J'ai bien du mal à comprendre ce qui se passe… Tom est là et il me semble très agité. Il bondit presque à l'intérieur avant de me prendre dans ses bras… La surprise est telle que je n'ose pas bouger. Je n'ai même pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il enchaîne les mots et les gestes de manière anarchique. Aurait-il abusé du café ?

– J'ai l'impression que vous êtes parvenu à capturer exactement ce que je ressentais ce jour-là, lorsque j'ai quitté le phare. Vous avez un don, Emily. Un don incroyable. Ce tableau... Il doit valoir une fortune !.
– Euh …

Là encore, il ne me laisse pas parler. Il est comme électrisé. Alors, consciente que je ne pourrais rien faire tant qu'il ne serait pas calmé, je le guide doucement jusqu'au canapé où je le pousse gentiment à s'asseoir.

– C'est bon, Tom, je pouffe avant de retourner en cuisine pour poser le croque monsieur dans une assiette que je lui offre ensuite. Mangez donc. Ça ira mieux après.

Je ne résiste pas longtemps à l'envie de rire. Je ne l'ai encore jamais vu dans cet état et je ne sais pas vraiment ce qu'il faut faire pour l'aider à se calmer un peu… Je sais au moins qu'il n'a plus besoin de caféine.

– Donc, si j'ai bien compris, j'aurais dû attendre que le vernis sèche un peu plus longtemps avant de vous offrir le tableau, je le taquine tout en retournant en cuisine pour me préparer une nouvelle assiette.

Je reste silencieuse, le temps de cuisiner un nouveau croque-monsieur, le temps de le manger aussi. Je cherche mes mots, parce que je ne veux pas me tromper. Parce que j'en ai marre d'agir avec maladresse. Une fois que les assiettes sont vides, je les ramène en cuisine puis je m'adosse au comptoir encombré de bric et de broc… Je l'observe, un long moment… Puis je me lance.

– Tom…Ce ne sont pas vos émotions que j'ai essayé de représenter… mais les miennes, je détourne le regard, je suis gênée, forcément… Tout comme le dessin que j'ai fait de vous d'ailleurs…

Elle me tire à l'intérieur et me fait asseoir sur son canapé. Je ne peux que me laisser faire, et la suis du regard tandis qu'elle disparait dans ce qui semble être sa cuisine, pour revenir juste après.

Je suis surpris lorsqu'elle me tend une assiette avec un croque-monsieur.  Et c'est là que je me rends compte à quel point j'ai faim.

"– C'est bon, Tom. Mangez donc. Ça ira mieux après."

Son rire est adorable, et je souris d'un air coupable tout en la remerciant.
Je me sens un peu honteux de débarquer ainsi sans prévenir, et de manger ce qui semble être son repas du midi. Mais le croque-monsieur est très bon.  Et j'ajoute cela sur la liste déjà longue de choses qui m'impressionnent chez cette femme.

"– Donc, si j'ai bien compris, j'aurais dû attendre que le vernis sèche un peu plus longtemps avant de vous offrir le tableau"

"– Je me suis peut être un peu emporté ?" Je m'excuse en grimaçant. "C'est juste que... Un tableau comme le vôtre, c'est comme une chanson dans laquelle un artiste aurait mis ses tripes. C'est..."

Je secoue la tête. Et je me rends compte que je parle trop. Une fois de plus.

Et Emily s'absente une fois de plus, pour ensuite revenir avec un autre croque-monsieur qu'elle mange en silence.
Lorsqu'après avoir débarrassé les assiettes, elle tourne vers moi, en s'appuyant contre le comptoir, je lui souris.
Je suis beaucoup moins nerveux que toute à l'heure. Et je ne sais pas quoi ajouter d'autre. J'ai peut- être surréagi au sujet de son tableau.  Du moins, c'est ce qu'un individu lambda pourrait penser. Mais je suis un artiste. Et parfois, certaines choses me prennent aux tripes, sans que je n'arrive à l'expliquer.

Je suis soulagé lorsqu'Emily reprend la parole.

