Cette scène n’a aucun sens. Toi la serveuse fauchée et une brillante étudiante monégasque, dans vos petites tenues de soirée d’été, à danser à en perdre la tête au son d’un téléphone, vos verres à la main, dans le salon d’un hôtel privé du 3ème arrondissement de Paris. Pendant combien temps vous dansez comme ça ? Parfois chacune pour soi, parfois en vous rapprochant pour danser ensemble, reprendre les pas de l’autre, rire aux éclats. Ca te rappelle le mariage dans le Sud. Tu dois êtres à peu près au même stade d’ivresse que ce soir-là.

Au bout d’un moment, tu constates que ton verre est vide, tu reviens un peu sur Terre. À ton tour, tu t’affales dans le canapé, poses ton verre sur une table basse et renverses la tête pour regarder les décors du haut plafond. Ton regard suit le fil des dorures, glisse sur les lustres de cristal. « C’est définitivement pas chez moi, » tu marmonnes pour toi-même. Et puis ton regard tombe sur Marjo, toujours en train de danser. « C’est pas juste, quand tu danses on dirait même pas que t’es ivre, » tu lances. Ta tête tourne un peu, alors tu fais une pause.

« Arrêtes, tu me flattes ! » lâches-tu en faisant semblant d'être gênée. « Attends, t'étais sérieuse ? Ah ah, t'es telleeeement bourrée, on m'a JAMAIS dit que je dansais bien. » Et tu pars dans un fou-rire, un de ceux incontrôlables qui n'ont pas de sens. Tu ris à te rouler par terre -enfin il te reste assez de dignité pour ne pas le faire réellement- et puis tu finis par essuyer tes larmes.

« C'est quoi la suite du programme ? » souffles-tu en te rapprochant d'elle, reprenant une danse qui ne ressemble à rien.

Le rire de Marjo, c’est un peu le rire d’un ange. Cette fille est une grâce tombée du ciel. T’as fait quoi, pour mériter ça ? « Tu sais, vu comment je danse, je me fierais pas à moi pour ces trucs là, » tu dis d’une voix endormie. « Mais je trouve quand même que tu danses bien, » t’ajoutes. C’est rare qu’un truc aussi sincère et aussi brut sorte de ta bouche. T’en rougirais presque.

« J’pourrais te regarder toute la nuit, » tu dis quand elle te demande la suite. « Enfin non, pas toute la nuit. Y’a à un moment où je résisterai plus à te sauter dessus, » tu souffles avec un large sourire, taquine. Tu tends les mains vers elle pour qu’elle t’aide à t’extraire du canapé, tu ramasses ton téléphone. Et puis sans rien dire tu la prends par la main et tu l’emmènes encore à travers la villa. Vos verres vides restent là, les bouteilles encore sorties. Pour celui qui tombera dessus, au matin.

Tu l’emmènes au dernier étage, au bout d’un couloir. Contre le mur, une échelle. Au plafond, un vasistas qui ouvre sur le ciel. « T’es déjà montée sur les toits de Paris ? » tu demandes avec malice.

Les mots te restent dans la tête, te faisant rougir comme jamais. Pourtant à force tu comprends que Leo est soudaine et imprévisible, mais tout de même. Que cette énergie qui te fait chauffer le coeur depuis le début est partagée, tu n'as donc pas rêvé. Tu te mords la lèvre et tentes une sourire egnimatique, mais tu as peu d'espoir qui passe tant tu es rouge sur les joues. Tu t'éloignes en dansant, pour masquer ta gêne.


Elle te guide au travers de la demeure et tu te laisses faire, comme depuis le début. Sauf que cette fois-ci elle arrive encore à t'impressionner. Les toits de Paris. « eh bah, si tu voulais que je tombe amoureuse de toi, c'est réussi.  » lâches-tu en blaguant. Comme si c'était à  cause de la vue -absolument magnifique cela va sans dire- que tu tomberais (tombes ?) amoureuse d'elle.  

Tu ris en entendant Marjo. Tu la prends pas au sérieux. Tu ne veux même pas considérer la chose parce que ce serait loin d’être bon pour elle de tomber amoureuse de toi. T’en conclues donc qu’elle te taquine, et tu te marres avec elle. Une fois que vous êtes sur le toit, tu dis : « Ahh et encore, c’est même pas ma botte secrète. Tu verras. » Puis tu lui tiens la main, cette fois pour la guider sur le toit ; tu lui montres où poser ses pas pour ne pas risquer de tomber. Tu l’emmènes jusqu’à un replat et vous vous asseyez contre les cheminées. De là vous voyez la Seine, les îles, Notre-Dame-de-Paris dans sa lumière orange. Vous apercevez le Panthéon, la tour de la Mosquée de Paris. Ca, et tant d’autres choses. « J’me lasse tellement jamais d’ici. » Tu prends ton téléphone pour prendre une photo mais quand t’ouvres l’appareil il est en mode selfie et il te montre toi, avec Marjo à côté. Tu déclenches quand même.

