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LE TEMPS D'UN RP

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Dinamite
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Mar 16 Mai - 10:55
 

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Kelly Morel vient de perdre sa grand-mère.
Son père étant décédé dans un accident de voiture plusieurs années auparavant, c'est elle qui hérite son aïeule.

Essayant de mettre de l'ordre dans ses affaires, elle va trouver une malle contenant des vieux papiers jaunis et difficilement déchiffrables, qui contiennent sans doute l'histoire que sa grand-mère n'a jamais réussi à lui raconter. 

Kelly commence à reconstituer un puzzle dont il n'est pas certain qu'elle détienne toutes les pièces...

De son côté, Ezra Davis est militaire, et sa vie tourne autour de sa carrière. 

Le destin va les mettre l'un sur la route de l'autre, mais sauront-ils tirer le meilleur parti de cette rencontre?

Contexte provenant d'une looooongue conversation sur discord
Dinamite
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Dinamite
Mar 16 Mai - 11:10

Kelly
Morel

Kelly Morel a 39 ans et elle est enseignante spécialisée pour les enfants hospitalisés.

Elle est celibataire n'ayant pas encore trouvé l'amour de sa vie.

A ses moments libres, elle écrit et illustre des livres pour enfants.

Zoe Ventoura.


- Je suis désolée, mon petit.

Sur l'épaule bienveillante de l'infirmière qui la berçait dans une étreinte chaleureuse et compatissante, Kelly Morel se laissa aller à sa douleur.

Elle était arrivée trop tard.
Un peu plus d'une heure, c'est le temps qui lui avait manqué pour lui permettre de faire ses adieux à sa grand-mère bien aimée.

Pourtant, elle avait pris la route dès qu'elle avait été contactée par l'hôpital, sans même prendre le temps de se rafraîchir ou de préparer de quoi se changer dans la soirée.

- Elle vous a attendu autant qu'elle a pu.

Avec sa grand-mère, elles avaient une relation fusionnelle. Elles s'aimaient tellement et se comprenaient si bien toutes les deux! Et comme elles avaient aimé passer du temps ensemble!

- Depuis le moment où elle vous a réclamé, elle n'a pas cessé de regarder vers la porte dans l'espoir de vous voir une dernière fois.

Kelly laissa échapper un sanglot qui l'étouffait et se blottit de nouveau entre les bras d'Audrey, cette infirmière si maternelle qui avait pris sa grand-mère en affection depuis son admission dans le service.

- Je pense qu'elle sentait qu'elle allait partir et qu'elle voulait vous transmettre un dernier message.

Une main caressant gentiment les cheveux de Kelly, Audrey lui racontait les derniers moments de sa grand-mère, peinée par cette douleur qu'elle percevait chez la jeune femme.

- Est ce qu'... Est ce qu'elle vous a demandé de me... de me transmettre... quelque chose? demanda Kelly dans un souffle.

- Mademoiselle Morel, je suis désolée, je... Non, pas vraiment, lui répondit l'infirmière, une main sur l'épaule de la jeune femme. Elle ne m'a pas vraiment demandé de transmettre un message, mais elle n'arrêtait pas de parler de vous. Et puis tout a la fin, elle avait l'esprit un peu moins clair, sous l'effet des médicaments qui altèraient aussi quelque peu sa diction. Ses pensées aussi un peu, sans doute. Elle vous parlait, elle divaguait, ce n'était plus très clair, vous savez.

L'infirmière fit une pause, le temps pour Kelly de reprendre contenance et d'essuyer discrètement ses larmes.

- Dites moi... S'il vous plaît, Audrey... Répétez moi ce qu'elle disait...

L'infirmière prit une longue inspiration comme pour se concentrer. Ce n'était jamais facile ces moments de détresse des familles après la perte d'un proche. Mais elle ressentait encore plus de pitié pour la jeune-femme qui semblait si seule pour endurer cette nouvelle. Elle se demandait où était le reste de la famille, et pourquoi Kelly était venue seule, pourquoi elle était le seul contact de feu Mme Elise Morel. Mais elle n'avait pas pour habitude de poser des questions intrusives. D'autant plus que la jeune femme lui semblait fragile en cet instant.

- Votre grand-mère a prononcé votre prénom plusieurs fois. Puis elle a dit "il est temps" et ensuite elle appelait "Daniel, Daniel". Puis de nouveau "Kelly, ma Kelly, je n'ai plus qu'elle". Ensuite elle s'est tue un bon moment avant de dire "mais je l'aimais tellement, pas le choix, pas le choix..." Elle était très agitée, elle se débattait, alors je me suis approchée pour lui prendre la main et elle a ajouté: "elle aussi n'a plus que moi". Puis elle s'est assoupie. Quelques minutes plus tard, elle a rouvert les yeux pour les fixer sur la porte et elle a dit: "il faudrait qu'elle... rende..." puis elle s'est mise a tousser et elle a été incapable de continuer. Elle est partie les yeux fixés sur le pas de la porte ou elle espérait vous voir apparaître. Je suis désolée mon petit.

Kelly hoqueta, les larmes roulant silencieusement sur ses joues. Elle ne fit rien pour les arrêter ou les sécher.

- Daniel? Daniel... je ne sais même pas qui c'est. Surement un vieil ami à elle, un écho de son passé... Ma grand-mère n'a jamais été très bavarde. Je crois que j'étais la seule a réussir a la faire s'ouvrir. Elle n'a jamais parlé de son vécu lors de la guerre, vous savez?

Audrey écoutait la jeune femme en silence, une main toujours posée sur son épaule, penchée vers elle pour lui montrer qu'elle était avec elle, qu'elle l'écoutait attentivement. Une oreille attentive dans un moment pareil était le mieux qu'elle pouvait offrir a la jeune femme.

- Elle n'avait plus que moi, c'est vrai, reprit Kelly d'une voix pensive. Depuis la mort de mon père dans un accident de la route il y a deux ans, la famille se résumait à nous deux, elle et moi. Rende, qu'elle rende... c'est ce qu'elle a dit? Elle ne devait plus réussir à parler... Elle voulait sûrement dire se rende... Mais où? Ou voulait elle que j'aille?

Sortant de ses pensées, Kelly se leva, se moucha, puis essuya ses larmes. Sa discussion avec Audrey lui avait fait beaucoup de bien, et elle l'en remercia chaleureusement.

- Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré, revivre les derniers instants de ma grand-mère avec vous m'a fait du bien, et je vous en suis reconnaissante, lui dit-elle en l'embrassant.

La vieille infirmière lui sourit en retour.

- C'était une femme merveilleuse et elle tenait tellement a vous. Je suis heureuse d'avoir pu être là pour elle à ses derniers instants. Prenez bien soin de vous, Kelly.

