Le peigne lui arracha encore une poignée de cheveux. Face au modeste miroir monté sur une table de bois bancale, Nasuada jura en fronçant du nez. Cette tignasse pleine de noeuds n'était que le dernier d'une interminable liste de problèmes auxquels elle se devait de faire face, maintenant qu'elle avait été nommée à la tête des Vardens.

Un traître.

Elle peigna rageusement une mèche de cheveux. Une nouvelle fois, son camp venait de remporter la victoire. Mais à quel prix.

Lui.

L'arrivée des renforts tombait à point nommé, et les villageois de Carvahall redonnaient un souffle d'espoir aux combattants Vardens. Mais Nasuada n'avait jamais eu le coeur moins disposé à l'espoir qu'en ce soir même.

Pourquoi.

Elle avait dû endurer deux deuils simultanés. Celui de feu son père le chef de la Rébellion, qui lui avait laissé la lourde tâche de reprendre son flambeau. Il l'avait préparée depuis toujours à ce rôle et pourtant, elle avait cru que ce jour n'arriverait jamais. Parce que rien ne semble aussi invincible, aussi éternel qu'un père.

Comment.

Et puis elle avait dû affronter la mort de celui dont son coeur s'était épris. Murtagh. Ce jeune soldat longtemps emprisonné par son père dans les cachots de Farthen Dûr. Il avait piqué sa curiosité et de fil en aiguille, elle avait développé un attachement profond pour lui, comme elle n'en avait jamais connu. Le perdre avait été une douleur immense, incommensurable.

Mais alors que la douleur des deux pertes était encore vive, Eragon était rentré de la bataille ce soir avec une annonce accablante. Non seulement Murtagh s'en était sorti vivant de la mission qui avait bel et bien coûté la vie à Ajihad, mais en plus, il avait rejoint les forces adverses et, comme si ce n'était déjà pas assez, il avait désormais un Dragon.

La jeune fille sourit sans chaleur face à son reflet dans le miroir. Son père avait finalement eu du flair, de le jeter aux cachots à son arrivée. Quel genre de personne met en scène sa propre mort avant de trahir les siens ? Quelque part au fond d'elle-même, Nasuada refusait de croire que son bien-aimé était capable d'une chose pareille. Mais la cheffe en elle lui interdisait de se complaire dans l'aveuglement et réclamait vengeance et justice pour ses guerriers. Ils avaient été trahis tout autant qu'elle.

Elle laissa une mèche retomber sur ses épaules et s'observa de nouveau dans le miroir. Ses épaules étaient si frêles face à celles de son père, bien trop fragiles pour supporter le poids des tâches qui l'incombaient. Elle se sentait vaciller à chaque instant, quand il lui était demandé d'approuver des solutions de ravitaillement, d'établir des stratégies de bataille, ou de galvaniser les troupes à l'aide de beaux discours. Et pourtant, elle tenait encore debout, et elle en demandait encore. Son père disait-il vrai, cette force coulait-elle réellement dans leurs veines ?

Le reflet que lui renvoyait le miroir n'était pourtant pas glorieux. Ses traits tirés trahissaient son manque cruel de sommeil, et ses habits souillés de la bataille n'avaient même pas encore été lavés. Elle s'entraina à feindre la force, l'espoir, et la détermination sur son visage. Mais rien n'y faisait, l'éclat vif dans son regard avait disparu, remplacé par un vide, une absence. Elle baissa les yeux. Elle se sentait si seule et désemparée face à l'immensité de ce qui était attendu d'elle.

Soudain un froissement de tissu se fit entendre, presque imperceptible sans le silence total qui régnait dans sa tente.

"- Gardes ? Eragon ?"

Alerte, Nasuada se redressa, une main sur le manche de son couteau posé sur la table. Immobile, elle attendit. C'était certainement une fausse alerte, mais on n'était jamais assez prudent.

A nouveau, un froissement, et le pan de sa tente bougea légèrement. La jeune cheffe retint son souffle. Elle n'avait pourtant pas de gardes postés devant sa tente, et ses compagnons s'annonçaient généralement plutôt que de trainer devant.

"- Qui est là ?"

Nasuada se sentit presque ridicule. Elle parlait probablement au vent, qui faisait bouger le tissu de sa tente. Et pourtant, un cliquetis de métal lui donna raison. Ce n'était pas le vent. Elle resserra son emprise sur le couteau, et serra la mâchoire, prête à bondir ou appeler à l'aide.

