"C'est papa qui s'y colle cette fois."

Malicieuse, la coyote en avait profité pour lui piquer le morceau d'oeufs brouillés sur sa fourchette avec un grand sourire avant de retourner à sa place. LA discussion tenait plus du traumatisme qu'autre chose pour elle, sa mère ne mâchait pas ses mots et elle avait accepté de le faire pour Jesse pour lui éviter un embarras similaire. Elle envoya un message à Warren pour lui donner quelques indications, et un à Nabi pour lui dire qu'elle aimerait la voir dans la semaine.

-

"Tu as TOUJOURS faim !"

L'écossaise se mit à rire. Elle avait compris ça tout de suite et s'amusait de la quantité ingurgitée par le loup, mais surtout de sa réaction quand elle lui en proposait. Elle-même récupéra une pâtisserie qu'elle croqua doucement après s'être redressée, assise dans l'herbe avec les jambes remontées contre sa poitrine. Sa main glissa mécaniquement dans sa besace pour en extirper le vieux journal de sa mère qu'elle bloqua entre ses cuisses et son ventre tout en observant l'horizon. Elle s'était apprêtée par plaisir d'en avoir la possibilité mais, lorsque Ben laissa entendre qu'il s'agissait d'un rencard, elle se sentit plus contente d'elle-même et lui adressa un petit sourire.

"C'est vrai, c'était une bonne idée. J'espère en avoir une aussi pour la prochaine fois."

Aiden lui avait renvoyé des messages qu'elle ignorait. Elle n'appréciait guère son insistance inhabituelle et n'était pas du genre à se laisser faire, d'autant plus pour une relation qui n'en était pas une. Par contre elle avait discuté avec Alvaro entre deux découpages de légumes ou fabrication de pâtisserie qui ne semblait pas particulièrement dérangé par son désintérêt soudain pour leur ami. Même s'il taquinait beaucoup Nabi avec ça il la connaissait suffisamment pour savoir que si elle avait été amoureuse elle se serait déclarée, car elle le faisait toujours. Aiden aurait été une option envisageable s'ils s'étaient côtoyés en réalité -elle ne voulait pas d'une relation à distance- mais elle ne voulait pas le voir, et Alvaro n'insistait pas. Ce n'était pas son problème tant qu'elle voulait bien le voir lui. Ça finirait par le déranger si elle émettait la même réserve avec Mia parce que c'était aussi sa meilleure amie, mais Aiden n'était pas leur ami depuis longtemps et il n'y avait pas tout à fait le même feeling.
Ce n'était pas vraiment le moment de penser à ça, mais son téléphone n'arrêtait pas de vibrait alors qu'elle regardait l'horizon comme si cela pouvait faire disparaître son portable.

"J'aime beaucoup l'Écosse pour plein de raisons différentes, mais je ne m'y sens plus à ma place... Il n'y a plus rien pour moi là-bas maintenant, elle tourna la tête avec un sourire, ne voulant pas s'étendre sur le sujet, et lui proposa la moitié de son muffin qu'elle n'arrivait pas à finir. Le mauvais temps ne me dérangeait pas plus que ça, mais le soleil a un côté agréable. Mais je t'avoue que je préférerais vivre très loin de toute l'agitation de la ville, je vais avoir du mal à m'y acclimater."

Elle ne le ferait sans doute jamais. Même avec un parc et une forêt aux alentours c'était la ville, la grande ville. Il y avait des centres commerciaux, personne ne connaissait son facteur, on pouvait tout se faire livrer à domicile... Il y avait de nombreux avantages, elle le savait, mais c'était juste trop différent de sa vie d'avant. La louve se saisit de la bouteille de thé glacé pour en ingérer quelques gorgées avant d'étendre ses jambes devant elle, feuilletant sans le regarder le carnet sur ses cuisses. Il y avait de nombreux dessins sur des pages volantes qu'elle récupéra soigneusement pour les placer tout à la fin et les bloquer avec le poids des autres pages. Il n'y avait pas de vent, mais quand même. C'était plus fort qu'elle, elle avait besoin de le toucher comme un geste de réconfort, de laisser ses doigts reconnaître les aspérités de chaque page, de s'assurer qu'il était là comme une présence rassurante qui veillerait sur elle. Elle n'avait plus que ça.

