Il ne penserait jamais cela d’elle. Son coeur manque un battement. Il lui offre une telle confiance… Il aurait été normal qu’il se méfie des filles qui, trop vite, se disent intéressées par lui. Il aurait été normal qu’il s’imagine qu’elle n’avait de tels sentiments pour lui que parce qu’elle savait qui il était, désormais. Elle n’en avait pas parlé autrefois, ne l’ayant jamais vu, alors il aurait été normal qu’il pense qu’elle n’avait pas de tels sentiments avant de le voir. Qu’il la croit immédiatement, qu’il comprenne que ces ressentis sont anciens, ancrés en elle… ça la touche, naturellement.

Il prend sa main dans la sienne, caresse le dos de celle-ci, murmurant quelques mots qui font s’emballer le cœur de la demoiselle. Il est vrai que ces mots seraient peut-être un peu trop rapides, dit un peu trop tôt, même s’ils sont pensés, ressentis. Même si ça bat fort dans sa poitrine. Elle peut comprendre que ce soit un peu effrayant de les dire si tôt, si vite, alors qu’ils se connaissent tout juste, finalement. Apprendre à se connaître petit à petit, dans cette nouvelle perspective, est sûrement la chose la plus raisonnable à faire. D’autant plus que c’est un univers dont elle ignore tout qui s’ouvre devant elle. Un univers angoissant, diraient certains. Une plongée dans un inconnu que le commun des mortels ne fait habituellement que fantasmer et qui s’apprête à devenir sa réalité.

Si elle accepte de le connaître, si elle accepte cette relation, si elle accepte de creuser un peu plus celle-ci, alors à terme elle ne sera plus simplement sa compagne, ou une fille comme les autres, mais la future princesse du Royaume Uni et c’est une pensée qui ferait fuir pas mal de monde, considérant les exigences de la cours, de l’étiquette. Des exigences qui ne manqueront pas de rythmer très rapidement son existence, si elle s’engage dans cette relation. A plus ou moins long terme, elle aussi devra renoncer à bien des choses et, si on ne peut pas vraiment manquer de ce que l’on a jamais connu, pour sa part les choses risques d’être plus compliquées, même s’ils n’en sont pas encore là, même s’ils sont, en réalité, encore loin d’y être. C’est une information que, cependant, elle ne peut pas complètement oublier et qui doit peser dans la balance pour prendre ses décisions le concernant, les concernant.

"- Est-ce que ça veut dire que tu reviendras bientôt en France ?" souffle-t-elle finalement, venant briser le silence qui s’était installé entre eux.

Il le pense sincèrement, jamais ne viendrait-il à son esprit, l'idée saugrenue qu'elle puisse être intéressée par lui, pour le trône qu'il va hériter. C'est le futur Roi d'Angleterre, et pour la douce et triste Aline, cela certainement une horreur que d'être aimée par une tête couronnée. Le quotidien du prince héritier est loin d'être un plaisir, il vit peut-être dans un palais où il n'existe aucun confort pour le palais, enfin, il s'agit de l'Angleterre, qui en est véritablement étonné ? qui le grandit, lui sa grandeur, le sang royal coule dans ses veines mais coulent également dans les fonds marins de l'oublie de soi. Il ne préfère pas se plaindre, il ne peut le nier, elle lui plait, mais la personne qu'il plaint réellement, c'est elle. Ils ne sont pas du même monde, leur goût culinaire le prouve et pourtant... Pourtant... Qu'est-ce qui les empêche de se rencontrer à l’interstice ? 

Un pas après l'autre, il l'intégrera à son univers, si elle le désire... Et si ce n'est pas le cas, il serait prêt, un jour, à quitter son monde pour qu'elle devienne le sien. Pour l'heure, il souhaite apprendre à la connaître, à voir en elle la personne et non la plume. Et un jour... Un jour, il pourra voir en sa personne la Reine du Royaume-Uni. Mais plus que tout, il désire qu'elle devienne, en dépit de tout, sa Reine à lui, peu importe ce que diront les autres. Il ne devrait pas penser ainsi, c'est le prince, son Altesse... Pourtant, il ne peut pas s'en empêcher. Il n'a pu les lui dire, ces mots qui font peur quand ils ne font pas rire. Parce que trop tôt, parce que précipité, parce que précipité les choses ne seraient pas une bonne solution. Elle a besoin de temps pour répondre à ces trois petits mots. C'est pourquoi il ne dit rien. Pour ce temps dont elle aurait été privé pour lui répondre, temps si précieux. D'ailleurs, il commence à en manquer, lui qui a passé le cap de la trentaine. Malgré tout, il saura patienter. D'une infinité douceur, il saura préserver cette attente de toute contrainte. Ce qui s'offre à elle, c'est un choix. Une responsabilité. Sera-t-elle guidée par la raison ou la passion ? 

Il l'admet, c'est prétentieux de prétendre qu'ils puissent être passion. Mais l'affection a des raisons de le faire tendre vers la déraison. Quitte à ce que cela se transforme en affliction. 

-Oui, autant de fois que je le pourrais... Et je viendrai à toi, si j'y suis invité. 
Malheureusement, il ne pourra pas rester bien longtemps, il a des obligations. Dans quelques jours, il repart déjà pour Londres. Il reviendra dans un mois, tout au plus. 

-Aline... Je comprendrai si tu désires partir maintenant, pour jamais me revenir. 
Lui avoue-t-il en déposant une main sur sa joue, délicatement comme si sa peau était faite de cire, fondant sous la chaleur de sa paume. 

-Si tu ne peux te résoudre à m'attendre éternellement. Je ne pourrais t'en vouloir. Sache que pour ma part, j'attendrais le temps qu'il te faudra.