Et puis elle le vit, soulever furtivement un pan de la tente pour se glisser à l'intérieur. Une seconde d'hésitation, puis elle le reconnut. Un hoquet de surprise, et le couteau retomba bruyamment sur la table. Il était réellement revenu d'entre les morts.

Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle scruta son regard durant ce qui sembla durer une éternité, le souffle coupé. Malgré le casque, malgré l'armure et le grand manteau, elle l'avait reconnu. Lui qu'elle pensait ne plus jamais revoir, lui qu'elle croyait avoir perdu pour toujours. Un tourbillon d'émotions contradictoires la saisit, tandis qu'elle cherchait encore ses mots. Elle prit appui sur la table, sentant ses jambes la lâcher. Il avait pris des risques inconsidérés en venant ici et pourtant, elle n'avait pas la force de lutter.

"- Dis quelque chose, je t'en supplie", souffla t-elle les yeux embués.

Dis moi que c'est faux, dis moi que tu ne m'as pas trahie.

La bataille était terminée. Eragon avait pu prendre conscience que je le surpasse déjà , et mon annonce concernant nos liens de parenté l'ont visiblement bien perturbé...
Par ailleurs , le fait que j'ai tué le roi des Nains , de ma propre main , semble avoir laissé un climat de peur , et de haine dans tout le camp des Vardens. À quelques lieux de là , je contemple Zar'Roc , l'épée de mon père que j'ai volé à Eragon. Cette arme qui m'a tant blessé , enfant.

Désormais , je suis un traître. Et , tous les Vardens savent que je suis le fils d'un des Parjures.
Quand j'avais accompagné Eragon jusqu'au Vardens , j'avais refusé que mon esprit soit inspecté , conscient qu'on ne croirait pas à mon innocence. J'ai fuis le Roi fou il y a bien longtemps, et voilà que deux crétins de nains m'ont piégé pour me conduire à lui !

À peine Thorn eut éclos pour moi que Galbatorix a menacé de lui faire du mal. Mon dragon est ma faiblesse...Rapidement , Galbatorix a pris le contrôle sur nous, a découvert nos vrais noms , et je n'ai eu d'autre choix que de lui jurer fidélité , alors que cette simple pensée me répugne.

Tu ne devrais pas y retourner.

La voix de mon compagnon résonne dans ma tête. Thorn est jeune , la magie des Eldunaris l'ayant fait grandir bien trop vite. Avec tendresse , je viens poser ma paume contre son flanc.

Tout ira bien. Je ne serai pas long.

Elle ordonnera qu'on te tue !

Je secoue la tête. Nasuada ne fera rien de tel.

Je ne couperai pas l'accès à mon esprit. Tu verras immédiatement si je suis en danger.

Mon dragon n'est pas rassuré , mais je refuse de reculer maintenant. Grâce à plusieurs sorts protecteurs , je parviens à m'infiltrer dans le camp. Il faut que je parle à Nasuada. Je ne sais ce que je vais lui dire , ni même si cela servira vraiment à quelque chose , mais je dois essayer.
C'est la seule personne pour qui j'éprouve un sincère regret. Je n'ai pas d'affection pour les Vardens. Quant à Eragon...je ne peux plus tenir compte de mes sentiments à son égards. Je risque déjà gros pour l'avoir épargné toute à l'heure.

Je persiste à dire que c'est une folie.

Je ne réponds pas à Thorn, alors que je me faufile enfin dans la tente. Mon coeur rate un battement en croisant son regard. J'avale difficilement ma salive. Les mots ne viennent pas. J'aimerais pouvoir la rassurer , lui dire que je voudrais rester mais...Qu'est ce que je peux haïr mon père et Galbatorix en ce moment précis.

"Je suis désolé." , c'est pathétique. Je prends une grande inspiration , soutenant son regard , malgré l'envie de fuir à tout jambes et celle de la prendre dans mes bras. "Ce n'était pas ce que j'ai voulu...Jamais. Les Jumeaux m'ont piégé et..." , je sers les dents , sentant la haine me gagner. "Galbatorix a découvert nos vrais noms à mon Dragon, et à moi. Ils peut nous utiliser comme des marionnettes...Et...si je refuse il..." , ma gorge se noue , je me sens si faible. "Il nous fait du mal. Des choses que tu ne peux pas imaginer. Et , je ne supporte pas de le voir torturer Thorn..." , une larme coule lentement le long de mes joies. "Je suis tellement désolé , Nasuada. Je n'ai pas le choix."

