Apollonia tente de faire bouger Lucas, mais celui-ci est trop accablé par la tristesse et la douleur, il refuse de laisser Colt. Il repousse la jeune femme avec force, n’arrivant pas à comprendre pourquoi...

Mais soudain, tout semble s’effacer à nouveau. Pas comme quand la pierre l’a assommé, mais plutôt comme s’il était... vide.... Un ordre, et le voilà sous sa forme d’aigle, volant vers la sortie en zigzagant entre les gravats.  

Dehors, il fait sombre. Redevenu humain, le jeune homme reste debout devant l’entrée de la grotte, le regard éteint. Et puis, tout aussi soudainement, tout revient... la douleur, l’horreur, l’incompréhension...

Perdu, le Poufsouffle regarde autour de lui sans comprendre ce qu’il fait là.

”Qu’est-ce que... Comment... Colt !"

Il se retourne aussitôt vers la grotte, mais la poussière qui s’en dégage le dissuade d’y entrer. Et surtout, il vacille et se retrouve à terre, complètement étourdi par le coup qu’il a reçu.

”Ce n’est pas possible..."

Il pleure... Il ne fait même pas attention à Apollonia... Il ne veut pas la regarder... Il ne comprend rien...

”Pourquoi... ?"

Il n’arrive pas à préciser sa question, sa gorge trop serrée par l’émotion.

”Pourquoi ?!"

Il hurle cette répétition et se tourne enfin vers la Serpentard. Elle est en sang... Le cœur de Lucas se serre en le remarquant enfin, mais la douleur et trop vive que pour qu’il s’en inquiète maintenant. Elle n’avait pas à faire ça... il y avait d’autre moyens... et lui...

Lui aurait dû réagir plus vite...

”Pourquoi ?"

Il ne sait rien dire d’autre... Cette fois, c’est le désespoir qui traverse sa voix alors qu’il est à genoux au sol, la tête enfuie dans ses mains. Il n’y a même pas de sang... Ou du moins pas celui de son ami...

Apollonia a le souffle saccadé par les larmes lorsque son petit ami revient à lui après l’avoir libéré de son emprise. Elle est tout aussi bouleversée que Lucas, mais de voir en plus sa souffrance à lui… ça la déchire. Il finit par lui aussi tomber au sol. Apollonia, qui n’a pas encore la force de se relever, le rejoint en se traînant jusqu’à lui, soucieuse de son état suite au coup qu'il s'est pris. Celui de son esprit aussi. Alors qu'il se redresse un peu sur ses genoux, répétant avec véhémence ce même mot « pourquoi », il lui lance un regard indescriptible de désespoir qui lui fend le cœur. Elle se braque, incapable de confronter ce regard. Ce regard qui n’est plus le même qu'avant. Qui ne le sera sans doute plus jamais. Ce n’est que lorsque son visage s’enfouit entre ses mains qu'Apollonia se permet de l'approcher doucement. Elle tend craintivement un bras tremblant dans la tentative de l’enlacer, mais se ravise. Rien ne sera plus jamais pareil maintenant.

Apollonia ne sait pas combien de temps ils sont restés ainsi à se vider de leurs larmes. Il fait nuit et le silence est retombé. Apollonia, qui était jusqu'alors toujours à genoux, décide enfin de se relever la première. Elle se sent vidée et exténuée. Elle lance un regard vers Lucas, il semble d'autant plus abattu qu’elle ne l’est. La jeune sorcière sort tranquillement sa baguette, pointant ici et là sur sa cape déchirée en lançant tout bas : Reparo. Lorsque ceci est fait, elle la referme sur son buste pour cacher la vue de sa chemise ensanglantée. Enfin, elle s'accroupit à la hauteur de Lucas, soufflant un instant péniblement avant de prendre la parole.
— Lucas… Je t’en prie, il faut rentrer… » qu'elle lui murmure à l'oreille.
Sa voix est brisée. Presque étouffée.
Il a le visage enfoui entre ses bras et elle ne parvient pas à le tirer de là ni à savoir ce qu’il pense. Alors elle concède enfin à poser une main sur son bras, espérant que ce contact puisse le ramener au temps présent. Le ramener ici avec elle.

