"J'ai grandi dans un cirque et voyagé à travers le monde, alors mes standards ne sont pas tout à fait normaux, l'hybride s'amusa. On passe du temps ensemble. J'aime bien les puzzles et les balades, personnellement, surtout quand je ne connais pas le coin. Le restaurant ou une randonnée ça me convient aussi. Mais dans l'idée, je te suivrai un peu n'importe où, alors je te laisse choisir."

Malgré ses dires, Hazel espérait sincèrement qu'il ne choisirait pas l'option restaurant, parce que c'était plutôt son projet à elle. Elle se voyait mal lui proposer un pique-nique parce qu'elle n'était même pas certaine de réussir un simple sandwich sans brûler quelque chose. Elle pouvait toujours demander de l'aide à son frère, mais elle trouverait ça moins personnel. Bon... Le restaurant ne le serait pas non plus, mais c'était un cadre particulier et suffisamment intime. Peut-être qu'un jour elle lui ferait un petit spectacle privé, mieux travaillé que son improvisation bancale de la veille.

"Je suis certaine que ton grenier ravirait tous les brocanteurs du pays."

Sa mère n'était pas assez vieille pour amasser des montagnes de bazar, mais elle avait connu quelques loups dont la tanière fourmillait d'antiquités diverses et variées. Elle ne pensait pas devenir comme ça un jour, mais elle imaginait très bien sa soeur avoir deux maisons l'une à côté de l'autre, juste pour avoir une zone de stockage à proximité. Gretel était pire qu'un dragon, sauf que son trésor était un amas de ramasse poussière. Elle s'amusa de taquiner le loup sur son absence de capacités en matière de perles, avant de lui embrasser la joue histoire qu'il ne bougonne pas trop longtemps. Puis elle débarrassa les assiettes vides et, après avoir demandé où trouver celles à dessert, les mis en place avant d'apporter le flan à la rose.

"Tu devrais plutôt les donner à Gretel, elle adore ce genre de choses. Tout ce qui peut stimuler sa créativité est bon à garder."

Et à encombrer la maison. Mais ils gagneraient bientôt de la place puisqu'elle avait profité de l'entrevue avec Bran pour négocier un deuxième domicile. Les triplés, la chasseresse et la démone resteraient dans leur habitation actuelle, mais la mère, l'oncle, le cousin et la petite-soeur iraient ailleurs. Les deux meutes auraient un territoire défini. Hazel retourna s'asseoir sur son siège après les avoir tous les deux servi. Elle n'eut pas le temps d'entamer son dessert qu'il lui posa la question fatidique, à laquelle elle répondit par l'affirmative.

"Quand je suis arrivée, les esprits me nommaient Enfant-du-Roi-Loup. Je savais déjà certaines choses de manière parfaitement inconscientes, je l'ai réalisé quand j'ai vu le regard qu'il portait sur ma mère. Gretel, Angel, Irina et Asriel le savent également, elle entama son flan, ravie. Gretel, Ange et moi, on a la possibilité de communiquer par nos esprits. Ce n'est pas exactement de la télépathie c'est... C'est une sorte de pièce que l'on visualise, qui n'existe pas réellement mais qui nous est familière. Je te passe les détails, mais il y a trois portes et chacune correspond à l'un d'entre nous, quand on y est on peut les ouvrir, entendre les penser et communiquer. On peut aussi se retrouver tous les trois dans la pièce et discuter, donc c'est compliqué de se dissimuler des choses. En général la porte de Gretel est toujours grande ouverte, celle d'Ange est fermée mais pas verrouillée, la mienne l'est parfois. Il arrive que certaines des informations que j'ai en tête filtrent par mégarde."

C'était un peu complexe à expliquer, alors elle faisait au mieux. Si elle avait tendance à fermer sa porte à double tour -principalement lorsqu'elle était triste ou perturbée, ses moments de transe pendant lesquels les esprits lui parlaient ne permettaient pas un tel contrôle. Si son frère ou sa soeur se trouvait présent à ce moment là, alors il pouvait apprendre en même temps qu'elle certaines choses. Angel n'était pas content du tout de ce lien de parenté, et Gretel avait simplement failli partir en vrille pour tuer Sierra avant de confronter Bran pour avoir abandonné sa fille. Et il fallait justifier de tout cela sans le dire à leur mère, qui s'inquiéterait plus de la transe d'Hazel que de l'identité de son père. L'hybride termina son dessert, récupéra les assiettes vides avant de se mettre à faire la vaisselle. Elle lui devait au moins ça vu le repas qu'il venait de préparer.

