur le trottoir ou droguée ou assassinée ou torturée! J'aurais pu tomber dans n'importe quel trou noir et ne plus en sortir. À la place de ça, j'ai culbuté dans le grand chaudron de la musique. Ça a du me sauver.
Le jour de mes 18 ans, j'ai dit au revoir à mon père, épuisée des relents de trop d'années qui puaient les égouts. Je lui rends visite de temps en temps mais je ne fais plus le ménage ni les courses ni le reste et le deux pièces miteux dans lequel j'ai créché pendant mon enfance est devenu un taudis qui me donne des hauts le cœur.
Je bosse partout où il y a du taf sans aucun diplôme, mal payé évidemment mais je m'en fous, je mange à peu près à ma faim, je partage un studio avec une fille qui galère comme moi mais à deux, c'est plus facile. J'ai vécu une période assez longue dans la rue mais ça, je n'en parle jamais et personne des gens que je connais en ce moment ne sait. J'en ai gardé des cicatrices moches sur le corps, des terreurs que je gère pas et si on me demande, je réponds que j'me suis faite bouffée par un clébard.
Activiste à mes heures, j'ai embrassé la cause des Mapuches comme une gosse embrasse sa mère, parce que j'y crois tout simplement. J'espère dur comme fer qu'on aura -bientôt- la place qui nous revient de DROIT.
J'ai aimé une fille une fois, à la folie. J'm'étais tatouée des mots doux, des mots d'éternité sur l'épaule gauche du côté du cœur. Et puis elle a fait comme ma mère, elle s'est tirée sans me prévenir après toutes nos promesses et nos bonheurs. Alors, j'ai pris un couteau et j'me suis arrachée la peau pour tout enlever.
« ...La tribu des damnés, des éternels crève-corps, crève-cœur, porteurs de souffrances et de deuils, si mal gâtés que la moindre miette de vie était reçue comme un don inespéré. Les déshérités...avaient quelque motif de vouer un infini amour à la vie : car de l'existence ils avaient bu toute l'eau amère ; ils en avaient goûté aussi, de temps à autre, les saveurs inouïes. »
F. Cheng
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Brusquement, une énergie « de retrait » la fit reculer d'un pas. Tout ce bordel ! Elle se trouvait à six pieds sous terre, enfermée dans les entrailles silencieuses et cendreuses. L'unique source de vie aux alentours se trouvait dans le ronron lointain de la cascade. « Une tombe, je suis dans une tombe ». Gorge serrée, elle eut peur. Elle devrait être en train de bosser, de voler sur les étals, de chanter avec ses potes... ! Au lieu de ça, elle s'était aliénée -sans savoir pourquoi- à suivre deux types qui l'attiraient et la répulsaient à la fois ! Le sentiment d'être piégée au fond de ce trou immense lui procura des flashs de lucidité sur l'existence qu'elle menait. Elle ne s'en sortait pas si mal que ça finalement ! À la surface, il y avait de quoi s'éclater, de la lumière, de la vie, des rires, de la chaleur !
Que ce soit Melchior ou Sein, a contrario, ils semblaient parfaitement dans leur élément. L'humidité ne les faisait pas frissonner, l'absence de clarté ne pénalisait guère leur vision...Leurs voix ne résonnaient pas de la même manière que la sienne offrant cette impression étrange d'un écho qui n'en était pas un, comme si les parois bourbeuses les absorbaient pour mieux les diffuser !
-Sein ! Tu n'as pas ?!
Melchior reprenait du poil de la bête, elle interpréta sa réaction comme une menace à son égard.
-Qu'est-ce qu'il n'a « pas... » ?! Ça suffit de dire sans dire et de me prendre pour une imbécile !
Le soutenant fermement jusqu'à la barque, ils l'aidèrent à y monter en dépit de sa volonté de se débrouiller seul.
- Je ne suis pas sûr que tu peux comprendre... C'est, fou à entendre pour une humaine. Je suis, il est... la Terre. Nous sommes nés de terre et de sang, comment te dire ça sans que tu nous prennes pour deux échappés de l'asile...
Évidemment qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait, ce qui s'était passé avec le vieux ! Et alors ? Ça ne changeait en rien l'impulsion irrépressible qui l'obligeait à les aider, à protéger Melchior !
