Le temps passe, et Lucas commence à croire qu’elle ne viendra pas. Mais au moment où il décide de quitter les lieux, Apollonia entre, dégoulinante de pluie et le regard... vide... Il se redresse d’un bond, mais ne dit rien, figé par... cette ombre qui lui fait face...

La jeune femme dépose un coffret sur la petite table, silencieuse. Lucas la regarde faire, tout aussi muet, mais de stupeur. On dirait qu’elle est comme... envoutée... Est-ce possible ? Aurait-elle subi un sortilège quelconque ? Celui de l’Imperium ? Quelqu’un essaie-t-il de piéger le policier en utilisant Apollonia ?

Sortant sa baguette, Lucas n’hésite pas avant de lancer le sort.

"Finite !"

Mais rien ne se passe... Sans un regard vers la boite, il tend une main pour la poser sur la joue de la jeune femme.

"Apo... ça va ?"

Non, ça ne va pas... il le voit bien. Il ne savait pas trop ce qu’il comptait faire si elle venait, mais il ne s’attendait pas à.… ça... Apollonia n’est pas elle-même...

Gardant sa main sur sa joue, il prend la sienne dans son autre main et s’approche d’elle, son regard ne quittant pas le sien. L’Auror lui avait dit qu’elle se portait bien, qu’elle s’était remise de ses blessures. Lui aurait-il menti ? Aurait-elle été plus affectée que ce qu’on lui a dit ?

"Je suis tellement désolé... J’ai encore échoué à te protéger..."  

Il la prend dans ses bras et la serre contre lui, le visage enfui dans ses cheveux humides. Il se fiche bien qu’elle soit trempée. En cet instant, la peur face à l’état de la jeune femme éclipse tout le reste : la colère, la tristesse, l’amertume...

Que lui est-il arrivé après qu’il a sombré… ?

Apollonia sent une partie d’elle-même sombrer davantage sous l’effet de la potion, comme une ombre qui s’étend sur son âme. Pourtant, sa mémoire ne devrait pas en être affectée. Serait-ce un effet secondaire ? Le jeune homme lui lance un sort ; elle ne bronche pas et l’observe en silence, ses yeux devenus des miroirs sans émotion. Lorsqu’il s’approche et pose une main douce sur sa joue, Apollonia se laisse faire, tout comme lorsqu’il l’enlace tendrement. Cette étreinte ne lui évoque rien. Sa vision se brouille, elle a le tournis, et s’accroche à son cou pour ne pas vaciller. En croisant de nouveau le regard de Lucas lorsqu’il se redresse, elle ressent un déclic face à ce visage, mais son cœur reste sourd. Ses lèvres s’entrouvrent, espérant que la mémoire lui revienne.

— La boîte… » Souffle-t-elle péniblement. Elle ne se souvient même plus de son contenu, seulement qu’il était important. «  La boîte… Lucas. »

Progressivement, elle se rappelle la raison de sa présence. La jeune femme se redresse lentement et se recule, laissant un vide glacé entre eux. Lucas semble affligé, mais elle demeure imperturbable. « Je suis venue pour te remettre ceci. » dit-elle en désignant du menton le coffret sur la table basse. « Tu n’as pas à me protéger, Lucas. Ce n’est pas ton rôle. »
Son ton est revêche, dénué d’émotion comme il l’a été les premiers jours lorsqu’il se sont retrouver aux trois balais la première fois pour enquêter. Elle lisse les plis de sa robe, cherchant à se redonner contenance. Enfin, la potion fait son effet. Mais alors, pourquoi ce pincement au cœur ? Pourquoi ne parvient-elle pas à quitter cette pièce, maintenant qu’elle a accompli ce qu’elle était venue faire ? « Je vais quitter Londres après le mariage. Il vaut mieux laisser tout cela derrière nous. Ne cherche pas de coupable pour Colt, Lucas… il est devant toi. » lui demande-t-elle en pesant ses mots.

Elle ne veut pas qu’il plonge dans le monde des sangs-purs à la recherche des mages noirs qui les ont torturés, au risque de se perdre lui-même. « Lucas… »
Elle l’interpelle dans un souffle légèrement tremblant, mais son corps refuse de s’approcher. Tant mieux. « Promets-le-moi. » Ses mots sont empreints d’une supplication poignante, une demande ardente qui transcende les barrières de la potion. Chaque syllabe est un appel désespéré à l’homme qu’elle aime, une prière silencieuse pour qu’il comprenne ce qu’elle ne peut plus exprimer. Ses yeux, malgré tout, trahissent une lueur de ce qu’ils étaient ensemble, une étincelle d’amour qui refuse de mourir peut-être.