"Je suis désolée de te l'avoir caché, mais ça ne devait pas venir de moi. C'est une bonne chose qu'il ait décidé de l'avouer."

"Avec plaisir, alors."

Elle était parfaitement sincère. Un sourire étira ses lèvres en imaginant le grenier du loup, encombré de carton et de fouillis quelconque. Gretel adorait fouiner dans ce genre de choses, et elle n'était pas du genre à se prendre la tête parce qu'elle avait trois fois l'âge indiqué sur une boîte. Les triplés étaient proches, et Hazel trouvait plutôt admirable d'avoir une soeur aussi dominante, mais pas prise de tête comme la plupart des autres loups. Elle savait pertinemment que si un mâle défiait Gretel parce qu'elle fabriquait des colliers de perle ou des peluches au crochet, il risquait de finir emplâtrer dans un mur. Gretel était née louve, elle possédait une maîtrise d'elle-même que peu avaient et n'avait honte de rien. Son handicap n'en était pas un pour elle, ses goûts non plus, elle assumait chacun des aspects de son existence et cela la rendait même encore plus dangereuse. Elle avait suffisamment confiance en elle pour ne pas craindre d'exposer sa dominance dans un univers de loups machos coincés à l'âge de pierre pour la plupart. Le Marrok continuait d'attribuer aux femelles le rang de leurs compagnons -excluant d'officie les couples lesbiens ou les louves seules qui se retrouvaient tout en bas de l'échelle, mais il risquait un retour de flammes important avec l'une de ses petites-filles. Elle songea un instant qu'il ne faudrait pas beaucoup de temps à Gretel pour se retrouver plus dominante que le Maure lui-même, voire même ses oncles. Ça l'amusait et l'ennuyait en même temps.

"Si tu veux vraiment lui faire plaisir, laisse-la fouiller directement dans ce que tu as à donner. Elle est intenable dès qu'il y a quelque chose dans lequel fouiner. Tu n'imagines pas à quel point elle peut être terrible quand on fait des brocantes... Et elle n'a absolument aucun scrupule à flirter ou à utiliser son handicap pour obtenir à prix réduit une babiole parfaitement inutile qu'elle a décidé d'obtenir. Un vrai dragon."

Tout l'inverse d'Hazel qui possédait bien peu de choses, et n'accordait une réelle importance qu'à son violon. Angel, comme sur beaucoup de choses, était un bon équilibre entre elles deux : il n'était pas atteint de collectionnite aigue ni d'un désintérêt profond, mais il avait quelques bricoles qui lui tenaient à coeur. Asil traita son grand-père d'abruti et cela la fit rire, car elle le pensait également pour le peu qu'elle l'avait vu. Mais elle lui reconnaissait également des qualités.

"Hé bien, c'est ma mère qui sera la plus difficile à convaincre. Pour elle il est aberrant qu'un loup gouverne tous les autres, car seuls les esprits sont au-dessus de nous. C'est même pour ça que Sierra peut agir ainsi : tant qu'elle est bonne avec les esprits ils ne la rejetteront pas, même si elle traite mal ses loups. Et les loups l'acceptent parce que les esprits priment sur le reste. La magie qui coule dans nos veines est plus présente que la part animale, d'une certaine façon. Il faudra que Bran se présente comme un père, pas comme son alpha, s'il veut réussir à l'approcher. Ma petite-soeur aura une réaction un peu similaire parce qu'elle a le même point de vue. Ange est méfiant parce qu'il ne comprend pas qu'un père ait abandonné sa fille de cette manière, même quand il a de bonnes raisons, et Gretel est plutôt curieuse. Pour ma part, je m'en fiche un peu, c'est plutôt Charles qui m'intéresse."

La coylouve pencha légèrement la tête, pensive, avant de reprendre.

"Je n'ai pas aimé sentir la crainte qu'il inspire aux gens autour de lui. Enfin, pour être exacte, je n'ai pas aimé sentir que ça le rendait triste, et que personne ne semble le réaliser à part sa femme. Je ne le crains pas le moins du monde, et nous avons quelques points communs qui me donnent envie de discuter avec lui."