Interdite, bouche bée, Nasuada se sentit presque hypnotisée par cette voix qu'elle avait cru ne plus jamais pouvoir entendre. Elle soutint le regard du grand brun, à la recherche d'un indice sur sa sincérité. Ou d'un indice sur quoique ce soit d'autre, car il lui fallait des explications, et il ne partirait pas sans lui en avoir fourni. Si seulement elle le laisserait repartir. Mais la jeune femme sentit son regard vaciller, tandis que la voix brisée lui fournissait des bribes d'explications.

"- Thorn..." murmura t-elle inconsciemment.

C'était donc ça, le nom de ce fameux dragon. Celui qui désormais était lié à celui qu'elle aimait. Mettre un nom sur cette créature rouge et majestueuse qu'elle avait aperçu durant la bataille lui fit l'effet d'un coup de poignard. Thorn. Comme les épines piquantes d'un rosier, à la fois superbe et dangereux. Il était sacrément bien assorti à son Dragonnier, elle ne pouvait le nier.

La cheffe aurait voulu se montrer forte, juste, et imperturbable, mais son regard la trahissait. Son être tout entier se consumait de douleur, tandis qu'elle déchiffrait une peine indescriptible dans le regard du jeune homme. La flamme vigoureuse qu'elle y avait trouvé autre fois avait disparu, laissant place à un regard vacillant, fuyant, comme s'il cherchait à se protéger d'une menace imminente.

Elle ne supportait pas ce qu'elle entrevoyait à travers ce nouveau regard. Elle aurait tant aimé le serrer contre elle, lui ouvrir ses bras, et effacer de son esprit toutes les horreurs qu'il avait pu endurer jusqu'ici. Elle aurait tant aimé être son refuge. Mais elle n'en fit rien, car ses responsabilités devaient passer avant ses sentiments. Et Murtagh était un traître avant d'être son amant.

Une larme roula lentement le long de la joue du Dragonnier. Nasuada se fit violence pour ne pas se précipiter pour la sécher. A la place, elle pensa à l'immense peine que ses hommes devaient endurer par la faute de Murtagh. A l'assassinat du Roi des Nains. A tous les sacrifices déjà faits et qui seront encore à faire pour venir à bout de cette guerre. Au désespoir qui avait envahi le camp lorsqu'ils avaient été trahis. A toutes les larmes de rage qu'elle avait versé dans l'intimité de sa tente, lorsqu'elle avait compris la vérité.

Il était hors de question qu'elle cède. Elle devait au moins ça à ses Varden.

"- Tu as tué Hrothgar" fit-elle d'un ton accusateur.

Elle voulut revêtir son masque de cheffe, mais le choc était bien trop grand. Son visage trahissait la tempête d'émotions contradictoires qui la traversaient sans relâche. L'espace d'un instant, elle voulait lui promettre de le libérer des griffes de Galbatorix, et le pardonner sur-le-champ. Mais l'instant d'après, elle pensait à le faire arrêter pour haute trahison pour que justice soit faite auprès des trop nombreuses victimes qu'il avait déjà causé.

Puis soudain, le masque se brisa entièrement, et Nasuada s'effondra dans des pleurs incontrôlés. Sa vision et son jugement se brouillaient, tandis qu'elle s'était laissée retomber à bout de force sur le bord de son lit sommaire. Le flot de larmes ininterrompu la rendait folle de rage. Elle ne se pardonnait pas cet accès de faiblesse face à un traître de son camp. Et pourtant, elle n'arrivait pas à s'en empêcher.

"- Je t'avais cru mort Murtagh !" parvint-elle à lâcher entre deux sanglots.

Elle leva des yeux furieux sur lui. Désormais, ce n'était plus la cheffe qui parlait mais seulement la jeune femme au coeur brisé. Elle essuya ses larmes d'un revers de main rageur, sans quitter le grand brun des yeux.

"- Pourquoi est-ce que tu viens me torturer jusque dans ma tente ? souffla t-elle à bout de nerfs. Est-ce que tu as pris ces risques inconsidérés uniquement pour venir agiter ta trahison devant mes yeux ? Comme si je n'en souffrait déjà pas assez ?"