Kelly quitta l'hôpital, emportant les dernières affaires de sa grand-mère, qu'Audrey avait rassemblées pour elle dans un léger sac en toile.

Les jours à venir allaient être éprouvants pour elle, et déjà, la douleur de la perte de sa grand-mère bien aimée la secouait par vagues, manquant la faire sombrer. Elle rentra chez elle dans un état second, et se jeta sur son lit tout habillée, enfouissant son visage dans son oreiller pour y pleurer enfin tout son saoul.
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Jeu 18 Mai - 20:47

Ezra Davis
J'ai 43 ans et je vivais à Washington, mais travaille une grande partie de l'année en Jordanie. Dans la vie, je suis militaire et je m'en sors pas trop mal. Sinon, je suis divorcé et je consacre désormais le plus clair de ma vie à mon boulot.

En savoir plus.



- Signe ces foutus papiers, Ezra Davis.

La femme, les bras croisés contre sa poitrine, était perchée par-dessus l’épaule de l’homme, installé à son bureau, stylo à la main. Un élégant stylo à la plume recouverte d’or. Un vestige de son père, qu’il fallait recharger à l’aide de l’encrier en cristal qui trônait lui aussi si fièrement sur le bureau d’acajou. L’homme jeta un coup d’œil circulaire à la pièce, comme s’il la voyait pour la première et la dernière fois. Une page se tournait. Pour le pire, mais surtout le meilleur.

- Tu es et tu resteras le fléau de mon existence, Emma presque-plus-Davis-Jeffords, soupira-t-il, faussement exaspéré, en apposant la plume sur le papier.

Il parapha toutes les pages jusqu’à la dernière qu’il data et signa, avant de remettre son exemplaire à la femme.

Ainsi partaient en fumée plus de vingt ans de vie commune. Accompagnés d’une mauvaise boutade et une bise du bout des lèvres de la femme qui quitta les lieux sans demander son reste, ne laissant derrière elle que l’effluve entêtante de son parfum. Ezra soupira. D’aise et de soulagement bien plus que de tristesse.

C’était ce que l’on appelait une séparation à l’amiable. Il fallait le reconnaître, cela faisait quelques années déjà que leur couple battait de l’aile. Emma et lui n’étaient restés ensemble pour Lilly, mais dès l’instant où leur fille avait réussi ses SAT et que s’était concrétisée la perspective de son départ pour l’université, le mur déjà bien fissuré de leur union avait fini par s’effondrer. Leur fille ne s’était pas leurrée non plus. Elle savait qu’elle avait été pendant longtemps le ciment de cette fragile union. Elle ne leur en voulait pas. Loin de là. Elle était aussi heureuse qu’eux de ce qu’elle voyait – et Ezra lui admirait sa positivité à toute épreuve – comme une opportunité. Un nouveau souffle. Un renouveau.

Pour Ezra, le bilan était tout de même plus mitigé. Parce que même dans le divorce le plus cordial du monde, démêler l’inextricable enchevêtrement de leurs vies s’avérait une tâche particulièrement longue et chronophage. La paperasse administrative, les déclarations, le déménagement, les cartons. Du temps, il n’en avait malheureusement pas à revendre à volonté. Le quadragénaire venait tout juste de signer pour repartir en opex. Son changement de vie à lui. Bien plus radical que sa femme. Si le futur ex-couple mettait en vente leur domicile de Washington, c’était pour s’installer, pour l’une, à Chicago, et pour l’autre, pour s’envoler pour la Jordanie. Le peu d’affaires qu’Ezra avait prévu de récupérer était destiné à un garde-meuble.

Entre les deux, sa brillantissime Lilly, admise dans plusieurs universités de l’Ivy League, avait choisi UPenn pour pouvoir s’occuper de sa Nana. L’ancienne demeure familiale des Davis était idéalement située à Philadelphie, entre Fairmount et Lemon Hill, à un quart d’heure à peine de l’université à vélo. Et depuis qu’Agnès s’était cassé le col du fémur après avoir dégringolé dans les escaliers devant le perron de sa maison, Ezra était devenu plus inquiet de l’état de santé de la septuagénaire. Elle avait chassé manu militari les aides à domiciles qu’il avait tenté de lui envoyer pour la soulager au prétexte qu’elle n’était pas « impotente », n’acceptant que Luis, le charmant infirmier chargé de surveiller son processus de cicatrisation. Elle avait néanmoins accueilli avec enthousiasme l’idée de voir arriver « sa petite-fille préférée » à la maison. « Le retour de la petite-fille prodige ».

Le choix de Lilly était une petite victoire pour Ezra. Sa fille avait préféré rester vivre avec Nana Davis plutôt que de suivre sa mère à Chicago, alors même que son dossier lui ouvrait sans difficulté les portes de la très sélecte université de Chicago.

Ezra poussa un long soupir. Il ferma les yeux et appuya son crâne contre l’appui-tête de son siège.

- Monsieur, nous n’allons pas tarder à atterrir. Pourriez-vous relever la tablette devant vous et redresser le dossier de votre siège, s’il vous plaît ?
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Lun 29 Mai - 12:42

Kelly
Morel

Kelly Morel a 39 ans et elle est enseignante spécialisée pour les enfants hospitalisés.

Elle est celibataire n'ayant pas encore trouvé l'amour de sa vie.

A ses moments libres, elle écrit et illustre des livres pour enfants.

Zoe Ventoura.
  
Kelly conduisait vite, concentrée sur sa route afin d'essayer de ne pas repenser aux derniers événements.
Elle avait perdu sa grand-mère depuis deux semaines, et la douleur la poursuivait toute la journée, comme une seconde peau.

Elles avaient toujours été très proches, Kelly adorait cette grand-mère a l'esprit toujours jeune qui la gâtait outre mesure. L'aïeule et la petite fille aimaient particulièrement cuisiner ensemble lorsque la jeune femme était petite, se taquinant avec complicité. Elles avaient passé tellement de temps ensemble que Kelly et Elise se comprenaient comme deux sœurs. Et depuis que son père était mort, Kelly et Elise n'avaient plus qu'elles deux.

Enfin...Elise surtout...

Kelly secoua la tête pour chasser ces pensées douloureuses. Ne pas se souvenir, ne pas revenir sur cette conversation désastreuse...
Peine perdue. 
Les mots tournaient en boucle dans sa tête, ne lui laissant aucun répit. 

Elle l'avait appelée, le lendemain de la mort de sa grand-mère. Elle avait tellement espéré qu'elles pourraient recoller les morceaux... Elle en avait tellement besoin! 