Elle avait peu vu ses oncles, mais elle avait beaucoup apprécié Anna. Les deux omégas avaient même pas mal discuté, et prévu de faire une sortie un jour prochain. Charles était né loup également, avec une mère salish qui lui avait octroyé quelques pouvoirs assez curieux pour la coylouve.
Une fois le repas terminé et la vaisselle faite, la jeune femme récupéra son furet ainsi que son sac à dos.

"Il faut aller voir Gaëlle avant que ma mère ne rentre. Tu peux m'accompagner, si tu veux."

"Elle ne flirterait jamais avec toi, parce qu'on est jumelle et qu'on se refuse à ça, même par amusement, avec des personnes qui intéressent l'autre. Par contre elle essaiera sans doute de te faire croire qu'elle est terriblement malheureuse avec sa surdité alors que c'est l'inverse, elle le voit plutôt comme une force."

D'une certaine manière, ça l'était. Le plus gros problème pour Gretel c'était les gens qui arrivaient dans son dos lorsqu'elle portait des chaussures, donc elle l'évitait autant que possible. Mais tous ses autres sens étaient particulièrement aiguisés, même pour un loup, elle se laissait difficilement surprendre. Malgré les quelques histoires que les jumelles avaient pu entendre sur le Maure, ni Hazel ni Gretel ne le craignait, donc la dominante ne serait pas du genre à laisser passer les choses. Hazel sourit.

"Bran est respecté. Craint aussi, mais respecté. Un mauvais meneur n'inspire pas le respect, alors je te crois. Je ne crois pas que les Kwanita attendent que les esprits les sauvent, c'est plutôt quelque chose comme avoir la sensation d'être nécessaire, de jouer un grand rôle dans l'équilibre du monde. L'idée que les esprits soient détachés des questionnements terrestres a aussi ce côté impressionnant et attirant, comme s'ils étaient tous spéciaux, que leur vie valait un peu plus que les autres à cause de leur mission. Je ne les connais pas alors je fais une généralité, mais Sierra pense sincèrement comme ça. Moi je considère qu'ils existent au même titre que les loups, les faës, les humains... Tangibles ou non, on vit tous et je ne hiérarchise rien, c'est pour ça que Serpent m'apprécie. Je ne l'idolâtre pas, mais je ne le crains pas non plus. Il faudra du temps pour qu'ils créent des relations, mais ça n'a rien d'impossible. Au pire je donnerai quelques coups de balais."

Elle adressa un clin d'œil complice à Asil.

"Il apprendra, et ils apprendront aussi. Mais tu sais, la famille de sang n'a pas plus d'importance que celle qui se créée parfois."

Irina était de la famille, alors même qu'elle avait tué son père. Et bien qu'Amara ressente parfois un léger malaise, elle aurait détruit le monde pour protéger la chasseresse au même titre qu'elle le ferait pour n'importe lequel de ses enfants. La demoiselle n'avait conscience de rien, et elle avait perdu encore plus qu'eux. Amara, Nil, North, Gretel, Angel, Gaëlle et Hazel. C'était peu mais ils avaient survécu, alors que pour Irina il ne restait plus qu'elle-même. Et quand elle avait voulu arranger les choses, sa famille s'était retournée contre elle et avait tenté de l'éliminer à son tour.
Une fois les affaires de la coylouve rassemblées, elle avait proposé d'emmener Asil. Une fois arrivés chez elle ils purent constater que tout était extrêmement calme, mais Hazel savait parfaitement qu'ils étaient juste tous et toutes reclus dans leur tanière. Elle se dirigea au premier étage pour frapper à la deuxième porte sur la gauche, qui s'ouvrit au bout de quelques secondes avec un grognement étouffé. Gaëlle ne ressemblait ni aux triplés ni à sa mère, mais plutôt à son cousin avec lequel elle partageait des traits amérindiens prononcés. Petite, les cheveux turquoises tirant sur le vert, avec un regard légèrement orangé qui scintilla en voyant qui la dérangeait. Elle portait un short de pyjama et un pull ample, un large casque orange sur les oreilles qu'elle retira. Sa chambre tenait à moitié de la boutique d'apothicaire. Un lit simple dans le fond et un petit bureau, un dressing dissimulé derrière une porte, une petite bibliothèque de mangas, quelques romans et bibelots quelconques, et du reste un pan entier de mur couverts de livres divers et d'ingrédients naturels. L'odeur de la magie flottait d'ailleurs dans la pièce, imprégnant la peau de l'adolescente, mais c'était quelque chose de plutôt doux contrairement à de la magie sorcière. La coyote les invita à entrer et à s'asseoir sur le bord de son lit.

