Nate n’avait aucune intention de questionner Matt sur le baiser qu’ils venaient de s’échanger. Il ressentait le besoin de ne pas le brusquer. Il aurait trop peur de faire un pas en avant puis trois en arrière. Si ça ne tenait qu’à lui, ils seraient ensemble. Mais Matt avait besoin de temps, de réflexion, et surtout de vaincre sa peur. Nate ne pouvait pas faire mieux que d’être là et plein de belles intentions. Avec le temps, peut-être, ça suffirait à lui faire oublier sa peur. Nate grimaça quand il entendit le bruit que faisait la moquette. Ils n’avaient pas eu besoin de ça. Ma foi, Matt était bien décidé à l’aider et ça le soulageait grandement. Même fâché, il avait toujours pu compter sur lui. « Ok, je te suis. » qu’il avait acquiescé avec un sourire alors que Matt mettait sur le tapis le sujet de son anniversaire. Donc il n’avait vraiment pas oublié. Le restaurant, c’était pour ça. Et ce cadeau alors… c’était bien pour lui. Matt lui avait tendu le paquet et Nate s’était senti fébrile d’un coup. C’était son premier cadeau d’anniversaire. Le moment était fort dans leur relation vieille pourtant de plusieurs années. Il avait gardé un moment le paquet fermé dans les mains avant de se décider à l’ouvrir. Son coeur manqua un battement alors qu’il découvrait le tableau. Ce paysage, ça ressemblait à la maison… Chez eux. Au Texas. Et cette petite maisonnette, ça aurait très bien pu être celle où ils s’étaient rencontré. Ça le bouleversait. Nate avait sentit son coeur fondre dans sa poitrine et ses yeux s’embuer de quelques larmes discrètes. C’était bien plus qu’un simple tableau… Et c’était la preuve incontestable que Matt croyait en son projet. Il pouvait donc encore croire en lui. C’était plein de belles promesses. Il resta un petit moment sans rien dire, cherchant à contrôler ses émotions. Comment est-ce qu’il pouvait le remercier ? En l’embrassant ? En restant là où il était ? Nate coupa la poire en deux et le prit simplement dans ses bras. « Merci. C’est magnifique. » Il souleva le tableau contre un des murs délabrés du local. « Ce sera parfait juste là. » A la vue de tous. Nate n’avait pas besoin d’acheter le reste de sa déco qu’il savait déjà que ce tableau serait sa plus grande fierté.

Je souris légèrement alors qu'il venait me prendre dans ses bras pour me remercier. J'étais ravi de voir que mon cadeau lui avait plu, qu'il l'avait touché. Je le regardais le prendre et essayer de le poser contre le mur pour voir ce que ça pourrait donner. C'était comme si il affichait directement notre histoire à la vue de tous, qu'il proclamait au monde que c'était nous, notre passé et qu'il en était fier. Et ça me touchait...

- J'ai pensé directement à toi, à nous, à cet été là qu'on a passé au ranch. J'ai rajouté la date d'ailleurs dans le coin.

Je lui montrais d'un geste de la main les quelques lettres tracées de mon écriture maladroite, été 1961.

- J'avais demandé au vendeur de le faire mais il n'était pas vraiment pour. Alors je l'ai fait moi même.

Il avait râlé que cela allait dénaturer l'oeuvre et je ne savais trop quoi. Pour moi, c'était la touche finale qui lui donnerait tout son sens, pour moi, pour nous deux. Ce tableau, j'avais l'impression de voir une photo de l'endroit où nous nous étions aimé pour la première fois, comme si mes souvenirs avaient été couché sur la toile. Je pouvais presque voir Nate sortir de la cabane avec son éternel sourire aux lèvres.

- Bon... on ferait mieux d'aller se changer si on ne veut pas mourir d'une pneumonie.

Je ris doucement. Mon tee shirt n'avait pas séché le moins du monde et il me collait de façon désagréable à la peau. J'avais hâte de pouvoir l'enlever et passer des vêtements propres.

- Tu veux qu'on fasse comment? Je passe te prendre chez toi ou tu me rejoins chez moi?