Sa voix devenait dangereusement hystérique. Si elle avait réussi jusque là à maintenir une voix basse afin de ne pas alerter les autres combattants, petit à petit son désespoir reprenait le dessus, et lui faisait oublier ses précautions. Il disait ne pas avoir le choix. Mais quel choix lui restait-il à elle, dans tout ça ?

Je n'aime pas la façon dont elle prononce le nom de mon Dragon. De mon compagnon de vie , de celui qui partage désormais mon âme.
Thorn est plus important que tout , désormais.
Oui , peut être même plus qu'elle.

La relation entre un dragon et son dragonnier , c'est plus fort que n'importe quoi sur cette maudite Terre.
Mais , comment Nasuada le comprendrait-elle ?
Elle ne peut déjà rien saisir à mes actes , aux raisons qui me poussent , me forcent à agir...C'est déplorable.
Thorn avait raison , c'était une erreur de venir ici.

Il n'y a rien à sauver , rien à récupérer.

C'est fini.
Je l'ai perdu.
Je le vois dans son absence de parole pendant ce long moment , dans ce regard si douloureux , accusateur...Il n'y a plus de complicité , d'attirance...
Je l'ai perdu.

J'aurai préféré mourir , que de tomber entre les mains de Galbatorix , pourtant me voilà , et je ne peux plus rien y changer , sinon constaté que j'ai perdu l'essentiel.
Hrothgar...

"Oui." , je réponds dans un souffle. "Il me l'a demandé." , j'hésite un instant , avant de poursuivre , sachant qu'il est inutile de préciser qui me l'a ordonné. "Je devais tuer Eragon , également. Je n'ai pas pu." , à mon ton , il était clair que ce n'était pas une question de puissance , mais bien d'affection.

J'aime Eragon , je ne pouvais lui ôter la vie. Galbatorix me puniera sans doute pour cela. Quant aux nains , même les Vardens, ils ne me pardonneront jamais cet acte. Même dans des années , quand je reviendrai apporter mon aide , leur haine sera encore vivace.

Nasuada craque. Moi aussi , j'aimerais craquer. Et , je chiale aussi, comme un gosse , mais silencieusement.
Il y a juste ces putain de larmes qui se déversent , et me dégoûtent .
À quoi bon expliquer , se justifier ? Elle trouvera toujours quelque chose à redire. La confiance s'en est allée...
Comment la rattrapper ?

Tu devrais revenir , Murtagh. Je suis désolé , mais ça ne te mènera à rien.

Je ne réponds pas verbalement à Thorn , néanmoins , je sais qu'il ressent le déversement de douleur , de souffrance , et de chagrin qui s'abat en moi.

"Ma disparition n'était pas une mise en scène , Nasuada." , je reprend enfin , la gorge lourde. "J'ai été piégé. Par les Jumeaux. Je ne savais pas ce qui m'attendait." , je secoue la tête. "Je n'ai pas choisi de te trahir . J'y ai été forcé , sous la torture. Crois-moi ou non , Nasuada , ce choix te revient. Je ne suis pas venu pour te faire souffrir. Je voulais juste..." , j'hésite , fermant brièvement les yeux. "Si j'étais libre , tu aurais mon allégeance . Mon cœur aussi." , je souffle plus bas. "Je voulais vraiment que tu le sache." , je finis , avant de me diriger vers la sortie de sa tente.

Nasuada serra la mâchoire en entendant les mots durs du jeune homme face à elle. Il devait tuer Eragon, mais n’avait pas pu s’y résoudre. Cela faisait-il de lui un homme bien, ou simplement un ennemi de plus à abattre pour la sécurité des Vardens ? Elle sentit un noeud se former dans ses entrailles à cette idée. Elle n’était pas prête, pas prête pour devoir faire ce genre de choix. Celui de choisir entre le devoir et le cœur.