"– Tom… Ce ne sont pas vos émotions que j'ai essayé de représenter… mais les miennes. Tout comme le dessin que j'ai fait de vous d'ailleurs…"

Oh. J'ai envie de me lever et de la prendre à nouveau dans mes bras, mais quelque chose m'en empêche. J'ai peur d'avoir surréagi toute à l'heure.

"– La bonne nouvelle", je fais après quelques secondes de silence, "C'est que je ressens la même chose. Et maintenant..."

Je me lève finalement, lentement. Et j'avance vers elle pour lui prendre la main.

"– Maintenant, qu'est ce que cela signifie ?"

Mon agitation est retombée, mais mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine.

"– On se connais à peine", j'ose murmurer ensuite. "Et pourtant, il y a quelque chose... N'est ce pas?"

Je ne veux pas la brusquer, et je n'ai pas nécessairement envie de me précipiter dans quelque chose pour lequel aucun de nous ne serait prêt. Mais peut-être que reconnaître ce lien qui s'est créé entre nous est un premier pas, pour ensuite décider ce que nous en faisons ensuite.

Il ressent la même chose… C'est en tout cas ce qu'il affirme et ce que j'ai cru comprendre tout à l'heure. Pour lui, il s'agit même d'une "bonne nouvelle", mais je n'en suis pas si certaine. Ce que je ressens m'étonne moi-même. Je ne suis pas habituée à ce genre d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres. Sa présence m'apaise d'ordinaire et pourtant… Là, je me sens inquiète. Mon cœur bat plus vite que d'ordinaire et il accélère même lorsque Tom se lève pour me rejoindre… Ma respiration se fait plus profonde et je n'ose pas le regarder en face…

– Maintenant, qu'est ce que cela signifie ?

Sa question me surprend et je ne sais qu'y répondre… Je réfléchis quelques secondes avant de décider de me montrer franche, tout simplement.

– Je ne sais pas, Tom… Que voulez-vous que cela signifie ? je rétorque en haussant les épaules. Je comptais sur vous pour me le dire.

Franc mais totalement flou. Avouons-le… Mais en même temps, tout cela semble totalement obscure pour lui aussi. Si tout était réellement clair, logique, nos réactions ne seraient-elles pas différentes, plus naturelles peut-être ? Aurions-nous besoin de nous interroger sur la question ? Je ne pense pas. Certaines choses se font par instinct. Elles n'exigent même aucun effort.

– On se connait peine...Et pourtant, il y a quelque chose... N'est ce pas?
– Sans nul doute, oui, il y a quelque chose…

Je lui souris, je ne sais que faire d'autre après tout. Je ne sais pas ce qu'il attend de moi… Ou même s'il attend quelque chose. Je suis… Plutôt perdue à dire vrai. Légèrement intimidée aussi.

– Pourquoi ces interrogations ? Livrez-moi le fond de votre pensée parce que, honnêtement, je suis un peu déboussolée là.

Je ne veux pas la brusquer, et je sens cette fois que j'ai franchi une barrière invisible.
Je recule d'un pas.

"– Sans nul doute, oui, il y a quelque chose…"

Elle ne nie pas qu'il se passe quelque chose entre nous. Mais pour autant, je réalise qu'elle est paralysée par l'appréhension. Et ce, malgré son sourire.

"– Pourquoi ces interrogations ? Livrez-moi le fond de votre pensée parce que, honnêtement, je suis un peu déboussolée là."

"– Je comprends", je soupire. "Je suis désolé, je crois que je me suis laissé emporter, encore une fois. C'est juste que..."

Je lui souris.

"– C'est la première fois que j'ai une connexion aussi rapide avec une personne, Emily. D'ordinaire, les gens s'intéressent à moi pour plein de raisons, mais qui n'ont rien à voir avec qui je suis vraiment. Ils s'arrêtent à ma réputation, à l'image qu'ils ont de moi. A celle que je me suis forgé pour réussir dans mon métier. Et vous, c'est différent."

J'ai bien du mal à exprimer ce que je ressens. Un mélange d'attirance, aussi bien physique que mentale. Et surtout le besoin irrépressible d'apprendre à la connaître davantage.

"– J'ai l'impression que vous êtes capable de lire en moi comme un livre ouvert. Comme si nous partagions quelque chose, une manière de voir le monde que je n'ai pour l'instant trouvé chez personne d'autre. Et je dois bien admettre que ça me terrifie."