Il ne sent pas la jeune femme a ses côtés, trop englué dans sa tristesse et sa détresse. Il se retrouve assis en boule, la tête enfuie dans ses bras, pleurant jusqu’à n’avoir plus de larme à verser. Après un temps interminable, la voix d’Apollonia se fait entendre, mais elle lui parait lointaine malgré qu’elle se trouve juste à côté de lui. Il ne bouge pas, les yeux fermés, le souffle court et l’esprit complètement vide. Lorsqu’elle pose une main sur son bras, il sursaute et recule vivement, car brusquement ramené à une réalité qu’il ne veut plus voir. Il regarde une seconde la Serpentard avec effroi, puis semble peu à peu revenir à lui. Tremblant, il se relèves avec difficulté. Sa tête le fait souffrir, mais ce n’est rien comparé à son cœur...

Il n’arrive pas encore à prendre pleinement conscience de la situation. Il fixe l’entrée de la grotte avec un regard vide, comme si en un instant toute émotion l’avait quitté. Il n’arrive plus à réfléchir, il ne veut pas penser...

Son regard se tourne vers Apollonia, et il finit par prendre la parole d’une voix éraillée.

”Pourquoi ? Pourquoi en est-on arrivé là ? C’est... c’était... ton ami..."

C’était juste quelques gouttes de sang... Et il y avait tellement d’autres façons de calmer le jeu... Pourquoi ce sort ? Et pourquoi lui n’a-t-il pas été plus vif pour réagir...  

”C’est de ma faute..."

Il murmure ces mots, la gorge serrées. L’amour de sa vie vient de tuer son frère de cœur... et il n’a rien fait pour empêcher ça...

”On ne peut pas le laisser là..."

De nouvelles larmes coulent sur ses joues. Ses pensées sont disparates, il ne raisonne plus clairement... Jamais il ne pourra rejoindre le château dans son état...

Et il ne fait toujours pas attention à Apollonia... à son état à elle... Parce qu’il ne veut pas lui donner d’excuses...

Il n’y a aucunes excuses qui pourraient expliquer de lancer ce sort maudit...

Il a un mouvement de recul à son toucher, le regard désorienté, presque à la limite du dédain en posant ses yeux sur elle. Ce mouvement fend le cœur d’Apollonia, dont la main reste encore quelques instants suspendue en l’air avant qu'elle ne la ramène à elle. La jeune fille déglutit difficilement. La bouche entrouverte et les lèvres tremblantes, elle n’a pas la réponse à sa question. Tout est arrivé si vite…
— Ce… Ce n’est pas ta faute Lucas… Ce n’est pas toi qui… qui... » elle ne parvient pas à dire les mots. De nouveau ses yeux s’imbibent d’eaux. « On ne peut pas. Tu vois bien que c’est impossible…
En effet, l’entrée de la grotte est condamnée. Lucas est désemparé lorsqu’il le réalise et éclate en sanglots. Le cœur de la jeune fille finit de se briser dans sa poitrine. Elle voudrait tant l’enlacer pour le réconforter, mais comment le pourrait-elle étant celle responsable de sa douleur ?


Dans les toilettes des filles du deuxième étage, il est sans doute minuit passé lorsque Apollonia se défait enfin de ses vêtements maculés de son propre sang, laissant sa silhouette se refléter dans la glace froide qui lui fait face. Elle s’observe longuement, ayant elle-même de la difficulté à soutenir son propre regard. Elle se contente donc d’observer les entailles laissées sur sa peau, sur ses bras et sur ses épaules sous le regard scrutateur de Mimi Geignarde. Mieux vaut-elle qu’une élève ou un professeur. Pour une fois, le fantôme de la jeune fille timide ne dit rien dans son coin de la pièce. Elle l’observe, perplexe, tenter de soigner maladroitement ses plaies causées par le sort Diffindo avec lequel Colt s'était acharné. Apollonia, ne connaissant pas les sorts de premiers soins, ni ne pouvant se présenter sous cette apparence à l’infirmerie, se contentait de désinfecter tout simplement. Quelques larmes s’échappant encore de ses yeux en repensant aux événements. Lucas avait fini par consentir à regagner le chemin du château et était reparti dans son dortoir sans dire un mot. Elle, s’était ruée dans les toilettes pour se nettoyer.