Kelly alluma la radio à fond afin de faire taire les voix dans sa tête. Mais elle les entendait encore. Et encore...

***
- Maman? c'est Kelly... Tu...comment tu vas?
- Tu m'appelles pour quoi?
- Ma grand-mère est décédée hier et...

- Ah? Bon débarras!
Kelly sent son coeur battre a une vitesse folle a chaque fois qu'elle se rejoue cet appel stérile. Cette voix froide et ces mots blessants.

- J'ai besoin de toi, maman. Est ce qu'on pourrait se voir?
- A quoi bon? 
- Maman, pour l'enterrement, je...
- Compte pas sur moi! l'avait interrompue cette femme qui était pour elle comme une inconnue. Tu croyais quand même pas que j'allais faire le déplacement pour elle!
- Pour moi, maman! s'était- elle écriée d'un ton désespéré! Pour moi!
- Tu t'es très bien débrouillée sans moi pendant toutes ces années... Continue. Et elle avait raccroché.
 

***

Kelly changea de chaîne et baissa légèrement le volume. Pour ce que ça l'aidait, pas la peine aussi de devenir sourde.

La route défilait à toute allure, elle aimait la vitesse, c'était grisant.
Plus qu'une vingtaine de kilomètres et elle serait arrivée à la maison qu'elle héritait de sa grand-mère. La maison où elle avait passé toutes les vacances de son enfance. Pleine de souvenirs joyeux des merveilleux moments passés là-bas. Pleine de la présence de sa grand-mère, qui n'y viendrait plus, jamais. 

Enfin, elle bifurqua dans l'allée qui menait à son cottage. Elle se gara à la place qu'avait si longtemps occupée la voiture de sa grand-mère et se dirigea vers l'entrée, faisant crisser les graviers sous ses pieds. Elle aimait ce son. Elle l'avait toujours aimé.

En entrant dans la maison, elle se sentit oppressée par le silence. C'était la première fois qu'elle venait ici seule. Elle fit un tour complet  du propriétaire, ouvrant toutes les fenêtres afin d'aérer, la maison sentant une légère odeur de renfermé après des mois d'abandon. Elle s'attarda dans la chambre qu'elle avait occupée, des vêtements se trouvant encore dans ses placards. elle frappa les matelats, mis des draps propres sur le lit et déposa sa valise sur sa table basse. Dans la cuisine, elle rebrancha le frigidaire, donna un coup de propre sur les plans de travail poussiéreux, et rangea les quelques courses qu'elle avait faites en route.

S'occuper ainsi l'aidait à éviter de trop penser, ou de se laisser submerger par ses émotions.
Elle dépoussièra le bureau ou son père avait l'habitude de s'asseoir avec des amis lorsqu'ils lui rendaient visite, et de nouveau elle sentit la douleur de sa perte l'envahir. Deux ans qu'il était parti, et toujours cette douleur lancinante qui l'accompagnait.

Elle poursuivit son ménage avec acharnement, oubliant - ou préférant faire abstraction du fait  - qu'elle n'était là que pour deux ou trois jours, oubliant qu'elle devrait recommencer la prochaine fois.

Elle se rendit au jardin, où elle avait passé de si merveilleuses heures. Elle caressa d'une main le portique des balançoires qui commençait à rouiller. Elle déroula le tuyau d'arrosage et entreprit d'arroser l'herbe qui commençait à jaunir ainsi que le rosier dont sa grand-mère était si fière. 

Épuisée, elle se laissa enfin tomber sur le vieux canapé marron qui était là depuis bien avant sa naissance. En face d'elle, la télé était recouverte d'un napperon aux couleurs gaies, sur lequel étaient disposés des babioles qu'elle avait fabriquées pour sa grand-mère. Elle se releva pour les effleurer, souriant au souvenir de la joie et de la fierté de celle-ci quand elle les lui offrait. Avec sa mamie elle avait toujours l'impression d'être la plus belle, la plus intelligente, la plus drôle et d'être vraiment quelqu'un de spécial. Et maintenant le vide était d'autant plus grand.

Kelly regarda avec tendresse toutes les cassettes de ses dessins animés préférés, alignés religieusement sur une étagère. Elle se demandait si le vieux magnétoscope marchait encore.Elle prit une cassette au hasard et lança la lecture, heureuse de voir que l'appareil marchait toujours. Il lui sembla entendre sa grand-mère qui lui disait à l'oreille: "rembobine toujours a la fin de la cassette, princesse, c'est plus agréable pour la prochaine fois". 

Et, épuisée, elle s'endormit devant son dessin animé.

***

Le lendemain matin, enfin reposée, elle prit un petit déjeuner en sachant que la tâche la plus difficile l'attendait aujourd'hui. Toute la journée de la veille, elle avait évité la chambre de sa grand-mère. Mais elle était venue aussi pour ça. 

Prenant enfin son courage à deux mains, elle entra dans la grande chambre plongée dans la pénombre. Prise d'un coup d'angoisse, elle se dépêcha d'ouvrir les volets et la fenêtre, et se força à respirer lentement et profondément.

Une fois calmée, elle se mit à ouvrir les tiroirs de son aïeule, respirant son odeur sur chacun de ses vêtements encore pliés, ou pendus dans son placard. Kelly mit son nez dans la robe de chambre qu'elle trouva accrochée à l'intérieur de la penderie, se laissa tomber à genoux devant le placard ouvert et éclata en sanglots. 

Après un long moment à reprendre ses esprits, elle ouvrit les yeux et son regard s'arrêta sur une grande forme longue qui emplissait le fond de l'armoire. Toujours à quatre pattes, elle tendit la main et ses doigts rencontrèrent les bords de ce qui semblait être une grande boîte.

Curieuse, elle tira de toutes ses forces, et réussit à sortir une malle en cuir de taille moyenne. Elle dut se débattre un moment avec les serrures un peu rouillées et finit par réussir à l'ouvrir.

Avec précaution, elle en sortit un paquet de lettres, dont le papier était jauni par le temps. Elle prit la première de la pile, qui était dans une enveloppe sans nom ni adresse.

Étonnée, elle lu:
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19 décembre 1946
Rends le moi, Lucienne, je t'en supplie! Rends moi ce qui m'appartient! Où es-tu? Dis moi juste où tu es, laisse moi venir te voir, tu ne peux pas me faire ca!
Madeleine

----------------------------------------------------------------------------------------------------


Qu'est ce que ça signifiait? Qui était Lucienne? Et Madeleine?
Et pourquoi ces lettres se trouvaient-elles dans le placard de sa grand-mère?Curieuse, Kelly ouvrit une seconde lettre.