L'écossaise haussa vaguement les épaules en réponse à sa remarque, consciente qu'en effet elle n'ingérait pas suffisamment de nourriture par rapport à ses besoins. Mais son estomac avait rétréci et elle manquait de vomir si elle tentait de trop manger, alors elle essayait de se remettre au fur à et mesure. Et puis ce serait sans doute plus simple maintenant qu'elle allait s'installer, elle aurait du temps pour cuisiner et ça finirait par lui rouvrir l'appétit. En réalité elle n'était pas mieux que Ben, elle avait tendance à grignoter pendant qu'elle cuisinait, c'est toujours ça de pris. Mais contrairement au loup, elle ne faisait pas disparaître la moitié des ingrédients...

"Ce n'est pas une raison pour ne pas faire d'efforts."

Elle lui adressa un sourire. Elle-même se contentait de peu de choses pour autant une attention particulière était toujours agréable, alors elle chercherait quelque chose. Elle trouverait une sortie ou une attention qu'il lui plairait en y réfléchissant bien, en tout cas elle essaierait. Quand il lui fit une remarque par rapport à son téléphone, elle eut besoin de quelques secondes avant de réaliser : elle attrapa le mobile pour le mettre en silencieux avec un sourire d'excuse.

"Je te remercie, mais je l'ignore parce que je n'ai pas envie de lui répondre. J'ai besoin de faire le point sur... beaucoup de choses, je ne veux pas me prendre la tête avec ça, elle soupira légèrement puis, en le regardant, désigna son propre front. Elle m'a fait réalisé des trucs. J'ai toujours su que ma mère n'était pas humaine sinon elle n'aurait pas pu procréer avec un loup, mais maintenant je sais aussi qu'elle portait deux enfants. J'ai oublié le nom de ce phénomène, quand un jumeau absorbe l'autre."

Et ça expliquait tant de choses. Deux êtres n'en formaient plus qu'un, Nabi n'avait aucune anomalie liée à ce fait, si ce n'est que sa part animale était extrêmement distincte de l'humaine ce qui avait permis à sa louve de ne pas se montrer pendant douze années. Nabia n'était pas à proprement parler sa jumelle, mais leur mélange d'ADN avait donné plus de liberté à sa part animale comparé à tous les autres métamorphes.

"Je crois qu'on atteindra notre point d'équilibre seulement lorsque j'aurai compris quel héritage m'a laissé ma mère."

Du moins était-ce ce qu'elle avait conclu des monosyllabes de sa louve. Ses pistes étaient maigres, elle manquait cruellement d'informations, mais peut-être qu'un génie informatique comme Ben pourrait l'aider un peu. Nabi soupira longuement mais s'amusa quand même de la gloutonnerie du londonien, elle prit une autre gorgée de thé avant de lui répondre.

"Les écossais. Les pubs écossais. Les légendes et les monuments historiques. Tu savais que notre animal national, c'est la licorne ? J'aime cet esprit-là. Les paysages aussi... Je pourrais dire le scotch, mais pour le coup je préfère la bière irlandaise, au grand dam de ma mère adoptive. Elle me répétait sans cesse que je trahissais le pays, mais elle m'achetait ma bière préférée chaque fois qu'elle faisait le plein de courses dans la grande ville."

