Je suis, sans le moindre doute, en train d'hyperventiler. Mon coeur bat à tout rompre. C'était pas prévu, je suis même pas hyper sûre en vrai, enfin si, je suis sûre que je suis pas hétéro, mais le reste, merde, c'est trop flou, et voilà que je montre un dessin à Ariel, comme si c'était calculé ? Mais je suis archi folle !

La sonne cloche, je crois que c'est la première fois que je suis autant soulagée qu'elle sonne. Alors que clairement, on a déjà eu des cours d'éducation à la sexualité et enfiler un préservatif sur un concombre reste l'une des heures les plus traumatisantes de ma vie.

- Jvéotoilettes marmonnais-je en un seul son.

Et je disparais. J'ai rien dit. J'ai montré un dessin et j'ai rien dit. C'est nul. Je suis déçue de moi-même, j'ai l'impression d'avoir tout raté, c'était pas plus simple de ne même pas en parler ? C'était son regard aussi, à Ariel, quand elle m'a regardée avec les couleurs, je sais pas, j'ai cru. Je sais plus. J'ai peur. Je tremble. Je vais pleurer ? Sûrement un peu. Punaise, mais reprends-toi Sue, y a rien de grave, c'est Ariel. Si y a une seule personne sur terre qui peut te comprendre c'est bien elle.

Réconfortée - par moi-même - je file quand même aux toilettes histoire de. En me lavant les mains, je sais pas, je me sens un peu plus forte, comme si j'étais capable d'aller la voir, de sourire et d'en parler. Je reviens devant la salle de perm, mais évidemment j'ai fui Ariel qui n'est pas restée là-bas en m'attendant, j'suis débile. Déboussolée plutôt. J'avance dans la cour, évidemment, dehors, je vois le groupe de Nick et Charlie, ils sont là, tranquille, en train de discuter. Et mon coeur rate un battement. Je revois Nick, prendre la main de Charlie pendant le match de Rugby final de la journée inter-collège, je revois son sourire, sa confiance. Il est confiant, hyper confiant en avouant à toute l'école son amour. Et moi, j'suis incapable de juste dire à ma meilleure amie un petit mot ? J'suis ridicule. Non, je sais pas.

Ariel est là, et me sourit. J'avance, comme un condamnée à mort, mince, l'angoisse a repris le dessus. J'ouvre la bouche, mais en vrai, je sais pas quoi dire alors je suis contente qu'Ariel soit plus rapide.

- Hé, Sue, tu sais que Alice en vend, des reproductions, de ses dessins ? Ça te plairait d'en avoir un chez toi ?

Et voilà en une phrase je me sens mieux. Comme prévu - malgré mon cerveau chiant - Ariel est mon amie, elle s'en fiche, elle m'aime, c'est tout. Je crois que j'ai les yeux humides alors, timidement, je réponds.

- Non, je, enfin euh oui, ça me plairait.

Je relève mon regard vers Ariel. Et je fonce dans ses bras.

- Pardon, j'avais besoin d'un câlin, tu m'en veux pas ?

Je sais pas à quoi mes derniers mots font référence, à ma tentative ratée de coming-out, à mes questionnements, à ma fuite à la fin de l'heure de perm, au câlin imprévu au milieu de la cours alors qu'elle est pas très effusions d'émotions ? Je recule un peu. Puis je m'assois par terre, je crois que j'ai besoin de sentir le sol sous moi avant que je m'effondre par terre.

- Désolée, j't'ai pas fui tout à l'heure Enfin si mais... je me reprends mais j'suis allée aux toilettes et une fois là-bas, je me suis rappelé combien t'étais géniale et combien j'avais de la chance de t'avoir dans ma vie et je m'arrête un instant me demandant où je voulais en venir à la base et j'ai peut être un peu paniqué aussi. Je me mords la lèvre réfléchissant à toute vitesse.

paf
- Tu sais, je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation, la vie c'est d'abord des rencontres, des gens qui m'ont tendu la main... commençai-je en récitant notre réplique culte.

L'humour, la meilleure des armures, et puis je n'ai pas totalement fermé le sujet, je peux juste, après une bonne tranche de rigolade, reprendre le sujet sérieux ensuite, mais avec le coeur un peu plus léger peut être.

Spoiler:

- Tu sais, je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation, la vie c'est d'abord des rencontres, des gens qui m'ont tendu la main...