Ses larmes séchèrent peu à peu sur ses joues tandis qu'elle reprenait contenance. Elle jeta un regard empli d'émotions contradictoires au jeune homme. De l'impuissance mêlée à de la peine, avec un soupçon d'espoir que sa simple présence ici faisait naître en elle. Elle ne dit rien tandis que Murtagh reprenait la parole. C'était petit de se l'avouer, mais savoir que son bien-aimé ne l'avait pas trahi de son plein gré lui procurait un soulagement immense, malgré la situation terrible dans laquelle elle se trouvait. Mais dès qu'il mentionnait la torture, son coeur se serrait dans sa poitrine. Elle détestait chaque seconde où cet ignoble personnage avait pu faire subir des tortures cruelles au Dragonnier et à son dragon. Elle aurait aimé y mettre un terme là tout de suite, pour lui assurer qu'il ne risquait plus jamais rien.

Mais au lieu de cela elle continua à le fixer sans piper mot. Il n'était pas venu la faire souffrir ? Trop tard. Elle soupira tristement lorsqu'il lui assura son allégeance s'il était encore libre. Les choses auraient alors été tellement plus simples. Son regard s'assombrit imperceptiblement.

Et alors qu'elle allait le congédier avant que sa présence ne se fasse remarquer, le jeune homme prononça trois mots. Mon coeur aussi. Ces trois mots brisèrent les dernières barrières qu'elle avait réussi à ériger autour de son coeur. L'espace d'un instant, la notion de devoir et d'honneur cessa de lui torturer l'esprit.

Alors elle agit impulsivement lorsqu'elle vit le grand brun s'approcher d'un pan de sa tente. Elle se leva d'un bond et effaça la distance qui les séparait pour lui agripper le bras.

"- Attends !..."

Reste.

Elle tira le Dragonnier d'un coup sec à l'intérieur de sa tente, pour l'éloigner de la sortie.

"- Il ne faut pas qu'on te voie."

Je ne veux pas que tu partes.

Le contact avec son bras la brûlait encore. Mais elle ne pouvait se résoudre à le lâcher. Pas tout de suite.

"- Je te crois Murtagh, fit-elle son regard planté dans le sien. Je te crois et j'aimerais faire l'impossible pour te sortir des griffes de ce monstre. Mais... (sa voix se brisa) je ne peux pas. Pardonne-moi, je dois agir en tant que Cheffe des Varden et non en tant que femme. C'est à moi de te le dire maintenant, crois-moi ou non, mais mon coeur n'a jamais cessé de t'appartenir."

Je devrais déjà être parti. Mais , mes gestes sont volontairement lents , tant il est dur pour moi de parvenir à quitter Nasuada. Je ne sais pas si j'aurai un jour l'occasion de la revoir.
Si elle en a seulement quelque chose à faire. La douceur empreint de fermeté dans sa voix me coupe net avant que je ne passe la tente.
La sensation de ses doigts sur mon bras me font l'effet d'une brûlure , à la fois comme une menace face à l'interdit , à la fois comme du réconfort...

Murtagh ?
- Tout va bien , Thorne. Tout va bien.

Je relève mon regard sombre vers la Reine. Maintenant que le choc , et les larmes se sont taris , elle apparaît à mes yeux plus belle que la plus magnifique des elfes elle-même.
Peu m'importait que quelqu'un me surprenne désormais , même Eragon.

Tout ce que mon cerveau comprends , c'est que mon regard est ancré dans le sien , que je m'y perds. Comme si je ne saisissait pas tout de ce qu'elle était en train de me dire.
Ça n'a plus d'importance .
L'idée est là, et mon cœur se gonfle aussi bien d'amour pour cette femme que d'une tristesse lancinante.

"Nasuada..." , oubliant les convenances dû à son rang , son prénom resonnant avec une douce chaleur. "Je sais que tu ne peux rien pour moi. Si ce n'est mener Eragon , et les Vardens à la victoire. Et...Reste en vie , Nasuada." , je m'autorise à poser ma main contre sa joue , certainement le geste le plus tendre que nous avons partagés.

"Aurevoir." , je souffle avant de me détacher lentement d'elle. J'aimerais dire plus. Tellement plus. Mettre des mots précis sur mes sentiments. Néanmoins , je ne peux pas. Ce ne serait pas juste. Ce n'est pas le moment.
Ça ne le sera jamais...Et rester ici plus longtemps nous mettra tous les deux d' danger , et c'est impensable pour moi.

Je m'éclipse hors de sa tente , avec un dernier mince sourire sur les lèvres.

