Une odeur âcre flottait dans l’air. Une fragrance acide, putride, qui irritait ses narines et lui enserrait la gorge. Même le parfum si sucré et si doux de ses roses ne parvenait pas à camoufler cette effluve particulièrement…sinistre, funeste. Un mauvais pressentiment tiraillait ses entrailles. Aurora le ressentait aussi. Dahlia pouvait le remarquer à la façon dont sa sœur se déplaçait, à son regard lointain et à ses traits plus crispés que d’ordinaire ; la medium étouffait probablement sous les énergies ténébreuses qui submergeaient leur modeste boutique.

Un frisson glacial traversa l'entièreté de sa colonne vertébrale. La sorcière contempla le bouquet qui gisait sous ses yeux, les pétales s’effritant les unes après les autres, les tiges s'affaissant progressivement sur elles-mêmes comme écrasées par une puissante tension invisible.

“ Le mal nous guette. Il sera bientôt à nos portes. ” lui avait soufflé Clara la veille, lorsque Dahlia l’avait retrouvée dans sa petite échoppe d’objets ésotériques. L’angoisse qui assombrissait les prunelles de la vendeuse tourmentait encore son esprit. Dahlia avait préféré oublier ses propos pour le restant de la soirée, persuadée qu’aucune menace ne viendrait menacer l’équilibre de sitôt puisque la paix régnait depuis des années. Mais depuis la perte de sa grand-mère…le vent s’est refroidi. Les sorcières s’agitent. Et voilà que son amie déclamait des inepties, digne d’un thriller de mauvais goût.

C’est dans ta tête, songea Dahlia. Décidée à ignorer son ressenti, la jeune femme attrapa les fleurs pour s’en débarasser, esquissant alors une grimace lorsque les épines s’enfoncèrent dans sa paume. Son corps frissonna de nouveau. Elle s’empressa de lâcher les roses à la poubelle avant de jeter un coup d'œil à ses mains. Ce n’était que des égratignures et pourtant, les faibles lignes qui apparaissaient sur sa peau semblaient plus sanguinolentes que jamais.

“ Dahlia ?” La voix de sa cadette lui fit aussitôt redresser la tête. Celle-ci se tenait sur le seuil de l’arrière-boutique, bras croisés, le regard inquiet qui contrastait étrangement avec le sourire malicieux accroché à son visage. “ Y a un flic qui veut te voir…tu devineras jamais qui c’est.”La police ? Dans leur salon de thé ? “ J’arrive.”maugréa l’aînée, ne comprenant pas la raison qui se cachait derrière l’amusement d’Aurora…et ne comprenant encore moins la présence d’un flic ici. La sorcière abandonna son havre de paix à contre-coeur.

“ Bonjour, en quoi est-ce que je peux…”commença-t-elle en s’approchant du comptoir, avant de se taire lorsqu’elle aperçut l’uniforme… et reconnut l'identité de l’homme qui le portait. “ Oh. C’est vous.” L’expression de courtoisie qu’elle arborait s’envola. Ses lèvres se crispèrent et son regard prit une teinte plus sombre, plus hostile. Voilà des années qu’ils ne s’étaient pas croisés, à son plus grand bonheur, si bien que Dahlia s’était accommodée à l’idée de ne plus avoir à rencontrer son chemin. Était-ce donc lui, l’odeur nauséabonde qui intoxiquait ses poumons ? La sorcière en mettrait sa main à couper.

“ Qu’est-ce que vous voulez ?”demanda-t-elle avec une politesse exagérée, très peu sincère. La sorcière s’arrêta face au policier pour mieux le toiser de ses yeux noisettes, utilisant le comptoir en bois en guise de barrière pour les séparer. Clara avait eu juste sur un point : le mal était bel et bien venu à sa porte…et Dahlia pouvait d’or et déjà sentir des poussées d’urticaire enflammer son épiderme.