Bryan se montrait compréhensif. Sa main fraîche rencontra la joue brûlante de la selkie dont les émotions lui donnaient chaud et froid à la fois. Elle acquiesça vivement. Les paroles du garçon la rassuraient, même si elle gardait le bateau à l'oeil, vérifiant bien qu'il s'éloignait. Mais à mesure que le bateau revenait au large de la côte, son anxiété monta en même temps. L'idée de savoir sa peau cachée mais sans surveillance lui devenait soudain insoutenable.
Ils ne peuvent pas en avoir connaissance, essaya-t-elle de se rassurer.
Son ami prit sa main et l'intima de le suivre en nageant, le visage au-dessus des remous de l'eau. Elle le suivit, le regard fixé sur la silhouette métallique au loin. Nager ainsi leur permettait de parler plus facilement. Blanche écouta le récit de Bryan. Elle lorgna vers lui un instant quand il révéla que ces deux hommes ne lui inspiraient pas confiance non plus.
— Pourquoi ? demanda-t-elle en recrachant l'eau salée qui s'était infiltrée entre ses lèvres.
Pourquoi cet homme mettait Bryan aussi mal à l'aise, lui qui semblait tout savoir et tout comprendre ? Il lui offrit un sourire et d'un mouvement fluide, se rapprocha pour lui voler un baiser. Blanche esquissa un maigre sourire, un réconfort ténu, mais un réconfort tout de même.
Bouger lui faisait du bien. Ses émotions avaient un exutoire, ses mauvaises pensées s'expiaient par le brassement de ses bras et de ses jambes dans l'eau. Bryan continua ses explications, sur Claude cette fois-ci.
— Puceau ? tiqua-t-elle à un moment donné, avant d'avoir un semblant de réponse dans la réponse du garçon.
Elle se tut ensuite. Un peu songeuse et inquiète.
Plus tard, ils furent de retour sur la plage, un peu essoufflés. Les pensées de Blanche étaient déjà dirigées vers sa peau, qui lui manquait encore terriblement. Son front était froncé, exprimant toute sa peine à l'idée de le quitter ainsi.
— Je... Je vais retourner, je crois.
Elle ne voulait pas forcément le quitter. Sa présence lui était agréable, mais... cette inquiétude ne cessait de la ronger. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire un peu triste.
— Je... Je reviens peut-être, dit-elle sans être sûre d'oser quitter sa peau une fois qu'elle la saura encore en sécurité.
Blanche se rapprocha de lui et posa un baiser bref sur ses lèvres. Son regard cependant lui lança toute sa reconnaissance et son appréciation.
— Merci. À... à bientôt, lâcha-t-elle avant de se détourner de lui et partir en se hâtant à la limite de courir.
Des larmes apparurent au coin de ses yeux et roulèrent sur ses joues, réclamant à sortir. Sa peau. Elle devait vérifier que tout allait bien. Retrouver les siens. S'apaiser.
Le souffle haletant, Blanche retrouva ce petit coin de la plage qui était presque toujours désertique tant il était escarpé. Elle s'écorcha le pied, en se hâtant un peu trop dans un passage difficile. Elle gémit, mais ne s'arrêta pas pour autant. Son corps plongea dans l'eau dans une gerbe d'éclaboussures. Elle passa la tête sous l'eau pour retrouver cette petite grotte noyée où se trouvait la cavité qui abritait sa peau.
Une fois qu'elle eut atteint l'intérieur de la grotte, son visage sortit de l'eau et elle inspira bruyamment. Ses mains frottèrent ses yeux et ses joues pour regarder la planque. Son coeur rata un battement. Sa peau. Elle n'y était pas. Elle n'y était plus.
L'angoisse la saisit. L'air lui manqua. Elle tournoya sur elle-même, regardant tout autour d'elle. Ses mains se mirent à fouiller l'eau, en vain. Dans un dernier espoir, elle replongea, ouvrant ses yeux humains dans la mer salée et sur tout ce qu'il y avait autour d'elle. Elle ne vit nulle part une trace de sa deuxième peau.