[hrp= Je me suis dit que ce serait logique qu'ils se séparent là mais je peux changer si tu voulais continuer ! On peut en mp pour la suite ♡

Il régnait une étrange atmosphère parmi ses Vardens - ou du moins de ce qu'il en restait. Le soulagement de la victoire certes, mais empreint d'une sourde mélancolie. La victoire oui, mais à quel prix ? Tant d'êtres chers perdus, tant de sacrifices, tant de souffrance causée. Non, décidément Nasuada ne parvenait pas à se joindre aux effusions de joies. Surtout qu'un autre sujet pressant occupait son esprit en cet instant précis.

Ignorant la fatigue qui tiraillait tout son corps et engourdissait chacun de ses mouvements, elle se mit à parcourir frénétiquement le palais à la recherche d'une issue. Il était déjà dehors, elle le savait.

On l'interrompit plusieurs fois, pour lui adresser de chaleureux remerciements, pour l'inviter à présenter un discours à ses troupes, ou pour la questionner sur les lendemains à venir. La Cheffe tenta d'esquiver poliment toutes les questions, les requêtes et les mains tendues. Elle leur promit à tous une allocution très prochainement sur leur avenir. Elle se jura d'être personnellement présente pour remercier et célébrer tous les héros qui s'étaient battus avec elle et pour leur cause commune. Ce n'était que la moindre des choses, cette victoire et cet avenir qui leur était désormais promis, ils ne les devaient qu'à eux-mêmes.

Et c'est alors qu'elle l'aperçut, au loin. Thorn. Sa couleur rouge éclatante était reconnaissable entre mille - d'autant plus qu'il n'y avait pas à sa connaissance d'autre dragon rouge dans les parages. Nasuada accéléra encore le pas. Son avenir à elle, lui, se jouait en cet instant précis.

"- Murtagh !" appela t-elle d'une voix forte en cherchant frénétiquement le grand brun du regard.

Thorn tourna un oeil prudent vers elle mais ne bougea pas. Intimidée, Nasuada ralentit et s'arrêta à distance respectable du dragon. Malgré plusieurs années passées à les côtoyer, la jeune femme ne parvenait pas à se sentir pleinement rassurée en leur présence. Même Saphira dont la loyauté lui avait été prouvée tant de fois lui procurait encore une sensation de danger imminent lorsqu'elle se trouvait face à elle.

"- Murtagh, tu es là ?" souffla t-elle, hésitante.

D'un mouvement lent et le regard méfiant toujours rivé sur elle, Thorn souleva légèrement son aile, laissant apparaître la silhouette de son dragonnier. Nasuada poussa un soupir de soulagement. Il était encore là. Pour le moment.

Il était bien mal en point. Evidemment, les cicatrices et les blessures aussi bien physiques que mentales ne s'étaient pas effacées par magie à la minute où Galbatorix avait été vaincu. Il lui fallait du temps, et peut être de l'espace pour guérir.

Nasuada serra la mâchoire et redressa la tête. Elle devait se montrer forte pour lui et pour elle.

"- Quels sont tes plans ?" demanda t-elle abruptement et sans détour.

Elle n'avait plus le temps ni l'envie de tourner autour du pot. Il lui fallait des réponses claires ici et maintenant. Et aussi dures soient-elles à entendre, elle était prête.

C'était fini. Enfin. Après de longs mois de lutte , de souffrances permanentes face à ce Roi dément , tout était fini. Au fond de moi , je n'étais pas peu fier d'avoir réussi à nous libérer de son emprise Thorn et moi , en retournant l'ancien langage contre Galbatorix.
Sans nous , Eragon et Arya seraient sans doute morts là-dedans.

Et , je n'oublie pas Nasuada. Encore , et toujours , elle hante mes pensées , caché que je suis à l'ombre des ailes de mon compagnon de vie. Nous avons été enfermés ensemble , nous avons souffert ensembles et...

Et maintenant , elle a tellement à donner à son peuple.
Je remarque que mes yeux se brouillent , et je lâche un juron. Je sens alors la présence chaleureuse de Thorn dans mon esprit. On en a parlé. Il sait tout de moi. Il sait ce que je ressens pour la jeune femme. Il sait ce que mon coeur veut , tout comme je sais qu'il rêverait que Saphira lui pardonne ses actions , et le considère comme un égal.
Il sait que je pense que Nasuada n'a pas besoin de moi pour être la grande Reine qu'elle se doit d'être. Pire , que je serai un frein pour elle. Un danger , même.