Il est désormais temps pour elle de regagner son dortoir. Apollonia se rhabille, tardant à récupérer sa baguette abandonnée sur le rebord de l'évier. Ses doigts effleurent le bois poli avec une émotion étrange, réalisant soudain la gravité de ses actes. C’est là la baguette d’une meurtrière à présent.

Dans les jours qui ont suivi la disparition de Colt, un voile sombre s'est abattu sur l'école. Les semaines se sont écoulées sans qu'aucune trace de son corps ne soit découverte, plongeant Apollonia dans les méandres de ses remords. Elle avait plusieurs fois hésité à livrer son crime au directeur, mais s’était chaque fois ravisée, terrorisée à l’idée de finir ses jours à Azkaban si elle en faisait l’aveu. Elle et Lucas se croisent dans les couloirs, mais rien n'est plus pareil. Les regards fuyants, leurs gestes mesurés, ils se frôlent désormais comme des étrangers dans la masse d'élèves. Comme si cette douleur partagée les avait condamnés à une solitude silencieuse, éloignée de tout réconfort de l'un de l'autre. Apollonia se demande parfois s’il a raconté ce qu’il s’était passé à qui que ce soit…

Le mois suivant le drame, Apollonia quitte l'école grâce à une autorisation spéciale de ses parents qui souhaitent profiter d’un voyage en famille pour soi-disant visiter la France. À son retour quelques semaines plus tard, elle semble plus apaisée et de nouveau souriante en compagnie de ses amies. Celles-ci ne soupçonnent pas un seul instant la fragilité de ses sourires. Aussi, s’efforce-t-elle de paraître détachée lorsque le nom de Colt se glisse dans les conversations.

Jusqu'à la fin de leur sixième année, les regards d'Apollonia et de Lucas ne se croisent plus. Leurs chemins semblent tracés dans des directions opposées, séparés par la culpabilité de leur secret commun sans doute. Et c'est lors de la cérémonie, solennelle et teintée de tristesse, tenu en l'honneur de Colt dans la majestueuse grande salle en fin d'année, que le poids de son crime s'est fait sentir de manière plus écrasante encore sur les épaules de la jeune fille. Elle ne peut s'empêcher cette fois-ci de glisser un regard contrit vers Lucas, les yeux embués du sentiment.

La voix d’Apollonia lui parvient de loin. Il reste encore paralysé un bon moment avant d’enfin accepter de rejoindre le château. Ils n’échangent pas un mot. Le jeune homme aurait été bien incapable de parler de toute façon. Il a mal à la tête et se sent faible et nauséeux. Il aurait une commotion que cela ne serait pas surprenant...  

Dans son dortoir, il prend une longue douche et tente de laver sa blessure. Il dissimule ses vêtements déchirés au fond de sa valise en prenant soin de faire le moins de bruit possible. Une fois au lit, il s’évanoui plus qu’il ne s’endors...  

Le lendemain, le jeune homme est amené de force à l’infirmerie après que ses camarades n’aient pas réussi à le réveiller. Il a toutes les peines du monde à feindre l’étonnement lorsqu’on lui dit que Colt est porté disparu. Heureusement, on attend qu’il soit remis pour l’interroger. Il est... était... son plus proche ami après tout... Malheureusement, sa blessure coïncidant avec la disparition, il est difficile de ne pas faire de liens... Surtout que le directeur est loin d’être un idiot... et que son absence après le match a été remarquée...

Mais il faut croire que Lucas est bon acteur, car il arrive à dissiper les soupçons tout en évitant d’impliquer Apollonia. Il ne sait pas pourquoi il la couvre... Probablement parce qu’il l’aime malgré tout... Très certainement parce qu’il se considère comme aussi coupable qu’elle dans cette histoire...

Colt ne sera jamais retrouvé. Lucas se renferme totalement sur lui-même. Le jeune homme enjoué et souriant laisse place à une ombre oppressée par le poids du secret. Il ne parle plus à Apollonia. Il ne la regarde même plus, car la voir ne fait que lui rappeler ce moment...  

