Depuis que j'ai rencontré les fils d'Arès , ma vision des choses n'a cessé de changer .
Avant , je pensais que nous ne pouvions rien faire , à part quelques actes de rébellion idiots , mais aujourd'hui , je vois qu'on pourrait faire bien plus. Blesser les Ors , surtout les au Lune , là où ça fera le plus mal.
Pour l'heure , ma participation ne vaut pas grand chose bien qu'une idée ait été soulevé par Arès lui-même : que je devienne un Cuivre. Je quitterai cet endroit miteux pour espionner un bureaucrate bien particulier. Je ne sais pas si c'est là où je serai le plus utile , mais j'irai là où Arès me le dira.

Quelque chose est possible , quelque chose va se passer , je le sens.

Je marche pour rejoindre mes quartiers , et il fait déjà nuit. Je m'arrête une fois ou deux pour m'adosser contre un mur , pris d'une violente quinte de toux , sous le regard emplein d'une pitié détestables de certains Ors et Gris.
Bah quoi , c'est maintenant que vous découvrez que les Rouges sont condamnés , même à mon âge ? C'est quoi notre espérance de vie ? 40 ou 50 ans , grand maximum.
Et , au vu du sang que je crache , je n'en ai sûrement plus que pour quelques années , suffisant pour agir dans les projets des Fils.

Oh , la faute à mon caractère de merde , à cet Or qui m'a foutu dans leurs sales usines, alors que j'allais me marier , fonder une famille pour perpétuer la race...
Quelle vaste blague.

Perdu dans mes pensées , divaguant suite à la douleur dans ma poitrine , je bouscule une Or. Je lui jette un regard. La lumière artificielle des lampadaires me confirment que c'est une Sans-Égale , et mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Les meilleurs Ors dit-on.
Pauvre merde. Je vous déteste. Voilà ce que mes yeux doivent crier. Pourtant , une partie de moi la trouve belle. Oh , elle l'est forcément face au pauvre Rouge dégeulasse que je suis.

"Eh toi , le Rouge ,excuse toi !"

Ce n'est même pas l'Or qui a parlé , mais un autre qui se trouve un peu plus loin , qui vient se planter devant moi. Qu'est ce que ça peut lui foutre à celui-là ? Mon regard dévié vers celle que j'ai bousculé , mais l'autre Or me force à le regarder :

"À genoux. Petit merdeux."

"Compte dessus , et va chier des paillettes." , je lui crache aux pieds , sans trembler. "Mêler vous de ce qui vous regarde , Dominus..." , que je réplique en me montrant exprès irrespectueux en utilisant ce terme qui m'écorche la bouche. C'est vrai , après tout, de quoi se mêle t-il ? L'autre ne m'a rien dit. Non , il vient juste montrer sa sois disante suprématie Or , et ça met dans une colère noire. Qu'il me tue. Ça n'a plus d'importance . Je ne baisserai pas les yeux.

Chaque jour, je continue à postuler à des apprentissages. J’ai réussi l’institut, j’ai gagné ma cicatrice, mais je fais partie des dernières à l’avoir obtenue. Certes, mon exploit mémorable a été d’être active lors de la libération de la maison mars, ce moment décisif qui nous a évité l’esclavage, mais je n’ai pas réussi à obtenir les grands contrats, les grandes maisons de Mars - au Augustus, au Lune et au Bellona - n’ont pas jugé bon de me choisir. Que me reste-t-il ? Dois-je aller me perdre dans l’univers pour trouver quelque chose digne de moi ? Car je n’ai pas le moindres doute, je suis digne d’obtenir quelque chose de grandiose. Après tout, je suis une Or, pas une Bronze ou pire encore.

Pour me changer les idées, je décide de me mêler à la populace. Angus me suit de près, évidemment, ce grand frère belliqueux qui n’a pas confiance en moi. Il a vaincu l’institut il y a six ans a un bien meilleur classement et ne cesse de me le rappeler… Alors que fait-il encore dans mes pattes ? Pourquoi ne vole-t-il pas de ses propres ailes ? Sûrement parce qu’il a raté l’académie et que c’est plus simple de venir me faire chier.

Les écrans s’adaptent à moi, s’éteignant sur mon passage pour que je sois au calme avec moi-même. Je marche dans la rue, immense au milieu des petites gens. Ce ne sont que des fourmis, ridicules. J’aime sentir ce pouvoir.