Son regard s'était perdu dans la contemplation de l'horizon. Ses regrets et sa nostalgie polluaient l'air, mais elle ne s'en rendait même pas compte. Une larme roula le long de sa joue alors qu'elle se revoyait adolescente, en train de piquer une bière chez le père d'un de ses amis. C'était un irlandais exilé pour une raison qu'elle n'avait jamais connu, qui passait son temps à se chamailler quand il avait trop bu en comparant son pays d'origine à celui dans lequel il vivait actuellement, et même une foule d'écossais éméchés ne le faisait pas reculer. Nabi admirait son courage et sa joie de vivre, et elle aimait bien son fils qu'elle connaissait depuis l'école primaire. C'était un bon ami qui comprenait son besoin de solitude, ce qui était quand même assez rare pour qu'elle s'en souvienne. Il l'avait un jour mise au défi d'aller piquer de l'alcool pour goûter ça après les cours, c'était ainsi qu'elle était tombée amoureuse de la O'Hara's Stout. Après le massacre du village la louve avait fui un peu partout au Royaume-Uni, sa première destination avait été l'Irlande évidemment, elle avait adoré. Un peu moins fan de l'Angleterre par contre.
Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et essuya sa joue humide avant d'enfouir sa tristesse dans un coin de son esprit. Avisant le loup à ses côtés, elle lui sourit en lui tendant le journal pour le laisser feuilleter s'il le désirait.

"Mon seul lien avec mes origines, hormis mon nom. Mon père est mort avant ma naissance, ma mère pendant, mais elle tenait un journal et je le garde toujours avec moi. Elle venait d'Égypte, ils se sont rencontrés lors d'un voyage d'affaires de mon père et je suis vraisemblablement le résultat d'un coup de foudre à ce que je sais. Il a dû repartir et elle a tout quitté dès qu'elle a pu pour le rejoindre, mais sur le trajet l'un des hommes de mon père lui a dit qu'il était mort et qu'elle ne devait jamais révéler que j'étais son enfant. Elle a évité l'Angleterre, mais elle s'est installée en Écosse dans l'idée d'être suffisamment proche pour comprendre ce qu'il s'était passé. Ça te dit un truc La Meute du Malt ?"

C'était, à n'en pas douter, l'une des plus puissantes meutes européennes. Elle était réputée car elle reposait sur l'empire économique de son alpha, Alan Grant, qui était le numéro un des producteurs de scotch et whiskys. C'était même d'ailleurs la seule meute de cette zone géographique à choisir ses alphas, qui étaient désignés par l'ancien pour succéder en tant que chef mais également en tant que propriétaire de l'entreprise. En cas de mort prématurée, le tout revenait aux descendants directs, et s'il n'y en avait pas alors c'était une lutte de pouvoirs classiques entre loups dominants. C'était justement pour ça que quelqu'un voulait l'éliminer.

L'écossaise haussa vaguement la tête, acceptant le conseil sans paraître convaincue. Elle pouvait bien faire une recherche via son téléphone si elle le désirait plutôt que de déranger un parfait inconnu, mais elle n'était pas sûre de retenir le terme. Pour autant elle retint qu'il était médecin, et sa mémoire lui rappela qu'il s'agissait du fils aîné du Marrok. Elle demanderait à Adam ses coordonnées, juste en cas d'urgence.
Errant dans son propre esprit, Nabi revint doucement à elle après avoir chassé sa douleur pour se concentrer sur les paroles de son interlocuteur. Il essayait de la mettre de bonne humeur, et cela la fit sourire. Elle appréciait sincèrement qu'il plaisante ou tente de lui faire voir le bon côté de cet endroit. Un jour, peut-être, dirait-elle de "son chez-elle".

"Hé, ne critique pas les licornes ! C'est super pratique pour accrocher tes sacs quand tu fais des courses, elle échappa un rire. J'espère qu'il y a des endroits hantés sympathiques ici, alors. Les fantômes ne m'ont jamais mise mal à l'aise, peut-être parce que je les ai toujours vu. Certains sont étonnement capables de tenir une discussion et ça me plaît."