-Je ne suis pas comme vous mais je ne suis pas ici par hasard, c'est une évidence, une certitude. Et je doute que vous prendre pour deux cinglés ait une quelconque importance à vos yeux.
Les syllabes claquèrent dans la grotte, dures, nettes. « Même si ça me dépasse, je DOIS être ici. Que je comprenne ou pas on s'en fout ! » Une réalité crispante avec laquelle elle composait comme elle pouvait.
La petite embarcation avançait lentement vers une destination inconnue. Le clapotis de la rame bruyait joliment, c'était agréable à entendre au milieu de l'excavation sombre.
-...Il ne faut en aucun cas qu'IL la prenne !
Elle les regarda tour à tour d'un air ironique. Pour qui la prenaient-ils ?!
-Woh mec, tu te calmes. On se connait pas, je sais me défendre et je n'ai pas besoin que...
Elle s'interrompit brusquement, à quoi bon se justifier ?! Ça ne servait à rien, l'un et l'autre étaient bien trop différents d'elle !
- Est-ce que ton peuple croit encore que les wekufe existent ? Les esprits malfaisants ? A l'origine, Otto, le Vieux que tu as senti là-bas, voulait le bien... et puis... avec le temps, sa pensée a dévié, du bien pour les hommes et la terre, il en est venu à vouloir le sien. Cette terre Ayelén...
-Cette terre est celle de mes ancêtres bien avant que les vôtres débarquent, coupa t-elle d'une voix acide. Je l'ai sentie ouais cette vieille peau comme une lèpre qui ronge. Il y a quelque chose de mauvais en lui qui s'étale, qui se diffuse partout. Et vous deux vous êtes dans ses rêts comme des rats pris au piège.
L'injustice. Elle en détestait toutes les formes quelles qu'elles soient, quel que soit l'être humain qui en était victime. Et la vie de ces deux-là, en dépit de leur richesse, de leur origine sociale, ne valait pas mieux que celle que subissaient les plus pauvres. Révoltée par ce manque de liberté inhumaine qui les asservissait, qu'elle avait perçue dans une sorte de conscience modifiée, elle n'avait eu de cesse que cette aberration disparaisse. Cette gangue dictatoriale, potentiellement destructrice qui les entourait était insupportable ! De surcroît, depuis qu'elle avait approché Otto, une aura ondulante, subitement révélée encerclait les deux hommes. De couleur pourpre, elle émanait de leur corps comme une ondulation venimeuse. Elle n'en avait rien dit et ne leur dira pas ! Mais cela ne présageait rien de bon.
-Bien sûr que les sans âmes existent ! Répondit-elle agacée. Tu crois quoi ?! Dans toutes les cultures du monde il y a des sorciers, des croyances, des prières, des rituels...L'invisible prend de multiples formes et c'est l'ultime substance qui nous reste ! Les blancs nous ont presque tout pris sauf ça ! Leurs ambitions et leur goût démesurés pour le pouvoir ont mésestimé le monde des esprits. Et c'est une très bonne chose...
Un souvenir remonta à sa mémoire. Elle avait essayé de faire revenir sa mère lorsque celle-ci l'avait abandonnée avec son père. Étant enfant, sans argent, la machi lui avait demandé une étrange chose... qu'elle n'avait pas eu le courage de faire. Le rituel et la prière des esprits n'avaient pas fonctionné et elle n'avait jamais revu sa mère.
-Vous n'êtes que des esclaves...
Elle faillit poursuivre sa harangue mais le blond se mit à murmurer la fameuse chanson... Bizarrement, ça lui serra le cœur , elle eut de la peine pour lui. C'était vraiment débile !
- Tu te souviens ? Tu me fusillais du regard mais tu as chanté aussi...
Elle lui jeta un œil goguenard mais ne répondit pas, déroutée qu'il s'en souvienne. L'image ressurgit. La scène, le groupe, les gens puants l'aisance, ce gosse de riche qui les invitait à boire un verre par pitié ? Par condescendance ? Elle n'avait pas chercher à comprendre, l'avait rejeté en bloc.