La jeune femme s’accroche au cou de Lucas, comme si elle avait peur de tomber. Elle tente de lui dire quelque chose, et son état commence à faire sérieusement paniquer le policier. Mais avant qu’il ne puisse trouver comment agir, elle se redresse et s’éloigne de lui avec une froideur déconcertante, broyant un peu plus les miettes dans la poitrine du jeune homme. Elle reprend alors la parole en désignant le coffret sur la table. Lucas tourne brièvement les yeux dessus avant de revenir sur Apollonia.

"C’est vrai, ça doit être son rôle à lui, maintenant..."

Les mots franchissent ses lèvres avant qu’il ne réfléchisse et sont prononcés sur un ton amer. Apollonia semble avoir repris ses esprits, d’une certaine façon... car son visage reste impassible, mais au moins elle ne semble plus... morte...

La jeune femme reprend en disant qu’elle quittera Londres après le mariage. Lestrange le lui avait déjà dit, mais l’entendre de sa bouche à elle à un effet bien plus violent sur le policier, tout comme ses mots concernant Colt.

"C’est faux..."

Lucas n’a pas rangé sa baguette. Il la sert dans sa main, prêt à réagir au moindre mouvement d’Apollonia, car il sait désormais qu’elle serait capable de lui lancer un sort sans son consentement...

"Il m’a fallu du temps pour le comprendre... trop de temps... Mais je sais désormais que ce qui s’est passé autrefois nous dépassait tous les trois, à l’époque..."  

Même si elle a lancé le sort fatal, ce sont des forces bien plus sombres et dangereuses qui dirigeaient les jeunes élèves qu’ils étaient alors. Lucas a mis du temps à rassembler et assembler les pièces du puzzle, mais le tableau lui semble désormais claire...

La supplique d’Apollonia ramène l’esprit du policier au présent. Bras ballants, Lucas s’approche de la jeune femme sans la quitter des yeux.

"Tu n'as pas à me protéger, Apollonia."  

Il retourne volontairement ses mots contre elle, cherchant une réaction quelconque, essayant d’attiser l’étincelle qui a traversé son regard...

"Que comptes-tu faire si je te refuse cette promesse ? Je n’ai déjà plus rien, Apo... Qu’as-tu peur que je perde à part une vie vide de sens ?"

Celle qu’il a toujours aimé va en épouser un autre, tout ça parce qu’il n’a pas pu faire face à ses émotions jusqu’à maintenant. L’enquête lui a été retirée et il se retrouve en congés forcés, n’ayant ainsi même plus de quoi étouffer ses pensées. Il en oublie le coffret, n’en ayant rien à faire de son contenu.

"Vas vivre ta vie, et laisses moi gérer la mienne... Mais dis moi juste une chose avant... Ce type, tu l’aimes au moins ?"

Avant de laisser tout ça derrière eux, il veut être certain des sentiments qu’elle éprouve pour cet homme...

La jeune femme peine à saisir la véritable raison de sa présence ici. Était-ce pour cette boîte ? Pour le revoir une dernière fois ? Pour se prouver qu’il n’y avait plus rien pour eux dans cette vieille relation épuisée ? Et pourtant, son cœur débat dans sa poitrine. Après des années à tenter de l’oublier, se promettant de ne plus jamais aimer, dès qu’elle le voit, elle sent que tous ses efforts s’effondrent. Lutter contre l’emprise de cette potion rend l’expérience de leurs adieux si douloureuse. Apollonia se bat contre ses propres émotions, regrettant d’avoir été si lâche, d’avoir préféré noyer ses sentiments plutôt que de les accepter. La perte est trop grande... si conséquente...