Quelques semaines après les faits, le Poufsouffle s’est inscrit au club de duel. Il se l’était promis, après tout... Il ne veut plus se retrouver démuni comme ce soir-là. Il veut apprendre des sorts plus puissants. Quand il ne combat pas, il passe son temps à étudier. Il est retourné à la salle sur demande. Après plusieurs essaies, il a fini par réussir à la faire venir à lui. Là, il s’entraine, allant toujours plus loin dans ses sorts. Attaque, défense, soin, protection... Son apprentissage, il n’a plus que ça, désormais...

Apllonia quitte l’école durant un moment. La voir revenir souriante obscurci encore un peu plus Lucas qui ne supporte pas de la voir jouer ainsi la comédie. Car oui, il est certain que ça ne peut être que ça. Il n’arrive peut-être plus à lui faire face en ce moment, mais il ne pensera jamais qu’elle est un monstre sans cœur capable d’enfuir ses émotions si profondément qu’elle puisse agir comme si de rien n’était.  

A la fin de l’année scolaire, le Poufsouffle a réussi ses examens avec des résultats qu’il n’avait jamais eus auparavant. Mais il ne s’en réjouit pas. Une cérémonie est organisée en l’honneur de Colt. Il n’est pas encore officiellement mort, s’est trop tôt, mais le directeur et le corps enseignant tiennent à montrer leurs soutiens et leur présence si certains sentent le besoin de parler. Il sent le regard du directeur sur lui durant un instant, mais il reste obstinément fixé sur son assiette. Lorsqu’il relève les yeux, il croise malgré lui ceux de la Serpentard, au bord des larmes. Il le soutient froidement un instant, puis replonge dans son repas en ignorant le murmures des discussions qui spécule sur ce qu’est devenu Tauris. Ils peuvent bien croire ce qu’ils veulent... Personne ne se rapprochera jamais de la vérité...

A la fin du repas cérémoniel, Lucas intercepte Apollonia, pour la première fois depuis ce soir-là. Son visage est inexpressif, mais son ton est glacial.

”C’était bien, la France ?"  

Il se fiche bien qu’ils soient dans la foule des élèves. Il se fiche bien des questions qu’ils pourraient se poser. En cet instant, il veut juste la confronter. Il veut s’assurer qu’elle a aussi mal que lui...

C’est cruel... mais le cœur du jeune homme est resté auprès du corps de son ami... C’est beaucoup trop dur, sinon...

Les mois défilent péniblement et Lucas ne glisse plus un seul regard sur Apollonia dans les couloirs, qui peine à le regarder sans éclater en sanglots. Sans que les mots n'aient besoin d'être prononcés, elle sait que c’est la fin de leur histoire. Plusieurs fois, il lui arrive de devoir s’éclipser dans les toilettes de Mimi pour pleurer la mort de Colt ainsi que celle de sa relation avec Lucas. S'en est violent. Elle sentirait presque son cœur se déchirer dans sa poitrine, et son corps réagit lui aussi. Plus taciturne, peinant à manger et souvent dans la lune, la sorcière semble parfois complètement déconnectée de la réalité qui l’entoure. Heureusement, qu'il y a la "France"… Sans ce voyage, Apollonia aurait sombré pour de bon.

À son retour de ses prétendues vacances, Apollonia semble émotionnellement plus... stable. Néanmoins, durant la cérémonie en l’honneur de Colt en fin d'année, pour la première fois depuis des mois, Apollonia parvient à accrocher le regard de Lucas. Un regard froid, dénué de toute compassion et accusateur surtout, qui la replonge dans un profond désarroi.

Lorsqu’il l’intercepte dans les couloirs à la fin de la cérémonie, la jeune fille semble déconcertée que le jeune homme l’approche aussi frontalement en public parmi la masse d’étudiants. Quelques regards curieux s’accrochent sur eux. C’est la première fois qu’il lui adresse la parole depuis… Depuis Colt. Il lui demande alors comment s’est passé son voyage. Il n’échappe pas à Apollonia que son ton est plein de reproches, chargé d'une hostilité à peine dissimulée. Apollonia, prise au dépourvu par cette soudaine confrontation, peine à trouver ses mots face à la froideur dont il l’accable. Ses lèvres s'entrouvrent dans une tentative vaine de répondre, tandis que dans son regard, une lueur d'incompréhension et de douleur se mêle.
— Apollonia ! Tu viens ?
Ses mots ne prennent finalement jamais vie, la voix d’Astoria s’élevant derrière elle et la rappelant parmi ses amies sur le départ pour se rendre dans leur dortoir. Demain étant officiellement la première journée de vacances, elle devait préparer sa valise. Les lèvres d’Apollonia se scellent dans un silence contrit. Une infinie tristesse dans les yeux, elle sait qu’aucune de ses paroles ne pourra l’apaiser. Elle le regarde ainsi une dernière fois, désolée et surtout blessée, une fissure dans l'âme qui ne pourra jamais être comblée.
— Prends soin de toi, Lucas, » qu’elle finit par articuler. Elle ne fait plus partie de sa vie désormais, alors elle ne peut qu’espérer qu’il saura surmonter ce qu’elle lui a fait subir. Elle tente de lui glisser un sourire sans y parvenir, avant de tourner les talons et de rejoindre le petit groupe de Serpentard qui l’attend au loin.

