« Oh au pire hein, » tu dis en haussant les épaules. C’est jamais que deux bières. Tu penses plus à tes intérêts qu’à agir moralement. Avec tes poches vides et tes envies de faire la fête, le calcul est vite fait. « Ahh, toi aussi tu fais ça souvent ? » tu demandes. Elle avait pas l’air habituée à ça pourtant, mais tu sais pas comment elle aurait pu oublier ça si vite si c’était pas le cas.

« Ehhh ! » tu t’exclames soudain. « Je viens d’avoir un flash. T’étais pas au mariage des Meuniers ? J’suis sûre que je t’ai vue là-bas ! » T’en reviens pas. Ni même de te souvenir de son visage, dans la masse des invités, alors que tu lui as même pas parlé ce soir-là. Sans doute qu’elle se souvient pas de toi. Faut dire qu’à l’époque, t’avais les cheveux longs et blonds.

« Non, c'juste que » Tu marmonnes deux mots dans ta barbe avant de te remettre à boire ton verre. Tes mots se noient et heureusement, vous changez vite de sujet. « Les Meunier ? » Tu regardes la fille, tu n'as personne qui s'appelle Meunier dans tes proches qui se sont mariés, enfin tes proches ... tu assistes à beaucoup de mariage avec tes parents plutôt. Tu fronces les sourcils et tente de réfléchir. « J'suis allée au mariage de Marc Moulin cet été mais c'est tout. » finis-tu par proposer, te demandant s'il y avait un rapport, normalement on oublie pas les noms des mariés quand même.

T’exploses littéralement de rire quand Marjo te répond. En plus elle a un air hyper concentré, elle essaye vraiment de t’aider et toi t’as juste dit n’importe quoi. « Aah oui les Moulin, pardon, c’était ça leur nom ! » tu réponds en continuant à te marrer bêtement. « Excuse-moi, j’ai pas fait trop attention au mariage en soi, » t’avoues en repensant à Adam et Elsa, ce qui te fait rire à nouveau. « C’était n’importe quoi cette soirée, » tu dis d’un air rêveur. « Mais donc j’avais raison, t’étais là-bas ! Tu dois pas te souvenir de moi par contre, » tu dis pour tester sa mémoire quand même, au cas où.

A force, tu commences à la connaître et en la voyant rire, tu ne le prends pas personnellement comme une moquerie, alors qu'en temps normal, tu réagis très mal à la moquerie. « Non, mais sérieux ? Je t'ai pas capté du tout, ouais n'importe quoi. Il y avait beaucoup trop de champagne et j'ai passé le maximum de temps avec Estelle, une asiat aux cheveux roses si ça te rappelle quelqu'un ? Donc j'ai pas trop suivi le reste je t'avoue. T'étais avec qui ? Enfin tu me diras, je connaissais pas grand monde a part les amis d'enfances... » Bavarde Marjo le retour.

À vrai dire, c’est plutôt de toi que tu ris. Tu te trouverais presque comique à être si souvent à côté de la plaque et à le prendre avec autant de légèreté. Pour d’autres, le ridicule tue, mais pas tellement pour toi. T’aimes bien provoquer le jugement des autres, pour les laisser seuls avec. Cela dit, ça t’aide pas à tisser des liens avec qui que ce soit. Marjo, elle, elle te juge pas. Elle fait comme si t’étais normale, comme si elle te connaissait depuis toujours et c’est tellement agréable.

« Ahhh, oui, ça me dit trop quelque chose ! Les cheveux roses. D’ailleurs moi j’avais les cheveux blonds, limite blancs. J’étais avec le témoin du marié, un type pas très sûr de lui mais tellement marrant. Et puis avec une serveuse de la soirée. Je sais même pas comment j’me suis retrouvée avec ces deux-là. J’suis d’accord avec le fait que y’avait beaucoup trop de champagne, » tu dis en pouffant comme une gamine.

Elle a changé de couleur de cheveux, radicalement, quelque chose que fait Estelle de temps en temps aussi. Tu les admires, mais sans franchir le pas. Comme les tatouages. D'un côté tu fais la fière, mais de l'autre tu n'oses pas t'imposer des changements trop brutaux, radicaux ou non. Tu as besoin de ton confort, ta petite bulle. « Oh mais si attends, je crois que je t'ai vue danser. Adam est quelqu'un de particulier, je le connais depuis des années mais sans avoir jamais réussi à me lier d'amitié avec lui, trop timide. Enfin je le suis aussi tu me diras, peut être que c'est pour ça ... » Encore une "faiblesse", tu préfères naviguer dans l'ombre, ne pas être au premier plan. Ce que tu as fait depuis que tu as croisé le regard de Leo est assez exceptionnel, elle te rend extraordinaire. Et t'as envie de continuer. Tu l'embrasses sur la joue pour la deuxième fois de la soirée. « Merci pour cette soirée » tu murmures. Elle n'est pas finie loin de là, mais t'as besoin de le lui dire.

Tu avales plusieurs gorgées de bière en écoutant Marjo. Petit à petit, insensiblement, vous vous isolez un peu du groupe, même si vous profitez encore de l’ambiance. Y’a même un joint qui t’arrive entre les mains, mais t’es déjà bien alors tu te contentes de quelques taffes avant de reprendre la fin de ta cigarette. Tu le proposes à Marjo, puis il reprend son tour.