Nabi n'avait pas conscience qu'il n'était pas normal pour un loup de voir les fantômes. D'un autre côté il lui avait fallu des années pour comprendre qu'elle les voyait, ne serait-ce que parce que le peu qu'elle croisait, c'était en solitaire, et ils avaient l'air de véritables personnes. Elle l'avait à peu près compris vers ses dix ans mais se cherchait toujours des excuses, ne croyant pas totalement à ses propres capacités. Avec l'arrivée de Nabia, il ne fut plus possible de nier ce pouvoir bien qu'elle l'associait à sa louve comme si cela était une capacité de tous les métamorphes.
Le carnet était vieux, le cuir avait perdu de sa couleur tandis que les pages en avaient pris. Il était rempli à presque chaque page avec des encres différentes, des dessins de paysages -désert, bateau sous différents angles, des prairies, des gens de tout âge... Il était abîmé à force d'avoir été relu encore et encore au fil des années, mais il tenait bon. La louve écouta son nouvel ami parler du partenariat entre les deux meutes et hocha la tête, elle n'avait pas réfléchi plus tôt au fait que Ben puisse avoir quelques connaissances sur son père involontairement. Il était peut-être même assez vieux pour avoir connu Alan en vie, puisqu'il était mort un peu plus de vingt ans plus tôt seulement. Elle ressentit une sorte de malaise de la part de Ben quand il parla de son ancien alpha, mais elle préféra ne rien dire.
Elle acquiesça à sa question.

"Apparemment. Ma mère adoptive a tenu à ce que je porte son nom, pour avoir un lien avec lui. De ce que je sais, Morgan Cooper était un danger public qui menaçait le secret des loups par ses actes mais qui n'a jamais pu être mis en défaut. Il voulait la meute du Malt et n'appréciait pas ce fonctionnement de choix d'alpha, alors il a évincé mon père, et ses loups les plus dominants par précaution. Les autres sont contraints de rester. Mais tant que je suis en vie il ne peut pas récupérer l'entreprise, et il paraît qu'il a des soucis pour gérer ses loups."

Parce qu'ils ne le reconnaissaient pas en tant que chef. Ils le faisaient parce que Morgan leur avait ordonné et qu'ils ne pouvaient pas refuser un ordre, pour autant ils ne le respectaient pas et c'était un vrai chaos gardé secret par Morgan, qui voulait s'éviter des problèmes. De plus sans la possibilité de reprendre l'entreprise Morgan n'avait presque pas de revenus, ce qui se répercutait sur la meute. Nabi avait toutes les raisons du monde de s'inquiéter de tout ça, d'autant qu'elle se sentait en partie responsable. Mais elle était loin d'être prête... Elle souffla un bon coup avant de regarder à nouveau au loin.

"Le compte auquel je n'avais pas accès, c'est mon père qui l'avait créé pour que je fasse des études de commerce une fois adulte. Il avait placé l'équivalent des frais scolaires dessus, et ça a fait des petits. Ma mère biologique, ma mère adoptive et la vieille Madame Garret -notre voisine et amie proche de ma mère adoptive- m'ont toutes les trois inscrites sur leurs testaments, j'ai récupéré tout l'argent qu'elles possédaient sur ce compte-là. Mais je n'y ai jamais touché avant que Morgan n'attaque le village, ça me mettait... mal à l'aise. Et après, je savais que le compte serait surveillé. Tu n'as pas eu de problèmes d'ailleurs ?"

Dire que Nabi était riche, et ce bien qu'elle n'ait pas encore touché l'héritage de son père, était un euphémisme. Djill, Maggie et Madame Garret ne roulaient pas sur l'or, mais l'argent des études et celui de Djill avaient fait pas mal de petits depuis le temps. Pour les deux autres femmes, elles étaient décédées récemment mais avaient fait des placements pour que la jeune femme soit confortable. Elle avait quand même passé ces cinq dernières années à travailler pour vivre, à dormir dans les bois ou à même le sol pour s'en sortir.