Waaaah mais quelle capacité à détourner le sujet. Je peux pas m'empêcher de ricaner en levant les yeux au ciel, parce que j'arrive à peine à y croire, qu'elle utilise cette réplique culte maintenant, afin d'éviter de se confronter à ses émotions. En même temps, c'est tellement typique de Sue. Avec des émotions aussi fortes, s'y confronter c'est euh... c'est euh... attends, pourquoi je pense à Spider-man d'un coup ? Je m'assieds et je prends un air grave.


- Écoute Sue, cette réplique est super, mais comme tu le sais, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.

Je m'arrête là, les choses me semblent évidentes, mais Sue me regarde d'un air confus. Bon ok, je vais essayer de développer un peu.


- Ce que je veux dire c'est que, quand on a plein d'émotions et qu'on déborde d'amour, la coupe est pleine et elle déborde, bon, ben poser dessus un couvercle en éponge c'est pas le plus efficace. Il faut simplement transvaser un peu de liquide. Et pour ça, un ou plusieurs récipients font l'affaire. Des verres, des euh, des flûtes, des bols, c'est très bien et il n'est pas nécessaire de choisir.

Là elle fronce carrément les sourcils en montrant les dents. La dernière fois que je l'ai vue faire cette tête c'était devant une équation à cinq inconnues et ça a très mal tourné. Mince, pourquoi je n'arrive pas à m'exprimer clairement ? Dans deux minutes elle va se mettre à saigner du nez.


- Ok ok, les métaphores c'est trop. Donc, toi Sue, avoir beaucoup d'émotions, donc t'enfuir. Jusque-là tu me suis ?

Je la regarde fixement, elle cligne des yeux lentement.


- Moi Ariel, les émotions bof bof. D'ailleurs... Je ne t'en ai pas parlé mais voilà, justement. Je vois une psy. Parfois, pour parler des émotions, c'est bien une psy.

Merde, elle va penser que je lui dis directement d'aller voir une psy. OH MON DIEU. Elle vient de me faire un coming-out et je lui dis d'aller consulter ? MAIS JE SUIS PAS BIEN ???


- Ohlala non, je veux pas dire que tu as besoin de voir une psy ! Euh, enfin, si tu en as envie c'est très bien, il n'y a rien de mal à consulter une psy ! Elle est sympa, elle s'appelle Micheline. Attends, on s'en fout, je voulais pas parler de moi mais de toi, ce que je veux dire c'est que...

J'ouvre et je ferme la bouche plusieurs fois, comme un poisson à la recherche d'air, euh d'eau, enfin d'air dans l'eau. Qu'est-ce que j'essayais de dire, moi, déjà ? Spider-man. Les responsabilités.





POUF :

- Moi je pense que ce que voulait dire l'oncle Bob, c'est que l'important c'est d'assumer qui on est, c'est ça la grande responsabilité. Ouhlà, attends, je veux pas te pousser à faire un coming-out public hein, euh, enfin si t'as envie mais... enfin voilà tu fais ce que tu veux. ÉVIDEMMENT que tu fais ce que tu veux, d'où j'ai besoin de le rappeler ? Il s'appelle totalement Ben, non ? Pas Bob ? Donc, l'oncle Ben, ce qu'il veut c'est que Spider-man soit fier d'être qui il est, non, et qu'il vive en fonction de ses idées et de ses valeurs ? Alors. Alors, je pense que toi c'est pareil. Après t'es pas obligée de faire des toiles avec tes mains, ni euh. Ni de sauver des gens d'ailleurs. Ce que je veux dire c'est que, pffff, euh, je suis super fan de Spider-man.

Super conclusion. Je suis fan de Spider-man. Comme si elle le savait pas déjà.

J'attaque avec Astérix, elle embraye sur Spider-man, c'pas ma meilleure pote pour rien hein ! On s'complète bien et on se comprend et ça fait chaud au coeur.

Par contre, ses mots, bah, j'avoue je comprends rien. Je la regarde, écarquillant mes grands yeux tentant de chercher une explication, mince, elle pourrait être prof de Math en fait. Faut que je lui dise. Non, surtout pas, ça risque d'la vexer. Je me tais, c'est plus sûr et j'attends qu'elle comprenne d'elle-même que les explications par des métaphores, c'est pas mon truc. J'suis directe comme meuf, j'croyais qu'elle le savait !

Et puis, là. Bam. Je comprends plus rien. Je crois qu'elle essaie de m'expliquer un truc qui la touche elle ? Parce que sinon Ariel est rarement à court de mot.

- Inspire, tout va bien, j't'écoute.

