En dehors de sa fille et de toutes les angoisses qui venaient avec la parentalité, la plus grande peur de Nate aujourd’hui était celle de perdre Matt. Dans tous les sens possibles et imaginables du terme. Qu’il lui arrive quelque chose, qu’il décide qu’ils ne doivent plus se voir… Peu importe, c’était une source d’angoisse récurrente. Et ça avait bien failli arriver. Ils ne s’étaient pas vus pendant trois ans. C’était long trois ans avec l’impression d’étouffer un peu plus chaque jour, Nate ne sait pas comment mais il y avait survécu. Mais il n’y survivrait probablement pas une deuxième fois. Trois ans avaient suffit pour qu’il s’enfonce dans ses syndromes autodestructeurs : l’alcool d’abord, la cigarette ensuite. Qui sait jusqu’où ça aurait pu aller ? Ils essayaient tous les deux de garder les choses les plus simples possibles mais, malheureusement, il n’y avait rien de simple dans leur relation. Tout était soit interdit soit complètement tabou. C’était un enfer à vivre, une vie de mensonges dont Nate n’a jamais voulu. « Promets-moi… d’arrêter de parler de te barrer. Ou que je me barre en fait. Ça revient au même. Peu importe si on est pas d’accord… Je peux pas vivre avec cette épée de Damocles au-dessus de la tête en plus de tout le reste. » Et il avait relevé la tête cette fois pour accrocher son regard du sien. « Je ferai des erreurs encore, j’en suis d’avance vraiment désolé… Mais je fais vraiment tout ce que je peux pour que ça marche alors me demande pas de me barrer dès la première ombre au tableau. S’il te plait. » Et c’était sûrement beaucoup demandé mais il avait besoin d’avancer avec un minimum de certitudes les concernant.  

Je poussais un soupir en l'entendant, un vrai soupir de soulagement. Je m'étais attendu à beaucoup de choses, des demandes impossibles à tenir pour moi. J'avais peur qu'il ne me demande de venir vivre plus près de lui, qu'on parte vivre ensemble quelque part lui et moi ou qu'il me demande de lui dire... de mettre des mots sur ce que je ressentais, des mots beaucoup plus profonds que ce que je lui avais dit jusque là.

Je ne me serais pas senti capable de faire tout ça. Je pouvais très bien tout plaquer ici pour partir mais je ne pensais pas pouvoir assumer de vivre avec lui. Et je pourrais encore moins vivre près de lui, voir sa femme tous les jours. Quant à dire ces choses... j'en étais incapable. J'étais nul pour parler de mes sentiments. Je ne saurais même pas par où commencer ni quoi dire. J'étais totalement embrouillé dans ce que je ressentais. Je saurais encore moins l'expliquer clairement. Je n'étais certain que de peu de choses, je ne pouvais pas vivre sans lui, et je voulais le voir heureux.

Je passais une main sous son visage, le fixant un instant dans les yeux avant de l'embrasser tendrement. J'étais soulagé qu'il ne me demande que ça. Cette promesse je pouvais la faire sans problème. Si ça devait permettre de le rassurer et de l'aider à aller mieux je pouvais le faire. Je ferais cet effort. Je ferais attention à ce que je disais quand je m'emportais. Je pouvais le faire.

- Je te le promets. Je ne le dirais plus. Je dis ça quand... quand je suis blessé. Mais je ne veux pas te perdre moi non plus. Ces trois années sans toi ont été une vraie torture. Chaque instant sans toi l'est en réalité. Je ne veux pas que tu partes. Jamais...

Je le serrais contre moi alors que je l'embrassais avec tendresse à nouveau.