Si les soupçons ne leur sont jamais retombés dessus, c’est que la famille Black s’en est assurée. La jeune fille, déchirée entre le poids de sa culpabilité et le besoin impérieux de confier son fardeau, avait bien fini par se livrer à quelqu’un. Les siens. Apollonia avait ainsi été retirée de l’école quelques semaines, le temps que la jeune fille puisse se remettre du traumatisme et que la famille puisse s’assurer que rien dans ses grottes ne pourrait servir contre leur fille. Heureusement, les Black savaient manier les ficelles du pouvoir et tirer avantage de leur position éminente dans la société des sorciers. En cas d'inculpation, ils auraient sans aucun doute utilisé leur influence pour blanchir le nom d'Apollonia. Cela ne fit qu’empirer le sentiment de culpabilité de la jeune fille vis-à-vis de son crime. Il y aura bien un jour où la vérité rattrapera le pas et la jeune Black devra répondre de ses actes.

Lorsque Apollonia réalise enfin que le deuil de certaines personnes se fait de leur vivant, c'est à l'été de ses 17 ans. Elle cesse ainsi tout à fait d’apposer les yeux sur Lucas. Leur dernière année à Poudlard se déroule comme s’ils ne se sont jamais connus, comme si leurs chemins ne se sont jamais croisés, comme s'ils ne s'étaient jamais aimé... et c’est mieux ainsi. Bien que dans son cœur et ses souvenirs, la jeune fille l’aimera toujours.

 

Leur histoire prend fin violement, sans un seul mot, sans un seul geste... Lucas cesse juste de regarder Apollonia. Il ne lui parle plus, ne cherche pas d’explications, il n’en veut pas... Il ne veut pas savoir comment elle va. Jusqu’à cette cérémonie où, pour la première fois depuis ce funeste soir, il confronte la Serpentard. Elle est complètement prise au dépourvu. Le jeune homme est totalement injuste dans sa façon d’agir. Certes, il en veut à la jeune femme, mais c’est surtout à lui qu’il en veut avant tout. Elle ne mérite pas ça...  

Il ne scille pas face aux désarrois et à la tristesse qu’il lit dans le regard de la Serpentard, gardant un visage froid et fermé. Elle finit par se détourner sans répondre. En colère, Lucas se rue dans les premières toilettes qu’il croise et, pour la dernière fois, pleure à chaude larme. Il pleure son ami, il pleure son aimée...  

Ce sera ses dernières larmes...

****

Durant les vacances d’été, les parents de Lucas n’ont pas reconnu leur fils. Ayant 17 ans durant le mois de juillet, il a passé tout le reste de l’été à s’entrainer en cachette. Il n’a même pas cherché à voir ses amis Moldus. Il était fuyant, silencieux, faisant croire à une grosse peine de cœur sans en donner les détails. Ce n’était pas vraiment un mensonge en soit...  Il avait bien le cœur brisé...

A l’école, pour leur dernière année, c’est comme si Apollonia et lui ne s’étaient jamais fréquentés... jamais connus même...

Il abandonne le Quidditch au profit du duel et des études. Au début de l’année, il reste seul la plupart du temps, repoussant tous ceux qui cherchent à l’approcher. Il a peur... Peur qu’ils découvrent son secret, peur de s’attacher et de souffrir à nouveau...  