J'ai un rire nerveux, avant de reprendre.

"– Et j'ai envie de vous connaître davantage. J'ignore pour combien de temps je suis ici. Plus les jours passent, et moins j'ai envie de partir. Je ne sais pas ce qui nous attend à l'avenir. J'ignore où tout ceci va nous mener. Mais pouvons-nous... Pouvons-nous essayer de passer du temps ensemble ? D'apprendre à nous connaître ? Grâce à vous, je me suis remis à écrire de la musique. Et ce tableau... J'ai l'impression que ce nous partageons ensemble vous inspire également..."

Et je me remets à tourner autour du pot.

"– Même si ce n'est pas uniquement pour ça que j'ai envie de passer du temps avec vous, mais..."

Je suis un parfait idiot qui n'est pas fichu d'organiser ses pensées.

"– On se connait depuis peu, mais... Vous me plaisez."

Voilà, c'est dit.

"– Et même si rien ne se passe entre nous, j'ai envie de passer du temps avec vous."

En espérant que ma compagnie soit toujours la bienvenue après une telle tirade.

Je le laisse parler sans chercher à l'interrompre, même si mon esprit est rapidement parasité par des dizaines de questions.

Pourquoi s'excuser à tout bout de champ ? Je ne lui en veux pas… J'ai peut-être du mal à le suivre par moment, mais il n'a pas à s'excuser d'être simplement lui-même… Même si, je réalise bien vite que pour Tom, être lui-même ne doit pas toujours être très facile. Il me parle de ses difficultés pour se lier aux autres évoquant sa réputation, l'image qu'il renvoie. Il affirme qu'avec moi, c'est différent… Même si cela ne semble pas plus aisé pour autant. Il parle de "connexion" rapide et je me demande bien ce que cela veut dire.

Il pense que je suis capable de lire en lui… Que nous partageons la même manière de voir le monde et pour cela, je suis un peu d'accord avec lui. Je partage cette impression… Comme je partage la même crainte que lui.

Je me fige en écoutant la suite de ses propos… C'est une réaction entièrement incontrôlée provoquée par une mauvaise interprétation de ma part… Même si, pour l'heure, je ne le réalise pas encore. Je crois l'entendre me demander de passer plus de temps avec lui pour… Quoi ? Un échange de bons procédés ? Inspire-moi pour que je t'inspire ? Ce n'est absolument ce qu'il est en train de me dire. Mais il semble lui-même avoir beaucoup de mal à exprimer ce qui se passe dans sa tête. Alors je ne dis rien et j'attends simplement qu'il remette de l'ordre dans ses pensées. Je prends sur moi pour ne rien interpréter du tout d'autant plus que ce désordre, je le reconnais plutôt bien… Il fait écho au mien et je dois bien avouer que c'est très perturbant. J'ai besoin de m'asseoir, alors je le hisse tout naturellement sur le comptoir. Cela me donne un minimum de contenance et surtout l'assurance de tenir sur quelque chose de stable et de tangible.

– Même si ce n'est pas uniquement pour ça que j'ai envie de passer du temps avec vous, mais... On se connait depuis peu, mais... Vous me plaisez.

D'accord… J'ai bien fait de m'asseoir moi…

– Et même si rien ne se passe entre nous, j'ai envie de passer du temps avec vous.
– D'accord… Euh… Vous êtes en train de me dire que tout ça… C'était juste pour me dire que je vous plais ? je demande en le dévisageant d'un air… Un peu perplexe.
Je ne comprends pas … Je vous plais mais vous ne voulez pas qu'il se passe quelque chose entre nous ou… Vous avez peur que moi je ne le veuille pas ?

Oui bon… c'est pas très clair dans ma tête… Peut-être devrais-je lui dire ce que je pense…

– Ok, à mon tour alors. Je vais essayer de me montrer un peu plus claire… Je me sens bien avec vous. Vous m'intriguez… Vous m'attirez et ce n'est pas une chose à laquelle je suis habituée. L'autre jour, je me suis même demandée ce que me ferait ressentir l'un de vos baisers…

Voilà, c'est dit.

