Ses doigts croisent les tiens et quand tu reportes ton attention sur vous, tu constates que vos mains sont enlacées. Tu regardes cette étreinte comme si ce geste ne t’appartenait pas. Sans pour autant avoir de mouvement de recul. Tu te demandes si c’est Marjo qui t’a pris la main volontairement. Tu sens une certaine tendresse dans la chaleur de vos paumes, la douceur qui irradie de cette fille à tes côtés, et tu décides de rester. Tu n’oses pas la regarder, toutefois. Tu restes silencieuse. Tu penses à la dernière copine que t’as eue, ton cœur se serre – est-ce que t’es vraiment indigne d’être aimée ? Tu voudrais croire que non, mais une voix dans ta tête te hurle que tu ne sais faire que du mal aux autres, que t’es qu’une lâche. Que ton truc, c’est de te défiler. Est-ce que pour une fois, tu vas essayer de te dresser contre ta propre conviction ? Te risquer à croire que tu n’es pas condamnée à la solitude, au détachement, à la légèreté fuyante – sous peine de tout perdre, et que ça finisse vraiment mal ?

Pour la première fois de la soirée, tu lèves sur Marjo un regard nu ; tu voulais simplement admirer son visage, mais tes yeux sont immédiatement précipités dans les siens, parce qu’elle te regardait déjà. Tu es prise de cours parce que son regard te surprend. Il glisse droit vers ton cœur. Là, maintenant, en compagnie de cette fille que tu ne connais pourtant que depuis quelques heures, tu voudrais y croire. Que toutes sortes de choses heureuses te sont possibles, que la vie peut t’être favorable, que tu vas être à la hauteur. Tu l’interroges du regard. Tu n’es qu’une enfant, à cet instant. À quoi est-elle vraiment prête – sait-elle à qui elle a à faire ? Le goût amer d’une tristesse infinie est déjà dans le fond de ta gorge. Tu décideras de la réponse pour elle, tu le sais. Tu as trop peur. Mais tout n’est pas encore brisé. Tu as une chance de te faire connaître d’elle, une chance de lui montrer que tu n’es pas un monstre, de lui demander pardon pour tout le mal que tu lui feras peut-être, un jour.

Alors, en silence, tu la prends dans tes bras. Tu serres sa main. Ton autre main vient se glisser avec douceur dans sa chevelure, à l’arrière de sa tête. Tu poses ta joue contre la sienne, ta tempe contre la sienne et tu fermes les yeux. Ta poitrine et ta gorge sont serrées. C’est absurde, ce sentiment ; c’est sans doute parce que t’as trop bu et ça t’a rendue mélancolique, non ?

Ton regard reste bloqué sur Leo, tes yeux la fixent d'un air doux, tu veux la voir parce que tu veux comprendre. Tu t'es rendu compte qu'elle pouvait t'être dangereuse et tu as un peu peur, mais tu ne veux pas la juger avant d'avoir vraiment compris qui elle est. Et Leo est sûrement bien plus que ce qu'elle ne montre. C'est comme une intuition que tu ne maîtrises pas, à moins que ce soit une envie tout simplement ? En tout cas, tu décides de rester ici. En fait, cela fait des heures que tu as décidé de rester à ses côtés. Un fin sourire s'étire sur tes lèvres pendant que tu l'observes. Ses yeux à elle sont bloqués sur vos mains, tu n'as pas fait exprès de les lier, mais tu n'as plus envie de vous séparer. Puis elle lève la tête vers toi -enfin- et ses yeux te fait fondre. Vos regards sont coincés l'un dans l'autre et vous partagez tellement. Tu ne comprends rien à ce qu'il se passe dans sa tête, mais tu veux lui dire par ton regard rempli de douceur et d'amour que tu es là, juste là, rien de plus.

Elle te surprend, encore. Depuis le début et à chaque fois tu souris. Cette fois-ci, la douceur de son geste te fait plaisir. Vos visages collés, tu fermes les yeux et profite de l'instant. La douceur, la beauté, la simplicité ; ce n'est pas un jeu. Tu caresses doucement le dos de sa main avec ton pouce. Tu as envie de parler, mais tu n'oses pas briser cet instant, ni le gâcher avec des mots de réconfort sans sens pour elle, de toute manière, il y a peu de chance qu'elle te croit avec des mots tels que 'tu n'es pas seule'. Alors tu attends, attends qu'elle se soit ressourcée, qu'elle se décale, qu'elle te parle, qu'elle reste, qu'importe, tu peux prendre ton temps.