Surprise de la réaction de Ben, Nabi s'arrêta un instant pour l'observer, interdite. Comment ça "comme Mercy" ? Lui ne les voyait pas ? Et est-ce que les autres loups les voyaient, alors ? Elle fronça les sourcils en se demandant si quelque chose clochait chez elle, ou peut-être que cela lui venait de sa mère...?

"Comme Mercy ? Tu veux dire que tu ne les vois pas, toi ?"

Elle jaugeait son interlocuteur, attentive à ses réactions. Il lui sembla que quelque chose le troublait et qu'il réfléchissait à plusieurs choses à la fois, mais elle n'osa pas l'interrompre et préféra simplement rester près de lui. Elle appréciait qu'il se soit rapproché d'elle.

"Et il triche, même si je ne sais pas comment il fait. Il avait déjà une meute, je crois, qui l'a aidé à prendre la place de mon père. Je sais aussi qu'il manque d'argent car il a utilisé une bonne partie de sa fortune pour me trouver."

Pour me tuer. Morgan, craignant qu'elle n'échappe à un assassin, avait préféré la manière forte : il avait organisé tout un convoi qui avait attaqué le village, tuant tout le monde à coups de mitraillettes et de charges explosives. Et, ironie du sol, elle était la seule à en avoir réchappé. Nabi retourna sa main quand elle sentit ses caresses et vint entremêler ses doigts aux siens, son épaule frôla celle du loup alors qu'elle écoutait ses explications. Elle comprenait à peu près, mais elle se demandait s'ils finiraient par le retrouver un jour -et donc, si elle le mettait en danger. Mais Adam connaissait déjà sa situation, il lui avait assuré que cela irait, d'autant que Morgan ne pouvait pas se pointer sur le territoire américain comme ça, il y avait plus fort que lui ici. Elle se pencha pour regarder la carte sur le téléphone, plutôt impressionnée.

"Merci beaucoup..."

Elle n'avait même pas les mots pour lui dire combien elle lui était reconnaissante. Elle avait largement de quoi vivre des années même sans travail, bien que ce n'était pas son genre. Elle chercherait plutôt à rembourser l'argent qu'elle considérait emprunter à sa famille et à subvenir à ses besoins seule, mais cela restait une assurance confortable pour elle et ses proches. Si la meute avait besoin d'argent, elle aiderait sans problème.
Le goûter terminé, Nabi récupéra son carnet avec délicatesse et rangea toutes leurs affaires avant de se redresser. Elle épousseta énergiquement sa jupe puis tendit la main à Ben pour l'aider à se lever, avant de reprendre la visite des jardins. Il leur restait encore pas mal de choses à voir, et elle semblait plutôt intéressée par les labyrinthes de fleurs. Elle ne lâcha pas Ben durant la visite, juste au cas où, et leur évita tout contact avec les autres visiteurs. Elle se sentait bien mieux en fin de journée, bien que ses muscles restent endoloris. Au moins elle n'avait rien besoin de préparer pour le dîner... Elle grimpa dans la voiture pour laisser Ben la reconduire, ce qui lui rappela de s'occuper de ses papiers et du permis. Une fois à l'appartement elle constata qu'Écho avait disparu et que l'appartement brillait presque. Une légère odeur de magie douce flottait dans l'air -il ne fallait pas croire que le coyote se salisse les pattes-, mais tout était rangé et nettoyé. Elle esquissa un sourire en retirant ses chaussures et déposant ses affaires, puis s'allongea dans le canapé en relâchant un grognement de satisfaction.