J'ai bien l'impression d'avoir perdu Emily dans mes explications.
Je crois que tout ceci aurait été nettement plus simple si elle avait ne serait-ce qu'une vague idée de qui je suis exactement. A vrai dire, si je cherchais juste une relation de passage, je suis certain que nombre de femmes seraient prêtes à une idylle avec le célèbre Tom Alskell. Mais ce qui m'attire chez Emily, c'est justement cette opportunité d'avoir avec elle des conversations parfaitement normales sans avoir à me soucier que mon image publique ne vienne se mettre en travers de celle qu'elle a de moi.

Je note qu'elle vient s'assoir sur le comptoir tout en m'écoutant avec attention. Et je lui suis incroyablement reconnaissant de ne pas essayer de m'interrompre. Si ça avait été le cas, je crois que mes explications auraient été encore plus confuses.

"– D'accord… Euh… Vous êtes en train de me dire que tout ça… C'était juste pour me dire que je vous plais ?"

J'éclate de rire à cette remarque.

"– Je suis doué pour exprimer ce que je ressens, pas vrai ?" je raille avec auto-dérision.

Pour un chanteur célèbre, et quelqu'un qui est censé avoir du talent pour écrire, c'est un peu ridicule.

"– Je ne comprends pas … Je vous plais mais vous ne voulez pas qu'il se passe quelque chose entre nous ou… Vous avez peur que moi je ne le veuille pas ?"

Ouch.

Et voilà qu'elle met exactement le doigt sur ce qui me fait peur depuis le début. La peur d'être rejeté. C'est entièrement humain, et très bête dit comme ça. Mais au fond de moi, c'est bien ce qui me hante. Qu'elle découvre que finalement je n'en vaux pas la peine. Et c'est quelque chose qui me poursuit même dans ma carrière. Un syndrome de l'imposteur gigantesque. Comme si le véritable Tom ne valait pas la peine d'être aimé.

"– Ok, à mon tour alors. Je vais essayer de me montrer un peu plus claire… Je me sens bien avec vous. Vous m'intriguez… Vous m'attirez et ce n'est pas une chose à laquelle je suis habituée. L'autre jour, je me suis même demandée ce que me ferait ressentir l'un de vos baisers..."

J'avale ma salive de travers.
Et je dois prendre quelques secondes pour mettre de l'ordre dans mes pensées alors que mon coeur bat plus vite dans ma poitrine.
Un sourire soudain prend possession de mes lèvres. Un sourire que je n'arrive pas à masquer.

J'aimerais jouer le Tom mystérieux, capable de rester maître de lui-même en toute circonstance. Tom Alskell le chanteur célèbre habitué aux questions embarrassantes et aux interviews. Mais là je suis simplement Tom. Juste Tom.
Et juste Tom s'est laissé envoûté.

Je m'approche à nouveau d'elle.
Assise de cette manière sur le comptoir, elle est à peine plus grande que moi.
Une main glisse à sa taille, tandis que l'autre vient se caler contre sa mâchoire.

"– J'ai peur", je lui avoue sans la lâcher du regard. "Bien sûr que j'ai peur. Je n'ai pas l'habitude de m'autoriser à ressentir tout ça. Et vous pourriez très bien décider que je n'en vaut pas la peine."

Et même maintenant, alors que je sais que cette attirance est réciproque, je ne peux m'empêcher d'avoir peur.

"– Et pour la toute dernière chose", je lui murmure. "Ca peut tout à fait s'arranger."

Je fais un pas de plus, prenant le temps de glisser derrière son oreille une mèche de cheveux qui était venue s'aventurer sur son visage, devant ses lèvres. Elle est incroyablement belle.
Je lis aisément l'appréhension dans ses yeux. Notre conversation l'a secoué tout autant que moi.
Et pourtant...
Je bouge doucement, lui laissant le loisir de se dérober si d'aventure elle changeait d'avis.
Mes paupières tombent lorsque nos lèvres se frôlent, et je retiens mon souffle.