Je manque de m'étrangler moi-même sur le dernier mot, mais en vrai je l'écoute. Parce que c'est intéressant et que j'aime bien avoir son avis. Un psy, je savais pas qu'elle en voyait un et j'ai toujours eu trop peur pour y aller de moi-même. Je sais que c'est bien de prendre soin de sa santé - j'ai vu les images du concert d'Imagine Dragon, quand le chanteur en a parlé, j'ai failli pleurer... ok j'ai pas faillit, j'ai versé des larmes mais bref - mais pour moi, c'est genre franchir un pas que j'suis pas prête à faire. C'est accepter que peut être tout n'est pas rose et bleu comme j'ai envie de le croire, que peut être je souris parfois trop pour cacher ce qui grandit à l'intérieur, c'est que peut être y a une explication derrière mes crises de larmes soudaines que j'étais pas prête à partager avec le monde.

Ok. Respire Sue, tu peux le faire. Si Ariel est capable, peut être qu'elle peut m'aider à avancer.

- Okkk, t'es super fan de Spider-man, j'entends. Je te rappelle que je te suis au cinéma chaque fois qu'il y en a un nouveau qui sort et que j'écoute tes commentaires détaillés et

Je pourrais parler des heures encore, parler de Spider-man que je commence à vraiment aimer mais pas question de lui dire que c'est grâce à ses séances intensives, ça non. Mais je m'arrête au milieu de ma phrase parce qu'il faut être honnête en fait... c'était pas le sujet. J'avale ma salive et doucement, en relevant mes yeux vers la splendide personne face à moi qui est vraiment merveilleuse je murmure.

- Merci. Nouvelle inspiration. Ça m'fait un peu peur parce que je sais pas trop ce que ça veut dire enfin si, je sais, mais dans la vie de tous les jours, ça me change ? j'crois pas, j'sais pas, c'est trop compliqué, j'ai peur. Je je veux pas en parler au autres, mais toi, t'es pas une autre, toi t'es toi et sans toi, j'suis plus moi tu vois. Enfin non je ne te mets pas de la pression non plus, hein, t'as l'droit d'être qui tu veux toi aussi... merde je me suis perdue. Je me mords la lèvre et la regarde Je, merci d'être là. C'tout.

Je me gratte l'oreille, me sentant mal à l'aise alors que y a aucune raison. Ariel est parfaite.

Je me mets à sourire et puis je propose.

- Et si on allait au cinéma voir s'il leur reste des affiches du dernier spider-man (pif) regarder un film à la maison mes parents seront sûrement d'accord (paf) manger des glaces (pouf) ? Non parce que là, c'est bon, l'école c'est fini et on a déjà été bien efficace. Non ?

Trop d'émotions ça fait tourner la tête et là, clairement, je ne peux pas travailler. Pas DU TOUT.

Je laisse passer un temps si long avant de répondre, je suis surprise que Sue ne soit pas partie, que la cloche n'ait pas sonné, que tout le monde ne soit pas entré en cours. Franchement, ça semble durer 10 mois, mais bon apparemment non. N'empêche, je suis tellement larguée que je sais même plus quel cours on est sensées avoir. Alors bon, je n'ai jamais séché mais là j'avoue, on est plus à ça près, non ?

- Ben, Sue, ça fait vachement longtemps qu'il est sorti le dernier Spiderman. Mais bon, ok, on sait jamais.

Elle me sourie, enfin je crois, je vois flou en fait, et on se dirige vers la sortie. Je croise les doigts. Si on arrive à sortir sans se faire choper, promis je la suis jusqu'au cinéma. Si ils ont encore l'affiche, dans ce cas je... ben, je lui dis, quoi. Je lui dis quoi ? C'est pas précis encore, mais faut que j'admette, que je lui dise, ce euh, cette obsession, euh, comment j'adore mes cheveux courts et comme je trouve que les bretelles de soutien-gorge ça gratte, et mes poils sous les bras... ouais, on verra pour ça. Toute façon c'est pas sûr qu'ils aient l'affiche. Mon dieu, pourvu qu'ils l'aient pas.

On arrive à la grille, et là...

PAF

Il n'y a personne, mais la grille est clairement fermée. Mince, la cloche a sonné entre temps et on a raté le coche. Impossible de sortir maintenant, la grille est verrouillée. En même temps, si la pionne avait été là, une chance sur deux qu'elle remarque qu'on était nerveuses, et elle aurait su qu'on était en train de sécher.
Bon, ben...