« C’est vrai que j’suis jamais tombée sur un gars comme lui avant. Mais il est génial. Le secret, c’est de le faire boire, » tu dis en repensant au petit concours du meilleur cuba libre, un sourire évasif sur les lèvres. Et puis tu reviens sur ce que la jolie brune disait. « Toi, timide ? » tu ris franchement. « C’est un coup de bluff, c’est ça ? Ou bien le coup de l'alcool fonctionne sur toi aussi ? »

Et puis tu comprends que non, qu’elle l’est vraiment, à la manière dont elle te remercie. C’est presque inaudible, imperceptible. Mais c’est là. Quelque chose te remue sévèrement à l’entendre te dire ça, à la voir t’embrasser avec douceur. Quelque chose qui fait à la fois du bien et du mal. T’as jamais été une bonne fréquentation, et t’es plutôt habituée à décevoir les gens qui s’attachent à toi. Alors là, même si cette fille te touche en plein cœur, tu peux pas t’empêcher d’être légèrement gênée. Tu optes pour l’humour. Tu passes un bras autour de son épaule en la secouant – un geste qui contraste avec la tendresse de son geste. Et puis tu dis : « Oh tu sais, c’est toi qui es venue me chercher hein. Qui sait, sans ça je serais peut-être encore en train de boire pour oublier ce gros lourd de Jean. »

La vérité c’est que, pour une raison mystérieuse, tu as du mal à supporter que l’on te renvoie une image aussi positive de toi. Tu te dis que ça ne peut pas durer. Alors tu prends les devants.

Tu commences à remettre tes chaussures. Tu lui souffles avec un regard complice : « Ca te dirait pas qu’on s’éclipse, vite fait, pendant que personne ne fait attention à nous ? » T’attends pas vraiment pour te lever et l’emporter avec toi, même si en vrai vous êtes tout sauf discrètes et que vous vous carapatez comme des voleuses.

« Ahah, j'oserai jamais, j'étais leur petite soeur à protéger, toujours loin de leur soirées amusantes... » Tu lèves les yeux au ciel, n'ayant pas eu le choix pendant toutes ses années que de les suivre de loin. Pourtant, tu aurais aimé partager des soirées avec eux, mais t'étais la gamine. Les souvenirs vont et viennent par vague, tu détournes le regard.

« Jean ? Mais tu le connaissais ??? » Tu pensais à un dragueur par hasard, pas quelqu'un qui la connaissait bien et tentait sa chance, tu te mords la lèvre, bon elle ne regrette pas, mais tout de même. Ca va trop vite pour toi, elle se casse encore une fois, comme ça. Elle n'aime décidément pas se poser. Tu souris et la suit -comme si tu avais le choix. Tu ne peux t'empêcher de sourire au groupe et leur faire un signe de la main comme pour t'excuser. Sauf que Leo ne t'attend pas, en te tirant tu tombes sur elle. Vous roulez toutes les deux au sol quelques instants. Au lieu de te relever, tu restes allongée dans l'herbe et attire Leo pour qu'elle s'allonge à côté de toi, ton bras en oreiller sous sa tête. « On s'pose deux secondes et on regarde les étoiles ok ? J'arrive pas à courir là. » Tu as bu, trop bu.

« Ahaha bien sûr que je le connaissais. Ca fait des mois qu’il me court après. Ou que je le fais courir ? Je sais pas trop finalement. Plutôt marrant en soi. » T’es plutôt sans pitié. Tu dis ça à la légère sans te rendre compte que ça pourrait presque faire peur à quelqu’un qui ne te connaît pas, comme… Marjo, au hasard. En soi c’est pas que tu joues avec les sentiments des gens (même si bon, ok, ça a pu légèrement t’amuser). C’est que tu sais pas comment les gérer.

Peu après, Marjo, qui semble elle avoir des scrupules pour le groupe, tarde et finit par trébucher sur toi, t’entraîner dans sa chute. Tu ris aux éclats et t’en profites pour la faire roule dans l’herber, comme une gamine. Puis tu veux te relever, mais elle reste allongée et te retient, te coupe dans ton élan. « Ohhh. Bon, ok. » Tu te résignes, ce n’est que partie remise. Tu fais mine de te mettre en boule contre elle, une main jouant négligemment avec le bas de son t-shirt, frôlant la peau de son ventre de temps à autre. « On doit mieux les voir dans ton sud, » tu dis, sans regarder les étoiles.

Alors là tu tombes des nues. Elle te dit simplement que sa passion c'est briser des coeurs. Bon, tu ne peux pas juger par rapport à Jean que tu ne connais pas, mais tu sens qu'il faut que tu te protèges. Tu es quelqu'un d'ouvert qui se donne sans compter et Leo tu l'aimes déjà trop, alors tu as peur d'être déçue et de te faire mal, mais tu es incapable de la fuir maintenant. Sa main te brule quand elle touche ton ventre, elle ne fait que jouer. « Mouais ok, on voit aucune étoile ici avec la pollution. J'vais m'engager avec les verts dans la ville tu verras les pétitions que je te ferai signer. » Tes paroles sont juste trop loin de tes pensées. Tout ton être est tourné vers son corps collé contre le tien et tu es si bien ici. Allongée à ses côtés, oubliant tout, tes cours, ton avenir.