Seulement, il y a quelque chose que j’aime encore plus, c’est qu’on me regarde avec admiration. Pas comme le haut-rouge qui crache du sang devant moi. Celui qui vient de me bousculer. Car c’est de sa faute, n’est-ce pas ? Suis-je invisible à ses yeux ? Pourtant non, je distingue bien sa haine, sa colère et … une sorte d’admiration ? Un large sourire - dangereux sourire - s’étire sur mes lèvres.

Voilà une nouvelle proie, que vais-je en faire ?

« Compte dessus, et va chier des paillettes. »

Je me retourne brusquement vers Angus, il vient donc de parler et d’ordonner quelque chose au rouge pendant que j’étais dans mes pensées.

« Voyons cher frère, laisse-moi régler cette infamie par-moi même ! » m’écrirai-je d’une voix claire, haute et céleste. Rien à voir avec celle, rocailleuse, du rouge. Pourtant, il y a quelque chose dans sa voix. Une sentiment inéluctable, comme s’il se savait condamné et que, mourir par ma main, ne lui faisait que plaisir.

Je l'attrape par le col et le soulève jusqu'à mon visage. Son poids n'est rien pour moi, encore plus sous la faible gravité de mars. « Tu ne veux pas t'excuser ? Je comprends bien. » Un sourire s'étire sur mes lèvres et j'actionne mes bottes anti-grav. Je m'élève, rapidement dans les airs, tenant toujours le rouge à bout de bras. « Voilà, » lançai-je, joyeuse, une fois en l'air « Nous sommes loin de mon détestable frère, petit être, veux-tu bien ... me dire ton prénom ? » Je voulais demander des excuses, je voulais lui arracher une admiration dans ses yeux, mais... ce sont d'autres mots qui sont sortis de mes lèvres, sans que j'ai pu les commander.

Je ne sais pas vraiment pourquoi j'agis de la sorte, mais j'en ai envie. Et j'ai bien le droit de faire ce qui me plait non ?

J'ai un don pour me mettre dans des situations merdiques. C'est ce que ma mère disait déjà quand j'étais un môme. Les haut placés , même à notre échelle , ont toujours eu tendance à me taper sur les nerfs.
Alors , je faisais des crasses , du sale , comme on dit. Je n'en tirait pas de fierté. Une petite satisfaction de les avoir traîné plus bas que terre , à la limite , mais ça n'allait pas franchement plus loin. Je n'allais pas changer mon monde avec mes actions grotesques...

Bon là , sérieusement , je crois que je vais y passer. L'Or que j'ai bousculé semble se réveiller , et prendre les choses en main.
Putain. Si elle pouvait me tuer vite , ce serait sympa. Parce que je les hais , avec leur sale manie de jouer avec nous , de s'amuser comme si l'on était de vulgaires jouets...J'ai envie de lui cracher de nouveau à la figure.
N'est-ce pas ce qu'ils nous font tous les jours , même au sens figuré ?

Ah bah , qu'est ce que je disais...
La force qu'elle exerce sur mon col me fait un mal de chien , mais je ne vais certainement pas le dire. Si j'avais la force nécessaire , je lui prendrais ses bottes anti-grav , comme ça on tombe , et avec un peu de chance , elle meurt aussi...
Parce que je ne me fais pas d'illusions , quand elle aura finit se jouer , elle va se contenter de me lâcher , pour que je déverse mes boyaux par terres...
L'admiration , l'attirance que j'ai pu ressentir les premières secondes ont disparu de mon regard.
Maintenant...Je suis juste fatigué.

"Mon prénom ? Tu te fiche de moi." , j'essaie de me débattre , mais cest ridicule. "Au lieu de jouer , tu devrais me lâcher , ça ira plus vite , vous pourrez retourner baiser..." , j'ai retenu que c'est son frère, mais l'insulte a plus de sens comme cela . Je suis repris par une brève quinte de toux. Pas de sang , cette fois , un peu de répit dans mes dernières secondes , c'est aimable de la part de mes poumons... "Je m'appelle Scar. Pour ce que ça peut te foutre..."