----------------------------------------------------------------------------------------------------
17 mai 1946
Lucienne,
Où êtes vous? Est ce que tu te caches? Est- ce exprès que tu ne réponds plus à mes lettres? Je t'en pris, dis moi que ce n'est pas vrai, tu n'as pas fait ça! Tu ne peux pas me faire ça. Je dois le récupérer, Lucienne, dis moi juste où et quand?

Madeleine.

----------------------------------------------------------------------------------------------------


Pensive, Kelly resta un très long moment à contempler ces lettres dont elle ne comprenait pas la teneur.
Pas plus qu'elle ne connaissait les correspondants ou ne comprenait ce que ces lettres faisaient là, dans la malle de sa grand-mère, dans son placard.

Elle emporta le paquet de lettres dans sa chambre, refermant doucement le couvercle de la malle sans même en vérifier le contenu, trop intriguée par cette vieille correspondance qu'elle venait de découvrir.

Elle lut encore deux lettres - dont le contenu était assez semblable à celles qu'elle avait déjà ouvertes - avant d'arrêter. Elle n'avait peut-être pas le droit de lire cette correspondance qui ne lui était pas adressée et ne la concernait pas. Mais en même temps, celle-ci se trouvait, de façon incompréhensible dans la maison qui à présent lui appartenait.

Toute la journée, elle resta pensive à se demander quoi faire, mais au final, avant de reprendre la route, elle choisit de remettre le paquet de lettres à leur place. Elle avait suffisamment de soucis pour ne pas en apporter davantage avec elle. Et puis elle reviendrait bientôt. 

Elle avait juste noté les noms et adresses trouvés sur une des enveloppes.
Madeleine Montavon et Lucienne Guerin.
Elle pourrait déjà chercher à savoir qui elles étaient.
Asma
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Lun 29 Mai - 16:39

Ezra Davis
J'ai 43 ans et je vivais à Washington, mais travaille une grande partie de l'année en Jordanie. Dans la vie, je suis militaire et je m'en sors pas trop mal. Sinon, je suis divorcé et je consacre désormais le plus clair de ma vie à mon boulot.

En savoir plus.



Une vague de chaleur le cueillit à la sortie de l’aéroport. Rien à voir avec le climat encore printanier de Washington. Ici, l’air était chaud et sec. Dans l’azur d’un ciel où régnait un soleil de plomb, un halo beigeâtre enveloppait la silhouette de la ville. La poussière de sable en suspension dans l’air. Au milieu des bâtisses rectangulaires de pierre couleur sable, la végétation était assez peu abondante. Construite sur sept collines, Amman, ancien carrefour de civilisation, restait une cité du désert. Plus verte que d’autres, pourtant. Mais encore une fois, rien de comparable avec Washington. De toute façon, le brun n’y fera pas long feu. Il s’agissait d’un simple touch and go à l’ambassade, après quoi il reprendrait la route en direction d’Azraq. Sa destination finale était la base aérienne de Muwaffaq Salti.

Le véhicule climatisé qui était venu le récupérer à l’aéroport ralentit pour croiser un curieux troupeau de moutons noirs et blancs. Sur la route. Ezra se passa une main fatiguée sur le front. En dépit du somnifère qu’il avait pris, il n’avait pas réussi à fermer l’œil de tout le vol. Tout ce que ce satané cacheton lui avait valu était maintenant d’avoir la sensation que sa tête était emprisonnée dans une énorme boule d’ouate. Un chose était certaine, il n’était pas en train de l’halluciner, cette curieuse vision. Le berger, dans son survêtement élimé qui n’avait rien du tout d’un quelconque habit traditionnel, fit un signe au conducteur. Celui-ci, impassible, poursuivit comme s’il n’y avait rien d’étrange à tout cela.

Cela faisait vraiment trop longtemps qu’Ezra n’avait plus quitté le territoire américain. Il avait pourtant tant bougé au début de sa carrière. Puis Lilly était née et sa femme – son ex-femme, désormais – lui avait reproché de ne pas suffisamment être présent à la maison. Alors il avait levé le pied. Il avait demandé du boulot « de bureau ». Il avait opté pour une vie un peu plus « rangée ». Moins de déplacement, du travail d’analyste. Puis des postes plus politiques. Tout aussi prenants, mais au moins il rentrait chez lui le soir. Il voyait sa fille grandir. Il avait aussi très bien vu son mariage s’étioler. Comme quoi, la distance n’avait jamais vraiment été le problème. Pendant des années, il avait rongé son frein. Mais maintenant qu’il n’avait plus d’attache, il était heureux de pouvoir retourner sur le terrain.

En sortant de la voiture, Ezra sentit presque instantanément une goutte de sueur se former dans le creux de sa nuque et dévaler le long de sa colonne vertébrale, sous sa chemise de lin gris clair. Le changement de température était agréablement dépaysant. Il fut étonné de réaliser à quelle vitesse on pouvait se déshabituer de tout cela. De la chaleur, en particulier. La trotte fut courte jusqu’à l’entrée de l’imposant bloc parallélépipédique qu’était l’ambassade américaine.

- Bienvenue en Jordanie, Davis, le salua immédiatement un type au sourire bien trop blanc pour être honnête.

L’entrevue dura 45 minutes, montre en main. 45 minutes au cours desquelles Ezra apprit tout ce qu’il avait besoin de savoir sur le pays et sa mission. 45 minutes au cours desquelles il eut l’occasion de réaliser que ce séjour serait bien plus que ce à quoi il s’était initialement attendu. 45 minutes pour réaliser que cela commencerait dès maintenant et sans aucun répit.
- Je viens à peine d’arriver ! avait-il maugréé pour la forme. Vous pourriez me laisser 24 heures, au moins le temps de me remettre du décalage horaire.
- Tu connais le drill.
- Ouais, je sais.

Ça ne l’avait pas empêché de râler pour autant.

Son chauffeur l’attendait gentiment à proximité du véhicule qui devait l’emmener à sa prochaine destination. Prochaine destination où il ne ferait pas non plus long feu. Le chauffeur avait reçu pour instruction de le conduire à son logement pour y poser son semblant de valise, avant de repartir aussitôt pour la base et s’équiper pour la suite. Dans l’immédiat, l’homme campait sous un auvent qui l’abritait du soleil. Ezra sortit une cigarette de son paquet qu’il lui tendit ensuite. Akram, se présenta le chauffeur en le remerciant. Ce qui se traduisait par « le plus généreux ». Et généreux il fut.

