À aucun moment tu crames qu’elle a payé, parce qu’elle joue le jeu à fond. T’as l’impression qu’elle pourrait te suivre partout et ça te donne des ailes. Ça, et la vodka aussi. « Fais-moi confiance, j’fais ça tout le temps, » tu lui dis et ça te vient même pas à l’esprit d’avoir honte de toi. T’es jeune, encore. Tous les jeunes font des conneries, faut leur pardonner.

Vous courez le temps de tourner le coin de la rue, rieuses, manquant de renverser les autres piétons sur votre passage. Tu lâches sa main et tu passes négligemment ton bras autour de ses épaules, tandis que vous continuez à marcher, légèrement essoufflées. « Je le prends comme un compliment, » tu lui réponds en souriant. « Donc si je résume, tu désertes ta super soirée de fin d’année pour suivre une inconnue complètement folle dans ses délires. » T’essayes de poser la chose d’un ton neutre, mais en fait ça te fait rire à nouveau.

Son "fais moi confiance" te résonne encore dans les oreilles, tu aimes ce son alors que tu n'as aucune raison d'avoir confiance en elle, mais tu en as envie. Tu la suis avec bonheur.

Elle rit en résumant ta soirée, tu te souviens d'Agathe, tu l'as même pas prévenue, est-ce que c'est grave ? Non, certainement pas. « Tu résumes bien, tu aurais ta place à louis le grand » Tu la taquines, comme si ça suffisait, puis comme si c'était un honneur d'y être, comme si ça l'intéressait. « Non mais qu'est-ce que tu voulais que je foute avec des gens que ma présence n'intéresse pas ? J'les vois tout le temps. » Vous avez créé des liens forts, mais pas suffisant pour toi, tu veux plus... en fait c'est des gens comme Leo que tu veux plus dans ta vie !

« Par contre, toi tu devrais douter de la tienne : c’est la première fois que quelqu’un me dit un truc pareil ! » tu dis en riant. Toi, à Louis le Grand ? Haha. Toi et les études, ça fait déjà deux, de toute façon. T’as même pas essayé de te forcer. « Je te comprends. Je reste jamais bien longtemps avec les gens non plus. » Vous êtes toujours en train de marcher, pas si droit que ça, et le fait que tu la tiennes toujours par l’épaule n’arrange rien. « Ta présence m’intéresse, ma présence t’intéresse… On s’est bien trouvées, dans le fond, » tu dis.

Vous avez dû marcher un petit bout, déjà, parce que le square de la Place des Vosges se dessine au bout de la rue. Il fait bon dehors, alors pas mal de gens squattent la pelouse, boivent et fument, et parlent et rient. Vous êtes pas loin du Marais. T’aimes bien ce quartier. Tu jettes un œil sur Marjo, tu te demandes si elle connaît le coin.

Elle dit des choses comme ça, naturellement. C'est fou cette capacité qu'elle a à ne pas avoir de filtre ridicule, comme Marjo peut s'en mettre. "Si je dis ça, je paraîtrais bête ou à côté ou c'est trop tôt" et d'autres conneries. Non, Leo dit ce qu'elle pense et pense sûrement ce qu'elle dit. « Oui, faut pas passer à côté de telles rencontres, ma mère racontait que parfois le destin pose des étoiles sous forme de gens sur notre chemin, complètement con, mais j'aimais bien l'image. » Quand tu y repenses, ta mère est sacrément allumée.

Tu regardes Leo et tu sors un paquet de cigarette en voyant les gens fumer. « Par contre je t'ai suivie, je connais pas Paris, tu me perds pas ok ? » T'as complètement et totalement confiance en elle, tu ne sais absolument pas où tu te poseras pour dormir en tout cas t'es sûre que t'es incapable de retourner chez toi.