Soupir. Délire. Partir... Ses potes musiciens s'inquiétaient sans aucun doute, se demandant ce qui se passait, pourquoi elle était restée traîner avec ces mecs qui n'étaient pas de leur monde !
Puis Sein se mit à raconter. Elle l'écoutait, regardant parfois l'un, parfois l'autre ou bien tout autour d'eux sans véritablement voir. Une contenance au fond d'une grotte.
-...plus jamais les faibles ne seraient attaqués et décimés par les forts ! Pour cela, il fallait des gardiens... Des êtres que jamais aucun homme ne pourrait détruire sans le Savoir, des créatures magiques et divines que le sacrifice des humbles rendrait immortels et tout puissants... Le sacrifice des humbles...Encore les humbles, toujours les humbles qui se sacrifiaient ou que l'on sacrifiait ! Quelle que soit la cause, -fut-elle divine ou non- avec laquelle on officiait, on priait, on prévoyait, on suppliait, on organisait, on invoquait, on prévoyait...sans relâche et sans cesse, c'était la multitude des pauvres qu'on immolait sur l'autel de la politique, du pouvoir, de la religion, du...Savoir !
Aucun aspect de ce qui existait sur cette terre ne sera jamais épargné, n'est-ce pas ?! Aucun ! L'esprit focalisé sur cette terrible équation, « ...des créatures magiques et divines que le sacrifice des humbles rendrait immortels et tout puissants... », Ayelèn commença à comprendre.
-...Eux deux, et deux jeunes femmes, mapuches...
L'attention durcie soudain, elle les dévisagea l'un après l'autre. Non... C'était impossible. IMPOSSIBLE !
-Compliqué...Plutôt haïssable ! Un étranger qui s'approprie ce qui ne lui appartient pas....
- Il a pris la terre, modelé ses gardiens, versé le sang, tracé le Mot et prononcé la formule, il dit que ce n'est pas de la magie mais de la foi, moi je ne sais pas... je ne crois pas en dieu. Une fois la vie dans la créature, il a veillé à ce qu'elle reste en bonne santé, en l'irriguant, tout le long de sa croissance...
« La terre, ma Nuke Mapu !* » La sorcellerie du vieux l'avait...dénaturée ! Abîmée ! Une colère ancestrale se mit à l'envahir. Un coup de vent se fit sentir.
-C'est une infamie ! Une infamie ! Se servir de MA terre, de NOTRE terre pour... pour...
La suite de sa harangue resta coincée dans sa réalité maltraitée. Ces deux-là n'étaient donc que le résultat d'une magie abominable ? Était ce l'instinct de protection qui l'avait faite repousser Melchior ?
- Ni lui ni moi ne voulions que ...
-Tais toi ! Arrête ! Arrête !
Pour la première fois depuis très longtemps, Ayelèn souffrait dans son essence pour les wangulén* , dans son âme pour les ngen**, de cette douleur si particulière liée aux esprits.
-De quel droit il fait ça ! De quel droit !...
Incapable de saisir les tenants et les aboutissants de leurs existences dans leur entièreté, elle n'entrevoyait que la dépendance d'un enjeu qui la dépassait. Les raisons d'une telle...création puisaient leur source dans le Mal ! Sein comme Melchior n'auraient jamais dû voir le jour ! Le maléfice d'un péché de pouvoir ! D'orgueil ! Le grabataire se prenait pour un dieu !
La mapuche continua de les observer. Leur complicité palpable, les échanges de regard qui les animaient révélait à quel point ils dépendaient l'un de l'autre mais avant tout de cette entrave perverse qui les garottait à ce « père ».
-Il lui faut des « gardiens » soit disant pour protéger les faibles mais au prix du sacrifice de deux d'entre eux ? De deux femmes ? Je suis la prochaine ? Qui est l'autre ? Où est elle ?C'est ça le deal?!
Elle cria à la fin, furibonde, écœurée, rebelle !
-Je ne voulais pas venir, je ne voulais pas ! J'ai vu la terre qui se transformait, j'ai senti une puissance là-haut ! Je ne sais pas ce qui s'est passé mais ILne doit pas avoir ce pouvoir ! IL -ne-le-doit-pas !
Tranquillement, la barque s'enfonçait dans le ventre de sa Mère.