Leurs cigarettes terminées, plutôt que de repasser par les grands axes, le sympathique homme fit un détour par le nord puis à travers centre historique d’Amman avant de prendre la route vers l’est. Il lui fit traverser la vieille ville, lui permettant d’entrapercevoir la grande mosquée du roi Hussein, la mosquée bleue du Roi Abdallah I, le théâtre romain, la citadelle de Jabal Al Qala’a. Le grand tour. Voilà en résumé tout ce que son voyage aurait de touristique. Ils rejoignirent la route 40 qui les conduirait, en presque ligne droite à travers le désert, à Azraq et son oasis menacée de disparition.

Contrecoup de son somnifère et de la monotonie de la route, Ezra finit par s’assoupir et ne rouvrit les yeux qu’à destination quand Akram lui secoua gentiment l’épaule. Il frotta ses yeux pour chasser les dernières traces de sommeil et sortit.

- J’en ai pour 30 minutes grand max’.

Il l’attendrait là. Le brun lui offrit une nouvelle cigarette que son chauffeur accepta poliment.

Il disparût dans le bâtiment. Entré dans le petit appartement qu’on lui avait attribué, Ezra ne prit pas la peine de défaire sa valise. Il en tira simplement une chemise moins froissée que celle avait laquelle il avait fait le voyage et des sous-vêtements propres. De toute façon, il ne tarderait pas à changer une nouvelle fois de tenue. Il prépara rapidement un sac bien plus petit. Il consacrerait le peu de temps qu’il lui restait à deux choses. La première : prendre une longue douche bien chaude, parce que ce serait sûrement sa dernière douche chaude avant un petit moment. Voire sa dernière douche tout court. La seconde : appeler Lilly.

Quelle heure était-il à Philadelphie ? Pas grave, il avait besoin de lui parler. Il avait besoin d’entendre sa voix. Parce que, de la même façon, il ne l’entendrait probablement plus avant un moment. Il fit tout de même un rapide calcul de tête. Il était presque une heure de l’après-midi ici. Six heures du matin à la maison. Ça pouvait être pire.

- Mmmm ?
- Je te réveille, ma puce ?
- Mmmm.
- Je te réveille.
- T’es bien arrivé, p’pa ? articula tant bien que mal sa fille, la voix encore pâteuse.

Ezra sourit. Il imaginait sans difficulté les marques d’oreiller sur sa figure et l’amas de boucles châtains écrasées contre sa figure du côté où elle avait dormi.

- Je suis désolé, ma chérie, je ne resterai pas longtemps. Je voulais simplement t’avertir que je ne serai pas joignable pendant quelques jours.

La phrase sembla avoir fini de réveiller la jeune fille tout d’un coup. Elle paraissait plus vive et alerte au bout du fil.

- Y’a un souci, p’pa ?
- Non, pas de souci, ma puce. C’est le job, c’est tout.
- Pendant combien de temps ? Le coupa-t-elle presque.
- Je ne sais pas exactement. Une semaine ? Peut-être deux ? Ça dépend de beaucoup de choses que je ne contrôle pas. Je te promets d’essayer d’appeler dès que je pourrai.

Il y eut un blanc au bout du fil. Elle était en train de se ronger les ongles. Il en était persuadé. C’était un des tics de sa fille quand elle était stressée et qu’elle essayait de ne pas le montrer.

- Occupe-toi bien de Nana, poursuivit Ezra. Et de tes cours ! Je te rappelle dès que je peux.
- Je t’aime, p’pa.
- Je t’aime, ma puce.  

Lorsqu’il le retrouva au pied du bâtiment, Akram lui tendit une tasse d’un liquide noir brûlant. Un café très serré. Sans sucre. Excellent. Juste ce qu’il lui fallait. En approchant du fond du gobelet, le liquide devenait plus épais. Ezra savoura. Ça non plus, il ne savait pas quand il aurait l’occasion d’en profiter de nouveau.
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Lun 19 Juin - 10:22

Kelly
Morel

Kelly Morel a 39 ans et elle est enseignante spécialisée pour les enfants hospitalisés.

Elle est celibataire n'ayant pas encore trouvé l'amour de sa vie.

A ses moments libres, elle écrit et illustre des livres pour enfants.

Zoe Ventoura.


Madeleine Montavon. Lucienne Guerin.

Kelly ne cesse de tourner ces noms dans sa tête, se demandant encore et encore qui sont ces personnes, et pourquoi une correspondance entre elles deux peut bien se trouver dans une malle cachée dans une armoire chez sa grand-mère?

Elle a tenté de faire des recherches, mais c'est voué à l'échec: le nom Guerin est bien trop courant pour donner un résultat probant. Quant à  Madeleine Montavon, elle n'a pas réussi à trouver un numéro de téléphone correspondant à cette adresse.

Elle se demande à présent que faire. Bien sûr, elle pourrait écrire à l'adresse écrite sur l'enveloppe, mais la lettre datant de 1946, il y a de fortes chances que la personne concernée n'y habite plus de longue date. 

Perdue dans ses pensées, Kelly ne peut s'empêcher de se poser des questions. Qui sont ces deux personnes? Que font leur lettres chez sa grand-mère? Pourquoi celle-ci ne lui en a jamais parlé? Et puis, est-il bien utile de chercher à le savoir?

Kelly ne peut s'empêcher de se dire que si sa grand-mère a gardé cette correspondance si longtemps, elle a une quelconque importance. Et à présent, elle est curieuse de savoir laquelle. 

Heureusement qu'elle a laissé toutes les lettres a leur place!
Elle n'aurait pas pu se retenir de les lire si elle les avait maintenant à portée de main. Et il serait assez inconvenant de le faire avant de savoir à qui elles appartiennent.

Kelly se souvient des derniers mots de sa grand-mère que l'infirmière lui a transmis: il s'agissait de rendre.

Qu'elle rende...
Qu'elle rende quoi? Les lettres? La malle? Peut être contient t-elle quelque chose de précieux que sa grand-mère gardait pour quelqu'un et qu'elle souhaitait que Kelly puisse restituer? 

Qu'elle rende...
Soudain, une horrible pensée lui traverse l'esprit: le cottage!
Est-il possible que la maison ne lui appartienne pas? Qu'elle n'appartenait pas à Élise et qu'à présent elle voulait que Kelly le rende? Mais à qui?

Il faut absolument qu'elle cherche les papiers de propriété, qu'elle vérifie tout ça, qu'elle joigne le notaire de sa grand-mère. Celui-ci a essayé de la joindre par deux fois deja, et elle ne pouvait pas répondre à chaque fois. 

Toutes ces questions la troublant trop, elle avait même fait quelque chose de complètement inutile: elle avait de nouveau téléphoné à sa mère.

C'était idiot bien sur, mais Kelly ne pouvait s'empecher de garder espoir qu'un jour, elle pourrait lui téléphoner comme n'importe quelle fille qui voulait parler avec sa mere.

