Je lève un sourcil faussement suspicieux.

Et pourquoi cela ? Hmmm ? Demandais-je en affichant une fausse moue contrariée.

Le reste de l'après-midi, je le passais dans ma piaule à préparer mon matériel. Deux appareils avec deux optiques différents, un lot de batteries et de cartes mémoires. Ensuite, après quelques échanges avec Hailey, je me préparais. Après une douche rapide, j’enfilais un jean et une chemise blanche qui, avec mon sport quotidien, avait fini par être un peu proche du corps. J'aimais bien la porter pour les soirées de travail car elle était fraîche, un atout de taille dans ces environnements vite surchauffés.
Pour finir, veste en cuir, une paire de santiags et ma vieille besace militaire contenant mon matériel.

Jade semble être une femme de poigne et de caractère. A peine arrivée, elle drive la blonde avec aplomb avant de me recevoir brièvement dans son bureau. On confirme ensemble que mes photos ne lui coûteront rien et elle, m'informe qu'elle a obtenu l'accord du groupe. Je la remercie et promets également quelques clichés pour le groupe.

Profitant de la fermeture, je fait le tour, quadrillant l'endroit, photographiant tables, déco, fauteuils et scène ainsi que la façade. Apercevant, derrière le bar, les trois serveuses, dont Hailey, hilares pour je ne sais quelle raison, j’immortalisais l'instant en contre plongée, jouant avec les lumières et les ombres.

Plus tard, l'ambiance était devenue folle et électrique. J’enchainais les prises de vues, jonglant entre les appareils, dansant presque dans la salle pour esquiver le public.
Cela n'empêcha pas un type de me percuter, renversant sa pinthe sur moi. Fort heureusement, j'avais réussi à éviter que la moindre goutte ne touche mes appareils, en revanche, ma chemise était trempée. En vérité, je n'y prêtais aucune attention, un photographe est habitué à être bousculé. En tous cas, je l'étais.

La musique de ce groupe me rappelle d'excellents souvenirs. Je me sens bien, comme si je baignais dans mon élément. Je n'ai pas vraiment le temps de m'attarder dans la contemplation des musiciens, mais la musique imprègne peu à peu chacune de mes cellules. Le Blue Tiger est plein à craquer. Visiblement ce groupe a su gagner une petite notoriété dans le coin, ce qui a attiré tout ce monde. Ils sont doués je dois dire… Un subtile mélange de Coldplay, Oasis et Paramore. Un véritable régal pour mes oreilles.

La bière coule à flot. Ce qui en soi est très bien pour la caisse du bar, mais beaucoup moins pour les deux videurs qui sont déjà intervenus quatre fois avant vingt-heures. J'ai eu trente secondes pour saluer Alex et sa copine Lise. Une jolie fille a l'air fort sympathique… Je suis sûre qu'elle l'est vraiment… Même si l'ambiance ne prête pas à la conversation.

Les applaudissements pleuvent, le groupe entame sa toute dernière chanson. Il est pas loin d'une heure et la salle commence doucement à se vider. La plupart des clients vont probablement finir leur soirée en discothèque… Moi, j'ai encore du nettoyage à faire et…Il y a cette Fender anniversary édition que je crève d'envie de voir de plus près. Quand j'en ai terminé avec mes corvées, je m'approche de la guitariste qui s'apprête à ranger son matériel. Je la questionne un moment sur l'instrument et nous prenons largement le temps de discuter… Comme à chaque fois, je ne vois pas le temps passer et voilà qu'elle me propose de l'essayer…

Mon cœur s'emballe aussitôt à cette proposition… Je sais que Jade ne me foutra pas dehors, personne ici n'est réellement pressé de rentrer chez lui. Alors, timidement je m'empare du manche de cette merveille électrique. J'en tombe aussitôt amoureuse… Elle est si légère, son équilibre est tout simplement parfait.