Ce qu'il y a de plus fou avec cette rencontre, c'est que je n'ai pas la moindre explication qui fait que j'agis de la sorte. Ce n'est pas normal pourquoi suis-je intéressée par les mots de cet insecte ? Ce pauvre petit gars - avec sa chevelure si étrange et unique - me donne envie de perdre mon temps ? Est-ce parce que c'est la première fois qu'on me parle comme ça de ma vie ? C'est idiot. Je ne peux pas laisser le moindre espoir au moindre rouge. Je sais ce qu'il se passerait si jamais on laissait espérer les faibles, le monde se retournerait contre nous. Je ne peux pas dire qu'ils n'auraient pas tort, vu toutes les horreurs que les Ors commettent sans cesse, mais j'ai été bien trop endoctrinée pour oser me remettre en question.

« Ok » dis-je enfin après ses quelques mots, en l'air, après l'aveu de son prénom, après sa toux inquiétante.

C'est là que je le lâche. Il tombe. Rapidement même. Mais le pire, c'est qu'il tombe sans bruit, sans hurlement, sans cri de pitié. Il va mourir et il s'en fiche. Putain, c'est qui ce fou ?

Je plonge, je le rattrape in-extrémis et je nous fais voler plus haut encore, jusqu'à une platforme, une de celles que j'apprécie tant, une qui me permet de voir la ville de haut, d'imaginer la vie des minuscules fourmis sous nos pieds, une des platforme que je partage volonties avec Angélus et un bon alcool.

Je le dépose, avec plus de délicatesse que ce qu'il faudrait. « Ne saute pas, Scar. » lui demandai-je. Ce n'est ni un ordre, ni une supplique. Et j'espère que ça ne lui a pas donné d'idées. Je ne sais toujours pas pourquoi j'agis comme ça, mais je ne suis pas habituée à me poser des questions. Je vis, c'est tout.

« J'aime mon frère, mais non, je ne couche pas avec lui, merci. » annonçai-je, inutilement et sans colère, ni rancoeur. Juste d'une voix égale, signifiant que la conversation est idiote et terminée. Puis je plonge mon regard dans le sien. Il est petit, ses yeux sont minuscules, est-ce qu'il voit correctement au moins ? Distingue-t-il les millions de couleur autour de lui ou bien le monde est teinté de rouge ? Et surtout, pourquoi est-ce que ça m'importe ? « Qui es-tu Scar ? » Je suis intriguée, malgré moi. Et je me fiche de ce qu'il peut en penser. Il est coincé avec moi, en haut de cette tour. « Comme tu l'as vu, je n'ai pas l'intention de te faire mourir, or tu es coincé ici avec moi. Donc soit tu sautes et on recommence, soit tu me réponds. » J'ai mis plus de dureté dans ma voix que je n'en ai en réalité. Je veux savoir, un besoin viscéral de comprendre pourquoi il n'a pas peur de moi, pourquoi il ne me regarde plus avec admiration, pourquoi il agit comme ça.

Je savais que la pute blonde allait me lâcher. C'était écrit , plus évident que le soleil se lève après la nuit. Je le sentais venir. Je ne hurle pas. Je ne lui offrirait pas ce plaisir malsain.
Je ne leur donnerai rien à ces crétins d'Ors. Je veux mourir en n'ayant jamais ployé devant eux.
Et , c'est ce que je vais réussir. J'espère juste que ma mort sera rapide , et pas trop douloureuse. Que mon cerveau s'éteigne sur le coup , sans avoir besoin d'agoniser. C'est cela qui me fait peur.

La douleur. La mort en elle-même, je n'en ai pas peur.

Je ferme les yeux juste avant de toucher le sol. Je ne veux pas voir ça. Mais , le choc horrible ne vient pas. Comme si ma chute s'était brutalement arrêtée , mais que je vole à nouveau.
C'est quoi ce bordel ?
Je rouvre les yeux , désorienté , pour constater que l'Or m'a sauvé , si l'on peut vraiment dire ça comme ça et déposer sur une nouvelle plate-forme. Elle se moque réellement de moi.

Elle va jouer encore longtemps ?
C'est quoi son problème ?
Ça l'amuse de balancer des rouges dans le vide , et de les rattrapper si ça lui chante ?

"T'es gonflée de me demander de pas sauter." , je marmonne en m'éloignant du bord. Je ne suis pas complètement débile , mais je ne veux pas recevoir d'ordre d'elle. Je me méfie de ce qui va suivre , ce sera peut être pire que la mort. Ah des questions. Une fausse curiosité. "Tu viens d'essayer de me tuer , il y a 30 secondes. Et , je ne suis pas là pour satisfaire ta curiosité comme une bête de foire." , je râle avant de massoir sur le bord et de croiser les bras. "Ne me prends pas pour un imbécile. Tu t'en fiches de moi , mais t'avais besoin de distraction pour la journée...Tu m'as pas dit ton nom , d'ailleurs." , je me montre un peu plus curieux.