Des années avec la même aspiration... 
Le genre d'espoir qu'on ne laisse jamais tomber, parce que l'oublier fait plus mal que s'y accrocher en se disant qu'on se ment à soi-même.

**********
- Maman?
- Ah. Kelly. Qu'est ce que tu veux encore?
- Ce que je voudrais, c'est avoir une conversation normale avec ma mère. Mais je t'appelle pour savoir si les noms de Madeleine Montavon et Lucienne Guerin te disent quelque chose? Tu les connais? Tu en as entendu parlé?
- Non.
- Des amies a mamie peut êtr...
- Je ne sais pas. Laisse-moi tranquille, Kelly.
- Mais c'est important pour moi, essaye de te rapp...

La tonalité dans le combiné lui avait fait comprendre que sa mère avait deja raccroché.
**********

Soudain décidée, Kelly s'installe à son bureau avec feuille et stylo. Elle va écrire une lettre. Et elle l'enverra à l'adresse de Madeleine Montavon.

Avec un peu de chance, quelqu'un  la bas saura lui dire si cette personne est encore en vie, ou ce qu'elle est devenue. Peut être pourra t-elle joindre quelqu'un de sa famille. Et lui restituer ses lettres.
Ou peut-être... d'avantage. 

Et passer à autre chose.

Dans le monde tellement connecté d'aujourd'hui, il lui semble complètement bizarre d'envoyer une lettre. Manuscrite. Avec timbre. Elle ne l'a plus fait depuis longtemps.
Mais ça a aussi une certaine saveur d'authenticité. Kelly s'applique à écrire, appréciant cette réflexion que cela nécessite, différente des mails ou des discussions instantanées auxquelles elle est habituée.

Cependant, elle ajoute quand même son adresse mail, espérant que son ou sa correspondante l'utilisera pour lui répondre. Elle est deja impatiente d'en savoir plus!

Après un long moment, elle se relit, puis, satisfaite, elle plie sa lettre soigneusement, colle un timbre et glisse la lettre dans son sac a main, afin de la poster à la première occasion.

**********
Madame/Monsieur,

Bonjour, je m'appelle Kelly Morel, et je me permets de vous contacter afin de, peut-être, vous restituer quelque chose qui vous appartient.

J'ai effectivement retrouvé des lettres écrites par Madame Madeleine Montavon a partir de cette adresse, en 1946. Les lettres étaient adressées à Mme Lucienne Guerin.

Il s'agit d'un paquet de lettres qui formaient une correspondance apparemment fournie.
Dans l'une des lettres - que je me suis permise de lire afin de comprendre de quoi il s'agissait - Madeleine Montavon demandait à Lucienne Guérin de lui rendre quelque chose.

Je précise que cette correspondance a été retrouvée dans une malle d'époque d'assez grande taille, dont je n'ai pas fait l'inventaire du contenu, souhaitant d'abord en savoir davantage sur son propriétaire.
 
J'ai retrouvé tout ça dans la maison de ma grand-mère, Mme Elise Morel, décédée récemment.

Connaissez vous l'une des personnes citées, ou sauriez vous où et comment je pourrais les joindre pour en savoir plus?

Je vous joins mon adresse mail afin que vous puissiez me contacter plus rapidement et plus facilement: km.kelly.morel@gmail.com

Dans l'attente de votre réponse, je vous prie de recevoir, Madame/Monsieur, mes sincères salutations,
Kelly Morel

Asma
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Lun 19 Juin - 18:49

Ezra Davis
J'ai 43 ans et je vivais à Washington, mais travaille une grande partie de l'année en Jordanie. Dans la vie, je suis militaire et je m'en sors pas trop mal. Sinon, je suis divorcé et je consacre désormais le plus clair de ma vie à mon boulot.

En savoir plus.



Ezra était éreinté. La mission avait été bien plus dure qu’il ne l’avait initialement anticipé. Il avait eu si peu de temps pour s’y préparer. Le décalage horaire dans les pattes. Mais il y était allé. Il avait vu ce qu’il avait à voir, il avait entendu ce qu’il avait à entendre. Il avait collecté les renseignements pour lesquels il avait été envoyé sur place. Certains sons et certaines images ne le quitteraient plus. Il en était certain. On ne ressortait jamais totalement indemne d’une telle mission. Ezra le savait. Il l’avait acceptée avec tout ce qu’elle impliquait.

Ezra était éprouvé. La mission avait été plus longue que prévue aussi. Il passa une main lasse sur son visage, frotta ses yeux et ses tempes. Assis sur le tabouret de bar devant l’îlot central en marbre de sa cuisine ouverte, il ralluma son téléphone portable. Celui-ci était encore sur vibreurs. Soudain, l’appareil sembla pris de convulsions. Comme s’il était en pleine crise d’épilepsie, il ne cessait plus de sonner et de vibrer. Des dizaines de notifications en tous genres. Messages sur son répondeur, appels manqués, SMS, messages WhatsApp et notifications d’applications. Ezra ouvrit son application de messagerie instantanée et se concentra sur la seule personne qui lui importait vraiment : Lilly.

Il n’avait eu aucun message ni appel de sa fille pendant plusieurs jours. Et puis d’un coup, sa messagerie explosait. Il avait reçu des messages tous les jours. Plusieurs messages par jour. Une infinité de messages. Son cœur gonfla de bonheur en même temps qu’il se serra. Lilly était sa plus grande fierté. Lilly était son rayon de soleil. Et il l’aimait plus que tout au monde.

« Coucou papa, tu es bien rentré ? »
« Souci de tel ? »
«  Allôôôôô ! Papa, réactive ta data ! »
« Papa, j’ai essayé de t’appeler, mais je tombe direct sur le répondeur, il y a un souci ? »
« Il s’est passé un truc bizarre. Nana ne veut plus me parler depuis deux jours, tu peux m’appeler stp ? »
« Papa. »
« Papa ? »
« Papa ? »
« J’espère qu’il ne s’est rien passé de grave. J’ai voulu appeler Miles aujourd’hui, comme tu m’as dit de faire si je m’inquiétais, mais je me suis retenue. Je n’ai pas envie de penser qu’il t’est arrivé malheur. »
« ça doit être normal, ce genre de coupure de communication, non ? En tout cas, quand tu as mon message, rappelle-moi stp ! »
« Rappelle-moi. »
« Papa, quand tu auras ce message, appelle-moi stp »
«  Plop ? »
« Bon, toujours pas de nouvelles… J’ai eu Miles hier soir. Il m’a dit que c’était normal. C’est normal, hein, dis ? »
« Pa »
« pa »
« Pa »
« pa »
« Pa pa papapapa pa ! »
«  Ah, nul, je viens de me mettre le générique de Star Wars en tête »
« Allez, j’arrête de te spammer ton tel qui de toute façon doit être éteint. Appelle-moi quand tu rentres. »
« S’il te plaît »

Le quadragénaire cessa de faire défiler les messages et appela aussitôt sa fille. Il réalisa trop tard qu’il n’avait pas pris en compte le décalage horaire. Il était 22 heures. Ce qui signifie qu’on était au milieu de l’après-midi à Philadelphie. Lilly était très certainement en cours. Il allait devoir prendre son mal à patience.