Elle nagea et revint à l'extérieur, à l'air libre. L'affolement était clairement lisible sur ses traits quand elle se tourna vers la côte et croisa le regard sadique de Gordon Walter.
— C'est ça que tu cherches, petit oiseau perdu ?
Il tenait dans sa main la fourrure grise d'un phoque. Les yeux de Blanche s'agrandirent de stupeur. Elle nagea à grands bras pour rejoindre les pierres au-dessus desquelles se tenait le père et, quelques pas plus loin, le fils Walter.
Blanche leva et tendit la main pour attraper sa peau, dans l'espoir fou qu'ils acceptent de la lui donner. Mais au moment où ses doigts frôlèrent cette partie d'elle-même, Gordon cacha la peau dans son dos.
— Oh oh... C'est que cela doit être important pour toi, visiblement, fit remarquer Gordon qui savait pourtant très bien ce qu'il en était.
La désolation traversa la jeune femme. Des larmes commençaient à rouler sur ses joues déjà mouillés par ses plongées précédentes dans la mer.
— S'il-vous-plaît, implora-t-elle en s'accrochant à la roche devant elle.
— Si tu veux un jour la récupérer, tu dois venir avec nous, marchanda Gordon de sa voix graveleuse.
— Je vous en supplie, continua Blanche en lui offrant son regard le plus larmoyant. J'en ai... vraiment besoin, expliqua-t-elle.
Le sourire gras que lui rendit le père Walter la fit frissonner. Bien sûr qu'il le savait...
— Dépêche-toi de sortir de là ! ordonna-t-il sans plus de cérémonie.
Il s'éloigna pour revenir à la route. Blanche se hâta de sortir de l'eau et les rejoindre, mais déjà ils avaient caché sa peau. La jeune femme la chercha du regard sans réussir à la trouver. Ils l'amenèrent alors chez eux, dans une maison assez grande. Elle aurait pu paraître luxueuse si seulement ils en prenaient un peu plus soin... Et ces créatures de la mer qui ornaient le mur donnait à Blanche l'impression de rentrer dans le musée des horreurs... Ce fut ainsi que commença son calvaire.
L'été touchait à sa fin. Dans le ciel, la course du soleil était de plus en plus courte au fil des semaines. Cela faisait maintenant quelques jours que Claude était reparti en cours, car c'était la « rentrée ». Si l'idée avait beaucoup plu à Blanche de prime abord, elle changea rapidement d'avis. Si Claude, qui n'avait rien d'autre à faire de ses journées pendant les congés scolaires, ne la tourmentait plus, c'était son père qui avait pris la relève... Et elle avait appris à ses dépends que Gordon était bien pire que son fils. Jamais Blanche n'avait vécu pire moments qu'en sa présence. Elle vivait désormais dans l'attente et la terreur. La peur que sa vie ne s'achève dans une lubie du père Walter qui appréciait tant faire des expérimentations de tout genre.
Il suffisait de sa présence dans la maison pour que le corps de la selkie ne tremble de tout part. Entendre sa voix par delà les murs, la démarche lourde de ses pas au-dessus d'elle, alors qu'elle se réfugiait et se recroquevillait dans son petit cagibi... D'où ils pouvaient la sortir quand ça leur chantait.
Ce soir-là, la porte s'ouvrit à la volée. Claude, à l'encadrement de la porte, lui fit vivement signe de sortir.
— Allez, dépêche-toi ! On sort ! Mon père est parti voir un ami et j'ai bien envie de t'amener à la soirée de mes potes. Ils riront moins quand ils verront que tu es bien réelle, grommela-t-il.
Blanche se leva comme un chien apeuré et passa la porte en gardant sa tête rentrée entre ses épaules. Son regard fureta tout autour d'elle, se posant ici et là sur le cadavre d'un poisson naturalisé sur leurs murs. Elle le savait pourtant bien, mais chaque fois qu'elle les voyait, elle avait comme un haut-le-coeur.
— Allez, reste pas là, magne-toi ! intervint Claude.