Voir le jeune homme aussi dépité lui tord les tripes. Il accepte ses paroles sans protester, mais ne peut s’empêcher d’y glisser un soupçon d’amertume. Ça fait si longtemps… Apollonia se demande alors comment ils peuvent continuer de s’aimer depuis tout ce temps. Comment peuvent-ils continuer de s’aimer autant que de se détester ? Il réfute son affirmation quant à sa responsabilité dans la mort de Colt. Apollonia tressaille. C’est la première fois qu’il ne l’accable pas du blâme.
— Je ne te protège pas » se défend-elle. « Tu es policier, non ? Voici les preuves manquantes à l’enquête. Voilà tout. » se ment-elle à elle-même. « Je suis prête à vivre avec les conséquences de mes actions. » Peut-être de cette manière pourras-t-il commencer à vivre enfin… « J’ai passé ma vie à fuir, Lucas. Ne... me laisse plus repartir. » Sa dernière phrase est prononcée avec beaucoup plus de douceur. Une phrase à double sens aussi. Qu’elle finisse dans ses bras ou qu’elle termine à Azkaban, elle s’y résigne. Elle sent la chute approcher. La jeune femme plisse douloureusement des yeux, comme prise de vertige de nouveau. Elle se bat pour des sentiments que la potion s’efforce de dissiper. S’en est violent.

Lucas refuse d’accepter sa promesse. Elle se raidit, grimace agacé, mais surtout parce que sa tête la fait souffrir. Néanmoins, elle s’efforce de demeurer maîtresse d’elle-même. Elle s’appuie contre le mur pour s'y aider. Un coulis noirâtre s’échappe de la commissure de ses lèvres sans qu'elle ne le remarque alors que celles-ci s’entrouvrent dans une tentative de lui répondre.
— Ce n’est pas ce que tu as à perdre. C’est ce que je ne peux me résoudre à perdre… C’est toi… Lucas...
Son front brûle. Son corps brûle. Elle est un incendie. Son esprit rejette violemment la potion, mais à quel prix ? Apollonia n’en avait jamais fait l’expérience jusqu’à présent, n’ayant jamais tenté de lutter auparavant. Les dernières paroles du jeune homme la traversent de plein fouet et viennent ébranler tout son monde. Incapable d’y répondre sans craindre les conséquences de sa réponse, elle relève son regard vers le jeune homme. Un regard craintif et pris de court. Alors, une nouvelle perle noirâtre fait irruption à l’autre coin de sa lèvre s'écoulant jusqu’à son menton et sur sa gorge.

Apollonia réplique qu’elle ne le protège pas, qu’elle lui fournit simplement les preuves manquantes pour l’enquête. Il fronce les sourcilles et tourne le regard sur la petite boite. Elle ne sait donc pas que l’affaire lui a été retirée ? Alec ne lui a pas dit que les Aurors la reprenaient ?

Mais la jeune femme reprend la parole et le policier ramène aussitôt les yeux sur elle. Ses mots... il ne les a pas rêvés, n’est-ce pas ? Mais alors qu’il en arrive à ses deux questions fatidiques, il remarque que quelque chose ne va vraiment pas...

Apollonia se recule contre le mur et une substance noirâtre s’échappe d’entre ses lèvres. Si ses paroles serrent le cœur de Lucas, il n’a pas l’occasion d’y réagir, voyant bien que la jeune femme va de plus en plus mal. La substance noircie à nouveau ses lèvres et le policier l’attrape alors par les épaules, paniqué.

"Qu’est-ce que tu as pris ?!"

Il y avait bien un problème, quelque chose qui clochait depuis son arrivée, mais ce n’était pas un sortilège... Apollonia à bu une potion, il en est certain. Contre son gré ou non, elle est en train d’y réagir violement. Et le jeune homme n’a rien pour l’aider... Il ne peut pas transplaner avec elle dans cet état et appeler quelqu’un prendrait trop de temps...

"Merde Apo... qu’est-ce que tu as fait ?!"

Il ne peut pas rester impuissant, pas encore...

Tentant de réfléchir aussi vite que possible, il finit par la relâcher et transplane sans un mot pour revenir moins d’une minute plus tard et lui enfourner quelque chose dans la bouche.

"Avale ça, par pitier !"

Un bézoard... un puissant antipoison efficace contre presque tous les poisons, mais difficile à se procurer. Heureusement, en tant que policier, il sait où en trouver et a toujours fait en sorte d’en avoir chez lui, au cas où...

Il attend que la jeune femme avale la pierre qui fait aussitôt effet. Effondrée contre le mur, Lucas l’amène contre lui et la berçant doucement, le cœur en panique et les larmes au bord yeux.