Nabi resta interdite un moment, prenante lentement conscience de ce que cela impliquait. Si les loups ne voyaient pas les fantômes, cela voulait dire que c'était une capacité liée à sa mère... Et c'était déjà une information supplémentaire qui pourrait peut-être la guider sur le chemin de ses origines. Elle savait que les métamorphes loups étaient plutôt rares sur les continents africain et asiatique, et qu'il n'y avait pas de changeurs comme Mercy ailleurs qu'en Amérique -surtout que ces derniers étaient presque tous éteints. Sa mère était probablement une créature égyptienne liée aux fantômes, voire à la mort, pour lui léguer cette capacité, et cela lui donnait enfin une piste concrète.

"Je... Il y a encore plein de choses que j'ignore sur les loups, je crois."

Après tout elle était là depuis moins d'une semaine et c'était la première fois qu'elle rencontrait des congénères, mis à part celui qu'elle n'avait qu'entre-aperçu alors qu'il tentait de la tuer, évidemment. Elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de poser des questions -et ne savait pas quoi demander.
Elle finit par sourire alors qu'elle serrait sa main un peu plus fermement.

"Même si tu y étais à l'époque, tu n'en serais pas responsable."

Crut-elle bon de préciser, comme si elle craignait qu'il se pense mêlé à tout ça d'une manière ou d'une autre parce que son ancienne meute avait, potentiellement, aidé ou fermé les yeux sur le meurtre de son père.

-

Étalée de tout son long dans le canapé de Ben, la louve resta un moment ainsi, les yeux clos tandis qu'elle détendait ses jambes. Elle avait tellement de douleurs un peu partout qu'il lui semblait redécouvrir des parties de son corps dont elle avait oublié l'existence. Elle finit par remarquer le cookie qu'il lui avait apporté et le remercia, usant de ses dernières ressources énergétiques pour l'attraper et le croquer, pas tant parce qu'elle avait faim mais plutôt parce qu'il lui avait fait cette petite attention. En silence elle acquiesça à ses paroles, l'observant installer l'ordinateur sur la table basse avant de s'accroupir à son niveau. Quand il tournait la tête leurs visages étaient terriblement proches, et elle repensa un instant aux deux baisers qu'ils avaient échangé. Elle se retint de glisser une main dans sa chevelure ou de nicher son nez juste au creux de son cou pour inspirer son odeur, une envie étrange qu'elle devina venir de sa louve. L'écossaise roula sur le flanc pour pouvoir le regarder, repliant ses jambes contre elle pour lui faire un peu de place.

"Viens t'asseoir, tu vas pas rester comme ça."

Elle était toujours chez lui, après-tout. Elle se redressa un peu pour lui faire de la place avant de lui répondre, et se plaça de nouveau sur le dos en extirpant son téléphone de sa poche au passage. Il était temps de répondre à Aiden...

"J'y ai pensé. J'ai souvent utilisé des faux-noms jusqu'ici, mais ça me dérange toujours un peu, mon nom c'est mon seul lien avec mes parents biologiques. M'enfin, dans le fond ce n'est pas une mauvaise idée..."

En général elle utilisait le nom de son ancienne vieille voisine combiné au prénom de sa mère, bien qu'elle le sache faux lui aussi. C'était écrit dans son journal, Djill avait pris une nouvelle identité après avoir appris la mort d'Alan. Mais Nabi c'était le nom qu'elle lui destinait, qu'ils lui avaient choisi ensemble. Elle savait même pourquoi : dans la langue natale de Djill ce nom signifiait prophète, et c'était celui de l'homme qui lui avait fait rencontré Alan en lui disant qu'il lui était destiné. La louve avait quelques difficultés à s'imaginer abandonner officiellement ce nom.
Une fois que Ben fut installé sur le canapé, elle posa une jambe sur le sol, son genou frôlant celui du loup, tandis que l'autre était repliée sur le canapé. Si elle le connaissait mieux elle aurait étendu ses jambes sur lui et lui aurait servi de porte-ordinateur, mais elle le savait mal à l'aise avec le contact. Il avait quand même l'air de vouloir de sa présence près de lui, alors elle ne se prenait pas trop la tête. Elle avait par contre totalement oublié qu'elle portait une jupe courte qui, avec sa position, avait pas mal remonté, bien qu'elle garde les cuisses suffisamment serrées pour que rien ne soit visible.