La communication avait du mal à s’établir entre Nate et Matt… Sûrement la faute à un manque de repères, le manque d’un exemple concret de ce à quoi une relation entre deux hommes ressemblait. Mais ils progressaient. A force d’efforts, ils parvenaient doucement à se faire comprendre l'un de l’autre. C’est exactement ce que Nate avait ressenti à ce moment-là : il s’était senti compris. Et comme par enchantement, il avait oublié ses tremblements et presque tous les soucis qu’il se faisait concernant la suite des choses. Il avait retrouvé le sourire de ses vingt ans et l’insouciance qui allait avec. Ça faisait un bien fou. Ce que Matt ressentait pour lui était réciproque et c’est bien tout ce qui comptait. Nate était capable de mettre sa vie entière entre parenthèses pour profiter de ses bras. Sous la tendresse de ses baisers, il avait fermé les yeux. Il était naturellement venu se presser contre lui, emporté par le bien-être que lui procurait l’instant. Il n’en aurait jamais assez. Et puis, une idée l’avait traversé et il s’était levé d’un bond pour trifouiller la radio. Il avait trouvé une station qui passait des slow. Un sourire malicieux aux lèvres, il avait attrapé Matt par la main. « Je sais que t’aimes pas ça alors considère que c’est la dernière faveur que je te demande. » Parce que, lui, il aimait ça et qu’il ne voulait pas terminer sa vie sans jamais avoir dansé avec la personne qu’il aimait. Doucement, il l’avait entrainé contre lui et au rythme de la musique, il avait commencé à tourner sur place dans le petit salon de Matt. Il n’avait pas une seule seconde perdu son sourire. Le romantisme, si ça lui était permis, il en userait et il en abuserait plus que de raison. Mais on ne pouvait pas dire que sa femme lui inspirait de grandes envies de romantisme, c’était une particularité réservée à Matt qu’il s’autorisa à exprimer pour une fois.  

Je soupirais en voyant ce qu'il trafiquait. Sa dernière demande mais pas la moindre. Je n'aimais pas danser non. Je m'étais forcé à son mariage pour faire semblant, pour maintenir les apparences et pas mal pour le faire chier aussi. J'avais voulu le rendre jaloux à ce moment là en allant danser avec une autre, lui faire un peu ressentir de ce que j'éprouvais à ce moment là. Je mentirais cependant si je disais que je n'avais pas pensé à un moment à échanger de partenaire, à aller danser dans ses bras à lui.

Alors je le suivis. Je le laissais m'entrainer, allant me mettre dans ses bras alors qu'il tournait doucement sur place. Oui ça aussi c'était une des raisons qui faisait que je ne dansais jamais, j'étais absolument nul. Mais là je me laissais aller contre lui, le suivant au rythme de la musique. Le temps était comme suspendu pendant un instant. Nous étions là ensemble, tellement bien. Ca n'avait rien à voir avec la passion que l'on mettait dans le sexe. C'était un moment simple, plein de tendresse, le genre de moment que je n'avais jamais aimé partager avec personne, à part avec Nate.

Et il n'y aurait qu'ici qu'on pourrait le vivre, dans l'intimité de mon appartement. Jamais on ne pourrait faire comme avec sa femme, danser tous les deux à notre mariage. Les hommes ne se mariaient pas ensemble de toute façon. J'aurais tellement aimé que ce soit le cas pourtant, vivre ensemble, avoir une maison à nous, se marier...

Je me redressais au bout d'un moment pour aller l'embrasser tendrement, mes mains posées sur ses joues.

- Ok tu as gagné... c'est plutôt agréable.

Je retournais me blottir contre lui, le laissant m'embarquer au fil de la musique.

- Être avec toi c'est agréable..