"Tu vas finir par m’achever..."

Le policier la serre contre lui, embrassant sa chevelure encore humide. Il devrait lui donner à boire, mais il n’a aucun contenant pour faire apparaitre de l’eau. En désespoir de cause, il forme une coupelle avec sa main, la place au bord des lèvres d’Apollonia et lance la formule en tenant maladroitement sa baguette, la position n’étant pas des plus pratique.

C’était quoi ça ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu prendre pour se retrouver dans cet état, et surtout pourquoi ?  

La berçant toujours, Lucas essaie de calmer les battements dans sa poitrine et d’attendre patiemment que la jeune femme reprenne un peu ses esprits. S’il n’avait pas pu agir cette fois encore, il ne s’en serait jamais remis...

Un aveu prononcé à demi-mot lui arrache une quinte de toux, le rose de ses lèvres s’imbibant d’un liquide noir que son corps tente de recracher. Lucas, enfin alerté par son état qu’elle ne parvient plus à cacher, la saisit pour la secouer, cherchant frénétiquement à lui arracher une explication. Elle n’y parvient pas, son esprit trop obscurci, se sentant perdre pied.

Le jeune homme n’attend pas pour réagir. À peine cligne-t-elle des yeux qu’il a disparu de son champ de vision. Elle n’a pas le temps de réaliser qu’il a transplané qu’il réapparaît presque aussitôt, une pierre familière en main. Son esprit étant si diffus à l’instant, elle se laisse faire. Spectatrice de ce chevauchement du temps qu’elle ne comprend pas, elle se contente de se perdre dans ses yeux.

Il lui faut quelques secondes pour sentir les effets du bézoard se répandre dans son corps. Apollonia s’affaisse d’épuisement, mais heureusement Lucas est là et la retient. Elle laisse choir sa tête sur son torse, sentant son cœur battre la chamade. Son souffle se tranquillise à mesure qu’elle écoute le tambourinement de son poitrail qui se soulève contre sa joue.

Étrangement, cela l’apaise profondément. Elle, qui craignait de le retrouver sans vie à l’hôpital, ne l’a jamais senti aussi vivant depuis leur jeunesse. La jeune femme frissonne en sentant quelques baisers se déposer sur sa chevelure. Il la fait boire à sa main, ce qu’elle ne refuse pas, portant ses lèvres contre ses doigts.

Elle se laisse ensuite bercer par le jeune homme, incapable de parler, encore en état de choc. Apollonia parvient néanmoins à trouver ses yeux en relevant les siens brillants vers lui et, se surprenant elle-même, vient caresser tendrement sa mâchoire. Sa main est glacée, et elle tremble légèrement de froid à cause de ses vêtements humides. Elle esquisse un faible sourire amusé à cette réalisation, sans détacher son regard du sien.
— Lucas… J’ai froid, souffle-t-elle avec une douce espièglerie passagère, un rappel à leur passion passée.
Mais son sourire finit par s’effacer, rattrapé par la raison. Elle l'observe avec une profonde attention, détaillant ses traits avec affection, puis se contente de demeurer contre lui, fermant les yeux et profitant de sa chaleur et de son cœur battant à tout rompre. Elle ne l’avait plus senti depuis si longtemps… « Je suis tellement désolée… pour tout » murmure-t-elle finalement.

Dans cette étreinte, elle ressent une mélancolie douce-amère. Le battement de son cœur contre le sien réveille des souvenirs enfouis, des nuits étoilées et des promesses amoureuses murmurées à son oreille. La chaleur de son corps contre le sien fait fondre les dernières résistances de la potion, et pour un instant, elle se sent entièrement présente, vulnérable et lui appartenant.
« Tu vas finir par m’achever… »
Elle inspire profondément, ses dernières défenses s’effondrant sous le poids de cette déclaration. Puis la jeune femme se laisse aller, se blottissant contre lui, le cœur et l'âme en paix, même si seulement pour un moment. Un moment d'égarement seulement.