Sachant que dans un cas comme dans l'autre, on devrait très probablement prendre un taxi vu que je n'avais pas de voiture. Je ne savais même pas si lui en avait une. Ma vieille voiture avait rendu l'âme avant mon départ pour L.A. Je n'avais pas pris la peine d'en acheter une en arrivant ici. Je pouvais me déplacer facilement avec les transports en commun dans cette grande ville. J'avais préféré économiser mon argent. La perspective d'un coup dur m'effrayait. Un traumatisme qui me restait des années où j'avais été endetté, n'ayant pas de quoi vivre correctement et me tuant au travail pour réussir à m'en sortir. Je gagnais de l'argent certes mais je savais aussi que dans ce milieu tout pouvait très bien s'arrêter du jour au lendemain. Alors j'étais prudent, mon appartement était le seul caprice que je m'étais permis. Et encore, je l'avais acheté, me disant que j'investissais pour mes vieux jours, pour le jour où le crédit serait payé et où il serait entièrement à moi.

Il avait rajouté la date de leur rencontre sur le tableau. A nouveau, Nate s’était senti gagné par l’émotion. Il avait si terriblement envie de l’embrasser que c’en était douloureux. C’était si adorable, surtout dans leur contexte… Nate ne pouvait pas espérer mieux. Et, finalement, il ne regrettait aucune des galères qu’il avait enduré avec son divorce. Tout valait le coup pour un moment comme celui-là. Un moment vrai, sans faux-semblant. Le premier anniversaire où il n’a pas besoin de forcer un sourire. « Tant mieux. J’aime bien mieux que ce soit toi qui l’ait annoté… » Nate avait sourit, profondément touché, avant de le reposer avec soin dans un endroit sûr du local. Il allait rester ici, c’était sa place. Et ça avait du sens. Tout le monde pourrait ainsi voir un bout de leur histoire. Sans le savoir, certes. Quoi que, qui sait, Nate pourrait peut-être confier cette histoire à quelques privilégiés… Mais avant d’en arriver là, ils avaient du boulot et ce n’était pas en restant là qu’ils y arriveraient. Matt le lui rappela, lui demandant comment il voulait procéder. « Je te rejoins. Ce sera plus simple, je sais déjà où tu habites. » qu’il avait dit en le gratifiant d’un autre sourire. Il avait remis son débardeur trempé avec une grimace et s’était empressé de sortir de là après avoir salué Matt pour rejoindre son appartement. Et il se sentait tout drôle, comme sur un petit nuage. Ça faisait un moment qu’il ne s’était pas senti aussi bien. Il avait l’impression que tout lui souriait de nouveau… A part peut-être la tuyauterie de son local mais ce n’était qu’un détail. Il était content. Sous la douche qu’il avait pris en quart de vitesse, il avait siffloté des airs gais. Sur le trajet jusque chez Matt, il avait sourit au moindre passant qu’il avait croisé et était probablement passé pour un fou. Tant pis. Il s’en moquait. Il était juste heureux et c’est tout guilleret qu’il avait sonné à l’interphone de l’appartement de Matt. Incapable de se défaire de son sourire, il attendait patiemment qu’il lui réponde.

- Ok alors à tout à l'heure.

Je lui avais souris rapidement avant de filer de mon côté. J'avais pris un taxi, préférant rentrer vite à mon appartement que de rester longtemps dans les transports en commun en étant trempé. C'était le meilleur plan pour moi mais de toute évidence pas pour le chauffeur qui me regardait avec un air réprobateur. Il était entrain de se demander à quel point j'allais tremper sa banquette et combien de temps il faudrait pour qu'elle sèche. Je lui donnais un généreux pourboire en sortant, espérant compenser un peu le fait qu'il y avait une grosse tâche mouillée là où je me trouvais un peu plus tôt.

Je montais rapidement dans mon appartement et j'allais balancer mes vêtements dans la panière de linge sale. J'expédiais rapidement la douche avant d'aller devant mon placard. Le choix était difficile... je n'étais clairement pas du genre à faire attention à ce que je mettais en général. J'avais des jeans, beaucoup de jeans, des tee shirts plutôt basiques, quelques chemises à carreaux. J'avais aussi un costume que je ne sortais que pour les grandes soirées. Ca faisait définitivement trop habillé pour cette soirée mais je ne pouvais pas non plus me permettre d'y aller en jean tee shirt. Je finis par opter par un jean sombre avec une chemise blanche histoire d'être un peu présentable au restaurant. J'étais encore entrain de la boutonner quand il sonna à ma porte. Je le laissais monter et lui souris quand il arriva devant ma porte.