Je n'ai jamais compris pourquoi certaines personnes ont ce besoin étrange de tourner autour du pot pour dire quelque chose. Est-ce rassurant pour la personne ? Est-ce un moyen de rassembler son courage avant de se lancer ? Peut-être… Je ne saurais dire… Après tout, j'ai la fâcheuse tendance à me taire lorsque j'éprouve le moindre doute… La moindre crainte. On ne peut pas dire que je sois très sûre de moi. J'essaie même de me rendre aussi invisible que possible… Aussi insignifiante.

Alors, pourquoi cette fois, je me permets de montrer autant d'assurance ? Aucune idée. Je suis morte de trouille et pourtant, je n'hésite pas à dire les choses telles qu'elles sont réellement. J'arrache le pansement, en quelque sorte. Ce qui est dit, est dit…

Il sourit… Il sourit vraiment… Il se rapproche, glisse une main sur ma taille, l'autre sur ma joue et… mince, je frissonne.

– J'ai peur, me dit-il. Bien sûr que j'ai peur. Je n'ai pas l'habitude de m'autoriser à ressentir tout ça. Et vous pourriez très bien décider que je n'en vaut pas la peine.
– L'inverse est tout aussi valable… je murmure, le souffle court.

Mon cœur bat si vite à présent que j'ai l'impression de n'entendre plus que lui. Mon regard est comme absorbé par la vision de ses lèvres qui se rapprochent lentement… Trop lentement… Je ferme les yeux et je sens monter la frustration lorsque je réalise qu'il se contente de les effleurer… J'ai presque envie de grogner, mais je me contente de sourire avant de placer une main délicate sur sa nuque pour le pousser à se rapprocher suffisamment pour m'offrir un vrai baiser.

Ses lèvres, je les goûte avec douceur. Je ne m'attarde pas non plus, afin de ne pas le brusquer. Au bout de quelques secondes, je romps ce baiser… Je l'observe, m'efforce de sourire, le temps de m'assurer de ne pas l'avoir déçu. C'est que, je ne suis pas vraiment habituée à embrasser qui que ce soit moi. Alors, peut-être… Était-ce mauvais ?

"– Conclusion ?", je plaisante lorsque nous nous séparons. "Ce n'était pas si mal, non ?"

Emily, quant à elle, me fixe avec une appréhension qui ne manque pas de me faire sourire à nouveau. Comme si elle s'attend que je déclare soudainement que tout ceci était une très mauvaise idée.

Un rire m'échappe, alors que le bonheur et le soulagement se mêlent à une affection grandissante. Je sais que c'est une très mauvaise idée, que malgré toutes mes réticences, des responsabilités m'attendent à L.A. Mais je sais aussi que je ne pourrais plus revenir à ce statuquo que j'arrivais tant bien que mal à soutenir précédemment.

Je l'embrasse à nouveau, avec plus d'assurance, cette fois. Et je n'hésite plus ensuite à la serrer contre moi.

"– Je crois que venir ici était ma meilleure décision de la journée", je murmure contre sa joue.

Je me sens bien. Terriblement bien. J'ai juste envie de rester là, dans cette pièce, avec Emily dans mes bras, sans avoir à me soucier de ce qui nous attend ensuite.

"– Vous réalisez qu'à présent j'ai très envie de voir vos autres peintures ?"

Je me pose un instant la question de savoir si je devrais lui avouer tout au sujet de ma célébrité. Mais pour l'heure, je décide de garder le silence. Et tant qu'elle ne pose pas de questions à ce sujet, cela me convient parfaitement.
Il ne fait aucun doute qu'elle finira par découvrir tout cela. Mais pas maintenant. Pas tout de suite.

– Pas si mal ? je répète en affichant une moue boudeuse, légèrement surprise de ne pas l'entendre me dire que, finalement, tout ceci n'était qu'une très mauvaise idée.

Au contraire, il rit de bon cœur avant de m'embrasser de nouveau. Ce baiser-ci est étonnamment plus confiant que le précédent. Je ne ressens plus sa retenue, ni sur ses lèvres, ni dans sa manière de me serrer contre lui. Alors, moi aussi je souris. Je me sens tellement plus à l'aise à présent, comme si la crainte s'était brusquement envolée.