Lucas fait à nouveau apparaitre de l’eau dans sa main pour essayer de nettoyer un peu le visage d’Apollonia, utilisant la manche de sa veste comme d’un essui. Il la garde ensuite contre lui, se balançant doucement, comme s’il berçait un enfant... Lorsqu’il la sens bouger, il baisse le regard pour croiser le sien. La main qu’elle vient poser sur sa mâchoire est glacée, mais ce n’est pourtant pas cela qui fait frissonner le policier. Non, il frissonne à son contacte, à son sourire et a ses mots...  

Laissant échapper un petit rire nerveux, il la serre un peu plus contre lui et commence à lui frictionner les bras.  

"Evidement, tu es encore trempée..."

De pluie, mais aussi de sueur... Elle doit se changer si elle ne veut pas attraper froid... Pourtant, ils ne bougent pas...

Apollonia observe un moment Lucas, en silence, et lui-même en profite pour la couver du regard. Elle peut surement lire une profonde tristesse dans ses yeux. Une profonde souffrance. Ce qu’il voit dans ses yeux à elle n’est pas mieux...

Elle finit par fermer les paupières et murmure quelques paroles. Lucas, le menton posé sur la tête de la jeune femme, prend une profonde inspiration.

"Et moi donc..."

Sentant Apollonia se laisser contre lui, il resserre un peu plus son étreinte, le cœur battant toujours à tout rompre, mais plus de peur, cette fois...

"Tu m’a tellement manqué... J’ai été tellement idiot...
Rien ne pourra pardonner mon comportement... Je suis désolé, Apo..."

Il ferme les yeux à son tour, laissant des souvenirs enfuis refaire surface alors qu’il étreint tendrement son aimée. Celle qu’il a failli perdre beaucoup trop souvent... et qu’il va définitivement perdre bientôt...

Ils restent ainsi un long moment, enlacés dans un silence contrit et lourd de non-dits. Apollonia frémit de froid et Lucas la serre un peu plus fort contre lui, tentant de lui offrir de sa chaleur. La jeune femme se laisse faire, frissonnante sous le toucher délicat du jeune homme qui nettoie doucement son visage, profondément émut par ce geste comme si elle avait été touchée par la grâce.

Lorsqu'elle lève les yeux vers lui, Apollonia perçoit toute la tristesse qui l’habite. Une tristesse familière, la même qu’il y a treize ans, la même qu’il y a huit ans. Ses doigts, animés par un désir irrépressible, dessinent un instant la courbe de sa mâchoire. Où sont passés les éclats de rire, les sourires, ce bonheur rare qu’ils partageaient autrefois ?

Lucas s’excuse alors, pour toutes ces années de silence et de souffrance. Son visage demeure impassible sous les aveux, mais l’éclat dans ses yeux trahit sa surprise et une douleur contenue. Apollonia a l’impression d’avoir attendu ce moment toute sa vie... et pourtant, aucune absolution ne vient soulager cette lourdeur qu’elle a au cœur. Elle se sent à jamais responsable de l’avoir brisé et, malgré son affection et son repentir, elle voit bien qu’elle continue de le faire souffrir. Pour cette raison, elle sait qu’ils ne pourront jamais être ensemble, étant la source de ses tourments. Et même s'il la pardonne, elle, ne se pardonnera jamais.
— Merci. » murmure-t-elle en quittant ses bras et se redressant promptement dans l’évitement de cette rédemption qu’elle ne s’estime pas mériter. « Sans ton intervention, je ne sais pas ce qu'il se serait passé... » Elle lui tend la main pour l'aider à se relever, avant de reculer de quelques pas, rétablissant la distance qui les sépare. Elle détourne les yeux, sentant la nécessité de s'expliquer pour éviter qu'il ne soulève de question concernant la dite potion. «  J'ai... Je prends une potion pour calmer mes nerfs avant le… mariage. » ment-elle « Mais il faut croire que j’y réagis mal… »

Elle ne peut rester là indéfiniment. La nuit s'avance, et Alec ne rentrera pas ce soir, parti sur la côte avec quelques Aurores pour retrouver les membres de la secte responsables de l’attaque au manoir. Il lui devient compromettant de rester ici à cette heure avancée de la nuit avec un autre homme, même si pas n'importe lequel... Pourtant, elle ne peut se résoudre à le quitter sans lui avoir demandé une dernière chose.
— Pourquoi m'as-tu fait venir ici, Lucas ?