Mais des suites d’un entretiens avec le directeur, il se voit obligé de se sociabiliser un minimum, afin d’atténuer les soupçons... Il va même jusqu’à sortir avec Marie Chapmann. Malgré la froideur du jeune homme, elle est trop heureuse d’avoir enfin obtenu son attention.

Leur “histoire” prend fin juste avant les examens de fin d’année. La jeune fille, à bout de nerfs à cause des ASPIC, fini par le larguer, en ayant assez de l’indifférence qu’il lui témoigne. Sa seule réponse sera un haussement d’épaules nonchalant qui lui vaudra une claque...

****

A la sortie de l’école, Lucas s’engage dans la Brigade de Police Magique. Ses excellents résultats des deux dernières années le prédisposaient pourtant à devenir Aurore, mais il refuse de suivre la formation.  

Son ressentiment est loin de s’être taris au fil du temps, tout comme son amour pour Apollonia Black, la seule encore capable de lui faire ressentir quelque chose, mais à qui il refuse toujours le pardon... Lorsqu’il la recroise un jour au ministère, pourtant, son regard accroche le sien. Un peu trop longtemps peut-être... Lucas est dans un mauvais jour, et cela se voit dans son regard triste et fatigué...

Ils ont alors 20 ans, et le jeune homme a toujours cette nuit gravée profondément dans sa mémoire...

Sa dernière année à Poudlard est longue, pénible et douloureuse. Entre les ASPIC et le traumatisme récent des derniers événements, Apollonia peine à joindre les deux bouts. Néanmoins brillante et studieuse, elle s’en sort sans soucis dans les études, ce qui est moins le cas dans ses fréquentations. Elle passe plus de temps en solitaire et s’isole. De toute façon, ses amies étant toutes de sang-mêlé, elle sait qu’elle ne pourra plus les fréquenter en dehors des murs de Poudlard. Même sa meilleure amie, Astoria... Apprendre la nouvelle relation de Lucas fut le coup de trop. Le voir déambuler main dans la main avec Marie Chapmann acheva de lui briser le cœur et dans son malheur, la jeune fille se promit de ne plus jamais aimer qui que ce soit.

Apollonia a 21 ans. C’est une jeune femme d’une grande beauté au visage à l’expression un peu revêche. L’éclat d’intelligence dans son regard en déconcerte plus d’un sur son sillage, et elle doit parfois prétendre être plus simplette qu’elle ne l’est. Après tout, il ne faudrait pas intimider ses patrons avec leur ego fragile… Elle vient de trouver un bon travail et une position qui lui permettra de gravir assez vite les échelons après ses quelques années de stage. Au département des affaires criminelles, elle peut veiller de près à ce que les ombres qu’elle a laissées derrière elle à Poudlard ne ressurgissent pas à tout instant. Si à l’époque elle aurait pu faire l’aveu de son crime et proclamer de la légitime défense, il est trop tard aujourd’hui pour revenir en arrière.

De toute façon, qu’Apollonia atterrisse au Ministère de la magie après ses études à Poudlard, n’a rien de surprenant. Après tout, les Black privilégient d’une importante influence depuis plusieurs générations grâce à leur présence éparse au sein du ministère, notamment en politique. La jeune femme n’allait pas échapper à la tendance. Certainement pas. En tant qu’héritière, beaucoup lui retombait sur les épaules.