Nate était paisible, le sourire aux lèvres, Matt contre son coeur. S’il avait pu suspendre le temps, il l’aurait fait. Il essayait de se vider la tête en écoutant la musique et ça marchait plutôt bien. Il se surprit à être parfaitement détendu après seulement quelques secondes à tourner en slow ensemble. Ce moment valait largement toutes les peines qu’il avait vécues avant. Ça n’allait pas jusqu’à effacer ses regrets mais, quand même, Nate se sentait incroyablement bien pour un homme qui était à deux doigts de s’évanouir sous l’effet du manque il y a quelques minutes. L’amour lui donnait l’impression d’avoir des ailes. A ce moment précis, Nate savait que ça irait mieux… Un jour. « Plutôt agréable ? » Bien qu’il soit surpris, c’était bien la malice que l’on voyait dans le regard de Nate. S’il avait su qu’il ferait dire un jour à Matt qu’un slow était plutôt agréable, il aurait lancé des paris. Il avait doucement rigolé en posant sa tête sur celle de son amant, s’imprégnant de son odeur tant qu’il en avait encore le loisir. Nate le savait, cet instant serait fugace. Mais il était beau, presque parfait. La perfection, ça aurait été de pouvoir le faire où ils le voulaient. Dehors, à l’intérieur, devant toute une foule de personnes ou rien qu’eux deux… Mais où ils le voulaient. Ils dansaient ensemble dans le salon de Matt parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Si Nate avait pu, il l’aurait trainé dans un bar dansant. Ce qu’il aurait aimé ça ! D’ailleurs, tout ce qu’il ressentait pour Matt, il avait envie de le crier au monde entier et ça le bouffait de l’intérieur de ne jamais rien pouvoir dire. C’était injuste d’être si épris mais de ne pouvoir le chanter à personne. « Peut-être que j’arriverais à te faire danser encore après ça alors… » Il souriait, les lèvres contre ses cheveux. Il n’en demandait pas tant à vrai dire. Il pourrait très simplement ce satisfaire de ce moment et en chérir le souvenir jusqu’à la fin des temps.  

Le reste du week end avait été aussi délicieux que ce petit moment de danse. On avait alterné les moments de tendresse, les calins à deux, avec les moments plus torrides au lit. Et ça n'avait pas été qu'au lit d'ailleurs. On avait testé le plaisir de prendre une douche à deux et de laisser celle ci déraper vers quelque chose de plus passionné. J'avais pris plaisir, et plus d'une fois, à le regarder cuisiner dans ma petite kitchenette. Qu'est ce que cet homme pouvait être sexy quand il faisait sauter des crêpes. J'avais adorer le regarder faire, aller l'enlacer pendant qu'il cuisinait et tant pis si je le gênais.

C'était un week end comme je rêvais d'en vivre plein, beau, tendre et passionné. Un week end avec Nate.

Mais le moment de la séparation arriva beaucoup trop vite. Je le regardais emballer ses affaires, se lancer à la recherche des ses vêtements qui avaient volé un peu partout dans l'appartement. J'avais le coeur lourd. Je ne disais rien, prostré sur mon canapé. Je ne voulais pas qu'il parte. J'aurais voulu pouvoir rentrer demain du travail et le trouver là, m'attendant, faisant griller un morceau de steak qu'il aurait récupéré lui même chez le boucher avant de monter dans l'appartement, dans un endroit qui aurait été notre chez nous.

J'étais mal... et je gérais ça comme je le pouvais, faisant la gueule dans mon coin. Je ne disais rien, n'osais même pas le regarder. Il fallut qu'il vienne finalement me prendre dans ses bras pour que je me laisse un petit peu aller, ce qui chez moi voulait dire que je m'étais cramponné à lui comme si ma vie en dépendait.

- Tu m'as promis de m'appeler ok? Si jamais ça va trop mal ou juste que... que je te manque. Tu prends ton téléphone et tu m'appelles d'accord?

Ce n'était même plus que pour lui, c'était pour moi aussi. Je ne survivrais pas à une longue séparation sans avoir de nouvelles de sa part. J'en avais besoin. Je ne voulais plus revivre comme on l'avait fait jusqu'à présent, avec des mois voir des années sans nouvelles.