Il n'est pas content, c'est évident, en même temps si je me mettais à sa place, je ne le serais pas non plus. Pourtant, je ne serais jamais à sa place, voilà le soucis. Je hausse les épaules. « J'ai l'habitude de faire ce que je veux, j'imagine. » Je ne me justifie pas, pourtant, ma voix ne possède pas son autorité naturelle. C'est si infime, que lui ne peut pas le remarquer, même les Ors ne le verraient peut être pas, seul Angelus pourrait le deviner tellement il me connait bien, mais je ne lui avouerais jamais que j'ai baissé ma garde face à un rouge. Jamais.

« Je ne peux pas retirer ça, je suis curieuse, je l'avoue. » Je n'ai jamais eu honte de qui j'étais, j'ai toujours été diablement sûre de moi, pourquoi ma curiosité est-elle mauvaise ? Parfois, je songe au discours du Haut-Gouverneur de Mars au début de l'institut, quand il nous traitait de bébé, de nymphettes et je crois que je le comprends. Toute ma vie j'ai profité, joué, étudié dans les livres, mais le travail et la force brute ça, je l'ai appris à l'institut. Toute ma vision du monde a été changée et si certains ont été contrôlés, sont devenus des rouges, des roses ou des esclaves durant ces longs mois d'école, seuls certains en sont sortis victorieux, c'est ce qu'on veut nous faire comprendre, que pour être Or, il ne faut pas s'en excuser, juste le vivre entièrement. Comment pourrait-il le comprendre ? Et pourtant, lui, ce Scar, travaille depuis son plus jeune âge, tout en était totalement conscient de ce qui ne va pas dans le monde. Quelle chance ai-je d'être née Or.

Ses mots sont vifs, sévères, il n'a pas peur, il ose. Il ne sautera pas, j'en ai la conviction, mais s'il pouvait s'en aller, il le ferait. Alors pourquoi est-ce que je ne le laisse pas ? Je recule, pour m'éloigner de lui, ce n'est pas un geste de dégoût, mais c'est pour lui laisser plus d'espace. Je suis beaucoup plus grande que lui, beaucoup plus lourde, beaucoup plus imposante, je prends une place considérable, une place qui m'est due, mais aujourd'hui, j'ai envie de lui laisser un peu d'air. « Je ne vais pas te mentir, ça ne sert à rien, mais en quoi c'est mal ? Tu n'étais pas en train de bosser, tu as rendez-vous quelque part ? Tu es pressé pour faire quoi ? » Je ne suis pas dédaigneuse - du moins je ne le crois pas - mais peut être le prendra-t-il ainsi. « Que veux-tu faire de mon nom ? » demandai-je soudain. Il ne me connait pas, moi la splendide, la puissante Lenia... je suis inconnue. Je ne suis pas sur tous les  spots publicitaires, mais ça me fait un coup dans mon égo. Et puis, que ce passera-t-il ensuite, va-t-il appeler des amis à lui pour se rebeller, révolter, me faire payer ? Je suis suspicieuse, mais après tout ce qu'il vient de vivre, je suis bien obligée de lui donner au moins ça. « Lenia au Equuleus » me présentai-je. J'attends son regard, son haussement d'épaule, son crachat, qu'importe, j'attends sa réaction. Me connait-il ? Ou ma famille ? Un des siens est-il mort sous nos ordres ? Va-t-il m'en vouloir ou au contraire, n'a-t-il jamais entendu parler de ma famille ou moi et s'en fiche-t-il complètement. « T'as faim ? » Je sors un paquet de chips de ma poche - si grande que je peux y ranger ma maison - et l'ouvre avant de piocher dedans puis de lui tendre, comme une offre de paix.

"J'ai l'habitude de faire ce que je veux".
Naaaan sérieusement ?

Les ors font forcément ce qu'ils veulent. Surtout les Sans-Egaux comme elle.
Cette conversation est ridicule.

Qu'elle me balance , me force à sauter , ou me foute la paix mais qu'on en finisse...
Elle a une telle aura que j'ai du mal à détacher mes yeux d'elle , et ça me rend dingue.
C'est à cause , et pour des gens comme eux que mon peuple vit la misère.
Que je vais crever alors que je n'ai même pas eu le temps de vivre.
Par ses mains , ou par mes poumons détruits par leurs usines ?