-On fait quoi ensuite ? Je ne vais pas rester ici... Je ne le laisserai pas faire...murmura t-elle pour elle même.
Elle se tut, l'idée dévastatrice se diffusant lentement mais sûrement. Le « Mot » évoqué par Sein, la « magie » ou la « foi », quelle importance ? Elle ne comprenait pas tout mais une certitude germa explicitement dans son esprit : elle devait détruire Otto, pour sauver SA terre, parce que ses ancêtres lui avaient déjà parlé, parce qu'ils la guidaient.
Assise près de Mel, elle tourna la tête vers lui, le fixa ostensiblement. Elle l'avait méprisé autant qu'ils la méprisaient. Mais la chose étrange perdurait : elle entendait son cœur, le cœur de la terre battre.
-« Sauve-le » ordonna tout à coup la voix terreuse.
*Wangulén : ancêtres mythiques **Esprits de la nature
The witch
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Oskar
Mer 10 Avr - 18:54
Mel E. Guzman-Cea
J'ai vu le jour dans cette propriété le 13 novembre 1995. C'est à ma mère Alba, née Schieller-Hernandez, que je n'ai jamais connue que je dois de porter deux magnifiques prénoms impossibles à exporter -Melchior Estrello- J'ai donc 27 ans et je suis actuellement de retour chez moi au Chili, dans la province d'Araucanie à vol d'oiseau à quelques kilomètres de l'Argentine, pas très loin non plus -pour un condor- de la ville de Pucón, à près de 800 km au sud de Santiago du Chili, dans un environnement à la fois minimaliste et grandiose. Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai guère la réputation d'être altruiste ou empathique. Je suis et reste un propriétaire terrien d'Amérique du Sud, riche, très riche...
J'ai fait mes études à l'académie de West Point, aux Etats-Unis. L'une des vingt recrues étrangères proposées par leur pays d'origine chaque année... Malgré des classes exemplaires : j'ai obtenu avec mention mes diplômes et ai laissé là-bas un souvenir tel qu'on m'a proposé la double nationalité, je n'ai pas souhaité poursuivre dans la carrière militaire. Pour résumer tout en restant discret, nous dirons que mes besoins sont autres et que je fais tout aussi bien à manifester mon autorité naturelle ailleurs que sanglé dans un uniforme.
Je vis dans cette demeure isolée que je partage avec mon grand-père paternel âgé de cent cinq ans. A part l'ancêtre, sa domesticité et la mienne qui se résume à un factotum : valet, chauffeur, garde du corps, pilote de l'hélicoptère familial, il n'y a que moi ici.
avatar : Oliver Stummvoll - copyright: Book du model
A vol de condor...
Ayelén Cardenas, Mel E. Guzman-Cea & Aye Min Sein
Mars 2023
Je l'entends, j'entends sa voix, furieuse, et j'entends … son cœur, son esprit, je ne sais comment nommer ce qu'elle met en branle ? Disons … son humanité ?
- Tais toi ! Arrête ! Arrête ! De quel droit il fait ça ! De quel droit ! Il lui faut des « gardiens » soit disant pour protéger les faibles mais au prix du sacrifice de deux d'entre eux ? De deux femmes ? Je suis la prochaine ? Qui est l'autre ? Où est elle ?C'est ça le deal?!
Elle a compris, nous voulions qu'elle comprenne !
- Tu sais, quand il est arrivé il n'était pas mauvais... Il venait d'être emprisonné, torturé, il avait vu les siens mourir en masse, assassinés parce qu'ils étaient eux. Ils n'avaient commis d'autre crime que d'exister, d’être différents... Lui a survécu, il dit que c'est parce qu'il avait la foi, que son dieu l'a sauvé. Je ne sais pas, je ne... « sens » pas ce dieu... Sans doute suis-je indigne de Lui.
Il a lu, mémorisé, réfléchi, espéré... Il a prié, imploré et la vie lui est restée mais les photos de lui en 1948, rares, montrent un homme décharné, d'une maigreur atroce mais surtout aux yeux morts, ce qu'il avait vu et subi l'avait tué plus sûrement que la lame du bourreau...
