Elle ne s'était pas sentie aussi libre depuis bien longtemps. En dehors du monde des esprits il était rare qu'elle se sente si... légère. Elle se sentait en communion avec les esprits qui l'entouraient, avec la forêt qui les abritait, avec le compagnon qu'elle aimait. La coylouve jouait avec plaisir, s'échappant parfois pour cavaler tout autour de lui, s'amusant à le narguer, à venir se frotter contre son encolure avant de repartir pour lui échapper. Et puis elle finissait par se laisser attraper, venant mordiller l'une de ses oreilles comme l'aurait fait un louveteau avant de l'inviter à la suivre pour chasser un lapin ou une biche qu'elle avait repéré. Elle passait rarement autant de temps à quatre pattes, du moins pas dans sa forme naturelle, cela était assez plaisant. Ni louve, ni coyote. Elle se sentait elle-même, ce qui avait quelque chose d'assez déstabilisant.

Le lendemain, Hazel était partagée entre l'envie de rentrer chez eux et celle de simplement s'enfuir vivre au loin dans la forêt, mais elle savait que rester trop longtemps sous sa forme de loup n'était pas bon pour Asil. Elle le suivit jusqu'à un petit étang pour se désaltérer en répondant à ses marques d'affection, puis retourna avec lui jusqu'à leur point de départ. Elle profita de son Changement pour se vêtir, envoyer un message à Charles lui précisant qu'ils ne tarderaient pas, et vint enlacer le loup dès qu'il fut à nouveau disponible.

"Je t'aime, Asil."

Elle avait l'impression de ne pas le lui avoir assez dit. Elle sentait un lien invisible les relier, différent de celui qui la maintenait à ses jumeaux, mais il n'avait pas encore fini de s'installer. Quelque chose le concrétiserait, sans qu'elle ne sache quoi exactement. Leur mission étant terminée, ils durent retourner prestement à l'hôtel pour avaler un petit-déjeuner en vitesse, récupérer leurs affaires puis rejoindre les Cornick à l'aéroport. Il lui sembla qu'Anna avait compris ce qu'il s'était passé à sa manière de lui sourire, mais l'état semi-catatonique de Samuel était bien plus préoccupant. Il avait repris forme humaine mais paraissait très affaibli, et peu conscient de ce qui l'entourait. Hazel se plaça naturellement à ses côtés en lui parlant de tout et de rien, sa voix l'apaisant légèrement. Lorsqu'ils arrivèrent à l'aéroport, elle le suivit de près et embrassa Asil une nouvelle fois en s'installant près de son oncle, continuant inlassablement à lui parler pour le maintenir dans un état stable. Parfois, Anna alternait avec elle afin qu'elle profite de son compagnon -officiel, cette fois !-, mais Hazel était plus à l'aise pour parler en continu de choses et d'autres. Elle chantonna même par moments, accompagnée de la louve lorsque celle-ci connaissait les paroles. Ils arrivèrent finalement à destination, accueilli par un Bran d'assez mauvaise humeur qui s'attendait à tout. Hazel sauta hors du véhicule, relâchant son furet au passage, et confronta un bref instant le Marrok qui comprit qu'elle avait deviné quelque chose d'important. Son sourire l'ennuya, mais il était bien plus préoccupé par l'état incertain de son fils aîné.

L'équipée sauvage revint quelques jours après leur départ, leur mission effectuée avec brio : Samuel était un seul morceau quoique l'esprit un peu perdu, et personne n'était mort ou blessé. En outre, aucune guerre ne se profilait à l'horizon. Cela ne rendait pas Bran de meilleure humeur pour autant. L'insistance de Leah l'avait poussé à lui révéler la vérité et son lien avec Amara alors qu'il aurait préféré en discuter d'abord avec ses fils, ce qui expliquait sa méchante humeur malgré toutes ces bonnes nouvelles. La Bête roulait sous sa peau en menaçant de prendre sa place, griffant et grondant dans son esprit pour tenter de gagner cette bataille. Jamais Bran ne s'était senti si différent de son loup depuis qu'il avait été transformé. Le loup lui en voulait, il pensait d'une manière qui n'avait rien de naturelle pour qui n'était pas Charles. Bran avait blessé leur compagne et sa part animale en souffrait, déchirée par la colère de Leah et son besoin instinctif de protéger sa famille. Amara. Les triplés. Gahel. Il voulait les revendiquer siens, les contraindre à rejoindre sa meute définitivement, à les empêcher de partir loin de lui... Et ce qu'il lut dans les yeux d'Hazel qui l'observait au loin le rendait d'autant plus furieux. Appuyée contre la voiture tandis que Charles soutenait son frère, elle observait son grand-père avec une lueur dans le regard qui disait "Je sais ce que tu as fait. Je ne serais jamais des tiens." Il était loin d'avoir tort sur ce point... En tant qu'Oméga, elle avait tout loisir de refuser son autorité bien qu'elle n'avait pas intérêt à le faire. Hazel ne répondait qu'à un seul Alpha : sa propre soeur, et personne d'autre ne pourrait obtenir sa soumission... Pas même Asil s'il le demandait. Le Marrok ne savait pas ce qu'il craignait le plus vis à vis d'elle : ses dons semblables à ceux d'une sorcière, ou cette volonté de fer qui ressemblait un peu trop à la sienne.

Cependant, bien qu'une tempête agitait son esprit en tout sens, Bran n'en montrait rien. Il paraissait tendu, mais n'importe quelle personne extérieure mettrait ça sur le compte de son inquiétude pour Samuel. Il vint aider ses fils prestement en les voyant s'approcher, s'accordant tout juste un regard en directement du couple nouvelle formé... Car il sentait leur lien, cette fois. Il pouvait même sentir Hazel à travers Asil, signe qu'ils avaient franchi une étape importante de leur couple. Le Maure retenait un sourire à son encontre, serrant plus que de raison sa compagne contre lui. Bran en comprit la cause en inspirant longuement, remarquant l'odeur de son fils présente sur l'hybride, signe qu'elle avait dû s'occuper de lui pendant le voyage. Qu'Asil se montre jaloux de l'oncle de sa damoiselle montrait à quel point il était vivant, bien loin de l'épave qui avait échoué dans sa meute des années auparavant. Bran examina son fils aîné en posant quelques questions de principe, constatant que celui-ci était sonné mais rien ne semblait grave. Il ne pouvait rien faire de toute façon, et son impuissance alimenta sa colère. Il invita Charles et à Anna à guider Samuel jusqu'à sa chambre tandis qu'Asil et Hazel pouvaient rentrer chez eux pour le moment, ils devaient cependant revenir pour le dîner afin qu'un point plus approfondi soit fait. Avant de tourner les talons pour rejoindre ses enfants, Bran accorda un long regard à la coylouve qui le soutint sans ciller, sans le défier non plus. Il ne savait vraiment pas quoi penser d'elle.

La jeune femme, blottie contre son compagnon, devait résister à l'assaut mentale de sa soeur hors d'elle. Elle se doutait bien de ce qui pouvait l'énerver ainsi et combien ses doubles seraient déçus de sa cachotterie, mais elle ne faisait que respecter le voeu des invisibles. Ni louve, ni coyote. Parfois, elle était incapable de choisir un camp.


"C'est une bonne idée... Malheureusement, avant ça je vais devoir régler quelques petits conflits familiaux. Tu devrais aller le voir, je pense que les choses ont... échappé à son contrôle."


Pour la première fois, son sourire parue un peu moins assuré que d'ordinaire. Elle se redressa pour embrasser le loup, Basile sautant nonchalamment de l'un à l'autre pour accompagner le Maure tandis qu'elle partait en direction de sa maison.

Hazel se prit à sourire, se redressant sur la pointe des pieds pour déposer un chaste baiser à la commissure des lèvres de son compagnon.

"Il y a certaines choses que nous devons régler entre nous."

Les triplés partageaient quelque chose de spécial, un lien qui n'avait rien à voir avec ceux d'une meute ou d'un couple. Ils étaient à la fois eux et à la fois un tout, trois entités et une seule entité. Elle frémit légèrement en sentant son loup contre elle, marquant son territoire plus que de raison. Avoir son odeur sur elle la rassurerait lors de la discussion à venir, et savoir que Basile était auprès de son compagnon lui plaisait également. Elle s'était toujours fiée à ses petits amis à pattes, poils et plumes vis à vis des gens. Alors que le Maure rejoignait le Marrok, elle-même partit en direction de l'un des plus mauvais moments de son existence.

Après que Samuel eut été examiné et mis au repos et que Charles ainsi que sa compagne soient repartis, Bran se décida bon gré mal gré à rejoindre Asil dans son bureau. Celui-ci était affalé comme un bienheureux avec son paquet de chips, le Marrok ne put retenir un léger grondement à voir un autre mâle s'approprier ainsi son espace. Son loup n'était pas trop agité pour autant, juste... las. Il prit place dans son fauteuil en se laissant basculer vers l'arrière, un soupir lui échappant.

"Tu t'es lié à elle."

Bien que la remarque puisse sonner comme un reproche, c'était un fait que Bran constatait. Il avait compris déjà bien auparavant que cette union avait plus de bien que de mal à offrir, en réalité. Asil avait l'air... heureux. Réellement heureux. Bran le voyait et pouvait même le sentir à travers les liens de meute, des ondes apaisantes émanaient du Maure, chose qui n'avait pas dû arriver depuis... Était-ce seulement arrivé un jour ?

"Il n'y a pas grand chose à dire, et je ne vois pas ce qui pourrait être fait. Elle me déteste, et elle m'en veut de faire avec elle ce que je n'ai jamais su faire avec Charles."

Ce que je n'ai jamais eu envie de faire avec Charles. Il l'aimait, bien sûr, mais il l'avait toujours considéré différemment et, d'une certaine manière, il n'était pas certain qu'une autre relation puisse fonctionner entre eux. Cependant, il était sûr que ses fils considéreraient Amara comme leur soeur dès lors qu'ils seraient mis au courant, et cela aura bien des conséquences...

"Leah est au courant."

Asil étant Asil, il ne se voyait pas développer davantage. Le Maure était assez intelligent pour savoir ce que cela impliquait : le Berseker n'était pas loin, ondoyant à la surface de son âme, prêt à exploser dès lors que leur compagne les abandonnerait... Car elle le ferait, il n'en doutait pas. Leah avait vécu trop de choses pour supporter une nouvelle trahison de sa part, et lui-même n'en pouvait plus de lui faire autant de mal. Il n'aimait peut-être pas sa compagne, mais il la respectait -et ne tolérait pas que quiconque se montre irrespectueux avec elle, même ses fils. Ce qu'elle subirait, à voir quelqu'un d'autre prendre l'affection à laquelle elle n'avait jamais eu droit, était impensable.

"Je compte sur toi, Asil."

Tu es le seul qui aura le courage de m'affronter. Charles et Samuel seraient sans doute aptes à le vaincre, mais en auraient-ils la force ? Bran ne pouvait l'affirmer. Une part de lui était persuadée que les deux omégas de sa meute, Anna et Hazel, auraient assez de courage pour se battre contre lui si rien d'autre n'était possible, mais il refusait de leur faire du mal ou de risquer de les tuer. Il ne pourrait jamais se pardonner d'avoir ravi le bonheur de son fils ou de son ami, d'autant plus lorsque l'une d'elle était sa petite fille. Si les choses pouvaient bien se passer, Bran en serait heureux, mais il ne voyait aucun avenir où le Berseker était maîtrisable. Le chant d'Anna ne suffirait pas, cette fois.

Si Bran ne put se retenir de faire les gros yeux à Asil en l'entendant jurer, il ne lui fit pas la leçon pour cette fois. Il connaissait suffisamment son ami pour savoir que celui-ci n'était pas un grand adepte de vulgarité, et il connaissait suffisamment Sierra pour affirmer qu'elle méritait bien quelques entorses au règlement. D'autant plus qu'il avait été à sa place, et que lui ne s'en était pas sorti aussi bien... Amara en témoignait. Mais Asil n'y était pas allé seul, et il en était revenu en un seul morceau -tout comme ses fils. Il esquissa un infime sourire quand le loup lui rappela qu'Amara n'avait pas prévu de partir. Il avait beau avoir raison, le Marrok ne pouvait se retenir de penser qu'elle restait pour protéger ses enfants mais que, dans le cas contraire, elle aurait déjà fui à des lieues d'ici.

"Pas pour l'instant, en tout cas. Donne moi des chips."

Il n'y avait bien que lorsqu'ils étaient tous les deux qu'ils pouvaient se retrouver ainsi, à discuter comme des adolescents prostrés dans leur chambre en train de se gaver de malbouffe en refaisant le monde. Il prit d'autorité une poignée de pétales croustillants dans une main et se servit peu à peu de l'autre, de crainte qu'Asil ne s'enfile tout le paquet avant qu'il n'ait pu avoir sa part. C'est qu'il devait être assez stressé par les évènements récents pour se laisser aller ainsi à ses plus bas instincts.

"Je ne sais pas si j'y survivrais, Asil. Si la meute y survivra."

Le vieux loup expulsa un profond soupir, se laissant choir un peu plus dans son fauteuil en relevant la tête. Leah était la gardienne du monstre, celle qui muselait la bête incontrôlable qui l'habitait depuis des décennies. S'il la perdait, il n'était pas sûr de s'en sortir, et même s'il appréciait la confiance d'Asil... Il ne la partageait pas vraiment. Pourtant sa tirade lui arracha un infime sourire, et il lui vola la fin du paquet de chips pour tenter un changement de sujet.

"Je n'ai pas vraiment le choix de toute façon, je ne pense pas qu'elle puisse en supporter davantage... Enfin, au moins je sais que je ne vous entraînerai pas avec moi. Je crois qu'Anna et Hazel sont assez fortes pour m'évincer de la meute et protéger les autres, plus que mes garçons ou même toi, sans vouloir t'enfoncer."

Parce que Bran était vieux, il avait connu plusieurs omégas au cours de sa vie, et en avait appris la valeur malgré son loup dominant et caractériel et ses propres idées parfois dépassées. Les omégas et les alphas étaient similaires, sauf que les premiers n'en avaient que faire de la hiérarchie alors que les autres ressentaient le besoin de dominer les autres et de les contrôler pour mieux les protéger. S'il perdait les pédales, il comptait bien sur sa belle-fille et sa petite-fille pour mener d'une main de maître la meute au bout de cette épreuve alors que Samuel, Charles ou Asil auraient plutôt le réflexe de le combattre ou de tout prendre sur eux pour éviter une souffrance générale. Les temps changeaient, lui aussi, et il se disait que cela ne fonctionnerait pas indéfiniment.

"Je ferai ça... Après avoir introduit Amara et ses petits dans la meute. Je pensais faire ça demain. Et ton lien avec Hazel sera enfin concrétisé."

Il avait Amara… ? Peut-être pas encore, mais son intuition lui soufflait que c’était en bonne voie, oui. Il avait aussi ses fils, chacun à leur manière et ce même s’il en rejetait un plus que l’autre. Il avait même Mercy, même s’il avait toujours tenu à la garder éloignée de lui, même si elle doutait constamment de l’attachement qu’il avait pour elle. Mercy serait capable de traverser le globe entier pour le sauver, tout comme il l’avait fait quand elle avait été enlevée par cet ignoble vampire italien. Pour la coyote, il n’était ni le Marrok, ni son Alpha, il était de la famille, et cela lui suffisait. Il sourit en songeant au fait qu’il devrait davantage écouter les paroles des coyotes, car jamais il ne l’avouerait encore moins devant témoin. Une grimace déforma son visage aux mots du Maure et il lui vola la fin du paquet de chips en guise de punition.

« Je n’ai pas besoin de plus de précisions que ce que peut m’apporter mon nez. Et je n’y peux rien si je suis méfiant, j’avais des raisons de douter d’elle. Tu connais Mercy aussi bien que moi, tu sais que les coyotes sont chaotiques. »

Il lui adressa un sourire amusé, comme une manière de s’excuser sans pour autant le faire directement. Oméga et coyote, chaos plus chaos, aucun loup bien censé n’aurait pu se dire que tout allait se dérouler selon son bon vouloir.

« Un enterrement de vie de garçon, hein ? Je sais où on peut aller. »

Il rit -d’un rire sincère, et si rare que cela n’avait pas dû arriver depuis que Charles était revenu avec Anna à son bras et se leva pour jeter le paquet vide, invitant son ami à le suivre. Il parlerait à Leah plus tard, quand elle serait prête à l’écouter. Il fit un arrêt près du téléphone de la cuisine pour contacter Charles et demander des nouvelles de son frère -qui se réveillait doucement et allait bien- avant de sortir. Aux abords de la forêt, Bran se dénuda sans gêne devant son plus vieil ami, pliant soigneusement ses vêtements qu’il dissimula dans un buisson, puis il entama sa transformation. Il changeait vite mais douloureusement, bien que cela ne lui fasse guère effet depuis le temps. Très vite, un loup couleur sable -comme la louve d’Amara- à la pointe de queue blanche -comme les triplés- remplaça l’homme. Bran s’ébroua pour faire passer les derniers fourmillements du changement, attendant qu’Asil le rejoigne, et il s’élança à travers les fourrés pour rejoindre les montagnes d’Aspen Creek.