Franchement , seul l'avenir nous le dira.

"Donc on t'as jamais dit que la curiosité est un vilain défaut ?" , je réplique moqueur.

Tout comme mon impulsivité on pourrait dire. Mais , j'ai toujours été comme cela. Puis surtout , je n'ai plus rien à perdre.

Personne pour me pleurer.
Et , je ne regretterai pas ma vie.

Qu'est-ce que je pourrais vraiment regretter , hein ?
Les nuits blanches, le travail focé , les crachats venant des Ors ?
Putain de vie rêvée , hein.
Mon cul.

"Tu me demandes vraiment en quoi c'est mal de jouer avec moi ?" , je hausse un sourcil agaçé. "Je ne vois pas ce que tu cherches avc moi , je suis un banal Rouge comme les autres qui se contentaient de rentrer à son dortoir miteux. Je n'ai rien à t'offrir , Or. Rien qui ne puisse susciter ton interêt , alors franchement...T'attends quoi de moi ?" , je suis interrompu par une brève quinte de toux. Le temps pour elle de me donner son nom.
Parce que je voulais le savoir pour éviter tous membres de sa famille à l'avenir , si toutefois je suis encore en vie. Je crois qu'il vaudra mieux pour moi ne jamais recroiser son crétin de frère. Même si elle fait comme si elle était sympa , je ne suis pas un imbécile.

"Ok , je dirais bien enchanté mais c'est pas vraiment le cas donc... , je m'arrête en sentant l'odeur de la nourriture , une vieille douleur dans mon estomac que j'ai appris à ignorer se réveille , et j'en salive déjà. "Evidémment que j'ai faim." , j'avance ma main avant de l'arrêter au dessus du paquet. C'est con hein , mais je n'ai jamais mngé de chips , parce que je n'ai jamais pu m'en payer. Je me sers finalement , observant la fine tranche sous toutes les coûtures. Je dois avoir l'air d'un crétin. Je fourre enfin les chips dans ma bouche. "C'est bizzare comme nourriture. Les trucs que je mange sont jamais aussi salés." , je fais remarquer , comme si elle en avait quelque chose à faire...

Je souris à sa remarque, il a quelque chose ce petit quelque chose en plus, cette humilité face à nous, les Ors, qui ne fonctionne pas. Il ne s'écrase pas pour nous rendre la vie plus belle, il ne se met pas à genoux pour demander mon pardon. Ses yeux pétillent, brillent d'une intensité que je ne connais chez aucun rouge. Est-ce pour cela que je me sens incapable de l'écraser sous ma botte pour lui faire entrer la notion de respect ? Moi, une sang-égale scarifiée. Il n'est même pas un danger pour moi, mais ses mots me fascinent et je n'ai pas envie de le punir. Suis-je une mauvaise Or ?

« Non, on ne me l'a jamais dit » J'hausse un sourcil, mon visage est un masque d'élégance, je sais combien je suis belle. Je suis née pour ça. Régner et être admirée, ça me va bien. « Au contraire, on a toujours encouragé ma curiosité. » reconnais-je, incapable de me taire et de cesser la conversation. « J'imagine que toi c'est l'inverse. » En même temps, quand je songe au nombre de Bas-Rouge qui s'imaginent être les seuls sur Mars, les Pionners. Ceux qui ignorent tout de la réalité, en effet, il vaut mieux éviter qu'ils soient curieux. « Mais tu es curieux toi-même, n'est-ce pas ? » J'ai le sentiment d'avoir raison, j'essaie de lire sur son visage ce qu'il en pense.

Il parle à nouveau, plus longuement cette fois-ci et quand il s'arrête, il tousse. Violemment. Je n'ai jamais été malade, c'est... presque amusant de voir les effets de la maladie sur lui. « Ah ? Parce que tu crois vraiment que tu ressembles aux autres rouges ? Vas-y, cite moi le nom de ceux qui n'auraient pas crié comme toi quand je t'ai jeté en l'air. Cite le nom de ceux qui resteraient impertinent comme tu l'as fait face à mon frère et cite-moi le nom de ceux qui continueraient de parler, totalement à l'aise, face à une Or de mon gabarit au sommet de cette tour. » Je souris. « Pas besoin de me citer des noms, je sais que t'es différent. » De toute manière, je ne les aurais pas retenu ces noms. Ils ne m'intéressent pas. Seul Scar m'intéresse et je suis toujours incapable d'expliquer pourquoi. J'hausse les épaules. « Je n'attends rien de toi, si ça te fait plaisir de songer ainsi, tu es une ... expérience ? » Si la honte m'était un sentiment connu, j'en aurais peut être ressenti à ce moment-là.