– Elle est faite pour les femmes celle-ci.
– Je vois ça… dis-je avant d'enchaîner quelques accords au hasard et… je me laisse entraîner.

Elle chante par-dessus ma musique et je la rejoins quelques mouvements plus loin. Je ferme les yeux et me laisse simplement guider par mon instinct et ma mémoire… Je me détends aussitôt. Cette guitare est réellement une merveille, mon père l'aurait adoré. Oui, très certainement…

On enchaîne ainsi quelques chansons plus ou moins connues par la petite assistance qui, rapidement, se prête également au jeu.

La dernière chanson passée, je me pose au bar pour prendre une bière et ne pas être dans le chemin des clients qui sortent. Rapidement, aidés par les videurs, ne restent plus que les musiciens et quelques employés qui se lancent dans le rangement.


Eh beh ! Elle a pris cher ta chemise! Me sort la barmaid alors que je constate qu'en effet, elle me colle bien à la peau.


Finalement, quelques accords se font entendre et, après un coup d'œil, je vois la blonde sur scène, une guitare en main. Rapidement, une des membres du groupe se met à chanter, imitée par Hailey. Le reste du groupe revient à ses instruments et c'est comme un concert privé qui démarre, la voix de la jeune-femme et sa musique prenant le pas dans mes oreilles. 


J'abandonne mon verre et me saisis de mon appareil afin de compléter ma galerie.


La Lumière des projecteurs se perd dans la tignasse blonde qui ondule, obnubilant mon regard.

Ses yeux clos lui donnent une allure folle de grande de la musique, alors, laissant mon instinct prendre le contrôle, j'ajuste les réglages et enchaîne les photos. Je me déplace, d'un côté à l'autre de la scène, prenant également le groupe, allant au plus près des joueurs, profitant que c'est du off pour m'offrir des angles autrement impossibles.

Et je saisie des images fabuleuses de la jeune femme, où ressortent passion, émotions et sa beauté scintillante. 

Je pense que je suis aussi à fond dans mon truc que les musiciens. 

Il n'y a rien de plus libérateur que la musique. C'est mon monde à moi, mon tout. Autrefois, je partageais cette passion avec mon père … C'est même lui qui m'a tout appris. Je me souviens qu'il parlait souvent de son groupe, les Red Lagoon, ou un truc du genre… Je ne suis plus très sûre du nom, tant pis. Mais le plus important reposait dans la fierté qui illuminait ses traits lorsqu'il évoquait ce qu'il qualifiait de "bons vieux souvenirs".

J'aime jouer, mais seule dans mon coin, c'est vraiment différent. Je n'y prends pas le même plaisir. Il n'y a pas toute cette effervescence, cette électricité qui effleure ma peau, ce torrent de lave qui brûle dans mes veines.

"La musique, ça se partage !"

Je ne sais combien de temps dure ce petit concert, mais cela suffit à me réveiller pour de bon. Je suis sûre qu'après ça, je serai totalement incapable de dormir avant plusieurs heures. À regret, je finis par rendre la Fender à sa propriétaire. On discute quelques minutes de plus, on échange nos numéros avec la ferme intention de recommencer une prochaine fois.

Je retrouve Jade au bar qui s'empresse de me donner ma part de pourboire. Ce genre de soirée rapporte toujours un peu.

– C'était pas mal du tout, me lance-t-elle. Si tu le souhaites, je peux t'offrir la scène quelques soirs…
– Nan, c'est bon, je la coupe. Je voulais juste tester sa Fender. Je rêve d'avoir la même depuis des lustres.
– Comme tu veux… souffle-t-elle. En tout cas, tu ne manqueras pas de souvenirs.
–Pardon ?

Elle désigne Matthew du menton.

– Il t'a photographié sous tous les angles… Ça m'étonne que tu n'aies rien remarqué.

Pas moi… Quand je joue, mon attention se porte uniquement sur la musique. Tout le reste disparaît.