Et elle reste là, contre toi, elle ne parle pas, elle ne cherche pas à te serrer plus fort, ni à mettre fin à votre étreinte. Que pourrait-elle dire, de toute façon ? Sans doute qu’elle ne comprend même pas pourquoi tu as fait ce geste. C’est déjà étonnant que toi, tu le comprennes. En tout cas, tu sens qu’elle aime t’avoir contre elle, qu’elle est sereine. Sa présence est apaisante. Toi, tu es intranquille, tu as l’esprit agité, tu as le cœur lourd ; elle, elle est simple, malgré son jeune âge, malgré le fait qu’elle n’ait jamais eu de relation avec une fille, malgré ton caractère instable aussi. Peut-être qu’elle fait juste le choix d’être ici et maintenant avec toi, et c’est tout.

Après un long moment, tu te détaches d’elle, mais tu profites de sa main dans la tienne pour prendre un genre de résolution – une toute petite résolution, autrement tu ne t’y tiendras pas, toi qui détestes les injonctions et encore plus quand elles te viennent de toi-même. Tu accueilles et acceptes tous tes sentiments négatifs, et tu reconnais aussi tes espoirs de bonheur fragiles ; mais tu constates avant tout que tu es bien, ici et maintenant. Que tu passes une belle soirée, en compagnie d’une fille incroyable, en plus d’être si belle. C’est un fait. Et tant que ça fonctionne dans le présent, tu voudrais t’interdire d’anticiper. Te contenter de ça, te tenir à ça. Essayer de ne pas te dire qu’elle est trop bien pour toi, que tu ne la mérites pas etc., etc. Te souvenir qu’elle fait le choix de rester, et qu’elle a l’air de s’amuser aussi. C’est tout. Tu auras bien assez de temps pour tout le reste, plus tard.

« Il te reste des cigarettes ? » tu demandes. Elle sort son paquet de sa main libre. « Alors, t’es fatiguée ? Ou bien t’es prête pour la suite ? » t’ajoutes avec un clin d’œil. Ta voix est un peu plus faible que d’habitude, mais tu retrouves quand même ce ton enjoué, tu renoues avec ta malice taquine. Tu réapprivoises tes propres apparences, après ton aveu silencieux.

Tant qu'elle reste collé à toi, le temps a suspendu son vol, puis cela reprend. Elle semble peut être un peu plus calme que tout à l'heure, comme si elle avait accepté quelque chose, tu ne sais pas quoi, mais tu as l'impression que tu y es pour beaucoup. Pourtant, la tête te tourne et tu es encore bien bourrée, si son état est pire que le tien, peut être qu'elle aura oublié, mais tu espères qu'elle aura trouvé un semblant de paix intérieur.

Tu souris et sors ton paquet, une cigarette te ferait plaisir, mais tu n'as pas envie de lâcher sa main pour l'allumer, alors tu lui tends juste ton paquet. « La suite ? » Tes yeux se remettent à pétiller quand tu entends la malice dans sa voix. « Tu penses qu'un jour tu arrêteras de me surprendre ? » Tu ne t'es même pas rendue compte que tu as mis un futur lointain à votre relation, c'était naturel, mais ton lapsus, Leo l'a sûrement remarqué.

Tu extrais une cigarette du paquet et la coinces entre tes lèvres, puis tu en sors une deuxième pour elle. Puis elle range le paquet et, de sa main à nouveau libre, elle les allume. Après ça Marjo redevient enthousiaste elle aussi, et même si elle fait référence à un hypothétique futur où vous vous connaitriez toujours, tu ne relèves pas, voire tu en ris à ton tour. « C’est ce que je fais dans la vie, désolée. Je sais pas si je sais faire autre chose, à part… » des cocktails, tu allais finir, mais finalement tu te ravises, préférant lui laisser la surprise. « Mh, tu verras bien, » tu termines d’un air faussement mystérieux. D’ailleurs tu n’y penses qu’après mais dit comme ça, on pourrait presque croire que tu fais référence à autre chose…

Elle a failli te dire ce que vous alliez faire après ? Tu te mets à rougir sans trop comprendre, mais tu détournes le regard. Une fois la clope consumée entre vos lèvres, tu te lèves et lui tend la main pour l'aider à se relever.. « J'vous suis m'dame. » Et vous partez, à nouveau en direction de Paris, mais sur la terre ferme. « J'oublierai jamais cette vue. » C'est pas que la vue, mais aussi le moment, l'excitation de la soirée, le fait d'être montée sur les toits. C'est tout ce qu'elle a fait pour toi en somme.