Ainsi, Apollonia vient tout juste d’arriver sur son lieu de travail pour commencer la journée. Tandis qu’elle attend patiemment devant l’un des ascenseurs du hall, son regard se fixe sur l’œuvre monumentale au centre de l’atrium du ministère. La sculpture oppressante, démontre la hiérarchie de pouvoir induite par les sorciers, plaçant les moldus tout au bas de l’échelle. Une marée humaine dénudée, composée d'hommes, de femmes et d'enfants, aux visages disgracieux et ternes qui s'entassent dans un chaos de postures contorsionnées, accablée par le poids des sorciers parés quant à eux de leurs somptueuses robes. Reflet de l’idéologie anti-moldue, renforcée depuis quelques années par les postes de pouvoir occupés par des sangs purs au sein du ministère. Elle grimace.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent enfin. La jeune femme se prépare à entrer, mais lorsque son regard se relève, elle s’arrête net en découvrant parmi quelques employés un regard familier. Cela ne dure qu’un instant, la bouche entrouverte et paraissant surprise, elle se reprend bien assez vite. On s’écarte pour la laisser entrer et la jeune femme se retrouve tout juste à côté de Lucas. Peut-être est-elle à peine un pas en avant, devant lui. Elle peut presque sentir son souffle caresser son épaule. Elle n’ose se retourner ni lui adresser la moindre parole n’étant pas seuls. Plusieurs questions assaillent son esprit. Qu’est-il devenu ? Est-ce qu’il va bien ? Pourquoi Policier et non Aurore ? A-t-il raconté ce qu’il s’était passé dans ces grottes à quelqu’un depuis le temps ? Et surtout... Que fait-il ici ? Après tout, c'est un agent de la police magique. Peut-être escorte-t-il quelqu'un jusqu'au tribunal. C’est un étrange mélange de ressentiment et d’émoi qui la traverse désagréablement, et qui ne dure que quelques instants. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur son étage, et lorsqu’elle s’en extrait, elle a tout juste le temps de se retourner pour de nouveau croiser les yeux de son ancien amour avant que les portes ne se referment sur ce bref échange de regard.

Apollonia reste là un instant, pantelante. Le temps de reprendre ses esprits. Il semblait si… terne et exténué… Loin du souvenir qu’elle se fait du jeune homme qu’elle a autrefois tant aimé. Enfin, la jeune femme se resaisie, chasse le jeune homme de sa tête et gonfle sa poitrine d’assurance. Elle replace les plis de sa robe, arbore un sourire confiant aux lèvres, puis se dirige jusqu’à son département. En chemin, elle croise quelques collègues avec qui elle se perd volontiers dans les conversations légères et grivoises avant d’entamer ce début de journée... déroutant.

 



Lucas est un petit prodige au sein de la Brigade. Ses compétences en duel en rendent plus d’un jaloux. Pourtant, il a tendance à s’effacer, à rester dans l’ombre. Il suit son mentor en ne posant que les questions qu’il faut, quand il faut, il expose son analyse lorsqu’on le lui demande, il est réfléchi et vif... Tout ce qu’il n’est pas en dehors du travail...

Dans son quotidien, le jeune homme est très loin du garçon solaire qu’il était dans son jeune temps. Il s’est éloigné de sa famille, de ses amis, le poids du secret et la culpabilité pesant bien trop lourd sur ses épaules...

Ce jour-là, il doit se rendre au ministère pour une affaire de vol chez un haut dignitaire. Son mentor doit mener quelques interrogatoires.  

Dans le hall, il frissonne en voyant le monument anti-moldus. Il ne peut s’empêcher d’imaginer ses parents à la place des humains écrasés par la magnificence des sorciers. C’est une époque bien sombre... Il déteste venir au ministère...

Il est tôt. Lucas va d’abord récupérer un document pour son mentor. Il a mal dormi et il aurait préféré être n’importe où plutôt qu’ici. Surtout lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur... Apollonia... La jeune femme est devenue encore plus belle. Leurs regards se croisent. Elle prend place juste en face de lui, et le cœur meurtri de l’apprenti s’emballe dans sa poitrine. Et bien... il est donc toujours là, celui-là... ?  

Lucas s’efforce de ne pas penser, mais ses yeux reviennent immanquablement sur la chevelure noire de l’ancienne Serpentard devant lui. Alors elle travaille au Ministère ? Elle descend au département des affaires criminelles... Leur regard se croisent à nouveau alors qu’elle se retourne vers lui, et la respiration du jeune homme se bloque. Les portes se referment, et Lucas sursaute : il devait descendre là aussi...

Son mentor va l’attendre, s’est malin...

Quelques minutes plus tard, les portes s’ouvrent à nouveau à l’étage où Apollonia est sortie, et où Lucas doit désormais se faire violence pour s’y rendre...

”Et bien Artwood, vous vous êtes perdu ?”  

"Pardon monsieur, je me suis en effet embrouillé dans l’ascenseur..."  

Le jeune homme tend le dossier à son mentor qui le regard avec surprise. Ce n’est pas le genre d’Artwood de “s’embrouiller”...

Les deux policiers se rendent jusqu'à un bureau, et là Lucas ne peut s’empêcher de se dire qu’il aurait mieux faire de rester au lit le matin...