- Tu vois le buisson, derrière le gymnase, là où j'étais allée chercher le ballon de handball l'autre jour ?

Sue me regarde comme si j'avais vraiment pété une durite. Que je lui parle de Spiderman au milieu de rien, ça passe. Mais que je lui parle de SPORT ?

- Oh, allez des fois ça sert à rien de parler. Suis-moi.

Je l'emmène jusqu'au fameux buisson, et là, je lui montre ma trouvaille : un trou dans le grillage. Assez large pour laisser passer des adolescents qui veulent aller fumer en cachette au lieu de faire des maths, je dirais, à une louche près. Ahahah.

Ok, je comptais lui en parler un jour, pas l'utiliser, ce passage secret. Mais maintenant Sue me regarde d'un air louche (à une louche près), comme si euh... comme si je lui avais caché un truc important. Un secret. Ok, Micheline la psy, le grillage et euh... ahahah. Ouais, ça fait trois. Huuum j'ai hâte d'arriver au cinéma. Pourvu qu'ils aient pas l'affiche, sinon je vais mourir. Et perdre la confiance de ma meilleure pote ? J'ai mal au ventre, maintenant. Mais voilà on est dehors, et on marche. Je dois me tenir à ma promesse, non ? Je peux pas me trahir moi-même. J'ai promis sur la vie de moi-même.

Ariel a pas l'air super chaude pour les affiches de cinéma, mais je m'en fiche, parce que moi, je veux juste sortir de là, je veux juste avoir l'air normale, d'une gamine qui vit sa vie comme s'il n'y avait pas un poids à chacun de mes pieds et que la route n'était pas semée d'embûche. Et encore, c'est juste parce que je suis archi une trouillarde ! J'ai de la chance, j'ai Ariel et mes parents sont cools... Bon, ils sont chiants comme tous les parents d'ados, parce qu'ils comprennent rien, mais en vrai de vrai, ils sont quand même assez sympa. Allez, respire meuf.

On s'avance vers le portail et, oh misère de misère.

- Ouais, parce que là, t'es bizarre.

Je lui dis ça avec un tel sourire et des étoiles dans les yeux, comme si être bizarre était le plus beau compliment que je pouvais lui faire. En vrai, ça l'est sûrement un peu. Petites on nous a toujours taguées, mises dans des cases, on nous a dit des trucs pas hyper sympa même si c'est vrai qu'on était plutôt juste oubliées les trois quart du temps... bref, je disais quoi ? Ah oui, que être bizarre, c'est vraiment la classe. Et les gens qui préfèrent être comme tout le monde, sont vachement ennuyeux.

Alors je la suis, parce que c'est la meilleure chose à faire, toujours rester avec Ariel, c'est un mantra de vie et ... un passage secret. Je tape dans mes mains en essayant de ne pas hurler de joie trop fort.

- Ohhhh, comme c'est trop méga la claaaasse, j'adoooore ! T'es ouf. Bon j'avoue je stresse un peu de sécher, j'ai ... ouais j'ai carrément les mains moites ! Je me retiens de rajouter l'affreux et moi j'ai les pieds poites de ce satané prof de sport maaaais c'est une expérience ok ?

Est-ce que je parle encore plus que d'habitude pour m'auto-convaincre ? Non parce que si on sèche, c'est parce que j'ai paniqué il y a quelques minutes et si je vais déjà mieux c'est grâce à la gentillesse d'Ariel qui m'a remise comme ça bim bam boum sur le droit chemin en ne me jugeant absolument pas. C'était pas une question, elle m'a juste dit que c'était ok et déjà, je vais mieux. J'ai envie de pleurer. Mais bon, j'avoue, ça, ça change pas beaucoup de d'habitude.

Je passe la première dans le buisson, puis dans le trou et enfin... je ressors ...

- Libertééé

Bon, j'avoue, je chuchote, parce qu'on ne sait jamais qui pourrait nous entendre. Puis je me retourne vers Ariel et lui sourit.

- Punaise, t'es pleine de surprise, c'est ouf. J'adore !

Comme une enfant, j'applaudis et je commence à marcher vers le centre ville.

Bon, en réalité, il faudrait que je parle de moi, de ce que j'ai dit, de ce qu'on a évoqué, mais je sais pas, c'est difficile de relancer dans le sujet alors que je l'ai déjà détourné une fois. Sauf qu'on marche en silence, et que ça commence à me faire peur. Ok, la bavarde, c'est moi, sauf que là... j'ai l'impression d'avoir la gorge nouée, je sais plus quoi dire.