"Je suis désolée d'avance, mais bon tu entendras où que je sois alors... J'ai un coup de fil à passer."

Nabi avait, à un moment donné, trouvé le temps d'envoyer quelques messages à ses amis pour leur raconter la même histoire qu'à Alvaro : elle était entrer en contact avec des amis de ses parents biologiques qui l'avaient invitée à venir en Amérique, et avait cette-fois ajouté qu'il s'agissait d'un ancien équipier de son père -qui avait été à l'armée, comme pratiquement tous les loups mâles de ce monde. Elle s'installait donc pour un temps indéfini dans le secteur, ce qui avait fait sauté de joie Mia et Aiden. Elle avait précisé avoir vu Alvaro avec un ami pendant qu'elle faisait des courses de meubles, ce qui avait attiré l'attention et la jalousie de son prétendant : il ne comprenait pas pourquoi elle ne lui avait rien dit. Elle s'était contentée de répondre qu'elle n'en avait pas eu envie pour diverses raisons et parce que, entre autre, elle voulait passer du temps avec un garçon qu'elle venait de rencontrer. Alvaro avait un emploi du temps plus libre et ils étaient dans sa ville, sans compter qu'elle avait toujours été plus proche de lui alors... Mais Aiden ne l'acceptait pas bien. Elle soupira avant de lancer l'appel et de porter l'appareil à son oreille, l'interlocuteur décrocha en quelques secondes.

"Tu as enfin un peu de temps pour moi, alors ?
-Salut.
-Je peux savoir pourquoi tu m'as ignoré toute la journée ?
-Je n'avais ni envie de répondre, ni de disponibilités, j'étais sortie.
-Avec Ben ? difficile de manquer son ton acerbe.
-C'est un problème ?
-Quand ENFIN tu débarques à quelques heures à peine de chez moi, c'est pour passer du temps avec un autre, bien sûr que c'est un problème !
-Je te dois rien Aiden, on est pas ensemble et j'ai toujours été claire à ce sujet.
-Et maintenant que t'es là, tu veux pas nous donner une chance ?
-Je t'avoue que j'ai plus important en tête.
-Ah ouais... Le pote de ton père. Il t'héberge ?
-Jusqu'à ce que je me décide à rester ou non, oui.
-Et ce Ben, il sort d'où ?
-Aiden, je t'ai appelé parce que tu m'as toujours encouragée à chercher des infos sur mon père et que je voulais partager ça avec toi, pas pour que tu me piques une crise. Tu me fous la paix ou je raccroche ?
La voix du jeune homme était amère, tandis que Nabi devenait de plus en plus sèche au fil de la discussion. Il y eut un blanc de quelques secondes avant qu'il ne lui répondre.
-Ouais, excuse-moi c'est juste... Tu m'as répété plein de fois que tu voulais plus te prendre la tête sur tes relations depuis Sacha, mais j'ai du mal, je t'apprécie beaucoup tu sais... Et je suis jaloux que tu sois allée voir Alvaro et pas moi. Mais vas-y, je t'écoute."

Il semblait s'être adouci, et elle se mit à lui inventer tout une histoire de guerre où son père aurait sauvé cet ami au péril de sa vie alors qu'il était blessé et qu'il avait reçu l'ordre de l'abandonner après leur mission. Étonnement elle mentait plutôt bien, un loup peu expérimenté s'y serait laissé prendre, comme si elle croyait sincèrement à son histoire. Ils discutèrent encore quelques minutes, plaisantèrent même, puis elle prétexta un repas à préparer avant de raccrocher. Un sourire aux lèvres, elle se renfonça un peu plus dans le sofa pour répondre à ses textos.