Sa réponse me fit sourire. A l’évidence, si aucun de nous deux ne savait danser et que nos craintes étaient globalement les mêmes, l’idée même de danser avec moi ne semblait pas la rebuter. Sinon, pourquoi aurait-elle paru avoir un peu honte ?
Une idée me vient alors, permettant, en théorie, de résoudre notre problème.

Et si… Commençais-je, hésitant. Et si nous nous écartions un peu de l’assemblée ? Tu pourrais me marcher sur les pieds sans me rendre ridicule ?

Réfléchissant à ma propre suggestion, je décidais finalement de prendre les devants. Je me levais en gardant sa main dans la mienne pour l'entraîner un peu plus loin, à l'angle d'une rue. Là, hors de vue, je passais un bras à sa taille, tenant toujours sa main de l'autre, mon visage face au sien.

Cela me paraît un bon point de départ, non ?

Je trouvais sa réponse et particulièrement sa proposition extrêmement touchante. Je serrais un peu plus sa main, le laissant nous entraîner à l'écart du monde et des regards indiscrets. La musique nous parvenait toujours, même si légèrement étouffée. Mais cela n'enlevait rien à la douceur plaisante de cet instant. Il plaça une main dans mon dos, releva la seconde, prêt à danser…

– Je n'y connais pas grand-chose, mais il me semble que c'est à l'homme de conduire, lui dis-je en souriant pour l'inviter à se lancer.

Ainsi, à l'abri, je ne ressentais plus de honte, simplement une réelle crainte de lui marcher sur les pieds. De temps à autre, je baissais les yeux pour m'assurer de respecter une distance raisonnable entre mes orteils et les siens. Néanmoins, cette petite crainte ne m'empêchait pas le moins du monde de profiter de ce moment. Juste lui, la musique et moi.

– Tu disais ne pas savoir danser, mais tu te débrouilles plutôt bien, assurais-je avec sincérité.

Devoir s’éclipser pour danser avec elle, cela me donnait l’impression que nous étions deux ados, cherchant à se dérober à la vue de leurs parents. Une nouvelle fois, après que l’on se soit écartés, tout ce qui concernait mon départ prochain, la complexité de cette relation, tout cela, je l’oubliais pour vivre ce moment de tendresse avec elle.

Le bras autour de sa taille, j’estimais que c’était correct pour démarrer et la blonde m’informa que, selon elle, c’était à moi de mener la danse. Je lui souriais avant de commencer à bouger mes pieds, nous faisant lentement tourner sur place dans une sorte de ronde à deux.
Cela me semblait être un bon début, même si Héléna semblait particulièrement attentive à ce que ses pieds n’écrasent pas les miens. Rapidement, la musique nous portrait et il n’y avait plus que nous deux, la mélodie et cette ronde douce.

Elle m’offrait un compliment, trouvant que je me débrouillais convenablement et je lui souriais. Merci… Tu suis bien mon rythme aussi… Avouais-je en raffermissant ma prise autour de sa taille. Je venais de la coller contre moi, continuant de danser. Nos mouvements donnaient à nos bassins des petits gestes d’ondulation des plus alléchants, des plus évocateurs, ce qui me fit rougir. J'observais son visage qui me paraissait rayonnant et, dans tous les cas, elle semblait contente.

J’aime partager ça avec toi, Héléna… Soufflais-je à son oreille avant de lui lancer un regard brillant. Je nous faisais tournoyer encore un peu jusqu’à venir lui faire rencontrer un mur en douceur.

Tu es belle ! Dis-je finalement avant d’emprisonner ses lèvres avec sensualité.

Il me ramena contre lui et je n'esquissais aucun mouvement pour me soustraire de sa prise et de cette emprise qu'il avait sur moi. Nous nous mouvions toujours au rythme imposé par la musique, avec cette lenteur exquise et délicate qui appelait à la tendresse. Je pouvais sentir son souffle sur ma peau, le parfum raffiné du savon qu'il avait utilisé. Nous étions bien loin du cambouis et de la boue. Je me laissais envoûter par cet instant… Par son regard doux, brillant…Par sa chaleur qui me poussa à rougir également.

Je restais silencieuse, mais souriante et sans même m'en apercevoir, j'avais totalement cessé de surveiller nos pieds. Mes yeux ne quittaient plus les siens, ne se fermant qu'à l'écoute des paroles qu'il vint me murmurer à l'oreille. Mon cœur tambourinait joyeusement dans ma poitrine comme s'il cherchait à rejoindre le sien. C'était une sensation étrange et déroutante et je ne me souvenais plus l'avoir déjà ressentie auparavant.