Elle est là , que mon compagnon me souffle avec tendresse , dans mon esprit.
Je souffle. Je reprends ma respiration. Une douleur familière se pointe dans ma gorge , dans ma poitrine.

Toute ma vie , je l'ai passé à fuir.
J'ai fuis les coups et la magie de Galbatorix.
Puis , j'ai fuis au sens premier du terme quand j'ai réussi à m'échapper.
Je suis tombé amoureux lors de court séjour chez les Vardens , puis j'ai fuis mes responsabilités.

Désormais , ayant accompli mon devoir , je m'apprête à fuir à nouveau.
Sans réel espoir de retour , cette fois-ci.

Je donne mon accord à Thorn pour qu'il me dévoile à la Reine , après que j'ai essuyé mes yeux d'un geste rageur.
Je suis plus fort que cela. Je suis un dragonnier.

"Et toi , Majesté ? Quels sont tes plans ?" , que je réponds abruptement. "Tu comptes m'enfermer comme le souhaitent la plupart de tes conseillers ?" , je sais qu'elle ne le ferait pas. Elle n'en a de toute manière pas le pouvoir. Même avec Eragon...

"Nous partons , Nasuada. Thorn et moi , nous partons." , je lâche finalement en la regardant droit dans les yeux cette fois-ci. Et , aussi fort que je veuille paraître , je ne parviens pas à cacher l'immense douleur que cet aveu me proccure. "Nous ne pouvons pas rester." , je continue plus bas , plus faible.

Seigneur , pouquoi est-ce aussi difficile ?
Pourquoi ai-je la sensations que ces mots sont en train de me tuer ?

Ses mots durs l'atteignirent droit au coeur. Pourquoi se montrait-il aussi cruel ? Que cherchait-il encore à prouver ? Pourquoi vouloir lui faire du mal, encore ? Une dernière fois avant de partir ? Si cet échange devait être leur dernier, elle refusait qu'il se termine ainsi. Elle refusait qu'ils se quittent avec colère, amertume, et non-dits. Ils avaient été trop brisés tous les deux pour s'infliger cette peine à nouveau.

Le regard dur que lui adressait Murtagh lui firent monter les larmes aux yeux. Mais elle ne pleurerait pas aujourd'hui. Elle ravala ses larmes, s'efforçant de paraître forte. C'est cette image là qu'il devrait garder d'elle.

"- Tu sais pertinemment que je n'en ferai rien, répliqua-t-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu. Alors pourquoi es-tu encore sur la défensive Murtagh ? Cherches-tu à me faire fuir pour de bon ?"

Ses mots étaient durs mais ses yeux trahissaient sa faiblesse, prête à se briser à chaque instant. Et elle le savait, il lirait clair dans son jeu. Elle ne pouvait pas lui mentir à lui. Alors elle se radoucit légèrement, et son regard se fit plus doux, plus serein. Et plus sincère aussi.

"- J'aurais aimé que les choses soient différentes, reprit-elle simplement. Et si j'étais égoïste, je te supplierai à genoux de rester à mes côtés."

Elle se doutait bien qu'il voudrait s'en aller. Au moins pour un moment. Lui demander de rester serait une peine qu'elle se refusait de lui infliger. Mais entendre l'annonce du départ de la propre bouche du dragonnier lui avait déchiré le coeur. Elle ressentait une douleur physique à l'idée de laisser partir loin d'elle, sans certitude aucune quant à son retour.

Elle croisa son regard. Et l'espace d'un instant, elle faillit le supplier, finalement. Qu'importe d'être égoïste, elle avait déjà tant donné. Elle avait déjà tant souffert. Tant attendu. Elle pouvait bien se permettre de demander à celui qu'elle aimait de rester. Elle avait besoin de lui.

"- Murtagh..."

Mais sa voix se brisa. Non, elle n'était pas cette femme-là. Elle continuerait à se battre pour son peuple, et devait se montrer forte pour eux. Elle continuerait à aimer Murtagh, qu'il soit loin ou près d'elle. Alors bravant l'inquiétude que lui procurait la proximité de Thorn, elle se rapprocha encore et effleura la main du grand brun. Ce serait donc leurs adieux.

"-... il ne me reste plus qu'à te souhaiter un bon voyage," termina t-elle la gorge nouée.

Elle laissa le contact de leur main se prolonger. Elle savait qu'en la retirant, elle signait leur séparation définitive.