Crédits : "Have you seen the Yellow Sign ?" Chambers
Univers fétiche : Fantastique, SF
Préférence de jeu : Homme
Houmous
Sam 11 Fév - 18:07
Artemision
J'ai 27 ans et je vis sur les chemins grecs. Dans la vie, je suis esclave qui s'est affranchi et je m'en sors mal.. - Muet de naissance - Suis une foi orphique - Accomplis les dernières volontés de ma génitrice
:copyright: Fred Rambaud
Je restai un long moment à me préparer, rempli d’hésitations. Les supplices et les affres s’ouvraient devant nous alors que nous quittions le repos d’un grand héros. Le pire avec cet affrontement inévitable, c’était qu’on y allait avec l’idée d’une grande gloire ou d’un devoir divin. Plus le temps avançait et plus le doute m’avait envahi quant aux volontés des dieux. Avant la liberté, j’avais toujours une idée précise de ce que je voulais faire, ou de ce que j’avais à faire. Probablement que le choix venait avec son manteau de responsabilité inséparable. Je n’avais pas anticipé cette hésitation mais, maintenant qu’elle s’était présentée au seuil de mes pensées, rien ne semblait pouvoir l’en déloger. J’écoutai d’une oreille distraite les mots de ma nouvelle grande sœur. Il me semblât qu’elle faisait preuve d’une grande fierté à l’idée d’avoir percé mon mutisme. Comment lui en vouloir quand je réalisais qu’avec son aide, mon esprit arrivait à la lueur de ses jours ?
- Je suis prêt ! Je ne sais pas plus que toi comment rejoindre la Grèce mais je suis sûr que tout sera révélé en chemin, songeai-je, optimiste sans y croire, alors que nous mettions les pieds sur la route, sans un regard en arrière pour ma part.
Elle mentionna des détails sur la vision qu’elle avait reçu. J’avais peu de mal à me figurer qu’elle devait avoir raison d’une manière ou d’une autre à en juger par ce que Thadonas avait mentionné à mon sujet, au coin du feu. Cela dit, cette identité retrouvée ne m’évoquait rien. Je n’avais pas eu la chance de recevoir une excellente instruction dans ma jeunesse. Non pas que ma mère ne s’y soit pas employée et que je n’ai eu l’occasion d’écouter d’autres esclaves parler de leurs contrées d’origine, parmi lesquelles la Perse, mais plutôt que je n’avais jamais imaginé vivre une vie où j’aurais à penser par moi-même et pour moi-même.
Musique:
Silencieux, je convoquais toutes les bribes de souvenirs de ce petit garçon que j’étais, pour en tirer une béquille sur laquelle m’appuyer. Les sentiments venaient en grappe avec cette ancre que je tirai des abysses mémoriels. Une résignation lasse venait d’abord, marque des années plus récentes et de nos allers et retours entre les propriétés terriennes qui faisaient notre acquisition comme on achète une chaise ou une table déjà usée. Bientôt, elle laissait la place à une déception, guère plus enfouie. Mes souvenirs conscients les plus anciens en étaient teintés, empoissant tous les premiers instants qui me revenaient précisément. Et puis, il me vint une terreur indescriptible. En tirant toujours sur le fil pour voir émerger ce qui se trouvait à son bout, cette hésitation revenait. Avais-je réellement le courage de faire face à ce qui m’avait fait tel que j’étais ? Avais-je raison de vouloir révéler ce qui était enfoui ? Une fois le souvenir revenu, rien ne permettrait de le faire disparaitre à nouveau. Même si je m’employai à renvoyer l’ancre, sa silhouette serait brûlée dans ma mémoire à nouveau.
Je regardai vers Aketa qui me souriait joyeusement. Cela faisait quelques temps à peine que nous parcourions la lande de ce pays aliéné et pourtant, je n’y étais déjà plus. Peut-être que sa confiance me rassura car je me décidai à plonger pleinement dans l’inconnu pour en arracher les secrets. La première réponse qui me vint était le craquement du bois et une odeur rance de renfermé. Le goût du sel dans ma bouche m’était déjà coutumier depuis quelques temps. Je réalisai que j’étais tenu dans l’empoignade fluette de ma mère qui tentait lentement de me bercer ainsi qu’elle en était capable. L’embrun avait donné à son sein les marqueurs marins et le vent qui passait, d’une manière ou d’une autre, entre les planches, en avait volé toute chaleur. Les esclavagistes qui nous emportaient hurlaient à pleins poumons, terrifiés par la tempête qui nous avait pris par surprise. Un mât avait tiré sa révérence et nous étions lentement laissés à la dérive. Pourtant, elle n’avait qu’un simple sourire que sa peau asséchée et ses cheveux humides ne parvenaient à ternir. Elle me chuchotait doucement des comptines, des berceuses et des histoires, patiemment. Elle parla de la Perse, des Dieux et de Thasos, comme si rien n’existait en dehors. Mes yeux étaient grands ouverts et la fixaient intensément, complètement captivés. J’avais le sentiment de pouvoir pleurer, d’en avoir la force et les raisons, pourtant rien d’extérieur à nous n’avait d’importance pour moi non plus et les larmes en étaient devenues insensées. Et puis, elle se leva en me gardant contre elle. Les cris alentours redoublaient dans leur inaudibilité. Et les planches explosèrent sur l’un des flancs du navire, révélant le mur de Poséidon, juste au dehors. Comme mère n’avait nullement peur, je ne me sentis pas effrayé également. Je clignai lentement des yeux et découvris qu’alors, nous étions dans une vaste clairière boisée. Au vacarme de l’orage, son humidité et sa fureur ne répondirent finalement que le calme olympien de ces jardins élyséens. Une brise légère charriait la chaleur d’une fin de journée estivale, pareille à celle que cachaient les noirs nuages auparavant.
- Artémision, souffla ma mère avec la douceur habituelle de son intonation, prends la route avec confiance… Tous ceux qui partagent notre sang marcheront toujours dans la bonne direction, me fit-elle sourire alors que ses bras aimants disparaissaient doucement de mon dos.
Je rouvrais les yeux, animé d’un calme rassuré. Si mère m’envoya ici peu avant son dernier voyage, songeai-je, elle savait que je pourrais en repartir. Thadonas aussi crut en nous pour y parvenir puisqu’il ne prit pas la peine de nous indiquer la sortie formellement. Je pris lentement la main de Aketa tout en continuant de marcher dans la même direction. Je ne savais pas exactement où je me rendais ainsi, mais je savais que je saurais lorsque j’atteindrais ma destination.