C’est mignon cette histoire d’étoiles, même si tu crois pas que le destin, Dieu ou qui que ce soit en ait posées des masses sur ton chemin à toi. « T’es mon étoile de ce soir alors, » tu dis juste. Tu l’entraînes dans le square et vous vous posez dans l’herbe. L’herbe est fraîche sur tes jambes laissées nues par ton short en jean. Tu pousses un soupir de joie. « Ok, à condition que tu me laisses taper dans ton paquet de clopes, » tu dis. Le deal n’a rien d’équitable mais ça te fait rire. T’enlèves tes derbies à plateforme et tu plonges tes pieds dans l’herbe aussi. Y’a plein de gens autour de vous. C’est le début de l’été à Paris, il fait bon, t’es un peu ivre, en bonne compagnie, et tu es bien.

Ya rien de logique dans votre conversation, mais ça fait longtemps qu'on peut oublier les débats d'arguments raisonnable de toute manière. Tu tends ton paquet en même temps qu'elle le demande, tu le sentais de toute manière. « Allez tiens. » Tu retrouves pas ton briquet. « Pour que ce soit plus équitable, tu dois aller demander du feu au groupe là-bas ... en espagnol. » T'espères vraiment qu'elle parle pas espagnol pour que le défi soit réel.

T’extrais une cigarette du paquet. Tu lui fais un petit sourire malicieux et puis tu t’éloignes aussitôt vers le groupe, d’un pas dansant, pieds nus, toute heureuse de ce petit défi qui te donne l’occasion de lui en mettre plein la vue. « Disculpe, ¿tienes fuego? » tu demandes. En vrai ils parlent pas espagnol, alors ils te font répéter en anglais. T’engages une brève conversation avant de revenir avec un feu.

T’allumes la cigarette de Marjo, puis la tienne que t’as coincée entre tes dents. « Gracias por el cigarrillo señorita, » tu lui susurres avec un air triomphant. « Déçue ? J’ai des origines espagnoles, » tu lui expliques avec un clin d’œil. « Mais bien essayé ! Ils m’ont proposé de se joindre à eux. Et ils sont mieux lotis que nous, point de vue ravitaillement… » tu dis avec un sourire complice. Tu serais pas contre une petite bière. Ou tirer sur un joint au passage.

Elle parle espagnol, enfin .. tu supposes, ça ressemble à ce que tu as entendu, en réalité tu ne comprends absolument rien. « Trop déçue, mais tu pourrais me parler n'importe quelle langue je capterai pas, j'ai fait allemand et anglais. » Tu souris à pleines dents, tu aurais du lui demander allemand, tu le savais.

« Bonne idée, je te suis signora ? » Tu as tenté de reproduire les sons comme elle, sûre que c'est faux. Vous vous avancez vers eux, ils vous accueille avec un grand sourire, ils parlent anglais, ton défi était un fail total. « Hello, i'm Marjolaine. » Tu dis ton nom en entier, parce que ça te fait toujours marrer que les gens galèrent à le prononcer.

Ton anglais est pas aussi bon que ton espagnol, mais quand même, tu t’en sors pour converser. Vous vous rapprochez du groupe, vous réinstallez dans l’herbe. « And i’m Leo, » tu ajoutes. T’attrapes deux bières et tu fais sauter la capsule avec le briquet, avant de le leur rendre. « Cheers, » tu souris avant de trinquer avec Marjo. T’aimes ces nuits à flâner, même si t’es aussi éphémère qu’un papillon. Tu dures jamais très longtemps en compagnie des mêmes personnes. « C’est bien, on aura bu pour pas cher ce soir, » tu dis en riant à Marjo, profitant que les autres comprennent pas le français.

« T'es sûre qu'ils parlent pas français ? » Tu demandes en marmonnant parce que bon quand même, ce serait con qu'ils comprennent tout en fait. Tu tiques à sa phrase quelques instants, puis tu te rappelles. « Ah j'avais oublié qu'on était parties sans payer. » Tu rigoles doucement, montant ta main devant ta bouche. En vrai tu rigoles parce que tu as payé, mais ça peut coller pour ce que vous avez fait. Vraiment cette soirée ne ressemble à aucune autre.