C'est à cet instant que mon dos rencontra une surface plane… Un mur. De nouveau, Élias vint capturer mes lèvres et moi toute entière. Encore une fois, je me perdis dans ses baisers auxquels je ne pus m'empêcher de répondre. Encore. Encore.

– Je croyais… que tu voulais danser, murmurais-je entre deux baisers.

Cet instant a vraiment quelque chose de magique. La musique, qui semble n’être que pour nous, la douceur de nos gestes, l’attraction qui nous unie, la sensualité avec laquelle nous nous embrassons.
Nos regards ne se quittaient plus, tout comme nos corps qui roulaient ensemble au son des instruments. C’était tellement différent de la fougue de la veille, dans la boue !
Maintenant, à cet instant, tout n’était plus que tendresse et chaleur, comme si, la veille, seule notre attirance c’était exprimée et que, maintenant, elle recevait l’assistance de nos émotions.

Une fois après l’avoir appuyée contre le mur, alors que je l’embrassais, je pouvais sentir la braise qui rougeoyait dans mon corps. Elle ne se fit pas prier pour répondre à mon baiser alors que nous l’approfondissions avec une certaine passion.

Oui… Mais j’aimerais changer de danse… Soufflais-je en posant une main sur sa hanche, imposant un peu plus mon bassin contre le sien, comme si c’était nécessaire pour qu’elle comprenne.

– Changer… de danse…? répétais-je, légèrement surprise. Ici ?

Après tout, nous étions dans la rue. Personne ne nous avait encore interrompu, mais cela ne garantissait pas pour autant que notre intimité resterait préservée. Malgré tout, mes émotions allaient dans un tout autre sens et se fichaient bien de ces quelques "menus" détails. Tout mon corps bouillait, comme pour répondre au sien. Au lieu de le repousser – comme l'aurait fait toute personne responsable et saine d'esprit – mes mains l'agrippèrent davantage, le poussant à se presser contre moi. Mes lèvres dévoraient doucement les siennes avant de descendre sur ses mâchoires, sa gorge …

Elle semblait surprise de mon annonce. Je dois avouer que je me surprenais moi-même à envisager la chose dans cette ruelle. Niveau romantisme, la berge de la rivière était tout de même bien plus adaptée.
Pourtant, elle m'attirait plus encore contre elle, mon torse s’écrasant contre le sien, nos bassins largement en contact, ne lui laissant guère de doute quant à mon désir.

Notre baiser se fit alors plus enflammé, plus ardent, comme porté par l’idée folle de laisser nos désirs prendre vie contre ce mur. Je répondais avec gourmandise au manège de ses lèvres, nous faisant rouler contre le mur pour que ce soit moi qui me retrouve adossé. Je serrais les lèvres en sentant les siennes s’aventurer autour de ma bouche, jusqu’à descendre sur ma gorge. Je fermais brièvement les yeux tandis que la main qui était sur sa hanche était descendu sur sa cuisse, ce qui était dans son dos venant se poser sur ses fesses pour accentuer la pression de son corps sur le mien.

En rouvrant les yeux, j’apercevrai, de l’autre côté de la rue, une sorte de grange fermée par une vieille porte en bois, sans chaine. Je la repoussais alors doucement, prenant sa main et l’entrainai vers cette remise. La vieille porte s’ouvrit sans difficulté et dévoilait quelques tonneaux et bottes de foin. Je la serrais dans mes bras, l’embrassant avec fougue avant de me laisser aller en arrière dans le foin, l’entrainant à ma suite de sorte qu'elle se retrouve sur moi.

J’avais le regard plongé dans le sien, un regard de braise à la lueur ardente alors que je lui caressais le dos par-dessus sa robe, attrapant sa nuque pour la frôler de mon pouce.

J’aime beaucoup…sentir tes lèvres sur ma gorge… Soufflais-je en descendant ma main vers le bas de sa robe, vers sa cuisse.

Et de nouveau, je me laissais entraîner dans cette danse sensuelle avec lui. Là, dans cette grange oubliée de tous, nous nous donnâmes l'un à l'autre. La musique semblait vouloir nous suivre pour mieux nous inspirer à chaque caresse, à chaque baiser. Elle guidait chacun de nos mouvements, camouflait chaque gémissement… Elle était notre gardienne du secret, au même titre que cette rivière qui, la première, nous avait observés.