- Papa ! S’exclama la voix familière de sa fille adorée alors qu’il s’apprêtait à raccrocher.

L’inquiétude latente était perceptible dans sa voix mais ses yeux respiraient le soulagement. Ezra lui adressa un large sourire.

- Bonjour ma chérie.
- Papa ! Tu vas bien ?

S’ensuivit un long interrogatoire de la part de sa fille. Ezra esquiva un grand nombre de questions. « Qu’est-ce que tu as fait ? Où es-tu allé ? Pourquoi ça a duré si longtemps ? Il y a eu un problème ? ». Il n’avait pas le droit de répondre, elle le savait. Ça ne l’empêchait pas de le mitrailler de questions. Sa façon à elle d’évacuer tout le stress qu’elle avait accumulé au cours des derniers jours. Parce qu’elle s’était fait un sang d’encre pour lui.

- Au fait, tu ne devrais pas être en cours, toi ? La réprimanda gentiment Ezra.
- Si, mais c’est un cours de socio appliquée. Je le rattraperai avec Renée.
- René ?
- René-E. Ma copine, Renée. Je t’en ai parlé, papa. Tu ne suis rien du tout.
- Tu as raison, ma chérie. Je suis désolée, je suis un peu fatigué.

Ezra frotta sa tempe de la pulpe de son pouce.

- Et à la maison ? Comment ça se passe avec ta Nana ?
- Oh, c’est de ça dont je voulais te parler ! Nana a reçu un truc bizarre la semaine dernière. Une lettre. Genre arrivée par avion. Tu sais, avec le tampon, là. Enfin une lettre quoi, de la poste. C’est moi qui l’ait récupérée dans la boîte aux lettres.

Lilly débitait son propos à toute vitesse, comme à chaque fois qu’elle était excitée par quelque chose. Ezra avait parfois du mal à la suivre quand elle était dans cet état. En dépit du début de migraine qui le menaçait, il s’efforça de ne rien manquer. Le militaire se leva et, téléphone à la main, alla au frigo récupérer une bouteille d’une boisson isotonique au contenu bleu fluo. Il avait besoin de s’hydrater. Beaucoup.

- Et j’ai cru qu’il y avait une erreur, t’sais, parce que le nom de l’enveloppe était bizarre, poursuivait la jeune fille sur sa lancée. Alors je l’ai ouverte pour être sûre. Et puis ça a commencé à me dire quelque chose. Et j’ai réalisé que c’est parce que c’était le prénom de G-G-ma.  Mais avec un nom bizarre à côté. J’ai voulu lire, mais je ne comprenais rien au reste. Je veux dire, c’était pas écrit en anglais.
- Pas en anglais ?
- Nan, c’était du français. Du coup, je l’ai passée à Nana, parce que tu sais…

Evidemment qu’il savait. Sa Nana était celle qui avait insisté pour qu’Ezra apprenne le français quand il était petit. Puis il s’était épris d’autres langues. Il en avait appris une autre, puis encore une. Au point qu’il avait fini par en faire partie intégrante de son métier. Il était bon à ce qu’il faisait parce qu’il parlait et comprenait plusieurs langues.

- Mmm.
- Ouais, donc je l’ai passée à Nana. Et elle l’a lue…

Lilly s’arrêta, semblant soudain gênée.

- Elle l’a lue, et ?
- Et elle s’est mise à pleurer. Mais je ne sais pas pourquoi. Et pendant plusieurs jours elle a fait une drôle de tête. J’ai voulu récupérer la lettre mais elle n’a pas voulu. J’sais pas pourquoi, dans le fond, je n’y comprends rien, de toute façon.

Ezra fronça les sourcils, manifestement préoccupé.

- Tu crois que tu pourrais la retrouver et me la scanner, ma chérie ?
- Ouais. Ouais, je vais essayer de faire ça. J’te l’enverrais par mail… quand j’aurai réussi à remettre la main dessus.

Sur le coup des cinq heures du matin, la notification de son téléphone lui fit ouvrir les yeux. De toute façon, il ne dormait pas. Entre le contrecoup du retour de mission et le mystère autour de la missive reçue par Nana, il n’était pas parvenu à trouver le sommeil.

« Je viens de te le faire suivre par mail. Bisous ! »

Ezra se redressa dans son lit et s’adossa à la tête de lit, rajustant son oreiller dans son dos. Il attrapa son PC portable qui traînait sur son couvre-lit et l’ouvrit sur ses genoux. Au loin résonna l’appel à la prière du muezzin. Il se frotta la barbe et ouvrit sa messagerie. Il s’épargna le demi-million de mails non lus et ouvrit directement le dernier envoi de sa fille.

Il lut une première fois le texte manuscrit en pièce-jointe et réalisa que son français était quelque peu rouillé. Il parcourut une nouvelle fois la missive pour s’assurer qu’il en avait bien compris le contenu. Quand ce fut chose faite, le militaire s’empourpra. Mais qu’est-ce que c’était que cette connerie ? On s’en prenait aux personnes âgées par courrier postal, maintenant ? Les princes nigérians et veuves multimillionnaires ne passaient plus par chaînes de mails ?

La réaction sensée aurait consisté à supprimer ce courriel et suggérer à Lilly de mettre la lettre à la poubelle, mais quelque chose tira désagréablement sur sa corde sensible. On cherchait à manipuler des personnes âgées, dont une était même en maison de retraite ! Si cet escroc espérait faire tomber de vieilles femmes dans un piège aussi gros, il n’allait pas être déçu.


____________________________________
De : ez.d@protonmail.com
A : km.kelly.morel@gmail.com
____________________________________

Chère Madame (si tant est que vous soyez une dame),

Je ne sais pas comment vous avez trouvé nos coordonnées ni même comment vous avez eu connaissance de ces informations, mais ce que vous faites est absolument abject. La fille de Madeleine est une dame d’un certain âge qui n’a pas besoin d’être ainsi torturée par des fadaises concernant sa mère. Elle ne vous enverra pas d’argent pour faire venir quoi que ce soit qui aurait soi-disant appartenu à sa mère. Elle ne donnera aucunement suite à cette évidente tentative d’abus de faiblesse et d’escroquerie.