Elle te prend la main pour te guider, sa peau est chaude dans la tienne et tu t'y accroches fort. C'est doux, plein d'espoir et de naïveté. « Wahou, je ne connais vraiment rien à Paris à » laches-tu quand elle a fini de te guider. C'est splendide. Le flash de la photo te fait écarquiller les yeux. « Eh attends, on pause ! » sourire, grimaces, un baiser sur sa joue, tout y passe, comme dans un photomaton. Au moins elle aura des souvenirs de votre soirée.

Tu t'appuies sur tes paumes, la tête levée vers les étoiles. « J'ai bien vu que tu n'aimais pas, mais on les voit carrément mieux d'ici. Tu en as de la chance de connaitre du monde, tu sais ?» C'est sorti tout seul, elle semble bien entourée, pourtant tu ne sais absolument pas ce qu'elle vit.

« Mais t’as fait quoi pendant tout ce temps ? Beaucoup trop sérieuse ! J’t’emmènerai aussi chez un pote du côté de Passy, il habite au dernier étage et y’a moyen de passer par la fenêtre de ses toilettes. De là-bas on voit la Tour Eiffel, c’est cool aussi. » Tu te la racontes un peu, faut bien l’avouer, mais ça marche tellement avec Marjo. Irrésistible.

Vous faites les connes en prenant plein de photos. Demain tu les reverras en te disant que vous étiez bien bourrées décidément. Mais pour l’instant tu trouves ça juste cool.

« Je suis pas beaucoup sortie de Paris mais je suis sûre qu’on les voit à peine comparé à ailleurs. » Et puis là elle dit que tu as de la chance de connaître du monde. Tu pousses un soupir de lassitude. « Y’a une différence entre connaître du monde, et être réellement proche des gens. J’suis sûre que t’as bien plus d’amis que moi, » tu dis. C’est pas que t’es pas contente pour elle, mais tu peux pas t’empêcher de te montrer légèrement cynique envers toi-même. Si t’as personne dans ta vie, c’est que tu fuis. T’es la seule responsable, pas vrai ?

Tu lèves les yeux au ciel. « Je suis en prépa Madame, je bosse le reste du temps ! C'est ma première sortie depuis le début de l'année et je suis arrivée la veille de la rentrée. » avoues-tu dans un souffle. Comme cela va être dur de retourner à la réalité des cours après une soirée comme celle-là.

Tu la regardes intensément, avec cette pureté dans ton regard. « Entre les amis qui sont en fait les enfants d'amis de mes parents, ceux qui aiment mon argent et ceux avec qui je bosse h24 depuis que je suis rentrée dans la prépa, crois-moi, j'en ai pas tant que ça. » Tu repenses au mariage de Marc, tu n'étais pas tant à ta place non plus, que des gens perdu de vue, qui te restera-t-il quand tu auras vraiment besoin d'aide ?

« Ah c’est vrai, pardon. J’avoue que je sais pas trop ce que c’est, les études. » Cela dit, tu n’en as pas honte. T’étais pas faite pour ça. Ou c’était pas fait pour toi. Tu le sais, et c’est tout. Tu n’envies pas les gens qui font des études, du coup, mais pour autant tu ne les mépriseras jamais pour ça, tu ne les pousseras jamais à y voir du mal. Si ça leur convient à eux, tant mieux.

Marjo se confie un peu à toi, à ce moment. D’habitude ça t’embarrasse, mais là tu as plutôt l’impression que c’est une manière pour elle de te rejoindre. Aussi inattendu que ça puisse paraître, à ce moment, elle se retrouve en toi et toi en elle. « Alors on se comprend, » tu conclues simplement, en regardant la ville. Même si les raisons pour lesquelles tu es seule sont probablement différentes des siennes.

Tu te mords la lèvre, gênée. As-tu fait une boulette ? Tu voudrais t'excuser, mais tu sens bien que c'est inutile, elle n'a pas besoin de tes excuses bidons, elle a l'air à l'aise dans ses choix, tu ne peux pas en dire autant.

Elle accepte ta confidence, c'est bien la première fois de la soirée, depuis le début elle évite de parler d'elle réellement, juste en surface. Tu lui tends la main et elle détourne le regard vers Paris. Tu fais mines d'être vexée. « J'attendais un top-là » et tu lui attrapes la main pour taper dedans. Mes vos doigts, en se touchant, s'accrochent les uns aux autres.