- Tu as été rapide.

Je m'apprêtais à sortir pour le rejoindre, j'étais prêt après tout moi aussi, quand j'entendis le téléphone résonner dans mon appartement.

- Entre j'en ai pour deux minutes. Je réponds et on y va.

Je le laissais me suivre dans le salon où je décrochais rapidement le téléphone.

- Oui... oh salut! ... Non non tu ne me déranges pas. Qu'est ce qui se passe? ... Quoi? Mais je croyais qu'on avait fini... On a déjà fait cette scène je ne sais combien de fois. Si il n'est pas satisfait au bout de vingt prises je ne vois pas en quoi une vingtaine de plus changeront quelque chose.... Mais oui je serais là demain... Non désolé je suis pris ce soir... J'ai le droit d'avoir d'autres amis que toi et de sortir avec d'autres personnes! ... Oui c'est lui... Non on n'est pas... enfin... je ne sais pas... Je sais oui... Ecoute je ne peux pas te parler on doit y aller. On se voit demain.... Oui.. A demain.

Je raccrochais un peu brusquement, soupirant discrètement avant de me retourner vers Nate en souriant doucement, un peu tristement.

- Désolé, un soucis avec mon dernier film. Je pensais qu'on en avait fini mais le réalisateur tient à ce qu'on retourne une scène. Je dois y aller demain. J'espère qu'on finira assez tôt pour que je puisse te rejoindre pour t'aider.

Je m'étais engagé à l'aider pour rénover son local, je ne comptais pas lui faire faux bond.

Je sentis une once de culpabilité en ne lui racontant pas toute la conversation, mais je ne pouvais pas le faire. Je ne pouvais pas lui dire que c'était Dan au bout du fil, qu'il avait compris que c'était avec lui que je sortais ce soir, qu'il m'avait questionné pour savoir si nous sortions ensemble à nouveau, que je n'avais pas su quoi lui répondre, que j'avais senti la douleur dans sa voix quand il m'avait rappelé que je savais ce qu'il en pensait, que je devinais qu'il préférait que je sois avec lui plutôt qu'avec Nate. Je ne pouvais pas dire tout ça à Nate ou alors peut être juste une chose...

- Je suis content de passer la soirée avec toi. On devrait y aller.

Et cette fois mon sourire se fit plus sincère, moins douloureux.

Nate ne voyait absolument pas ce qui pouvait le faire redescendre de son petit nuage. Ce baiser qu’ils avaient échangé avait déjà été incroyable… Mais ce n’était pas grand chose par rapport au cadeau qu’il avait reçu pour son anniversaire. Si personnel, si touchant. Comment ne pas s’imaginer que c’était un très bon signe ? Que ça allait mieux ? Pour la première fois depuis longtemps, il ne voyait pas d’ombre au tableau. Le chemin semblait clair. Avec de la patience, bien sûr, mais ce n’était pas une qualité qui faisait défaut à Nate. Il avait tellement envie d’y croire. Il avait sonné chez Matt et ce dernier lui avait ouvert. « Et toi… Tu es très beau. » qu’il l’avait timidement complimenté alors qu’il lui faisait remarquer qu’il avait été rapide. Ça n’avait aucun rapport, c’est vrai, mais Nate avait juste eu le coeur à lui dire. Alors qu’ils allaient tous les deux quitter les lieux, le téléphone de Matt se mit à retentir dans l’appartement. Nate prit son mal en patience et rentra, attendant alors gentiment dans l’entrée. Entrée depuis laquelle il ne loupa aucune seconde de cet appel. Il devinait que trop bien qui était à l’autre bout du téléphone. Lui qui pensait qu’il n’y aurait aucune ombre au tableau… Il se trompait. Il y avait bien un certain blond qui pourrait tout gâcher. Son petit coeur gonflé de joie avait été légèrement mis à mal. Ce n’était rien, ça irait… Il accusait seulement le coup, un peu gêné d’avoir entendu cette conversation dont il se serait passé. « Pas de problème. C’était déjà génial que tu m’aides… Te prends pas la tête pour ça et concentre-toi sur ton boulot. » que Nate articula avec un petit sourire en déglutissant. Est-ce qu’il allait mentionner à quel point ça pouvait le bouffer de l’intérieur de l’imaginer avec Dan demain ? Hors de question. Sa jalousie, ça le concernait lui et Matt n’avait pas besoin d’en faire les frais. Et Nate aurait pu s’enfoncer un peu plus longtemps encore dans ses pensées négatives si Matt n’était pas venu illuminer ses idées de la plus réconfortante des confidences : il était content de passer la soirée avec lui. Pas avec Dan. Avec lui. Du baume au coeur, revigoré comme jamais, un sourire éclaira son visage. « Et c’est déjà ma plus belle journée d’anniversaire… Merci pour ça. » Et il n’exagérait pas. L’excitation qu’il avait un jour ressenti enfant à l’idée de fêter son anniversaire n’avait rien à voir avec la perspective de passer une agréable soirée avec Matt. Et la quasi-totalité de ses anniversaire à l’âge adulte avait été gâché par des mauvais choix. « C’est parti. » Furtivement, il avait glissé une main autour de la taille de Matt pour commencer à marcher. Il l’avait bien vite enlevé. Il ne voulait pas se montrer insistant ou l’embarrasser devant d’éventuels voisins.

Je ris en entendant sa remarque sur son anniversaire. Je secouais doucement la tête alors qu'on quittait mon appartement.

- On a du éponger un dégât des eaux dans ton nouveau local. Ca va certainement nous rajouter des jours de travail et des frais en plus. Et tu trouves que c'est ta plus belle journée d'anniversaire?

A choisir j'aurais préféré que les choses se passent autrement. On devait travailler tranquillement toute la journée, bien avancer même sur les travaux plutôt que de se retrouver avec une catastrophe sur les bras, et on aurait fini par la soirée au restaurant. Bon le diner restait au programme mais ça restait ralant de voir l'état du local. Après... ce n'était pas complètement un mal. Ca nous avait permis de nous rapprocher... de laisser s'effriter ce mur entre nous.

- Et je râle de devoir retourner bosser demain. Bon ok le tournage et l'équipe sont sympas. Mais dans mon esprit ce tournage était terminé, je devais passer la journée avec toi. Ca me fait raler de voir mes projets tomber à l'eau pour les caprices d'un réalisateur.

Sachant qu'il y avait peu de chances pour qu'il soit davantage satisfait des prises que nous allions faire. Mais bon... on pouvait toujours espéré. Peut être que la journée de tournage lui donnerait raison, qu'on sortirait une prise encore meilleur que celles qu'on avait déjà fait.

Je descendis de l'immeuble avec lui et le suivis vers sa voiture. Je la regardais un instant, lâchant un petit sifflement admiratif.

- Eh ben... classe la voiture.

Je lui souris avant de monter côté passager. Je lui indiquais quelle direction prendre alors qu'il se mettait au volant. Je ne m'attardais pas trop sur la voiture. Je ne connaissais que trop bien sa provenance. Elle appartenait à sa vie d'avant, à l'ancien Nate. Il était un concessionnaire de voiture à l'époque. Forcément il roulait dans les plus belles voitures de son garage, montrant autour de lui ce qu'il pouvait avoir de mieux à offrir, une sorte de pub ambulante. C'était la voiture du Nate bien sous tout rapport, celui qui était un homme d'affaire accompli, un mari et un père de famille. La voiture du Nate que je n'aimais pas, celui qui n'avait jamais voulu de moi, qui préférait sa petite vie parfaite.

Je restais silencieux, me demandant pourquoi il avait gardé cette voiture. Etait ce juste pour le côté pratique, parce que c'était mieux d'avoir une voiture pour se déplacer? Ou essayait il de garder un souvenir de son passé, quelque chose de cette vie qu'il avait aimé dans le fond? Je préférais ne pas le savoir...

Nate sourit alors que Matt rit de sa remarque sur son anniversaire. Ça lui faisait du bien de l’entendre rire. Simplement. Comme avant. « Oui, tu m’as très bien entendu… C’est la plus belle. De loin. » qu’il confirma, redoublant de sourire. Après tout ce dégât des eaux avait permis un rapprochement et promettait qu’ils passent des jours en plus ensemble. Que demander de mieux ? Nate était déjà comblé. Il y a une semaine encore, il se rendait malade à l’idée de ne plus jamais pouvoir recoller les morceaux. Là, il avait enfin des choses tangibles pour espérer un peu. « Tes projets tomber à l’eau ? » Nate lui adressa un petit regard en coin alors qu’ils évoluaient à travers l’immeuble pour rejoindre sa voiture. « Tu tiens à ce point-là à faire des travaux ? » qu’il avait demandé sur un ton faussement innocent. La vérité, c’est que ça lui faisait juste du bien d’entendre qu’il avait envie d’être avec lui. Malgré tout. Une fois sortis de l’immeuble, Matt tiqua sur la voiture. Evidemment. A l’époque de sa séparation, Nate s’était dit qu’il allait prendre une des voitures les plus cotées du garage pour assurer ses arrières en cas de pépin. Une roue de secours, quoi. Une sécurité qui n’était pas de trop quand on part refaire sa vie dans une ville qu’on ne connait pas. Une voiture qu’il n’hésiterait pas à vendre si les finances finissaient par être compliquées. Pour autant, c’était le seul vestige de sa vie d’avant : une belle voiture. Tout avait changé autrement depuis. « Oui, ça… » Il haussa les épaules. « Elle me sauvera de la ruine si jamais mon entreprise ne devait pas marcher. » Il donna une légère tape sur le capot avant de s’engouffrer à l’intérieur du véhicule. Matt lui indiqua quel chemin prendre et garda le silence ensuite. De temps en temps, Nate lui jetait un regard. Est-ce qu’il allait bien ? Les silences étaient assez habituels entre eux et ça n’avait donc rien d’inquiétant. Et à la réflexion, Nate se demandait si c’était la bonne formule. Après tout, si ça leur avait réussi, ils ne seraient pas dans cette situation aujourd’hui, non ? Peut-être qu’il fallait qu’ils apprennent à mieux communiquer. « Eh cowboy… Tout va bien ? » qu’il demanda alors, rompant le silence. Au pire, il demandait pour rien.

- Oui oui ça va.

Je lui souris doucement, essayant de chasser ces sombres pensées de mon esprit. Il avait raison. La voiture devait valoir pas mal d'argent. Il pourrait en tirer un bon prix et tenir un moment si jamais il se retrouvait dans la merde. Je ne devais pas penser à sa vie d'avant. Ca faisait beaucoup trop mal chaque fois que je faisais ça. Je détestais penser à sa famille, à sa femme, à tout ce qu'il avait préféré à nous pendant des années.

- Je ne pense pas que tu te planteras. Et même si ça devait arriver, je ne te laisserais pas dans la merde. Tu pourras toujours venir vivre chez moi.

J'étais sérieux quand je proposais ça, Même si les choses étaient encore compliquées entre nous je ne pourrais pas le laisser seul à la rue sans argent. Oui je l'avais poussé à partir de chez moi quand il était venu lors de son divorce. Mais je ne l'avais pas laissé sans argent, il avait eu de quoi tenir un moment. Je lui avais demandé de partir pour qu'il tente d'arranger les choses avec sa femme, qu'il retrouve sa fille, qu'il aille vivre cette vie qu'il semblait tant regretter. Ou au pire, qu'il arrive à faire son choix, qu'il se demande ce qui importait réellement à ses yeux. Qu'il choisisse... et il semblait l'avoir fait.

Je lui indiquais la route avant de le laisser se garer non loin de la petite boutique. Je descendis et le guidais dans le magasin. Je me baladais dans les rayons avec lui, allant chercher les pièces de plomberie dont on avait besoin. Je lui fis faire un petit détour par le rayon électricité pour prendre quelques petites bricoles dont j'allais très certainement avoir besoin. Puis nous allâmes à la caisse où j'insistais pour payer.

- Considère ça comme ma contribution à ton projet. Tu me remercieras en café quand tu seras ouvert.

Je lui souris avant de retourner à sa voiture avec nos achats.

- Bien, maintenant le restaurant.

Je le guidais une nouvelle fois, allant vers des quartiers un peu plus huppés près du bord de mer.

Ça allait. C’est ce qu’il disait en tout cas. Nate était soulagé. Il aurait difficilement supporter un revirement de situation comme ils en avaient connu à chaque rencontre jusque-là. Il ne voulait plus de ça et était bien décidé à ne plus laisser les choses s’envenimer. Et pour ça, il devait communiquer. Mieux communiquer surtout. Et pour le coup, la communication qu’ils étaient en train d’avoir lui avait fait écarter gros les yeux. Venir vivre chez lui ? Il était sérieux ? Concentré sur la route, Nate avait tout de même jeté un regard sur Matt pour savoir s’il plaisantait mais il semblerait que non. Il était bel et bien sérieux. « Ça, c’est… Très généreux de ta part. Et inattendu aussi. Merci. » Pour un peu, il aurait presque envie de se planter. Mais non. S’il devait retourner dans la vie de Matt, vivre avec lui, ce serait parce qu’il en a envie aussi. Pas pour le sauver de la rue. Sous les indications de Matt, ils ne tardèrent pas à arriver à la boutique où ils pourraient se ravitailler en matériel de bricolage. Moins connaisseur que Matt, il se laissait guider. Ce dernier le promena dans les rayons jusqu’à la caisse où il insista pour payer. Nate était rouge tomate. Il lui semblait bien ne pas avoir réussi à l’inviter une seule fois depuis qu’il était de retour à LA. Ce soir, il fallait qu’il se rattrape. « Tu fais déjà les travaux avec moi… Franchement, Matt, c’est trop. T’es officiellement client à vie gratuit de mon futur salon. » Ce n’était pas comme s’il avait prévu de le faire payer avant de toute façon. Il l’imaginait déjà, sirotant son café en regardant par la vitrine alors qu’il l’observerait lui depuis le comptoir. Ce serait chouette, la perspective lui plaisait déjà. Leurs achats dans le coffre de la voiture, ils avaient pu se remettre en route pour le restaurant. Un vrai tête-à-tête et sans dispute cette fois. Nate allait tout faire pour que ça se passe à merveille. « Avant, quand je buvais… Une occasion comme celle-là, c’était l’occasion d’ouvrir une bouteille de champagne. Tu voudras bien prendre une petite coupe pour moi s'il te plait ? » qu’il lui demanda alors qu’ils s’approchaient de leur destination. Une petite faveur pour fêter ses trente-trois ans. Ça le changerait de son éternelle bière et si Nate ne pouvait pas boire lui-même, il serait content de voir Matt le faire en son nom.

Ce n'était pas si choquant que ça comme proposition. Je n'allais pas le laisser vivre dans la rue alors que j'avais la possibilité de l'héberger chez moi. La dernière fois n'avait rien à voir, il n'était pas à la rue, il avait les moyens. Mais là si il se plantait il n'aurait plus rien et je ne pourrais pas le laisser. Je savais ce que c'était que de se retrouver du jour au lendemain avec plus rien, ne pouvant compter que sur soit et sur les petits boulots qu'on était capable de faire pour survivre, juste survivre et rien de plus. Je ne lui souhaitais absolument pas ça.

Et pour toutes les fois où j'avais été dans la merde, à peine capable de payer mes factures, je voulais pouvoir faire ce geste pour lui, pouvoir l'inviter pour une fois. Il aurait besoin de toutes ses économies pour lancer son affaire, je pouvais bien faire ça. Un petit coup de pouce qui ne me coutait rien à moi.

Je méditais un instant sur sa requête. Oui je pouvais bien boire une coupe de champagne pour lui, pour fêter son anniversaire. Mais je n'oubliais pas ce que je m'étais promis à moi même. Je ne comptais pas boire de la journée. Je ne voulais pas le tenter ou le faire souffrir en buvant de l'alcool devant lui. Ce devait être particulièrement difficile en étant sobre de voir quelqu'un boire comme ça devant soit. Je voulais le soutenir dans sa démarche et ne pas l'enfoncer ou le faire souffrir.

Alors je secouais doucement la tête.

- Je suis désolé mais non. Tu ne bois pas alors je ne boirais pas. Ils servent des boissons pétillantes qui ressemblent au champagne mais sans alcool. Comme ça on trinquera ensemble à ton anniversaire.

C'était la meilleure solution. Je voulais qu'on profite de la soirée ensemble, qu'on passe un bon moment. Et je savais que ce serait difficile pour lui s'il me voyait boire.

Je lui souris doucement pour le rassurer.

- Tourne à droite et c'est un peu plus loin. Le restaurant s'appelle Chez Paul. C'est un restaurant français. On m'a dit qu'il était excellent.