–Je crois que venir ici était ma meilleure décision de la journée, glisse-t-il à mon oreille.
– À dire vrai… je suis plutôt d'accord, je rétorque avant de flatter sa joue d'un baiser bien plus chaste.
–Vous réalisez qu'à présent j'ai très envie de voir vos autres peintures ?
– Et vous, vous réalisez que le vouvoiement est devenu très bizarre ? je pouffe avant de le pousser doucement pour descendre de mon promontoire improvisé. Si tu veux en voir d'autres, tu devras te rendre à la galerie qui les expose à Portland. Amanda a dû également garder des représentations de celles qu'elle a déjà vendues. Enfin, je suppose. Je ne me préoccupe plus vraiment de leur sort dès l'instant qu'elles quittent mon atelier.

Ayant soudainement un fort besoin de m'occuper, je me dirige vers l'évier pour faire la vaisselle. Il n'y a pas grand-chose à laver aussi, cela ne me prend pas plus de cinq minutes pour tout nettoyer… Et après ? Et bien, je ne sais plus vraiment quoi faire.

– Mon atelier… Tu veux le voir ? je lui demande.

"– Et vous, vous réalisez que le vouvoiement est devenu très bizarre."

Maintenant qu'elle le dit, le tutoiement sera effectivement beaucoup plus confortable.

Je le laisse me pousser pour qu'elle puisse descendre du comptoir. Et je ne résiste pas à l'envie de lui voler un nouveau baiser.

"– Si tu veux en voir d'autres, tu devras te rendre à la galerie qui les expose à Portland. Amanda a dû également garder des représentations de celles qu'elle a déjà vendues. Enfin, je suppose. Je ne me préoccupe plus vraiment de leur sort dès l'instant qu'elles quittent mon atelier."

"– Ca me plairait beaucoup !" je m'exclame aussitôt. "Je n'ai toujours pas de voiture, mais si tu veux bien m'y emmener..."

Je suis vraiment curieux de découvrir ce qu'elle a pu peindre d'autre. Tandis que je lui donne un coup de main pour essuyer la vaisselle, je m'imagine déjà dans les rues Portland, accompagné par Emily qui me guide jusqu'à cette fameuse galerie. Sera-t-elle d'accord pour m'y emmener ? Ou devrais-je y aller seul une fois que mon pick-up sera réparé ?

"– Mon atelier… Tu veux le voir ?" me demande-t-elle ensuite.

Et j'acquiesce aussitôt, touché qu'elle me propose de pénétrer un peu plus dans son intimité. Je lui laisse le temps de réfléchir à ma suggestion précédente. Et je ne suis même pas certain qu'elle ai vraiment compris à quel point cela me plairait. Mais je ne force pas non plus le sujet.

"– Avec plaisir ! Je te suis, madame l'artiste peintre".

Et je lui dédie une petite courbette grotesque, qui j'espère la fera rire.

Je lui emboite le pas, tandis que nous sortons de la maison, et qu'elle me mène jusqu'à une vaste pièce qui ressemble à une ancienne grange et qui sent la peinture et le vernis. Je l'imagine sans mal entre ces murs, assise devant son chevalet, à peindre des heures durant.
Dans le fond se trouvent une série de toiles qui semblent toutes terminées mais qui ont été posées dans un coin comme si elles ne présentaient que peu d'intérêt.
Je note également la présence d'une vieille radio, accompagnée d'une pile de cassettes comme celles qu'il y avait chez mes grands-parents.

"– On se sent bien, ici", je commente. "Je comprends pourquoi tu peins dans cet endroit."

Je m'adosse à un meuble recouvert de pots de peinture en tout genre. Puis j'allume la radio, curieux de voir ce qu'il est possible de capter ici.
Je soupire alors que les premières notes retentissent. Je connais cette chanson. Je la connais même très bien. Il s'agit de l'un de nos derniers grands succès. Une chanson fade, sans âme, mais qui tourne en boucle sur toutes les radios depuis plusieurs mois.
J'éteins aussitôt le poste.

"– Mauvaise pioche", je plaisante en faisant de mon mieux pour cacher mon malaise. J'espère simplement qu'elle n'a pas reconnu ma voix. "J'ai horreur de cette chanson."

Puis je la rejoins en quelques enjambées.

"– Ces toiles", je lance avec un geste en direction de la pile de tableaux entassés dans un coin poussiéreux, "tu ne les aimes pas ?"