« Non, le style, c’est cool », tu commentes, et c’est vrai qu’elle tape plutôt dans le mille avec son petit top côtelé moulant et sa veste en jean, et puis ses cheveux mi-longs lâchés simplement. « C’est juste que moi j’ai jamais quitté Paris et que quand quelqu’un est là depuis peu, j’le vois direct. C’est une question d’attitude. » Elle te dit qu’elle vient de la côte d’azur et tu te rends pas compte qu’elle a pas forcément envie d’en parler. « Whaou, sympa ! Cannes, Monaco, la plage, traînasser au soleil toute la journée… Tu dois pas être si dépaysée que ça en fait : y’a que des riches là-bas, non ? » tu demandes sans te rendre compte du caractère polémique de ce que tu dis. La politique, le social… tous ces trucs-là te passent au-dessus de la tête.

« Merci » Le sourire est franc, tu sais pas pourquoi mais tu aimes bien qu'elle apprécie ton physique, sans trop comprendre pourquoi. Puis c'est le deuxième bingo de la soirée, la côte d'azur c'était large, mais elle l'a dans le mille. Elle a un sacré flair Leo. Tu hausses les épaules. « Peu près. » Pourquoi t'as quitté ce milieu, t'en sais trop rien, pour pas faire comme tes parents attendaient que tu fasses ? Même si ça va, niveau études tu les déçois pas trop. « J'en avais marre d'avoir un beau bronzage tu vois, je préfère les nuages gris moi. » Ce n'est pas vraiment pour détourner le sujet ni faire de l'humour, mais comme tu as du mal à t'expliquer à toi-même ta présence ici.

« Ouais, bah t’es au bon endroit pour ça », tu soupires quand elle parle de nuages. « C’est pour ça qu’on se bourre la gueule dans les bars, pour compenser », tu dis. Même si c’est juste un prétexte, même si dans le sud les gens picolent tout autant, tu le prends un peu au sérieux. C’est clair que t’es prête à tout pour pallier l’ennui. L’ennui, c’est le pire truc pour toi. Et comme t’as une vie aussi grise et ennuyeuse que le ciel de Paris, c’est pas facile tous les jours. T’as pas envie d’y penser alors tu te penches à nouveau vers Marjo, tu glisses une main sur sa joue et tu reviens sur le sujet. « De ce point de vue-là, tu t’es vite habituée je trouve. T’as la peau toute blanche. » T’aimes bien sa peau blanche.

« Pff, c'est pour le style de princesse la peau blanche, puis le cancer de la peau merci non merci. » C'est sorti tout seul, tellement sa mère l'a bassinée avec ça. Puis pour le princesse on repassera pas, comme si tu avais le moindre sang royal. « J'avoue les bars sympa comme celui-là sont plutôt pratique et je remercie Paris pour ça. A Monaco ya de magnifique terrasses sur la plage, mais moins de jeunes. » Tous les petits richou qui boivent leur champagne tous les soirs, ça donne moins envie de se bourrer la gueule, parce qu'après les rumeurs courent vite et tout le monde est au courant de tout. Fatiguant. C'était peut être pour ça aussi que tu as voulu échapper à ta ville natale. « On s'y habitue jamais au temps pourri ? » demandes-tu avec mélancolie. Ça te manque les beaux jours constants, le soleil qui réchauffe ta peau -protégée avec de la crème 50 bien sûr.

Tu éclates de rire quand t’entends ce que Marjo dit. T’adores son air un peu boudeur, il débarque toujours de manière inattendue et repart aussi vite alors qu’elle continue sur des propos plus communs. « Ahhh, tu viens de Monaco alors ? » t’en déduis en lui adressant un clin d’œil taquin. T’avais fini par oublier de la cuisiner là-dessus, mais elle s'est cramée toute seule. « J’suis sûre que y’a moyen de faire la fête si tu sais où aller là-bas, » tu dis. C’est souvent dans les milieux les plus guindés qu’on trouve les soirées les plus extrêmes. Et puis, Paris, tu connais. C’est pas si vivant qu’on le dit. « Oh, si, on s’y habitue. Enfin, non. Je saurais pas dire, » tu réponds mais t’es un peu à côté de la plaque. Tu sirotes distraitement ton cocktail. T’es un peu ailleurs, dans tes pensées. Fallait bien que ça arrive.