Je vous prierai à l’avenir de bien vouloir cesser de l’importunité et ne plus jamais tenter de la contacter. Dans le cas contraire, je me verrai dans l’obligation de signaler vos plis aux autorités compétentes.

BàV,
ED

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Mar 20 Juin - 12:36

Kelly
Morel

Kelly Morel a 39 ans et elle est enseignante spécialisée pour les enfants hospitalisés.

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Zoe Ventoura.


Accablée par des insomnies depuis plusieurs jours, Kelly baillait à s'en arracher la mâchoire. 
Elle jeta un regard fatigué sur l'écran de son réveil à cadran lumineux, et soupira en constatant qu'il était à peine plus de 5 heures du matin. Se retournant de l'autre côté, elle essaya de se rendormir. 
Rien à faire.

Déprimée, elle rejeta sa couverture dans un mouvement brusque, et décida de se lever.
Quitte à passer une journée interminable, autant la débuter dès maintenant avec un cappuccino pour lui remonter le moral. Introduisant une capsule dans sa machine à café, elle consulta sa boîte mail d'un œil vitreux.

Soudain, un mail d'une adresse inconnue fit battre son cœur plus rapidement dans sa poitrine: une réponse à sa lettre, enfin!

Avec impatience, elle cliqua sur le courriel entrant et le parcourut rapidement.

Ce qui lui fit l'effet d'une douche froide. 
Son humeur deja mise à mal par son manque de sommeil, il n'en fallait pas plus pour la faire partir au quart de tour!

Sans réfléchir, elle pianota rapidement une réponse.


____________________________________
De : km.kelly.morel@gmail.com 
A :  ez.d@protonmail.com
____________________________________

Cher/e Monsieur/Madame ED (puisque vous n'avez pas eu la courtoisie de vous présenter)

Vous êtes censé/e savoir comment j'ai eu vos coordonnées, puisque je vous l'expliquais de façon claire dans ma lettre.
 
Vous portez des accusation tout à fait injustes quant à ma démarche, alors même que je n'ai nullement réclamé d'argent, ni fait aucune menace, contrairement a vous!

Que vous puissiez m'accuser d'une "évidente tentative d'abus de faiblesse et d'escroquerie" à l'encontre d'une personne âgée, alors même que je vous signale dans ma lettre le décès récent de ma grand-mère me semble être le comble de la malséance!

Il est plus que probable que la fille de Madeleine serait heureuse de savoir que des vieilles lettres écrites par sa mère ont été retrouvées, ainsi que peut être quelque objet lui ayant appartenu, et vous feriez mieux de le lui demander au lieu de prendre des décisions fatidiques à sa place.

Mes plus protocolaires salutations,

Mademoiselle Kelly Morel.
____________________________________



Quelques gorgées de café réconfortant plus tard, Kelly regretta d'avoir répondu aussi impulsivement. 
La personne qui lui avait écrit était peut être sincèrement inquiète pour cette parente âgée, et qui mieux qu'elle aurait dû le comprendre.

Ou peut-être qu'il ou elle avait répondu avant son premier café du matin...
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Asma
Mar 20 Juin - 20:15

Ezra Davis
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En savoir plus.



____________________________________
De : ez.d@protonmail.com
A : km.kelly.morel@gmail.com
____________________________________


« Mademoiselle »,

Je ne sais même pas pourquoi je prends la peine de répondre à ce message. La fatigue, sûrement.

Si vous ne viviez pas à un âge de pierre où l’on envoie encore des courriers papier, vous sauriez peut-être combien de messages de pseudo veuves éplorées venant juste de perdre leur mari, sur le point d’elles-mêmes mourir d’un cancer et voulant « par la grâce de Dieu » vous offrir quelques millions de dollars en échange d’un versement initial de quelques milliers on peut recevoir par semaine. Vous comprendriez ainsi pourquoi il est difficile en première intention de prendre au sérieux un tel message. Je ne vous demanderai pas de vous mettre à ma place, mais…

Quant à votre lettre, elle a trouvé son chemin jusqu’aux Etats-Unis par le circuit le plus incongru qui soit. Disons simplement qu’il repose sur des connaissances de connaissances et un réseau postal étonnamment efficace pour un pays dont la réputation porte principalement sur ses pommes frites, son foie gras et ses grèves.

Enfin, et je ne sais pas pourquoi je me sens le besoin de le préciser à une parfaite inconnue, mais Agnès souffre depuis quelques temps de démence et quand bien même votre affaire serait authentique, je ne mettrai pas entre ses mains des choses plus à même de la perturber.

Si vraiment vous insistez, je peux vous communiquer les coordonnées d’une boîte postale à laquelle vous pourrez adresser ces lettres. Mais sachez d’ores et déjà que je ne vous virerai aucune somme d’argent quelle qu’elle soit.

BàV,
Monsieur ED

PS : Si ceci n’est pas une arnaque, mes sincères condoléances pour votre grand-mère.

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Jeu 22 Juin - 10:25

Kelly
Morel

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« Monsieur ED »,

Eh bien, elle a bon dos, la fatigue...

Si vous n'aviez pas tant à cœur de m'insulter de nouveau, je pense que vous seriez capable de reconnaître honnêtement que le meilleur moyen de contacter une personne ayant écrit la lettre qui se trouve entre mes mains en 1946 était l'envoi d'un courrier papier.

Je doute fort que ladite personne soit très active sur les réseaux sociaux, n'est ce pas, monsieur je-critique-avant-de-réfléchir?

Je ne m'abaisserais pas à vous imaginer obèse, portant une casquette et fan de football uniquement pour prêter foi aux clichés qui, a vous lire, sont à prendre à cœur comme des faits.

Je suis sincèrement désolée d'apprendre qu'Agnès - la fille de Madeleine, je suppose - souffre de démence et je comprends tout à fait que vous ne souhaitiez pas la perturber davantage.

C'est pourquoi je ne vois pas bien l'intérêt d'adresser les lettres a une adresse postale que vous pourriez me communiquer.

Si c'est pour que ces lettres dorment ailleurs, je vous avoue que je préfère encore les garder ici et essayer de comprendre de quoi il retourne.

Après tout, elles se trouvent dans un placard de ma propre grand-mère, peut-être laissées à sa garde, et par conséquent je me sens tout autant concernée.

Enfin, puis-je, monsieur, me permettre de vous demander quel est votre lien avec Agnès et avec Madeleine Montavon?

Veuillez agréer mes salutations, fussent-elles d'usage,
K. Morel

P.S: Je vous remercie.
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