- J'ignore comment il a procédé, il avait de louables intentions, il ne voulait plus jamais voir des être faibles et pacifiques exterminé par les plus forts... Alors, il a créé nos pères en se basant sur une légende de son peuple...
C'est ce qu'il m'a raconté, ce que mon père m'a transmis de l'histoire... Mais mon père pas plus que moi n'a assisté à cette naissance puisqu'avant le cérémonie, il n'était pas.
- Prendre la terre, la modeler, lui y a ajouté son sang, je ne connais pas la « recette » mais quand il a écrit sur leurs fronts «le mot » ils se sont animés et ont marché, prêts à défendre les opprimés et les pauvres, prêts à donner leur vie pour CETTE terre ! Je pense que le sang des femmes -dans son esprit- devait fortifier le lien, unir les Gardiens à la terre de cet endroit plus encore qu'à celle d'ailleurs...
A cela près qu'elles en sont mortes ? Et que lui a continué à vivre...
Quand cela a commencé à dévier ? Probablement quand le premier de ses gardiens est mort ? Ou bien quand son partenaire créateur, comprenant ce qu'il venait de faire s'est suicidé ? J'ai un sursaut d'horreur, et s'il ne s'était pas tué lui-même ? Si déjà Otto avait pris peur et jugé qu'il fallait éliminer ce témoin qui ne partageait pas sa foi ? Impossible de le savoir...
Il y a aussi nos mères, celles qui apparaissent sur les actes de naissance ? Comment pouvons-nous avoir des actes de naissance ? Aucune femme ne nous a mis au monde ? Pourtant mon père Adolfo Karl Guzman-Cea a bien épousé Alba Schieller-Hernandez ? C'est cette Alba que je n'ai pas connue qui est -pour l'état civil- ma mère ? Comme celle de Sein s'appelait Consuelo Hataki, une métisse japonaise et Chilienne ? Je crois qu'elle avait du sang mapuche, mais ce n'est pas elle qui a été … à la source de sa naissance. Pourtant, Consuelo, comme Alba, a disparu ? Il y a tant de choses que je n'ai pas apprises ni pu reconstituer.
- Je ne me rappelle rien avant mes dix ans, je pense que pour la plupart des enfants une sorte d'amnésie existe, la nôtre n'est pas exceptionnelle, encore que Sein a meilleure mémoire...
Je le regarde, son regard se voile, lui se souvient, il m'a raconté notre première « sauvegarde » à cinq ans... En tout, il y en a eu trois, tous les cinq ans, puis Otto a accéléré le rythme... Parce qu'il avait expérimenté qu'en prenant de l'âge nous étions plus fragiles ? De ses précédents gardiens il n'a plus qu'une empreinte, mon père « donnerait » des nouvelles mais je ne l'ai plus jamais entendu au téléphone, ni vu, depuis près de dix ans ! Celui de Sein est mort, il se serait jeté à l'eau, ivre mort et drogué et n'a jamais été retrouvé ? C'est normal, s'il a effacé «le mot » l'eau a emporté la terre et l'a disséminée au gré du courant...
En vingt-sept ans d'existence, j'ai connu sept « renaissances », des transfusions de vie... Je dis « je » mais nous avons tous les deux été associés et ne voulons plus, ni l'un ni l'autre que cela se produise ! Otto lui, nous pousse, à chaque fois la jeunesse de ses proies lui donne un répit... D'un altruiste traumatisé par la guerre et les camps, il est devenu un monstre, assoiffé de puissance et d'immortalité, les « Gardiens » que nous sommes ne servent plus la terre qui nous a donné vie mais le maître de la Maison Guzman.
- Sein t'a entraînée ici pour que cela n'arrive pas ! Si nous avons bien jugé, l'eau couvrira notre trace, IL ne te trouvera pas. Nous ne voulons plus Ayelèn, nous ne voulons plus que le sang irrigue cette terre qui est nôtre autant que tienne ! Si nous devons mourir, tant pis, chaque vie a une fin.
Le regard de mon frère en infortune confirme mes dires. Les chaînes qui nous lient au Vieux sont puissantes et solides, mais il ne peut aller contre nos deux volontés, tant que l'un et l'autre sommes d'accord pour résister, nous serons deux contre un.
- Tu ne seras pas la suivante, il n'y aura pas de suivante.