« Oui. » soupires-tu avec agacement. Tu n'aimes pas parler de Monaco, à cause des préjugés et du fait que tu es taxée de riche direct, évidemment tu l'es, mais tu n'aimes pas que ça fausse les relations. Enfin bon, Leo a pas l'air intéressée par te détrousser pour l'instant. « Oui, comme partout. » Tu hausses les épaules, t'as pas l'impression d'avoir été vraiment mieux lotie. « Bon, super encourageante... » lâches-tu avec un éclat de rire. « On bouge non ? » Ce bar est sympa, mais tu as bu trop vite tes trois verres, il vaut peut être mieux marcher un peu, quitte à se rasseoir dans un autre bar plus tard.

Visiblement le sujet ne plait pas plus que ça à Marjo, mais tu fais plus attention. T’as une petite absence. Ces moments-là ne préviennent pas. Ces moments où tu rappelles que t’as une vie de merde. Le rire de Marjo te ramène à toi, et t’es contente qu’elle propose de bouger. « Ouais t’as raison. » Tu trouves même pas ça étonnant qu’elle te propose ça, juste à toi, alors qu’elle vient de te rencontrer à une soirée de sa prépa.

Tu enlèves la paille du verre et tu vides le cocktail cul sec. « J’reviens, je passe aux toilettes. » Tu te lèves et tu t’éloignes. Peut-être qu’elle sera pas là à ton retour, après tout. Tu verras bien.

La conversation se tarit, mais la musique est trop forte et t'as pas envie de rester trop longtemps ici, t'as bu trop vite, le risque de faire une connerie est trop grand. Tu regardes Leo partir aux chiottes et tu souris, pourquoi elle parmi tout le monde ? Tu as eu de la chance de si bien tomber. « Je vais tout vous régler, les cinq verres ? » En vrai tu ne sais plus combien vous en avez bu, tu espères que c'est le bon nombre. Tu sors ta carte gold, heureuse que Leo soit pas là pour voir ça, ça te gêne toujours mais tes parents ont insisté "c'est tellement plus pratique". Une fois rangée, tu attends sagement Leo sur ton tabouret, finissant de mordre dans ta paille.

Aux toilettes, tu sors ton rouge à lèvres, tu le mets d’un geste sûr. Tu te regardes dans le miroir un long moment, appuyée au lavabo. Tu ajustes ta chevelure courte – brune, pour une fois. T’as toujours eu un petit côté narcissique, mais la vérité c’est que c’est pas vraiment toi que tu regardes. Pas sûr que tu t’aimerais beaucoup, si c’était le cas.

Tu ressors et elle est toujours là, à t’attendre. C’est dingue. Ça te remet en joie. Tu fonces sur elle, tu l’attrapes par la main et tu la tires vers l’extérieur. Une fois dehors, tu la lâches pas et tu te mets à courir. « Allez, viens, on se casse, » tu dis. T’as pas de thunes alors tu préfères partir à la sauvette. Tu sais pas qu’elle a déjà tout payé. Tu l’entraînes avec toi, elle te suit et vos rires remplissent la nuit.

Le sourire qui brille sur son visage t'impressionne, est-il vraiment pour toi ? Et surtout, le mérites-tu ? Qu'importe, tu prends sa main avec douceur et la serre, tu es bien avec elle, loin de tous les ennuis du temps. « Attends, t'es sûre ? J'ai jamais fait ça. » Tu surjoues, un éclair de panique traversant tes yeux, tu ne veux pas qu'elle sache que tu as déjà payé, tu veux t'amuser, mais qu'elle croit te faire faire des choses complètement folles. Pour le coup, tu es heureuse d'avoir déjà payé, parce qu'honnêtement tu n'aurais jamais pu faire ça.

Elle rit et te tire par le poignet, tu ne résistes pas et part en courant derrière elle. Ivre de joie. Après tout il y a encore trop de monde dans les rues, pour vous courir après le mec ... non, mais tu as payé. Un nouvel éclat de rire traverse ta gorge. Au bout de la rue, vous tournez à gauche et vous marchez plus doucement, l'air de rien. « T'es complètement folle, merci. »