Il hésite avant de prendre une chips et je souris à ses mots. Je rapproche le paquet de moi et me serre dedans à nouveau. « C'est bizarre, c'est salé, mais t'aime bien ? » Je me rends compte qu'il n'en a donc jamais mangé, je suis presque étonnée. Puis les rouages de mon cerveau se mettent en route, j'ai envie de lui faire découvrir d'autres choses. Je réfléchis à toute vitesse avant de me rendre compte que c'est impossible, il n'est pas mon esclave attitré, je ne peux pas le balader en ville, il est censé travailler. Tant pis, je le recroiserais peut être une autre fois, j'ai son nom, je pourrais peut être l'engager au domaine familial. Aucun doute, mon frère a déjà oublié son visage. Je lui tends le paquet à nouveau, et cette fois-ci, je le lâche quand il s'en empare. Des chips, j'en ai mangé toute ma vie, et je dévore facilement un paquet, peut être qu'il voudra faire de même.

Bon sang , je suis en train d'imaginer ma défunte mère qui m'observerait. Elle deviendrait folle , me secouerait la tête pour que j'arrête de tenir tête face à une Sans-Egale. Encore une Or normale passe encore mais là..

Pourtant , je ne peux pas m'empêcher de lui répondre à cette idiote , de faire mon sale con , de la chercher. Au fond de moi , je crois que je serai soulagé qu'elle me tue. Au moins , ce serait fini , ce serait rapide , et je pourrais me reposer dans la Vallée , si toutefois elle existe...

"Tu as la chance d'avoir accès à tout le savoir que tu pourrais désirer. Ce n'est pas mon cas. Je suis curieux oui , mais je n'ai pas vraiment d'opportunitées pour satisfaire cette curiosité..." , j'hausse les épaules , tentant de cacher le léger embarras d'avouer que j'aimerais apprendre et connaître plus de choses sur le monde. Je ne suis pas censé le révéler , non ? Ce n'est pas le genre de choses que l'on doit avouer ? On ne devrait même pas le ressentir , de fait...

"Avec l'âge , j'ai appris à ravaler ma déception..."

Je serai presque devenu sage , hein...La bonne blague. Néanmoins , je n'ai jamais pu m'instruire , c'est un fait. Quant à savoir si je suis vraiment différent des autres...Meh.

Je pense plutôt que les autres ont eu l'intelligence de changer , ou de réfuter leur nature profonde , et que moi , je n'ai pas pu.
D'ailleurs , ça fait de moi quelqu'un d'assez stupide , justement , de leur point de vue.

"Je ne sais pas si je suis différent..." , je réplique quand ma quinte de toux est terminée. "Peut-être que si tu t'intéressais plus à nous , toi ou d'autres Ors...Vous seriez surpris. Mais , c'est trop demander , hein ?" , je soupire , me retenant de lever les yeux au ciel. "Donc , tu me vois toujours comme un cobaye ? Que veux-tu donc expérimenter avec moi , Sans-Egale ? Satisfait ma curiosité , cette fois-ci..."

C'est complètement con , mais l'idée de passer davantage de temps avec elle n'est même pas vraiment pour me déplaire. Putain , je me suis déjà laissé envoûter ?
Quel crétin , je fais. Je suis comme les autres , en voilà la preuve. Je bave devant un pauvre paquet de chips , parce que je n'aurai jamais d'autres occasions d'en tenir un dans ma main.

"Je trouve cet aliment étrange , sûrement parce que je n'ai jamais eu l'occasion d'en goûter...Mais ouais , je crois que j'aime beaucoup." , je jubilerai presque quand elle me laisse le paquet. Ridicule encore une fois , mais je ne me fais pas prier pour continuer de manger le petit plaisir. Je dois engouffrer deux bonnes dizaines d'apéritifs. "Ca...Te dérange pas que je mange tout ?" , que je demande quand même au bout de plusieurs secondes , entre malaise et crainte.