Je lis sur ses lèvres plus que je n'entends....
- On fait quoi ensuite ? Je ne vais pas rester ici... Je ne le laisserai pas faire..
C'est une bonne question. Elle, nous pouvons la faire partir, le pouvoir d'Otto sans ses Gardiens est limité, aussi bien dans le temps que dans l'espace. Si nous reprenons la voiture, ou mieux, si nous la lui laissons pour que seule son aura s'éloigne, elle pourra rejoindre ses amis, là où ils voudront. Nous...
Si j'ai compris le raisonnement de Sein, se placer sous la protection des esprits de l'eau devrait contrer l'ordre de mon aïeul, masquer suffisamment notre présence pour qu'il ne puisse nous atteindre, du moins nous contraindre... J'ai encore son ire dans les veines, ce poison qu'il a instillé dans tout mon être parce que j'avais désobéi. Comment s'y prend-il ? Je ne sais. Mais ce que je sens c'est que moins nous nous régénérons, plus il pâtit de ses colères et de ses crises d'autoritarisme. La dernière en date il y a quelques heures maintenant l'a laissé vidé de toute force, tombant sans connaissance en même temps que j'étais « vaincu ». Sein sort les clés de la voiture, comme toujours captant ma pensée, et les lui tend.
- Tu peux partir, sans nous il te percevra moins longtemps. Je pense que tu ne l'intéresse pas, des femmes mapuches il y en a d'autres, nous par contre il va nous chercher, pour nous faire payer la rébellion.
J'ai pour mon brun compagnon un coup d'oeil. Je crois que je ressens... de la tendresse ? Ce type de sentiments m'est étranger, avant qu'elle n'entre dans nos vies nous n'étions liés que par la loyauté et la soumission à notre maître.
- Vous n'êtes que des esclaves... a-t-elle dit ?
- Il arrive que les esclaves se rebiffent... Le prix à payer est lourd, mais nous l'acceptons. Pars ! Sors-toi de là.
Illustration bas : PLAZA Margarita Artiste peintre - Série : Terre en colère
Le son ?:
- Isak Danielson - Power - Pharrell Williams - Freedom
Aye Min Sein, En vérité אמת, si près de la mort מת...
J'ai vu le jour le 13 novembre 1995. Je suis venu au monde comme mon « jumeau » Melchior Estrello dans cette propriété au Chili, dans la province d'Araucanie.
Pendant ses études aux Etats-Unis, je suis resté là où est ma place, à attendre son retour en prenant soin de cette famille qui est la mienne. Ma mère a donné le sein m'a-t-on dit à l'héritier du nom, je suis donc son frère de lait et bien plus que ça. Lui et moi sommes chargés de défendre les valeurs des nôtres envers et contre tout et tous : obéissance et honneur est notre devoir !
J'ai donc 27 ans et je suis toujours à la Casa Guzman, chauffeur et ombre du jeune maître dont je ne puis être séparé bien longtemps, à quelques kilomètres de l'Argentine, à près de 800 km de Santiago du Chili.
Cet héritage est le mien, tel quel je le revendique, je n'ai d'autre but dans la vie que faire correctement ce pour quoi j'ai été créé, et je le fais à la perfection, du moins jusqu'à présent.
J'ai fait mes études grâce au vieux Guzman, celui qui a posé le pied au Chili en 1948 après une période trouble en Europe venant d'Allemagne. Moi, je serais Birman, du moins d'origine, né au Chili je suis Chilien, je ne me suis jamais demandé comment ni pourquoi, je le suis, c'est tout, les questionnements ne mènent à rien et gênent l'action. Otto m'a instruit, il m'a appris non seulement tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce monde et y tenir la place qui est mienne, mais bien d'autres choses encore.
Je suis le gardien des traditions, le protecteur de cette famille et je le serai tant que je vivrais. De ma naissance, si providentiellement orchestrée le jour même de celle de Mel, je ne sais rien, je n'ai plus ma mère pour me le raconter, comme lui n'a plus la sienne.
Je vis dans cette demeure isolée habitée par l'Ancêtre âgé de cent cinq ans, sa domesticité et Mel Guzman, l'avenir du clan... Nous sommes seuls et souhaitons le rester dans la mesure du possible.