Sa main attrapa le bras de la selkie et il la tira dans les escaliers jusqu'à arriver à sa propre chambre. Sur son lit se détachait une robe entre ses draps froissés.
— Un petit cadeau pour toi, dit-il en venant enfouir son nez dans la nuque de la jeune femme. Je l'ai acheté avec mon argent de poche.
Blanche s'écarta de lui en se tortillant légèrement, tentant d'échapper à son contact, mais la main du garçon la retenait fermement. Il eut un sourire carnassier et ses dents vinrent mordiller le cou de Blanche avec une certaine férocité contenue.
— Déshabille-toi et prends ta douche, vite ! susurra-t-il à son oreille, non sans faire claquer sa main sur ses fesses.
Il la relâcha. Blanche s'exécuta et retira son pantalon, sa culotte et le tee-shirt ample qu'elle portait pour se diriger à la hâte, toute nue, vers la salle de bain sous le regard attentif du jeune Walter. En passant près de lui, elle se tendit un peu, le regard de biais, mais il n'effectua pas un geste.
Elle sentait pourtant sur elle le regard fiévreux qu'il lui lançait et... ce fut sans surprise qu'elle fut retenue par deux bras qui encerclèrent soudain sa taille.
— Et merde ! Tant pis si on est en retard, j'ai trop envie de toi.
Presque comme à chaque fois qu'il la voyait nue... Il ne pouvait s'empêcher de vouloir la toucher et... la «faire devenir femme». Claude la balança sans ménagement dans son lit. Blanche poussa un cri de surprise et se tourna pour essayer de sortir du lit. Le regard noir que lui lança son « petit ami et propriétaire » la cloua sur place, alors qu'il se déshabillait à son tour. Elle se figea et bien rapidement, il lui fit écarter les jambes.
— J'vais te baiser avant d'y aller, grommela-t-il encore.
Il se pencha entre ses cuisses et la prépara de deux coups de langue pendant qu'il échauffait son membre dans sa paume. Claude observa le corps de la jeune femme avec une envie furieuse et primaire. Il remonta au-dessus d'elle et la prit avec une sauvagerie à peine contenue. Il lui fallut quand même dix minutes avant de lui asséner le coup de butoir final dans un râle rauque. Dix minutes pendant lesquelles il cherchait à la faire gémir et crier de « plaisir », la retournait parfois comme une crêpe pour changer de position et la reprendre avec la même impétuosité.
Il lâcha un long soupir quand il se vida en elle. Il se recula et lui offrit une dernière claque sur le cul en s'étalant de tout son long sur son lit.
— Va te laver, grouille-toi !
Le visage en feu, Blanche hocha la tête et ne se fit pas prier pour atteindre la douche. Elle se faufila sous l'eau, chaude ou froide, peu lui importait. Elle retirait la souillure de son corps, mais jamais ne savait retirer les marques de ces supplices dans son esprit. Tous les attouchements du père et du fils Walter avaient laissé des cicatrices indélébiles sur sa psyché. Nul savon ne saura laver les tourments qu'ils lui avaient fait subir.
Blanche entendit toquer à la porte comme un avertissement funeste. Elle sursauta, termina de se rincer et sortit en trombe de la cabine de douche. La selkie se rinça en quatrième vitesse et sortit au moment où Claude comptait rentrer pour la punir d'avoir été trop lente.
Elle lui jeta un regard implorant en passant devant lui et s'habilla rapidement avec la robe qu'il lui avait offerte. Claude l'observa un instant. La robe noire était courte et moulante... et surtout, un rien trop petite. Elle la couvrait à peine, il lui suffirait de s'assoir ou de se pencher pour se retrouver la culotte à l'air. Claude fit une moue un peu dubitative puis soupira.
— Elle fera l'affaire pour ce soir, déclara-t-il.
Il prit néanmoins un de ses vestons pour la mettre sur ses épaules. Son vêtement était plus long et la couvrait un peu plus, ce serait plus décent, en attendant qu'ils arrivent au lieu de la fête.
Claude prit la main de Blanche et ils sortirent ainsi pour rejoindre ses amis.