Je souris en soupirant avant de récupérer l'enveloppe contenant mes gains de la soirée. Je rejoins ensuite Matthew, un air réprobateur sur le visage.

– Corriges-moi si je me trompe, mais il ne me semble pas t'avoir donné mon accord pour les photos… Oh mais... Qu'est-ce que tu as fait à ta chemise ?

J'affiche un air surpris en voyant son air peu engageant, me demandant ce que j'avais bien pu faire pour lui déplaire.


Ah! Oh! Euh, non en effet, tu ne me l'as pas donné. Je… Tu m'as inspiré alors… Soudain, elle s'exclama par rapport à l'état de ma chemise, me demandant ce que je lui avais fait.


Euh ! Moi, rien. Un type m'a bousculé et à versé sa pinthe dessus. Expliquais-je en haussant les épaules. Ce n'était là qu'un détail pour moi, vu ce qu'allait me rapporter la soirée, je la deposerai au pressing.

Aussi je revenais au plus embêtant, ces photos.


Pour les photos, j'avais prévu de te les donner à toi, et c'est tout… Je ne les aurais jamais utilisé sans ton accord. Mais tu étais tellement inspirée, tellement dans ton élément que je me suis dis que certaines pourraient te plaire.


Aussi, joignant aux paroles le geste, j'extrayais la carte mémoire de l'appareil pour la lui tendre avec un sourire. 


Tiens, c'est mérité ! Dis-je en bougeant les épaules pour décoller la chemise de ma peau

– Hm marmonné-je en saisissant la carte mémoire. Merci, je suppose.

Ne sachant que faire de la carte mémoire, je la range dans la poche arrière de mon jeans. Puis, avisant l'état de sa chemise et surtout de son odeur, je l'invite à me suivre à l'arrière. Là, nous croisons quelques-uns de mes collègues masculins.

– Dites les gars, vous auriez pas un t-shirt propre en rabe ?

Il n'y a pas que les clients et les photographes qui se font renverser de la bière sur les vêtements après tout.

– Ouais attend, rétorque Will, un jeune homme à la carrure plutôt semblable à celle de Matthew.

Il fouille dans son casier et en sort un t-shirt noir, tout simple, encore plié. Il le tend ensuite au photographe.

– Tu pourras m'le rendre quand tu veux. T'inquiète.
– Merci ! dis-je, tout sourire, avant de me tourner vers Matthew. Faut passer ta chemise sous l'eau si tu ne veux pas que l'odeur imprègne le tissu.

Je lui tend alors la main pour récupérer ladite chemise.

Elle récupère la carte mémoire, visiblement un peu sceptique, me remerciant malgré tout, même si cela manquait de conviction. Je devrais retenir qu'elle n'aimait être photographiée à son insu.

Tu me diras merci, ou non, après les avoir regardé. Dis-je en souriant avant de la suivre. Elle me guida jusqu'aux vestiaires où elle demanda à ses collègues si l'un d'eux avait un t-shirt. Un certain Will m’en donnait un, noir uni et simple, me disant que je pourrais le lui rende plus tard. Je le remerciais sincèrement avant que la jeune-femme ne me demande ma chemise afin de la passer sous l'eau pour tenter de la sauver.

Ainsi, je defaisais les boutons pour retirer mon vêtement, le lui tendant, un peu gêné. Ma musculature, fine et discrète mais malgré tout présente, se dessinait avec les ombres des lumières du plafond. Je manquais rapidement cela avec le t-shirt prêté. Loin d'avoir honte de mon corps, j'étais un peu mal à l'aise à l'idée qu'Hailey s'occupe de ma chemise. Aussi, je me libérais les mains avant d'en retendre une pour reprendre mon vêtement.

Ces photos, je ne suis pas certaine de les regarder un jour. Je n'ai jamais aimé me voir en image. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les gens passent autant de temps à se photographier et à poster leur trogne sur les réseaux sociaux. Non, vraiment, ce n'est pas mon truc. Mais bon, je ne me vois absolument pas lui raconter l'une de mes plus grandes originalités ou de vulgairement refuser sa carte mémoire. Au moins, je suis sûre qu'elles ne paraîtront nulle part.