"Un problème ?
-Plusieurs. Je sais qu'Oncle Will t'envoie parfois des visions, tu penses que tu pourrais entrer en contact avec lui ?
-Avant que je te rende quelque service que ce soit, je veux savoir pourquoi vous partagez l'odeur l'un de l'autre et pourquoi tu dors avec lui en ce moment."

Ça aurait pu sonner comme de la méfiance ou un reproche, mais c'était plutôt l'intérêt un peu déplacé d'une adolescente pour la vie romantique de sa grande soeur. La coyote ne cessait de jeter de petits regards en coin à Asil, Hazel soupira devant cette vaine tentative de masquer le fait qu'elle le reluquer avec -un poil- trop d'intérêt vu leur différence d'âge.

À la question du loup espagnol, Hazel prit quelques secondes de réflexion, affichant une moue pensive. Puis elle hocha doucement la tête. Ça lui était sorti naturellement, comme d'habitude, elle n'avait pas pensé à ce qu'elle disait.

"Oui. J'agis assez instinctivement et je réfléchis peu, ça me fait sans doute paraître contradictoire. Je ne veux pas d'un compagnon ou d'une compagne parce que j'ai peur de blesser, toi d'autant plus. Mais la partie de moi qui fait attention à ces choses-là est contrebalancé par des réactions impulsives, du type t'emmener dans mon lit pour profiter honteusement de ta présence. Je suis désolée."

La coylouve adressa un petit sourire d'excuse à Asil. Elle voulait faire attention à lui, mais son esprit était tellement volatile qu'elle n'y pensait pas suffisamment. Le seul moyen qu'elle connaissait était de s'éloigner définitivement, et c'en était hors de question. Quelques semaines dans un autre monde avaient renforcé son intérêt au lieu de l'estomper, donc Asil était plus important pour elle qu'elle ne le réalisait foncièrement. Hazel avait une distinction entre l'humaine et l'animale complètement inexistante, c'était comme les autres formes qu'elle pouvait prendre : une peau qu'elle revêtait, quelque chose qu'elle empruntait. La coylouve n'avait pas vraiment d'influence sur elle quand elle était humaine ou alors de façon extrêmement subtile, comme entretenir son affection pour le loup espagnol. Même les coyotes de sa famille avaient une plus grande différenciation des êtres, alors que contrairement aux loups ils étaient unis dès la naissance.
La demoiselle rit presque à son affirmation, et hocha la tête. C'était rare qu'un être aussi vieux souhaite changer le monde, et ça lui plaisait bien. Le petit esprit semblait heureux. Elle préféra ne pas répondre quant à ce qui était des liens de sang. Le sang partagé ne suffisait pas à Sierra pour aimer sa propre descendance, la famille de son père ne l'avait pas bien acceptée elle alors qu'ils partageaient le même sang. Elle n'était pas certaine que cela justifie simplement un amour familial, il fallait une certaine entente entre les personnes. Amara ne se contentera pas des liens de sang pour aimer Bran, il lui faudra bien plus de la part de celui qui l'a abandonnée... Car elle ne voyait pas les choses autrement. Cela dit, elle ne savait pas non plus ce qu'il s'était passé en réalité.

Dans la chambre de Gaëlle, Hazel avait pris place à même le sol malgré l'invitation de la demoiselle à se mettre sur le lit. L'adolescente s'était installée sur son fauteuil de bureau, les jambes croisées en tailleur dans un équilibre précaire. Son sourire dissimulait à peine son intérêt.

"C'est vrai que c'est bien quand maman et Gretel ne se disputent pas.
-Mh mh, tu es moins directe d'habitude.
-Pardon ?
-En général, tu me harcèles de question quand la personne n'est pas présente, pas devant elle.
La petite coyote ne put s'empêcher de détourner le regard, embarrassée, et se mit à triturer nerveusement ses doigts.
-C'est juste que... Je m'ennuie un peu en ce moment. Au lycée ils passent leur temps à me dire qu'ils sont désolés pour la mort de mon père. Et puis c'est bizarre d'être dans une école.
Hazel soupira, elle imaginait assez bien ce qu'il se passait : tout le monde lui rabâchait sans cesse cette tragédie au lieu de lui parler normalement, ce qui ne l'aidait pas à faire son deuil.
-Je ne peux pas totalement comprendre, mais tu devrais discuter de ça avec Irina. Elle a connu ça, et les rares personnes qui lui restent passent plus de temps à lui demander comment elle va ou lui dire à quel point ce qu'il s'est passé est terrible alors qu'elle a juste besoin de se changer les idées et d'avancer."