”Mademoiselle Black. Veuillez nous excuser pour le dérangement, mais nous aurions quelques questions à vous poser concernant votre collègue, Elen Jenkins. Vous avez dû être prévenue de notre visite...”

Mal à l’aise, Lucas garde les yeux baissés sur un carnet dans lequel il semble prêt à prendre des notes. Heureusement, ce n’est pas lui qui doit poser les questions... Il a juste à être patient... et attendre que ça passe...

Après s'être échappée aux commérages de début de journée, Apollonia rejoint enfin son département. Il s’agit d’une salle immense, composée de bureaux à aire ouverte entassés, créant un dédale de couloirs étroits. Des piles de dossiers volent d’une extrémité à l’autre de la pièce, animées par la magie, lorsqu’elles ne s’entassent pas sur les bureaux, glissant parfois d'un meuble à un autre comme si elles avaient leur propre volonté. Les pas pressés des membres du personnel rythment la journée de travail, tout comme les discussions animées entre les différentes petites mains des sorciers qui s’activent à préparer les dossiers pour le Conseil de justice magique. Et au milieu de ce tumulte, Apollonia se faufile entre les rangées pour rejoindre le bureau central, quelques documents juridiques en main qu’elle se doit d’apporter au Directeur du département pour la tenue du prochain tribunal pour lequel elle aide à la préparation.

Elle salue agréablement le directeur en déposant les dossiers sur son bureau. Ce dernier se redresse vivement sur son fauteuil à la vue de la jeune femme pour paraître sur son meilleur profil. Elle ne s’attarde pas souhaitant éviter qu'il n'interprète de travers sa politesse, prétextant avoir beaucoup de travail, et repart ensuite à son propre bureau. Privilégiant d'une petite pièce bien à elle où elle peut faire le suivi des dossiers en cours en toute tranquilité. Lorsqu’elle y découvre la tonne de piles de dossiers qui l'attendent sur son bureau, ce n’était pas un prétexte tout compte fait. La charge de travail est lourde ces temps-ci, et pour prouver sa bonne volonté et sa détermination si elle veut gravir les échelons, Apollonia reste parfois passé les heures de bureau. Elle s’installe donc sur sa chaise et se met sans plus tarder à étudier les divers documents sous son nez. Elle a de la difficulté à se concentrer aujourd’hui, Apollonia... Il faut dire que d’être tombée nez à nez avec Lucas après quatre ans sans l’avoir revu... il y avait de quoi l’ébranler. Elle souffle un bon coup pour chasser tout ce vague à l’âme que lui provoque sa vision, mais l’image du jeune homme ne veut décidement pas quitter son esprit.

Et quand on parle du loup…
On toque à sa porte, même si celle-ci est déjà ouverte et lorsque Apollonia lève les yeux, elle y découvre un agent de la police magique accompagné de... Lucas. Elle se crispe sur sa chaise, mais n'en montre rien. Le premier policier annonce la nature de sa visite et Apollonia prend un moment pour réaliser. Elle avait complètement oublié qu’on la questionnerait aujourd’hui concernant Jenkins.
— Oh… Oui, bien sûr… Asseyez-vous, je vous en prie, les invite-t-elle de la tête à prendre place devant elle, tandis qu’Apollonia se lève pour fermer la porte de son bureau derrière les deux hommes par souci de discrétion. L’espace étant petit, elle effleure par inadvertance Lucas et, de ce contact presqu'imperceptible, elle ne peut empêcher son pouls de s’accélérer. Elle s’excuse rapidement tout bas auprès du jeune homme avant de regagner sa place, tâchant de rester sereine pour que son collègue n’aille pas penser que sa nervosité soit liée au cas de cette pauvre Jenkins.
— Eh bien… Je vous écoute, messieurs. Que voulez-vous savoir exactement ?
Son visage empreint de sérieux pointe en la direction du policier plus âgé dont elle veut accorder toute son attention. Néanmoins, Apollonia ne peut s’empêcher de glisser de furtifs coups d'œil de temps à autre à Lucas, redécouvrant ce visage qui lui avait tant manqué, marqué par l’âge adulte et la douleur de ses jeunes années. Mais surtout, une terrible question taraude son esprit et la hante par la perspective que la réponse soit positive. Avait-il parler à quiconque de son crime ?