Le week-end avait été merveilleux. Malgré les grandes remises en question que ça avait provoqué chez Nate, il avait adoré ces deux jours passés dans le huit clos de l’appartement de Matt. Beaucoup d’amour, beaucoup de tendresse… et pas mal de sexe aussi. Il aurait été tellement facile pour eux de faire ça tous les jours. Nate n’aurait eu aucun mal à trouver ses petites habitudes ici auprès de Matt et ce même si c’était loin du luxe de sa propre maison. Le confort de son chez lui, il s’en passera bien pour vivre plus modestement ici. Et pourtant. L’heure de repartir était inévitablement arrivée. Le sourire que Nate avait arboré jusque-là s’était fané. Il avait le coeur lourd et, visiblement, Matt aussi. Il savait ce que ses ronchonneries signifiaient. Il ne disait rien, il ne bougeait pas… Il n’était pas bien et Nate aurait vraiment adoré pouvoir le consoler mais, cette fois, il ne pouvait rien y faire. Il allait devoir rentrer chez lui et il allait retourner au travail. C’était arrivé. Beaucoup trop vite, comme à chaque fois. Nate lui lançait de temps en temps un coup d’oeil en rassemblant ses affaires. En deux jours, il avait eu le temps de s’étaler faut croire. Quand son sac fut prêt, il se rapprocha de Matt. Se quitter serait douloureux mais il était hors de question qu’ils se quittent sur une mauvaise note. Il l’avait serré dans ses bras en fermant les yeux, incapable de trouver les mots qui auraient pu lui faire du bien. « J’appellerais. C’est promis. » qu’il avait dit dans un premier temps avant de retrouver les lèvres de Matt dans un baiser d’adieu passionné. Les vrais au revoir étaient presque plus douloureux que toutes ces fois où ils n’avaient pas pu se dire au revoir convenablement. Nate inspira en s’écartant un peu. « On se revoit vite. » qu’il avait dit à haute voix, comme pour se convaincre lui-même qu’ils n’allaient pas de nouveau attendre des mois ou même des années avant de se revoir. « Tu fais attention à toi. » Il écrasa ses lèvres une dernière fois sur son front puis sur ses lèvres avant de trouver le courage de s’éloigner pour rejoindre la porte d’entrée. Son corps bougeait, son coeur était resté sur place, dans les bras de Matt. Il avait l’impression de crever mais il fallait qu’il parte. Alors il était parti. En s’installant dans sa voiture, il avait guetté Matt par la fenêtre de chez lui. Est-ce qu’il allait le voir une dernière fois avant de démarrer ? Et puis il avait démarré, le coeur lourd et les yeux embués. Il était retourné à cette vie qu’il détestait de plus en plus.   

Il était parti... la séparation avait été atroce à supporter. J'avais tenu le coup en me raccrochant à l'idée que bientôt on se reverrait, que bientôt on s'appellerait. Je voulais y croire même si ce n'était qu'un rêve de fou. Il allait le faire... il me l'avait promis...

Et le coup de fil arriva. J'étais resté un instant comme un con au téléphone, tellement surpris d'entendre sa voix pour autre chose que de planifier un week end à deux. Puis je m'étais repris. Il allait mal. Il voulait s'échapper de son quotidien, ne plus penser à sa vie qu'il détestait. Alors je m'étais mis à parler de tout et de rien lors de ces coups de fil. Je lui parlais de mes journées au boulot, de mes soirées avec ma voisine. Je m'étais mis à rêver aussi, à faire des projets avec lui. Je lui racontais qu'un drive in avait ouvert pas très loin de chez moi, qu'on pourrait y aller ce soir, se garer à l'écart de tout le monde, là où on ne pourrait pas être vu, juste pour regarder un film blotti dans les bras l'un de l'autre.

Puis le week end suivant quand il vint me voir on mit cette idée en pratique. Je ne me souvenais même plus du film. Je gardais juste en mémoire ces instants passés collé contre lui, le sachet de pop corn qu'on avait grignoté à deux. J'avais eu l'impression d'être normal pendant l'espace d'un instant, d'être un vrai couple.

Il avait continué ses appels et j'avais continué mes rêves pour nous deux, lui parlant de tout ce que j'aimerais faire avec lui. Je lui parlais du tournois de rodéo qui devait avoir lieu le mois suivant et auquel on assista quand il vint me voir. On était obligé de se comporter comme deux simples amis mais ça faisait quand même du bien de passer un moment ensemble, de discuter de tout et de rien en savourant un spectacle.