Chaque fois que quelqu'un lui présentait des condoléances, Hazel avait envie de lui dire que ça ne servait à rien et qu'il fallait avancer. Ils étaient tous tristes, traumatisés même après l'attaque... Mais ils n'iraient pas mieux si on leur parlait toujours de ça. La coylouve n'imaginait même pas pour Irina, qui devait en plus éviter de dire que tout ça était de la faute de sa famille, qu'ils étaient les méchants. Le plus difficile pour elle était sans doute le fait de voir ses propres parents la menacer lorsqu'elle avait voulu arrêter ce massacre. Hazel inspira longuement, pour faire disparaître sa colère, puis elle se détendit et adressa un large sourire à sa petite soeur qui se laissa atteindre par son aura.

"J'ai le numéro d'Oncle Will, mais je ne l'ai jamais utilisé : il a dit uniquement en cas d'urgence. C'en est une ?
-Oui, mais n'en parle pas pour le moment s'il te plaît. Maman va paniquer et Gretel va vouloir éradiquer le problème, aucune de ces solutions n'est envisageable."

L'adolescente acquiesça avant de lui fournir le numéro. Ça ne se voyait pas comme ça, mais elles étaient plutôt proches et pour Gaëlle sa grande soeur un peu timbrée était un modèle à suivre, donc elle l'écouterait. Elle lui faisait confiance même lorsqu'elle désapprouvait de toute façon.
Hazel la prit dans ses bras pour la remercier, puis elle invita Asil à la suivre jusqu'au salon. Mieux valait ne pas appeler Oncle Will s'il était accompagné, alors elle lui envoya un message. Après quelques minutes il lui répondit, puis, un quart d'heure plus tard, elle savait quoi faire. Elle se tourna vers Asil.

"Tu veux rentrer chez toi ? Dormir ici ? Regarder un film ?"

"Hautpman ? questionna Hazel en cherchant d'où elle connaissait ce nom. Oh, Hautpman, les Tri-Cities. C'est là que vit la fille du chaos de mémoire.
-Fille du Chaos ?
-Coyote a au moins deux enfants vivants, de ce que je sais. Sa fille vit dans le bassin de Columbia.
-...Serpent n'avait pas interdit d'avoir une descendance directe ?
-Coyote incarne des identités humaines de temps à autre, c'est comme ça qu'il a pu avoir des enfants. Serpent l'accepte car ce n'est pas dangereux comme ça.
De toute façon, il n'y avait presque aucun esprit capable de ce genre de prouesse, encore moins qui en avaient envie, et les enfants de Coyote étaient importants pour ce monde. Ils le faisaient avancer.
-...Est-ce que l'un des membres de la famille de papa a pu être un enfant direct de Coyote ?
-Non, ses enfants sont des changeurs, papa était un marcheur de peaux, comme North et Oncle Nill.
-Mh mh. En tout cas merci pour le conseil Asil."

L'adolescente acquiesça, pensive. La différence était subtile mais pas négligeable, surtout que les marcheurs de peaux étaient censés être des chamans maléfiques... soit l'exact opposé des loups Kwanita. Les différentes capacités des triplés et de Gaëlle s'expliquaient beaucoup plus facilement ainsi. Pour être tout à fait exacte, les Nahele étaient issus de l'hybridation entre des changeurs et des nahuatls, qui avait donné naissances à des êtres aux capacités variées mais plus neutres. Leur père, leur cousin et leur oncle n'avaient rien de maléfiques malgré leurs origines peu encourageantes, mais ceux d'entre-eux qui sombraient du côté obscur pouvaient se révéler encore plus terribles que leurs ancêtres.
Hazel songea un moment que le mélange Kwanita, Nahele et Cornick risquait de produire des éléments dangereux sur le long terme. Et elle eut une pensée pour son frère dont la compagne était une démone, si bien qu'un sourire lui élargit les lèvres. Une telle propension à s'accoupler avec le Mal pour qu'en résulte de bonnes personnes, c'était un véritable pied-de-nez à l'univers.

"En réalité, la majeure partie de nos vêtements vient de Bran. Il a récupéré pas mal de choses dans les stocks de vêtements qu'il garde en au cas où un peu partout car nous n'avions presque rien. Neuf personnes et trois voitures, ça fait assez peu de place pour des affaires."

La jeune femme sourit, puis alla d'abord embêter son frère pour lui piquer une tenue de rechange avant de redescendre et l'amener dans la salle de bain, laissant la possibilité à Asil d'y aller quand il le déciderait. Cette dernière année n'avait pas été simple pour la famille, mais Bran était un bon alpha. Si habituellement les loups reversaient un pourcentage de leur salaire pour aider la meute, ici avec Charles ce n'était absolument pas nécessaire. Ce dernier leur avait d'ailleurs fait un prêt à taux zéro sans contraintes pour le remboursement histoire qu'il s'installe, et avait commencé à leur placer de l'argent et tant de choses que la coylouve ne comprenaient pas.

"Quand tu voudras prendre ta douche, tout sera prêt. Pour ce soir on a pas grand chose à faire, je vais échanger quelques messages avec mon oncle, puis le reste de la préparation se fera demain. On doit prendre l'avion demain soir pour un vol de nuit, histoire de dormir durant le trajet. Ce ne serait pas idiot que tu notes les choses au cas où je m'absente un moment et que je ne sais plus où j'en suis."

Elle lui adressa un sourire contrit et alluma la télévision, donnant la télécommande à Asil pour le laisser choisir tandis qu'elle fuyait en cuisine préparer du pop-corn. Avant qu'elle ne puisse répondre, quelqu'un apparut dans le salon. Grand et fort, l'air d'avoir une quarantaine d'années, des cernes sous les yeux à en faire pâlir un insomniaque chronique, il avait des cheveux châtains mi-longs et portait une grande robe de chambre rose fuchsia particulièrement laide, avec des oursons dessus difficiles à deviner vu la qualité des graphismes. Il l'avait détesté lorsqu'il l'avait reçu alors que son frère et sa soeur hurlaient de rire devant sa tête, mais maintenant qu'il s'agissait du dernier présent qu'ils lui avaient fait, il la mettait tous les soirs. Hazel se sentait triste à chaque fois qu'elle le voyait ainsi, elle dut se reprendre rapidement pour ne pas laisser le temps aux autres de ressentir sa peine. Elle sourit à son oncle qui répondit à sa place.

"Amara travaille aux urgences, elle fait souvent les gardes de nuit en ce moment. Bonsoir, je passe en coup de vent, ne faites pas attention.
-Salut Oncle Nill. Tu veux du pop-corn ?
-Pourquoi pas. Asil, c'est ça ? J'espère que ma nièce ne t'embête pas trop. Bon boulot avec le potager."

C'était un coyote, et il était assez dominant... Mais il était tellement las qu'il n'était même pas dérangé par la présence de cet intrus sur son territoire, ni capable de chercher à le défier ni quoi que ce soit. Si Hazel réfrénait ses sentiments, le désespoir de Nill emplissait la pièce, et ce bien qu'il affiche un sourire poli. Il se traîna sans grande envie vers la cuisine, embrassa sa nièce sur le front en récupérant un petit bol de pop-corn et la bouteille de jus de fruit qu'il était venu chercher, puis il retourna presque sans bruit dans sa chambre. Hazel revint au salon les épaules tendues, mais avec de quoi boire et manger, puis elle prit place dans le canapé.

"Tu peux aussi poser les questions toi-même tu sais."

Son sourire ressemblait un peu à celui de son oncle. Toute la famille avait subi le même drame, mais tous ne le géraient pas de la même manière, et les plus jeunes s'en sortaient mieux parce qu'ils se soutenaient les uns les autres. Amara et Nill en tant que figures parentales tentaient toujours de donner le change et n'arrivaient pas à s'appuyer sur les jeunes, alors ils étaient tous les deux profondément seuls à leur manière. Et surtout Nill l'état déjà, il avait lutté après la mort de son époux, de la mère porteuse et du bébé à naître qu'il aurait dû avoir. Un accident de voiture alors que son conjoint emmenait la mère à la maternité. Quand Nill était arrivé à l'hôpital, on lui apprit qu'il devait se rendre à la morgue, pas la maternité. La perte de sa famille n'avait fait que le briser un peu plus, et Hazel sentait qu'il ne vivait que pour ne pas faire de la peine à ceux qui restaient, mais qu'il n'en avait plus l'envie.