Vous redescendez du toit en essayant de pas vous casser la gueule, puis vous refaites le chemin inverse, tu dis au revoir à ton ami, vos pieds foulent à nouveau les pavés de la petite cour devant l'hôtel particulier, puis les trottoirs de Paris. Tu prends la direction du nord, vers le square du Temple. Tu checkes l'heure. Bientôt deux heures du matin, ça va le faire. « T'inquiète, on ne va pas très loin, » tu dis. Et effectivement, peu après, vous arrivez devant un petit bar où tu entres aussi soudainement que dans la cour, tout à l'heure. À l'intérieur, c'est relativement calme parce que l'heure de fermeture approche. Tu prends Marjo par la main et tu diriges droit vers le bar, puis tu passes derrière. « Bon alors c'est pas chez moi, » tu dis pour la taquiner en faisant référence à ce qu'elle avait pu croire plus tôt « mais c'est là où je taffe. » D'ailleurs le barman en service vient de reparaître et il te salue avec complicité. Tout le monde t'adore, ici. « Tu veux boire quoi ? J't'invite, » tu ajoutes avec un grand sourire.  Ou sinon je peux même t'apprendre à préparer ton cocktail préféré. »

L'aventure de cette nuit ne fait que commencer, pourtant vous avez déjà vécu tant de choses. Vous êtes complètements folles et heureuses de cette nuit, sans penser à des conséquences possibles, sans penser à la suite, juste en savourant l'instant présent. Tes yeux risquent de pétiller encore longtemps de la sorte.

Vous êtes arrivées dans un nouveau bar, son bar. Et tu te dis que tu ne la pensais absolument pas barmaid, pourtant ça lui va bien. En même temps, tout lui va bien, sauf peut être banquière ? Tu souris à cette histoire, Leo s'adapte à toute circonstance, c'est sûr. « T'es trop stylée comme meuf, je te décerne une palme d'or ok ? » Ce que t dis n'a plus aucun sens, c'est fini. « Je prends toujours la même chose, sex on the bitch, parce que c'est une valeur sûre et que j'aime bien, mais ya tellement de cocktail que je ne connais pas. Puis aussi, j'ose pas prendre le temps de réfléchir, regarder, comparer, donc là, est-ce qua ya une carte ? »

Trop stylée parce que tu taffes comme barmaid à l’âge que t’as ? T’aurais pas dit ça mais tu comprends que ça ait son petit effet vu la soirée que vous passez. Et puis elle peut toujours croire que c’est juste un job alimentaire, qu’à côté t’as potentiellement un vrai projet de vie. Ahem.

Tu souris, elle a l’air de ne pas du tout savoir pour quel cocktail opter et ça la rend bavarde. Tu chopes une carte sur le comptoir, tu la mets devant ses yeux et tu te mets toi-même derrière elle pour la lui commenter. « J’comprends, le Sex on the bitch a pas mal de succès même si j’avoue que j’suis moyen cocktail avec des jus de fruits. Je préfère les trucs épicés ou corsés, » tu dis alors qu’elle commence à vouloir déchiffrer la carte sans plus savoir où donner de la tête qu’avant. « Mhhh, j’pourrais te faire un spécial qui est pas forcément sur la carte, » tu finis par lui susurrer en mode c’est ta petite privilégiée. « Genre un Mai Tai, ou un Hellfire. Ça c’est vraiment sympa. »

Tu as l'impression de l'avoir vexée, alors tu ne dis rien de plus et te plonges dans la carte qu'elle te tend. « Mai Tai ? J'aime bien, ça fait exotique. » Ce nom est joli, tu as l'impression de l'avoir déjà entendu, mais d'où... alors là. De toute manière tu n'es plus en état de réfléchir. « Tu m'fais une faveur c'est ça ? Trop honorée. » Tu regardes les clients partir, le videur leur parler. « Le bar ferme ? » ajoutes-tu, un peu déçue.