– Fais pas ta chochotte, lui dis-je en récupérant sa chemise pour la passer sous l'eau. C'est trois fois rien.

Je me saisis du linge et disparaît avec dans la salle de bain. Je frotte le tout sous l'eau avec un peu de savon avant de la rincer, l'essorer et la suspendre à un cintre. Elle pourra très bien attendre mon retour demain.

Je retourne dans les vestiaires pour l'accrocher à la fenêtre, celle qui donne sur une petite cour intérieure.

– Si tu as terminé ici, je suppose qu'on peut rentrer, je lui lance avant de récupérer mes affaires dans mon casier. A demain les gars !
– À demain !

Le temps s'est grandement rafraîchi à cette heure et ma veste en cuir n'est clairement pas de trop. Leur appartement n'est qu'à quelques rues du Blue, je ne vois donc pas l'intérêt de prendre la voiture. Et puis… Marcher me fait du bien.

– Alors, est-ce que tu as pu avoir ce qu'il te fallait ? je demande, tout en marchant. La soirée a-t-elle été à la hauteur de tes attentes ?

Finalement, elle disparaît avec me chemise, préférant s'en occuper elle même que de me la rendre. Elle disparaît donc, me plantant au milieux de ses collègues. Avec son petit commentaire, j'ai l'impression désagréable d'être pris pour un incapable. Je n'en fait pas un cas, je ne penses pas qu'elle ai véritablement cherché à me rabaisser. C'est plus son caractère qui joue, j'imagine.

Quelques instants plus tard, ma chemise sèche et elle donne le départ pour rentrer à l'appartement.
Oui, j'ai tout, on peut y aller. Confirmais-je.

Ma veste en cuir enfilée, nous prenons le chemin pour rentrer. Sur le trajet, elle me demande si la soirée a été à la hauteur, si j'ai eu ce qu'il me fallait et je lui lance un sourire.

Parfaite ! La soirée était parfaite ! J'ai entre 400 et 500 photos à trier grossièrement avant de les envoyer demain. Je ne connaissais pas l'endroit mais j'aime beaucoup l'ambiance. Je pense que je repasserai de temps en temps. Annonçais-je, souriant. En tous cas, tu as un sacré talent, c'était vraiment chouette. Tu semblais absorbée avec ta guitare, c'était assez magique. Je parlais en marchant, livrant simplement mon avis à peu prêt global. Je n'allais tout de même pas lui dire que c'était surtout elle que j'avais trouvé magique.

– Entre 400 et 500 ? je répète, les yeux écarquillés. Tu as vraiment eu le temps d'en prendre autant en une seule soirée ou… Tu te moques de moi ?

Mon sourire s'étire tandis que mes mains se perdent dans la poche arrière de mon jean. Ma main droite rencontre alors la carte mémoire qu'il m'a donnée… Combien de photos se trouvent là-dedans au juste ?

– C'est un bar sympa oui. C'est bien plus calme en semaine, parfait pour un afterwork. Le week-end en revanche… C'est un endroit magique.

Dire que j'aime le Blue Tiger serait un euphémisme. J'aime tellement cet endroit que je pourrais clairement y dormir si Jade m'en donne l'autorisation.

–En tous cas, tu as un sacré talent, c'était vraiment chouette. Tu semblais absorbée avec ta guitare, c'était assez magique.
– Du talent, je ne sais pas mais… J'aime la musique. Je joue du piano depuis mes quatre ans… Et j'ai commencé la guitare à huit. J'ai toujours aimé ça et...

Et je parle un peu trop. Je lui fais donc signe de laisser tomber, un sourire flanqué sur mes lèvres avant de lui montrer la carte mémoire.

– Y'a combien de photos de moi là-dedans ?