Les mois défilèrent ainsi, ponctuaient par nos appels en semaine, nos week end ensemble une fois de temps en temps. Pour la première fois de ma vie j'étais presque heureux. Il n'aurait fallu qu'une chose pour que je sois pleinement heureux, c'était que l'on vive tout le temps comme lors de nos week end. Mais je me contentais de ça et j'en savourais chaque instant.

Tout était parfait.... jusqu'à ce que je me blesse.

C'était encore un de ces accidents à la con. Un des gars était entrain de manipuler une grue pendant que je m'activais au sol à déplacer du matériel. Lui il bougeait de gros tuyaux avec son engin. Puis tout se passa beaucoup trop vite. J'entendis un bruit sourd, puis des hurlements un peu partout autour de moi, des attentions paniqués surgissant de partout. J'avais juste eu le temps de relever la tête, d'amorcer le mouvement de bouger, avant de sentir le choc. Quelques instants plus tard je reprenais connaissance, la douleur me faisant hurler sans pouvoir me contenir. J'avais l'impression d'avoir un feu en train de ravager toute ma jambe droite. Par je ne sais quel miracle j'arrivais encore à bouger la bouge. Je poussais dessus, tentant de me dégager mais en vain. Je me souvenais de leurs visages se précipitant vers moi avant le trou noir...

Il y en eut pleins des trous noirs. A chaque fois que j'émergeais j'entendais des voix parler plus ou moins paniqués, des tas de gens s'agitant autour de moi puis à nouveau la douleur avant de sombrer à nouveau...

De ce qu'on me dit cela dura au moins deux jours avant que je ne reprenne conscience en l'hôpital. J'avais mal putain, comme des bout de fer chauffés à blanc enfoncés dans ma jambe chaque fois que je la bougeais. Le médecin était passé me voir, me parlant de fractures multiples et je ne sais quoi. En gros, j'en avais pour un bon mois à être cloué dans un fauteuil. Merveilleux... J'allais avoir une facture d'hôpital énorme encore une fois et plus de boulot pour la payer. Moi qui m'apprêtait à faire le dernier versement pour payer les dettes de mon père...

Mon boss était venu me voir quatre jours après l'accident. Il avait tenu à me rassurer. Ils allaient payer pour l'hopital, c'était leur faute après tout. Ils me donneraient aussi mon salaire le temps que durerait mon arrêt, il avait des assurances pour ça et puis il me le devait bien. Je ne l'écoutais que d'une vague oreille. Je me rendais compte que ce boulot avait bien failli me couter la vie. Quelques centimètres de plus et c'était mon crâne que les tuyaux auraient fracassé. Il était temps que j'arrête tout ça, que je me trouve un meilleur boulot que celui ci où j'étais littéralement entrain de me tuer.

Je coupais mon patron au milieu d'un de ses longs discours.

- Je peux vous demander un service?

"Euuh... oui, oui bien sur Matt."

- Est ce que vous pourriez contacter un de mes amis et le prévenir que je suis ici? Ca fait plusieurs jours que je suis là et qu'il ne doit pas pouvoir me joindre. Ca serait juste pour le rassurer. Il s'appelle Nate.

"Oh... je vois..."

Je fronçais un peu les sourcils en l'entendant parler.

- Vous voyez quoi?

"Vous l'avez réclamé, dans votre sommeil. Vous disiez Nate... Nate... tu me manques... j'ai besoin de toi"

Il détourna le regard gêné. Moi même je ne savais plus vraiment où me mettre. Il s'en alla rapidement après ça, me promettant de l'appeler. Je ne savais plus comment réagir de mon côté. J'avais l'impression que le monde était entrain de s'effondrer sous mes pieds. Il allait savoir... il allait comprendre que j'étais gay.

Continuer à faire semblant de mener la parfaite petite vie d’homme marié et père de famille était le pire châtiment que Nate avait connu. Mais il tenait bon. Pour ce qui était de l’alcool en tout cas. A chaque fois qu’il avait pu, il avait appelé Matt. Et il discutait. De tout et de rien, des fois sous l’oeil désapprobateur de sa femme qui guettait le moment où Nate allait expliquer qu’il partirait pour le week-end. Parce que c’était arrivé… Un week-end par mois, c’était arrivé. Nate partait. Peu importe combien elle lui en voulait, comment elle lui criait dessus. Nate partait le coeur léger de retrouver l’homme qu’il aimait et le temps qu’ils passaient étaient toujours définitivement bien trop court mais absolument divin. Ils s’étaient autorisé quelques sorties à l’extérieur à l’initiative de Matt et Nate ne pouvait pas être plus heureux de le voir s’investir dans leur relation. Ça devenait sérieux, ça devenait concret. Leur idylle s’inscrivait dans le temps et il y avait bien longtemps qu’ils n’avaient pas connu d’ombre au tableau. Un week-end par mois, Nate était heureux. Le reste du temps, il survivait. Les appels réguliers dans la semaine l’aidaient à tenir et sinon… Il s’était résolu à commencer à aller aux alcooliques anonymes. Dans le dos d’Alison, évidemment. Il ne lui avait jamais parlé de son addiction et il n’avait pas l’intention de le faire. Alors il lui mentait… Encore. Un peu plus, un peu moins, il n’était pas à ça près. Sauf qu’il sentait que le subterfuge commençait à atteindre ses limites. Ses escapades un week-end par mois passaient très mal et les engueulades étaient devenues quasi quotidiennes. Elle l’agaçait prodigieusement et, malheureusement, c’était devenu parfaitement réciproque. Plusieurs fois, Nate avait espéré qu’elle finisse par demander le divorce… Mais elle ne le faisait pas. Trop peur de se retrouver sans rien sans doute. Nate était la seule source de revenue du foyer. Dans le fond, il n’en savait trop rien. Il ne faisait plus l’effort de communiquer avec elle. Sans l’alcool, il n’y arrivait plus. C’est ce qu’il craignait à l’époque quand il avait promis à Matt de s’attaquer au problème et c’est ce qui était arrivé. « Tu vas encore l’appeler… Matt ? Vraiment Nate, vous êtes pire que des gonzesses à passer tout votre temps au téléphone. » Nate n’avait même pas relevé. Ce genre de remarques, c’était quotidien. Il n’y prêtait plus attention. Par contre, ce qui attira son attention, c’est que Matt ne lui avait pas répondu. Or, il aurait du être chez lui à cette heure-là. Un imprévu ? C’est ce que Nate avait décidé de penser, le coeur serré. Mais le lendemain, il n’avait pas eu de nouvelles non plus. Il avait fallu deux jours avant que le téléphone ne sonne et qu’il se retrouve en ligne avec le patron de Matt qui lui apprit qu’il était à l’hôpital. Le monde de Nate s’effondrait sous ses pieds, l’inquiétude qu’il avait ressenti à ce moment-là l’empêchait de garder son sang froid. Comme un automate, il avait rejoint sa chambre depuis laquelle il avait commencé à faire sa valise. « Qu’est-ce que tu fais ?! » Alison l’avait suivi. Evidemment. Elle ne devait rien y comprendre. « J’ai une urgence, je dois y aller. » Elle avait attrapé son épaule pour le forcer à la regarder. « Mais quelle urgence ?! De quoi tu parles ?! Elle est ici ton urgence Nate, c’est nous ton urgence, tu le vois pas ?! » Elle était hystérique et sûrement qu’elle n’avait pas tort mais Nate était incapable de le prendre en compte. Tout ce qu’il voulait, c’était rejoindre Matt et s’assurer qu’il aille bien. Il avait repoussé sa main de son épaule et, après avoir terminé de préparer ses affaires, il avait rejoint la porte d’entrée. « Je te tiens au courant. » Et les larmes dans les yeux d’Alison auraient du l’émouvoir mais ça n’avait pas été le cas. « Embrasse Penny de ma part. » qu’il avait dit avant de claquer la porte et de prendre la voiture pour se rendre le plus rapidement possible à l’hôpital que lui avait indiqué le patron de Matt. Il avait mis quelques heures à faire le trajet et il avait du user de tous ses plus beaux sourires pour arriver jusqu’à la chambre de Matt mais, enfin, il y était. Il avait toqué avant de s’engouffrer dans la chambre, son coeur battait la chamade. Il s’était précipité au chevet de Matt, attrapant sa main. « Je suis là. » qu’il avait dit, à deux doigts de tomber dans les vapes tellement il s’était pressé pour venir. Il ne savait même pas dire quelle heure il était. « Comment tu vas ? » qu’il lui avait demandé en caressant son front, profitant de l’intimité de sa chambre pour laisser libre court à son affection. 

J'avais peur. Je savais ce qui allait se passer. Il allait en parler aux autres gars. Matt était une tafiole, quand il était dans les vapes il ne cessait de gémir et supplier pour qu'un mec vienne à son chevet. Il allait falloir que je quitte ce boulot, même cette ville d'ailleurs. Je ne pouvais pas me permettre ça. Je ne pouvais pas être le pédé que tout le monde allait montrer du doigt. Mon quotidien allait devenir invivable et ça ne serait pas mieux pour les week end que je passerais avec Nate. On ne pourrait plus sortir comme deux amis. Les gens sauraient, ils comprendraient que lorsque j'étais proche de lui, j'étais trop plus proche que ce qu'ils ne pensaient. Il fallait que je parte... je n'étais que trop rester ici de toute façon.

Qu'est ce qui me retenait dans le fond? Rien du tout. J'avais perdu mon père et la ferme en même temps. Mes soeurs avaient coupé les ponts avec moi depuis qu'on avait vendu la ferme. C'était la dernière fois que je les avais vu, le jour ou nous avions signé les papiers. Depuis elles s'étaient tenu bien à l'écart de moi... La seule chose qui avait fait que je n'étais pas parti c'était mes dettes. Sauf que ce problème était bientôt réglé. Il ne me restait plus qu'un versement à faire et je pourrais partir. Ce serait même beaucoup plus simple si je le faisais. Je pourrais démarrer une nouvelle vie, loin de tout ça, loin de ces gens que j'avais connu toute ma vie et qui ne cessaient de me pointer du doigt. Un nouveau départ...

J'étais entrain de feuilleter différents journaux et magazines pour faire mon choix. Je commençais à rêver de grandes villes où je pourrais vivre en anonyme, loin du petit village où j'étais et où tout le monde se connaissait. Sur tous les endroits où je pouvais aller plusieurs se disputaient. Il y avait New York bien sûr, Los Angeles et San Francisco. Le mouvement hippie était de plus en plus fort là bas et je me mettais à rêver. Ces gens là... ils étaient tellement plus ouvert que tout ce que j'avais connu. Ils voulaient vivre sans contrainte, sans se soumettre à l'autorité de leur parent ou d'un gouvernement. Ils pronaient l'amour libre, sans contrainte et surtout, sans distinction de sexe. Une communauté qui m'accepterait, qui accepterait le fait que je sois avec un homme, ça avait le don de me donner le tournis.

Je relevais la tête en entendant frapper, m'attendant à voir arriver une énième infirmière. Mais ce fut lui... mon coeur rata un battement en le voyant arriver. Je souris légèrement en le sentant venir se mettre à mon chevet.

- Ca va. J'ai juste la jambe en bouilli.

Je repoussais doucement sa main en soupirant.

- Fais gaffe. Les infirmières débarquent sans prévenir. Je ne les supporte plus. Vivement que je me casse.

Ce qui ne devrait plus tarder. Elles étaient entrain de me rendre fou dans cet hôpital.

- Pourquoi tu es venu? Ce n'était pas la peine. J'ai juste dit à mon patron de t'appeler pour ne pas que tu t'inquiètes vu que je ne répondais plus à tes appels.