Apollonia pressent la réponse. Elle voit bien dans ses yeux ce que dans les siens elle s’efforce d’étouffer à l’instant. Mais sans la potion, cela lui est moins aisé. Elle veut l’entendre dire. Pour que si elle ai à devoir lui briser le cœur encore une fois, qu'elle le fasse. Car elle porte la conviction d’être son malheur, Apollonia. Malgré son pardon, malgré ce lien intarissable… Colt n’est pas le seul fantôme de son passé à boulverser la tranquillité d'esprit du jeune homme. Elle aussi le hante depuis beaucoup trop longtemps maintenant, et la jeune femme sait que trop bien qu’il faut parfois faire le deuil des gens de leur vivant. Alors Apollonia soutient son regard avec une patience teintée de tristesse. De nouveau face à lui, sans les effets de la potion et depuis les derniers événements, elle sait que lui aussi la hantera toujours dorénavant…

Le policier aimerait arrêter le temps... Figer ce moment à tout jamais...

Malheureusement, Apollonia fini par s’extirper de ses bras en le remerciant, non pas pour ses excuses, mais pour être intervenu par rapport au poison. Mécaniquement, et afin de prolonger un peu plus le contacte avec elle, il prend la main qu’elle lui tend pour l’aider à se relever. Mais son cœur se brise à nouveau alors qu’elle recule, mettant à nouveau de la distance entre eux. La chaleur ressentie alors qu’il la tenait dans ses bras laisse place à un froid intense. Et celui-ci augmente d’un cran lorsqu’elle explique son état. Pourtant, Lucas hoche simplement en signe de compréhension, se vidant à nouveau peu à peu de toute émotions, de tout sentiments, alors que son amour s’apprête à partir pour rejoindre un autre homme.  

Le souffle court, il soutient le regard d’Apollonia qui lui demande pourquoi il l’a fait venir. Il n’en savait trop rien, au début, mais maintenant...  

Il entrouvre les lèvres pour parler, mais aucun son ne sort. La boule dans sa gorge l’étrangle trop. Finalement, il décide d’agir au lieu de parler et, d’un pas vif, il rejoins la jeune femme pour l’embrasser. Il se fiche des traces noirâtres qui parsèmes encore sa peau à certains endroits. Il se fiche qu’elle soit trempée et encore chancelante de son malaise. Les mains dans sa nuque, il l’embrasse avec passion, comme s’il s’agissait de leur dernier baissé, ce qui sera surement le cas...

À sa question, il ne répond pas. Ses lèvres s’entrouvrent dans une tentative de dire quelques choses, mais en vain. Ses paroles ne prennent finalement jamais vie. Du moins, pas en mots.

Car elle qui s’attendait à des mots, ne s’attendait certainement pas à recevoir la panacée déposée sur ses lèvres ce soir. Le voyant se rapprocher vivement, elle recule d'un pas. Son baiser soudain la prend de court, et un instant elle se raidit à son contact. Néanmoins, elle n’a ni la force ni la volonté de le repousser. Dans cet embrassement, elle s’abandonne grassement et finit par lui rendre avec la même ardeur sa passion, laissant ses doigts fébriles serpenter ses cheveux sur les tempes du jeune homme.

Le souffle saccadé, elle s’écarte de lui légèrement pour rompre la fougue de leur étreinte, un moment prise de vertige et aussi du besoin de réaliser que ce qui se passe est bien réel. Dans ses yeux il peut y lire que se mêle de la surprise, une profonde affliction et en même temps, c’est comme si elle attendait ça depuis toujours, Apollonia. Ses yeux s’’égare sur son visage longuement avant de venir rencontrer ses pupilles. Puis, une supplique dans les sourcils et profondément troublée, Apollonia unit à son tour ses lèvres aux siennes sans y réfléchir à deux fois. Sa main se pose dans sa nuque, glisse tantôt sur son torse. Son corps à tant changé, et sous ses doigts, elle sent naître l’éveil d’un désir nouveau pour lui.

Elle n’arrive plus à penser à rien. À l’instant il n’y a qu’eux. À l’instant, son monde se rétrécit à ce salon sans vie, à leurs deux corps frissonnants l’un contre l’autre d’une passion qui n’attendait qu’à être achevée. À l’instant, elle n’aime que lui. À l’instant elle lui appartient toute entière. Dans cet instant hors du temps, elle a de nouveau 16 ans.