- Tu veux qu'on parle de ... Michelle ? Mince j'ai déjà oublié le nom du psy dont elle a parlé, sauf que je peux pas prononcer ce mot ? Si ? J'inspire, je prends mon courage à deux main. De ta psy ?  Je manque de m'étrangler. Je... je te trouve trop courageuse, moi j'ai trop peur. Enfin, c'est pas que j'ai pas besoin, enfin je crois qu'on a tous besoin, oh lala c'est confus. Je Je me mords la lèvre, espérant que mes joues arrêteront de brûler comme ça. Juste, ce que je veux dire, c'est que je crois que ça me ferait du bien, et à toi aussi parce que bon, c'est à toi que je livre touuuuuus mes états d'âmes, tout le temps et si t'en a marre, bah, je comprends de ouf en fait. Sauf que t'es cool et tu veux bien rester mon amie hein? Je. Le. Le truc que je t'ai dit. Enfin j'ai rien dit, je t'ai montré les couleurs et t'as devinée. Et euh. Je. Wahou. C'est dur. Les joues brûlent toujours aussi fort, c'est fou. Enfin, je comprends si je te saoule quoi.

Le coeur battant à tout rompre, j'attends sa réponse. Parce que, merde, c'est vrai quoi, elle pourrait vouloir ne plus être mon amie quand même. C'est comme ça que ça se passe dans certains films non ?

- Ouf, on est pas dans un film.

Merde, j'ai dit ça à voix haute ?

Je crois que mon cerveau est en surchauffe. J'entends Sue qui me parle mais franchement j'enregistre à peine, c'est nul, je sais que c'est hyper important. Elle me parle de courage, de peur, de ma psy, du truc que j'ai deviné, mais j'ai deviné quoi moi, exactement ? Je voudrais pas me planter. Est-ce que Sue est pansexuelle, bisexuelle, j'en sais rien moi ? C'était juste des couleurs, est-ce que je peux extrapoler des trucs comme ça ?

Je sais pas quoi répondre parce que, je ne sais plus trop de quoi on parle à la fin, d'elle, de moi, de nous, de l'affiche d'un film ou du fait que je lui aie pas parlé du passage secret dans le grillage ? Ca fait beaucoup, ça se mélange, et il fait chaud, non, genre ultra chaud ? Je suis sûre que si j'étais un personnage de dessin animé ou dans un film comique, on verrait des litres d'eau dégringoler sur mon front, mes lèvres, mes oreilles (oui je transpire des oreilles !), ma chemise serait trempée à pouvoir l'essorer, mes pieds glisseraient dans mes chaussures, je trébucherais, je serais rouge, je gonflerais, et là je pourrais même m'évanouir...

- Ouf, on est pas dans un film.

Ah bon ? Si je m'effondre, là, comme ça, tu vas faire quoi ? Me sauver la vie comme dans un film, j'espère ? J'ai pas envie de mourir. Mais j'arrive plus à respirer.

D'un coup, je m'assieds. C'est une marche, un truc, dans la rue, devant un magasin quoi, le genre d'endroit où t'as juste assez pour caler tes fesses mais t'es pas bien installé, et si tu y restes trop longtemps les gens te regardent bizarrement.

J'ouvre la bouche, plusieurs fois, rien ne sort rien ne rentre, je me sens comme un putain de poisson rouge qui a oublié de brancher ses branchies. J'ai la tête qui tourne, non attends c'est Sue qui tourne, euh, ou le lampadaire... je vois Sue à l'envers, le lampadaire me prend par les épaules et me demande ce qui ne va pas, je crois que le bitume me serre dans ses bras. J'essaie de respirer mais j'avale la chemise de Sue, je sais pas, ça sent comme la lessive chez Sue, c'est pas de l'air en tout cas, ça rentre pas dans mes poumons - tant mieux ?

PIF:

PAF

Je ferme les yeux, j'inspire, doucement, comme me l'a appris Micheline. Mais l'air ne rentre pas. J'inspire rien du tout, j'ai l'air inspirée peut-être ? Je rouvre les yeux, je vois la vie en desigual, il y a des taches partout, Sue a les cheveux roses, un pantalon bleu, un pull jaune, c'est joli tout ça. Je marmonne :

- ... osssecour... mmmmoi... mpas tbien...

Je crois que je perds pieds, mes yeux se referment, j'entends un bruit sourd. C'est dommage, on était pas loin d'un grand moment de vérité, ou quelque chose comme ça.

POUF: