Il riait. Encore. Le coeur de Nate s’était serré. Il ne le croyait pas. C’était bien tout le problème. Nate adorerait pouvoir lui prouver qu’il était sûr de lui cette fois mais il n’avait pas la certitude que Matt lui permette de le convaincre. Ce ne serait de toute évidence pas des paroles qui lui suffiront. Des actes peut-être ? S’il savait ce que Nate avait accompli de son côté en deux mois, est-ce que ça changerait grand chose ? Nate n’en savait trop rien. Ça avait l’air terriblement mal parti. Et qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre à ça ? Il avait beau réfléchir, il ne voyait pas vraiment quoi rétorquer. Il ne le croyait plus et il n’avait aucun moyen de lui prouver sa bonne foi, là, tout de suite. « J’aurais besoin de temps pour te prouver que ce ne sont pas des beaux discours… Pas cette fois. » qu’il avait dit en haussant les épaules. Ce n’était pas un signe de désinvolture. Loin de là. Plutôt un signe d’impuissance. Une nouvelle fois, Matt avait soupiré. Cette fois, il avait écrasé sa cigarette et lui avait expliqué qu’il devait partir. Nate s’en doutait. Ok, il s’arrangerait pour le voir à un autre moment. Un Matt dans tout Los Angeles, ça devait pas être si dur à trouver ? Ou peut-être bien que si. A la minute où il prévoyait de lui donner ses coordonnés, Matt l’avait devancé à sa plus grande surprise. Ce n’était pas un oui, ce n’était pas un non… Mais vu d’ici, ça ressemblait à un peut-être et c’était déjà énorme. Alors il avait sourit, un de ces sourires qui pouvait illuminer une pièce toute entière. Quel soulagement. « Très bien. Merci. Passe une bonne soirée toi aussi… Amuse-toi bien. » Il n’avait plus qu’à attendre la semaine pour se rendre chez lui et approfondir son propos. Pour le coup, il était tellement content que même voir Matt repartir avec Dan ne l’avait pas trop fait souffrir.
Enfin, c’était sur le moment. En y réfléchissant bien, ça faisait un mal de chien. Mais il avait tenu bon le temps que le week-end passe, se cramponnant à ses bonnes résolutions. Dès le lundi, il avait été sur le qui-vive pour retrouver Matt. En début d’après-midi, il s’était présenté chez lui et, le coeur un peu en vrac, il avait sonné. « C’est moi. » qu’il avait dit d’abord, un peu trop familièrement puisqu’il s’était repris : « C’est Nate. » qu’il avait précisé à l’interphone.

Pas cette fois... au moins il reconnaissait que toutes les autres fois n'avaient été que des paroles en l'air. Est ce qu'il pourrait être sincère un jour? Est ce qu'il l'était vraiment là? Voulait il vraiment que l'on construise quelque chose à deux? M'aimer et vivre comme un couple normal? J'avais du mal à y croire. J'avais peur d'y croire même. Et si je me laissais aller à lui faire confiance? Et qu'il me mentait à nouveau... Est ce que j'étais en état de supporter ça, de me ramasser encore une fois?

"Moi je ne le crois pas. Il est seul dans cette ville et ton cul lui manque. Normal un cul pareil on ne peut qu'en devenir accro. Mais il n'a jamais été sérieux et je ne vois pas pourquoi il le serait plus maintenant."

Je soupirais écoutant ce que disait Dan tout en fixant le fond de mon verre. Je l'avais rejoins à la soirée et après avoir fait le tour de tout ceux qui voulaient me rencontrer, je m'étais installé dans un coin avec lui pour lui raconter ce qui s'était passé. Et il n'avait pas attendu bien longtemps pour me donner son avis.

- Je n'en sais rien... il a pris le temps de réfléchir, d'encaisser la rupture avec sa femme. J'étais comme lui à une époque tu sais. Je n'assumais pas ce que je ressentais. Je me cachais. Je ne m'imaginais pas vivre avec lui. Lui c'était pareil. Il a fait ce que sa mère attendait de lui et maintenant... maintenant il est libre.

"Ok vous n'assumiez pas, comme beaucoup de mecs gays. Mais toi tu n'es pas allé te marier avec une greluche alors que ton père te mettait une pression terrible. Ne lui cherche pas des excuses c'est un con."

Je soupirais tristement en l'entendant.

- Je sais... et je n'ai pas dit que je lui pardonnais, juste que j'allais écouter ce qu'il avait à me dire.

"Je préfère ça. J'ai pas envie de te voir finir dans le même état à cause de lui... "

Je ne pouvais pas lui en vouloir. J'avais peur de ça moi aussi.

Le lendemain, j'avais profité de prendre un peu de repos bien mérité. J'avais déjeuné ensuite avec mon agent où nous avions longuement parlé des personnes rencontrées pendant la soirée et des différents projets qu'on m'avait proposé. J'étais ressorti du rendez vous avec plusieurs scénarios et beaucoup de mal à choisir lesquels j'allais garder. Je les aimais tous et j'aurais voulu pouvoir jouer dans chacun d'entre eux mais je ne devais en choisir que deux.

J'avais passé la soirée à les lire avant d'aller me coucher. Je ne m'étais pas attendu à le voir le lendemain. Je ne pensais pas le voir venir en fait. Je ne m'attendais à plus grand chose de sa part. J'étais beaucoup trop habitué aux vaines paroles avec lui. Pourtant il sonna à ma porte. J'entendis sa voix s'élever dans l'interphone et à nouveau mon coeur manqua un battement.

- Oui... je t'ouvre... dernier étage au fond à droite.

J'attendis un peu qu'il arrive avec d'aller lui ouvrir.

- Salut... entre je t'en prie.

J'allais m'installer sur ma terrasse lui faisant signe de me suivre. Je m'assis dans un des fauteuils et sortis mon paquet de cigarettes avant de le lui proposer. Je m'en allumais une avant de soupirer doucement.

- Alors... qu'est ce que tu veux?

Nate s’était un peu préparé. Il avait anticipé la froideur si blessante de Matt et il avait pensé à ce qu’il dirait. Il s’était même imaginé ce que Matt lui reprocherait et comment il y répondrait. Il se sentait prêt. Fébrile mais prêt. Il se raccrochait à l’idée que s’il avait accepté de le faire venir jusqu’à chez lui, c’était bien parce que tout n’était pas tout à fait mort entre eux. Après tout ce qu’ils avaient pu traverser… Ce serait un véritable gâchis de s’arrêter là alors que Nate renaissait seulement de ses cendres. Mais cette décision n’était plus vraiment entre ses mains. Tout ce qu’il pouvait, c’était tenté d’influencer Matt… Et pour le coup, il était déterminé à le motiver à aller dans ce sens. Quand Matt avait répondu à l’interphone et lui avait ouvert la porte de l’immeuble pour qu’il le rejoigne, Nate avait réalisé quelque chose. Etait-il possible qu’il ne vive pas seul ? Est-ce qu’il allait tomber sur Dan ? Si c’était le cas, ça couperait très certainement court à tous ces beaux projets. Dans l’immeuble, il s’était pressé pour atteindre l’appartement de Matt. Il avait envie d’en avoir le coeur net. « Salut. » qu’il avait répondu en se mordant un peu nerveusement la lèvre. Ok, c’était beaucoup de pression d’un coup. L’avoir en face de lui, c’était quand même autre chose que d’imaginer sa voix dans sa tête. Mais Nate restait positif : il pouvait le faire. La rapide traversée de l’appartement jusqu’à la terrasse de Matt ne lui avait pas permis de déterminer si quelqu’un d’autre vivait ici. En tout cas, Dan n’était pas là. C’était déjà ça. Nate décida de se rassurer… Deux mois, ça faisait tôt pour se mettre en ménage avec quelqu’un d’autre, non ? « Mais je t’ai déjà dit… Ce que je veux. » Nate était loin d’avoir perdu de vue son objectif. « Et non merci. J’ai arrêté. Ça me ressemblait pas de fumer. » qu’il avait dit en haussant les épaules. Et ce n’est pas parce que ça ne lui ressemblait pas que ça n’avait pas été compliqué d’arrêter. Il avait galéré et mastiqué pas mal de chewing-gum mais après deux mois, il commençait à se dire qu’il avait réussi sa bataille contre la nicotine. « Ecoute Matt, je sais que tu ne me fais pas confiance et j’essaye pas de me trouver des excuses mais… J’ai passé des années dans le brouillard et tout est enfin très clair. Je sais ce que je veux, je sais où je vais. » Et c’était bien la première fois que ça arrivait. Toute sa vie, Nate s’était laissé guider par des choix qu’il n’avait pas vraiment fait. « Je peux pas effacer ce qui s’est passé entre nous. C’est fait. Je pourrais sans doute m’excuser un millier de fois mais ça ne changerait rien. En revanche, je peux t’assurer que plus rien ne se mettra entre nous à l’avenir… Je suis clean. Dans tous les sens possibles du terme. » Allez, s’il pouvait seulement ne pas entendre un rire sarcastique ou un soupir exaspéré, ce serait déjà bien.

Je rangeais mon paquet de cigarette dans ma poche. Ainsi donc il était clean, sur tous les points apparemment. Il n'était pas vraiment du genre à fumer quand on s'était connu. C'était moi qui fumait et petit à petit il avait fini par me suivre là dedans. Je me rappelais encore de la première fois où je l'avais vu fumé. Ca m'avait surpris mais je n'avais rien dit. J'étais mal placé pour lui faire des reproches, pas sur ce côté là en tout cas.

Je tirais une bouffée de ma cigarette, me retenant de m'énerver à nouveau. Encore des promesses... encore des mots, juste des mots, que je n'arrivais plus à croire.

- Ne dis pas ça s'il te plait... Je t'ai trop entendu me dire des choses comme ça. Et au final tu as toujours fait l'inverse de ce que tu me promettais. Je n'ai plus envie d'entendre ça. J'en ai plus la force Nate...

C'était beaucoup trop dur à supporter. Je pouvais essayer de le voir, sans trop souffrir. Ca faisait mal quand même, mais c'était encore supportable tant qu'il ne me faisait pas ses fausses promesses, qu'il ne me sortait pas ses discours plein d'amour et complètement faux. Ce n'était pas ça aimer quelqu'un. Et ce n'était pas ce que je voulais.

- Parle moi de toi plutôt. Dis moi ce que tu as fait ces deux derniers mois.

Ca m'intéressait réellement. Je ne pouvais pas arrêter de l'aimer ni même réussir à l'oublier complètement. Je m'inquiéterais toujours pour lui et sur ce qu'il devenait. Mais je ne voulais plus le laisser entrer dans ma vie comme autrefois, pas à moins d'être certain qu'il ne me ferait pas souffrir à nouveau. Peut être que si j'avais des actes, des preuves qu'il avait vraiment changé et qu'il était décidé à avoir une vraie vie de couple avec moi, peut être que j'arriverais à lui confiance. Peut être que je pourrais me dire qu'il n'était pas avec moi par dépit, qu'il ne regrettait pas d'avoir perdu sa vie pour moi. Je voulais être certain et sentir qu'il me voulait moi et rien que moi.

Mais ça je doutais sincèrement que ça arrive.

Nate accusait le coup. Matt ne le croyait plus. Même pas un peu. Pourquoi est-ce qu’il avait accepté qu’ils se voient alors ? Il ne pouvait pas croire que c’était par faiblesse. Pas lui. Il était de loin la personne la plus forte qu’il connaisse, bien au dessus de lui d’ailleurs. Parce qu’il éprouvait encore des sentiments à son égard ? Nate avait envie de penser que oui mais il n’en était plus si sûr, pas alors que sa confiance en lui était détruite. Qu’est-ce qu’il pouvait dire alors ? Des mots, c’est bien tout ce qu’il pouvait lui donner pour le moment. S’il devait prouver quoi que ce soit, ça se ferait avec le temps. Et si Matt ne lui accordait pas ce temps-là, ça ne se ferait tout simplement pas. Il croisa les bras sur son torse. S’il y avait bien quelque chose qu’il n’avait pas vu arriver, c’était que Matt lui demande ce qu’il avait fait ces deux derniers mois. « Euh… J’ai été pas mal occupé à vrai dire. » qu’il avait commencé, légèrement hésitant. Est-ce qu’il allait tout lui raconter alors qu’ils étaient en froid ? Nate hésita une seconde plus en pensant à quel point il avait envie de retrouver ses bras après tout ce qui s’était passé ses dernières semaines. Il inspira. « Je suis retourné au Texas… Pour voir ma mère. Je lui ai dit que je t’aimais, elle a… pas vraiment bien réagit et d’un autre côté, c’était pas si horrible que ça. » Et à l’évocation de ce souvenir encore frais et douloureux, Nate avait détourné le regard. Il s’était fixé sur un point au loin histoire de ne pas se laisser submerger par l’émotion et flancher. Ce n’était pas le moment et il était trop déterminé aujourd’hui pour s’effondrer. « J’en ai profité pour dire au revoir à Penny. » Lui qui n’avait jamais pu lui dire au revoir, ça avait été un soulagement incroyable de pouvoir le faire. Evidemment, ça ne s’était pas passé comme il l’aurait aimé mais il avait accepté que ce soit comme ça pour le moment. « Et je suis revenu ici. J’ai trouvé un boulot, un appartement, une salle de sport aussi où je fais passer toutes mes envies de clope et d’alcool… Et ça va. » Il haussa les épaules. Ça y est, il avait assez parlé de lui et il avait toujours eu horreur de ça. « Et toi ? » qu’il avait demandé en reportant son attention sur lui avec un sourire radieux qu’on aurait cru emprunté au Nate de vingt ans qu’il avait été un jour. « Les films… T’as déménagé aussi. Et puis ? » A part Dan, il en va de soi. Nate avait déjà bien compris qu’ils avaient passé du temps ensemble.

Je me retenais de grimacer en l'entendant dire qu'il m'aimait. Je n'aimais plus l'entendre me dire ça. Autrefois ça me faisait sourire. J'aurais même été aux anges de le voir le dire à sa mère comme ça. Aujourd'hui je ne savais pas. Oui il semblait assumer un peu plus, il l'avait dit à sa femme et à sa mère maintenant. C'était encourageant mais je ne voulais pas me faire de faux espoirs non plus. Il avait fait ça mais est ce qu'il ne finirait pas par le regretter? Est ce qu'il n'allait pas finir par revenir dans le même état que celui dans lequel je l'avais vu arriver, triste et abattu? Pourrait il vraiment être heureux avec moi? Ca je n'en savais rien.

Je le regardais surpris alors qu'il me disait avoir dit au revoir à sa fille. J'avais du mal à comprendre. Sa fille était tout pour lui alors comment pouvait il lui avoir dit au revoir? Ca ne pouvait pas être définitivement. Juste au revoir pour quelques temps. Il était venu s'installer et faire sa vie à Los Angeles, mais je doutais qu'il y reste bien longtemps. Il finirait par revenir vers elle. Il ne pouvait pas en être autrement.

Je haussais vaguement les épaules alors qu'il venait m'interroger sur ma vie.

- Et puis pas grand chose. Le tournage est quasiment terminé. Il me reste un peu plus de deux semaines. J'ai rencontré quelques réalisateurs l'autre soir, je dois étudier les scripts que mon agent m'a fait passer pour me décider. J'ai changé d'appart ouais... je me suis acheté des meubles aussi...

J'avais surtout passé ces deux mois à tenter de surmonter notre rupture et à l'oublier. L'appartement avait été une première étape pour tenter de me reconstruire.

- Pourquoi tu dis que tu as dis au revoir à ta fille? Tu vas la revoir non?

C'était obligé non? C'était sa fille après tout. C'était la personne qu'il aimait le plus au monde. Même si il ne la voyait pas beaucoup, il devait continuer de faire partie de sa vie. Je savais qu'il ne pourrait pas être heureux sans elle.

Matt n’avait absolument pas commenté le récit de Nate. Ça ne le surprenait pas vraiment mais, quelque part, il aurait savoir ce qu’il pensait. Est-ce qu’il trouvait ça bien ? Il l’espérait mais n’en était absolument pas certain. Vu le masque de froideur qu’il avait revêtu, ses pensées étaient devenues indéchiffrables. Déjà à l’époque où ils se voyaient, c’était compliqué. Quand il y réfléchissait, Nate devait bien admettre qu’ils avaient toujours eu du mal à communiquer… et donc à se comprendre. C’était sans doute pour ça, entre autre, qu’ils en étaient arrivés là. Quel gâchis. « Une carrière bien lancée. » que Nate avait dit dans un sourire. Il avait toujours cru en lui. Lui qui avait toujours Matt exceptionnel, il n’avait aucun mal à imaginer qu’il fasse carrière dans le milieu. Rien que ce visage, à ses yeux, valait des millions. Mais ça, il s’était bien gardé de le dire. S’il y a bien quelque chose qu’il avait compris c’était que ses mots n’avaient actuellement que très peu de valeur aux yeux de Matt. « J’ai vu… C’est chouette ici. » qu’il avait dit en désignant de la tête l’intérieur de l’appartement. Fut une époque, il lui aurait fait visiter. Visiblement, ce privilège-là ne lui était plus accordé non plus aujourd’hui. Et puis le sujet de Penny était revenu sur le tapis. Nate s’était pincé les lèvres, haussant les épaules une fois de plus. « Ce sera pas si simple. » Est-ce qu’il devait lui faire la version longue ou la version courte ? Nate hésita et finit par dire : « J’ai de bonnes raisons de penser que si je cherchais à la voir… Ça pourrait mal se terminer. » Et par bonnes raisons, il entendait que sa mère lui avait clairement dit qu’ils avaient menacé de mort son fils. Valait-il mieux pour Penny qu’elle ait un père mort où un père absent ? Nate espérait qu’un jour il pourrait lui expliquer et qu’elle comprendra. Quand elle sera en âge de prendre des décisions par elle-même...

Il ne pouvait plus la voir, tout ça parce qu'il avait avoué à sa femme qu'il avait couché avec moi. Combien de temps faudrait il avant qu'il ne me le reproche? Être avec moi, ça avait détruit sa vie. Il avait perdu sa famille, sa fille, l'amour et le respect de sa mère, parce qu'il avait voulu coucher avec moi. Peut être que là il voulait revenir, peut être était il vraiment sincère, mais combien de temps est ce que ça pourrait durer? Il avait été déprimé en venant la première fois et j'avais bien compris qu'il souffrait de les avoir perdu et que la joie d'être avec moi ne parvenait pas à faire taire la souffrance. Il semblait vouloir être à mes côtés, vouloir être heureux avec moi, mais combien de temps est ce que ça durerait? N'y aurait il pas un jour où il se dirait que ça ne valait pas le coup, que je ne valais pas le coup de tout sacrifier pour moi? Il aimait sa fille, beaucoup plus que moi et je le savais. Alors pourrait il supporter de l'avoir perdu pour moi? Il valait mieux que je sois raisonnable, que je le repousse malgré tout ce qu'il me disait. J'avais peur de souffrir un jour, de me prendre tout ça dans la gueule.

- Oui c'est sympa... j'aime bien la vue...

J'évitais volontairement de parler davantage de sa fille. Je n'avais pas envie d'entendre tout ce qu'il pourrait me dire à son sujet. Je le devinais et ça me faisait assez mal comme ça.

- Je suis content de voir que tu vas mieux, que tu as pu arrêter de boire et tout ça.

Je lui fis un petit sourire. J'étais fier de lui et de ce qu'il avait accompli en quelques temps. Il semblait beaucoup moins détruit que lorsqu'il était venu me voir. Moi, c'était tout l'inverse...

- La vie à Los Angeles te plait? Tu ne regrettes pas trop le Texas?

Matt était plus que sceptique. Les années passées à douter sans jamais savoir de quoi demain sera fait aura eu raison de la confiance qu’il avait un jour en Nate. Mais Nate se l’était promis, quand ils s’étaient quitté il y a deux mois de ça : il n’abandonnerait pas. Ce n’était pas possible. Pas après tout ça, tout cette souffrance ne pouvait pas être vaine. La vue ? Nate n’avait pas vraiment remarqué, trop occupé par la contemplation de l’homme qu’il aimait. Il tourna la tête vers la dite vue, esquissa un sourire. Oui, c’était sympa. Nate reporta vite son attention sur Matt ceci dit qui, enfin… avait sourit. Petit sourire mais sourire quand même. Encouragé, Nate avait sourit de plus belle. S’il était content alors lui l’était d’autant plus. De nouveau, ce geste insuffla un peu d’espoir au trentenaire. En signe de gratitude, il avait simplement hoché la tête. Il s’était repris en mains mais n’attendait pas forcément qu’on l’encense pour ça. C’était normal. « Eh bien, je ne crois pas qu’il y ait grand chose à regretter du Texas… » qu’il avait dit dans un petit rire, sincère quand même. « Je commence à prendre mes marques. Pas besoin de faire semblant d’être quelqu’un d’autre, tout est plus simple… Enfin. Presque tout. » Mais il n’avait pas besoin de dire ce qui restait compliqué non ? Il marqua une petite pause avant de reprendre : « Et… T’es heureux alors ? » Et, après tout, il n’y avait que ça qui comptait non ?

La vie était plus simple oui aussi. Je ressentais la même chose. Je n'avais pas besoin de faire semblant, de me cacher, d'avoir peur qu'on ne découvre qui je suis. C'était beaucoup mieux que de vivre au Texas. Moi qui avait pourtant cru passer ma vie là bas, mon destin avait pris une tournure des plus inattendues. Ce n'était pas complètement pour de me déplaire. Oui ma vie à la ferme me manquait. J'aimais bien ma solitude, le travail simple, le contact avec les animaux. J'étais loin de tout ça ici avec les projecteurs braqués sur moi assez régulièrement, la pression que se mettaient beaucoup trop de personnes pour réussir, être quelqu'un de connu. C'était triste à dire mais ma vie à la ferme était bien la seule chose qui me manquait. Les gens que je fréquentais auparavant au Texas, si étroits d'esprit. Mon ancienne voisine que j'avais pensé être mon amie et qui m'avait regardé d'un air dégouté quand elle avait su qui j'étais. Mes soeurs qui m'avaient rejeté elles aussi, parce que je n'étais pas comme elles, que je n'avais pas la vie du parfait petit père de famille, parce qu'à leurs yeux j'étais un raté. J'aurais bien aimé voir leur tête quand elles découvriront que le raté a joué dans un film. Mais surtout, et c'était certainement horrible à dire, mais mon père ne me manquait pas. Vivre avec lui avait été un véritable enfer. Il avait passé sa vie à me rabaisser. Je m'étais sacrifié, saigné aux quatre veines, tué au travail pour lui offrir ce dont il avait besoin et la seule récompense que j'avais eu, ça avait été de me faire rejeter par mes soeurs. Je n'avais pas eu un dernier mot gentil, pas le moindre regret de sa part au moment de sa mort. Alors oui, malgré le fait que la vie ne soit pas parfaite ici, je ne regrettais rien non plus du Texas.

Je haussais vaguement les épaules alors qu'il me demandait si j'étais heureux. C'était une question difficile. Je ne savais pas trop quoi lui répondre. Non je n'étais pas pleinement heureux mais ça aurait pu être pire. Ca l'avait même déjà été. J'avais le coeur en miettes à cause de lui, j'avais du mal à m'en remettre et forcément à cause de ça je ne pouvais pas dire que j'étais heureux. Mais ça je me garderais bien de le lui dire.

- Ca peut aller. Ma vie n'est pas si mal que ça.

Si j'avais eu le choix, ma vie n'aurait pas été comme elle était maintenant. Dans mes rêves les plus fous ce n'était pas ainsi que j'aurais vu les choses. J'aurais habité dans une ferme, à l'écart de tout et de tout le monde. Je n'aurais fait un tour en ville qu'une fois de temps en temps pour acheter ce qui m'était nécessaire. Les gens m'auraient foutu la paix, ils ne m'auraient jamais jugé, pas de regard de travers. Et j'aurais vécu avec lui là bas. Le scénario tellement improbable... mais j'avais commencé à en faire mon deuil.

- Et toi alors? Tu es heureux?

Je connaissais déjà la personne. Il ne pouvait pas l'être, pas sans elle, et il ne le serait certainement plus jamais.