Ayelén Cardenas , Mel E. Guzman-Cea et Aye Min Sein,
Début 2023
« Je ne voulais pas venir, je ne voulais pas ! J'ai vu la terre qui se transformait, j'ai senti une puissance là-haut ! Je ne sais pas ce qui s'est passé mais IL ne doit pas avoir ce pouvoir ! IL -ne-le-doit-pas ! »
Je hausse les épaules, malgré moi... Je ne suis pas franchement l'intellectuel du groupe, pas stupide, mais disons plus pragmatique que cérébral... Il ne doit peut-être pas mais il l'a, c'est un fait établi, donc ça ne sert à rien d'en parler...
Je passe la main sur mon front comme pour y trouver... « le mot », il y est, des traits fins comme une cicatrice au rasoir, minces filaments blancs sur ma peau plus foncée... Mel l'a aussi, son teint plus pâle le dissimule mieux, c'est tout. « Vous n'êtes que des esclaves... » Des esclaves ? Ce n'est pas le mot que j'aurais employé, certes nous portons le joug mais à moi il n'a jamais pesé... jusqu'à présent. Cela a-t-il changé depuis son arrivée ? J'en ai peur. Je sens Mel fébrile, perturbé, comme... heureux ? Comment peut-il être heureux de voir cette femme ? Il a dit se souvenir qu'ils ont chanté ensemble ? Est-ce si important pour lui ? Jamais nous n'avons -avant- chanté, à peine avons-nous joué, nous n'étions pas des enfants, nous étions les futurs gardiens. Cela suffisait à nous ôter l'humanité, jusqu'à ce qu'il découvre la musique... Déjà, il est rentré d'Amérique à cause de ce groupe, de cet homme qui l'avait charmé. Otto ne pouvait supporter que son attention aille à un autre, qu'un individu étranger à ce lieu le distraie de sa tâche, de son rôle...
Nous ne devions rien ressentir à part le sens du devoir, rien connaître à part notre fonction, lui existait pour moi et j'existais pour lui, notre cercle hormis nous deux se restreignait à Otto... Puis Melchior est parti, d'abord étudier, ensuite dans la capitale pour organiser sa future existence. Pour parfaire l'illusion du maître du domaine, il aurait dû se marier... Que serait-il advenu de son épouse ? Aurait-elle subi le même sort que nos mères, vivantes puis... souvenirs ? Il a refusé, en toute connaissance de cause ou par dégoût de l'état marital ? Je ne saurais pas plus le dire...
«Un étranger qui s'approprie ce qui ne lui appartient pas.... a dit la fille, en rage... Je ne suis pas d'accord, cette terre est mienne, bien plus que sienne ! Pour elle l'expression « terre-mère » est un mot, moi, Mel, sommes modelés de cette terre ! Nous retournerons -au sens propre- en poussière sur son sol et nous mêlerons aux autres grains de poussière, nos frères !
- Cette terre est sienne depuis qu'ils nous a créés. Il ne s'est rien approprié, il a fusionné avec elle, a communié avec son essence profonde !
Pourquoi suis-je en colère ? Est-ce parce que je pense réellement ce que je dis : je suis cette terre, je sens en moi tous les traumatismes qu'elle a subi, j'ai dans chaque parcelle de mon corps le goût du sang des braves de son peuple, versé dans une guerre inégale contre les envahisseurs, j'ai dans ma mémoire la parole de ses ancêtres, les chants de vie, de mort, de joie, de peine qui ont été offerts à Nuke Mapu par les Mapuches à travers les siècles ! Elle ne peut pas me réduire à néant !
- Je suis, nous sommes Je regarde Mel silencieux, encore souffrant de la violence du Vieux - les enfants de cette terre ! Comprends-tu ? Je lui tends la main, elle est sorcière, elle ne peut me refuser cette vérité ! - Colle ton oreille contre ma peau, écoute le sang qui coule dans mes veines... Nous sommes la terre-mère, incarnée, non pour le bien d'Otto Guzman mais pour celui de l'Araucanie toute entière, passée, présente et future !