– Je n'aurais jamais dû prendre autant de temps pour choisir cette robe… Quelle perte de temps… lui dis-je en venant retirer le brin de paille qui s'était logé dans ses cheveux. Tu sais, on ne peut pas faire ça à chaque fois que nous nous retrouvons seuls…

L'on ne peut pas dire que cela me déplaisait cependant…

– Et si nous allions rejoindre les autres ? Ils doivent se demander où nous sommes passés…

Une fois de plus, nous nous abandonnions, l’un à l’autre. Cette fois, ce fût entre des bottes de foin, mais cela ne changeât rien à la sensualité de nos caresses, à la douceur de son souffle sur ma peau, à la passion qui s’invitait en nous. La musique, lointain bourdonnement, accompagnait malgré elle une danse des plus intimes qu’aucun spectateur ne devait surprendre. Les instruments empêchaient quiconque d’autre que moi d’entendre la voix parfois gémissante de la jeune femme, voix qui se gravait en moi comme un souvenir délicieux.

Mais non ! Tu es superbe dedans ! Dis-je en enlevant quelques morceaux de paille du bas de son vêtement, sentant ses doigts tirer dans mes cheveux. Je ne te l’enlève plus, promis ! Annonçais-je en souriant, ne me croyant pas moi-même.

Lorsqu’elle annonça qu’il n’était pas possible de se retrouver ainsi chaque fois que nous serions seuls, je laissais mes doigts courir sur son ventre, par-dessus la robe. Le plus difficile semble de pouvoir se retrouver seuls, Héléna. Gloussais-je en hochant cependant la tête.

Après une dernière vérification, aucun résidu de paille ne paraissait visible. Prenant sa main pour aller vers la porte, je me tournais vers elle.
Espérons surtout qu’ils n’aient pas remarqué notre absence…Je crains qu’Isabelle n’ait le nez fin…

J’ouvrais le porte et la rue était toujours déserte. La fête battait toujours son plein et nous retournâmes donc prendre place sur notre banc. Isabelle et Ted dansaient toujours et, un peu plus loin, Eric jouait, visiblement, avec d’autres enfants.

Tu veux boire quelque chose ? Demandais-je alors à Héléna avec un petit sourire.

Sur la place, rien n'avait changé. Les gens dansaient, mangeaient, riaient allègrement sans nous prêter la moindre attention. Cela me donnait vraiment l'impression que le temps s'était suspendu un instant, juste pour nous, avant de reprendre sa course à notre retour. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette sensation, même si je savais pertinemment que cela n'était rien d'autre que le fruit de mon imagination.

– Je veux bien, merci répondis-je à Élias avant de me replonger dans la contemplation de cette masse grouillante.

Élias venait tout juste de s'éloigner lorsque je vis Isabelle revenir au bras d'un homme qui, à l'évidence, n'était pas mon frère. À première vue, il devait avoir la petite quarantaine. C'était un homme grand, plutôt longiligne à l'allure distinguée. Il portait un costume de ville gris, très à la mode à la capitale puisque tous les hommes portaient le même.

– Héléna, je te présente Franck Wagner. C'est notre banquier.
– Enchantée, monsieur, rétorquais-je poliment.
– Enchanté également, madame.
– Figure-toi que Franck vient de me dire qu'il n'avait jamais vu de femme aussi belle que toi auparavant.
– Oh et bien… Merci ? répondis-je, clairement gênée par cette situation. Après tout, je n'avais aucune idée de ce que l'on pouvait répondre à ce genre de chose…
– Voulez-vous danser ?
– Euh… J'attends un ami. Il est blessé et ne peut donc pas danser. Je lui tenais compagnie… Vous comprenez, je ne peux pas l'abandonner seul ici.
– Si ce n'est que ça, je peux bien lui faire la conversation… Vas-y, me dit-elle en me forçant clairement la main.

Je ne me souvenais pas avoir été, un jour, aussi mal à l'aise qu'à ce moment-là. Isabelle prit ma main et la posa dans celle du banquier qui souriait à pleine dent. Je ne tenais pas à causer de problèmes à ma famille. Je savais très bien comment pouvaient se comporter certains hommes lorsqu'ils se sentaient vexés.

– Une seule danse, déclarais-je, décidément peu enthousiaste à l'idée de danser avec cet inconnu.