Mon discours est grandiloquent ? Je n'ai pas l'habitude de tant parler, mais elle me niait l'unique identité que j'ai jamais eue ! J'ignore par quelle magie je me trouve être Aye Min Sein, comme je ne sais pas de quelle manière il s'y est pris pour officialiser son petit-fils, ni même son « fils », mais la terre d'Araucanie, oui, celle-là me compose, elle est ma vie, mon seul sens dans ce monde... Au moins mon blond jumeau et moi avons-nous une utilité... Protéger les humbles qui marchent sur ce sol, dans cette contrée, refuser que se reproduisent les massacres du passé, et les libérer de leur esclavage... Le nôtre... est consenti. Non ? Est-ce que le señor Guzman le refuse ?
Non, il a fini de lui expliquer ce que nous sommes, presque, mais elle a certainement compris l'essentiel. Il est difficile d'asséner à un humain en pleine possession de ses moyens mentaux que les golems existent et que nous en sommes deux ? Pourtant, dans les légendes et mythes d'autres cultures aussi il y a des géants de pierre ou des hommes de terre qui arpentent le monde des vivants ?
- Le prix à payer est lourd, mais nous l'acceptons. Pars ! Sors-toi de là.
J'ai les clés en main, la main tendue, si elle s'enfuit, nous ferons en sorte de détourner l'attention d'Otto, assez longtemps pour qu'elle soit loin ! Comme elle semble pensive, après un coup d'oeil à Melchior j'ajoute.
- Sinon, pour être libérée de lui, il y a plus simple qu'une fuite qui ne sauvera que toi... Il survit grâce à nous, lié à cette terre par nous... A l'âge qu'il a atteint, et sans moi, il n'irait pas loin... Je suis son chauffeur et son pilote, il n'a plus la capacité de prendre le volant et n'a jamais su utiliser l'hélicoptère...
Je prends sa main et la porte à mon front, de droite à gauche je passe son doigt sur la marque אמת ...gravé dans ma chair...
- Vois tu, le mot ? Il te suffit de gommer la première lettre... l'hébreu s'écrit de droite à gauche, de אמת tu fais מת... … et tu transformes la vérité en mort.
J'ai guidé sa main pour faire le geste à son doigt. Comment doit-elle effacer ? Je ne sais... Suffit-il de masquer la première lettre avec de la boue ? Faut-il entailler ma chair pour arracher le morceau de peau ? Je n'ai jamais demandé, jusqu'à ce jour jamais il ne m'est venu à l'esprit que je puisse souhaiter disparaître, d'autant que nous partirions tous les deux ?
- Si je meurs, il est probable que Mel me suivra de peu... Et si ni lui ni moi ne sommes plus là, le vieux s'éteindra comme une bougie privée de l'air nécessaire pour brûler...
Je respire profondément. J'aime vivre, j'aime respirer l'air, bouger, voir le matin se lever et le soleil se coucher ! Je sais que je ne devrais pas être dans le monde conscient des humains raisonnables, mais je suis ? Je n'ai jamais fait de mal à personne, à part pour survivre ? Ne tuent-ils pas d'animaux pour se nourrir ? L'homme n'est pour moi rien d'autre et j'ai promis de renoncer au sang des sacrifiées !? Mais si elle le souhaite, parce que Mel semble voir son salut en elle... alors, je disparaîtrai.
- A toi de voir ce que tu veux, laisser ta terre marcher droit, avoir des jambes et un corps pour secourir les affligés... Ou tuer Otto et nous renvoyer dans le ventre de notre mère.
Dans le ventre ? Sans le vieillard, nous n'en sortirons plus, créatures avortées fauchées en pleine vie ? Dans la main qui n'a pas guidé la sienne sur mon front, j'ai les clés du 4X4, l'autre est encore au bout de ses doigts, je la retire, et la regarde... Puis tourne les yeux vers Mel... La tête en arrière j'imagine toutes les choses magnifiques qui peuplent les montagnes et les vallées, et que je vais peut-être perdre, pour une seule lettre gommée... et mes yeux se teintent de cette eau qui nous entoure... Je suis venu ici pour la protéger, et je finirai peut-être tas de boue volé par les esprits de l'onde ? Ainsi va la vie... Comme tout animal sauvage je suis fataliste, tu vis, tu meurs, c'est le cycle qui continue...