A son air, Kyle comprend qu'il a mal répondu, pourtant, il ne peut rien dire d'autres, il ne sait même pas où il pourrait aller. Existe-t-il un monde en dehors des districts et du Capitole comme le racontent les vieilles légendes ? Il n'y croit pas, sinon ce monde serait venu les sauver n'est-ce pas ? Ils ne les auraient pas laisser s'embourber dans cet... il s'interdit de continuer cette pensée vaine qui ne mêle nulle part, il va faire face à son propre destin, puisqu'il n'y a que cela qu'il puisse faire.

Il n'est pas sûr de comprendre les mots de Septima alors il lui vole un baiser. L'embrasser ne peut être une mauvaise réponse, il a confiance en leur lien, l'embrasser c'est être certain qu'il fait la bonne chose.

- Oh tu sais que j'ai confiance en toi. Ouais, malgré tout l'être sournois et terrible que tu es, je sais que je ferme les yeux et te confie ma vie.

Cette pique c'est juste pour ne pas être trop romantique, Septima déteste quand il se lance dans ce genre de déclaration, mais c'est plus fort que lui, après avoir lu tant de romans d'amour ou d'aventures, avec ce manque de communication qui le rend fou, il refuse de reproduire les mêmes erreurs. Il sait que Septima sait, mais il a besoin de lui dire quand même. Et il s'en fiche qu'elle ne répond pas, parce que lui aussi il sait.

Il recule légèrement pour la regarder dans les yeux avant de lui voler un second baiser délicat.

- Quelle est la suite du programme de la soirée ? Parce que même s'il ne veut absolument pas se séparer d'elle, Septima a trop à faire - surtout dans cette robe indécente - pour rester avec lui. Je continue à lire mon ... traité de... Il rigole un instant. C'était pas ça le livre que j'avais pris à la base. Il se mord la lèvre, évitant de la regarder quand il rougit pour on ne sait quelle raison. Bref je lis et je t'attends ici ? Il la regarde finalement, un léger espoir dans la voix et dans les yeux.

Il a besoin de la revoir ce soir, rapidement, il a besoin de passer chaque seconde à ses côtés, il a peur qu'elle perde trop de temps à tenter d'accomplir des actions inutiles qui ne les sauveront pas et de perdre ces potentielles dernières minutes en sa compagnie.

Septima ne réagit pas à la remarque de Kyle. Ce n’est pas la première fois qu’il lui fait une tirade de cet acabit. Quelque part en elle, quelque chose ressent une certaine forme de soulagement. C’est une version de Kyle qu’elle connaît qui se manifeste là, pas le lui luttant pour ne pas se laisser aller au désespoir qu’elle côtoie depuis qu’ils sont arrivés ici. Elle ne dit rien. Elle n’en a pas besoin. Elle sait qu’il sait. Ou du moins, elle sait qu’il devrait savoir.

La question la prend presque plus au dépourvu que le deuxième baiser. Elle l’attendait pourtant. Elle avait quand même cru être parvenue à le distraire suffisamment pour qu’il ne pense pas à la lui poser. Elle ne peut pas lui dire la vérité. Parce que des oreilles l’épient, même ici. Parce qu’elle n’a pas envie de lui donner de faux espoirs. Pas même l’ombre d’un début.

Pour toute réponse, elle lui passe une main dans les cheveux pour les lui ébouriffer. Il n’a besoin d’avoir l’air impeccable, lui. Et puis, elle le préfère bien mieux comme ça qu’avec l’espèce de look gominé dont l’a affublée celle à qui elle devra faire suffisamment peur demain pour qu’elle s’améliore très nettement.

- Ils risquent de te déloger d’ici avant que je ne sois rentrée, déclare-t-elle après un très bref calcul de tête. T’en fais pas, je sais où te retrouver, conclut-elle en posant à son tour ses lèvres contre celles du garçon.

Elle tourne aussitôt les talons et disparaît avant qu’il n’ait le temps d’essayer de lui poser d’autres questions ou, sait-on jamais, de la dissuader de partir. En réalité, elle craint plus que tout de se laisser tenter. Après tout, si elle échoue, ce sont peut-être leurs derniers instants ensemble qu’elle est en train de gâcher. Septima s’empresse de noyer cette idée parmi le gloubi-boulga d’idées saugrenues qui la traversent parfois. Elle ne peut pas échouer.

Le cliquetis de ses talons résonne dans les couloirs déserts de cette partie du bâtiment, tandis qu’elle s’éloigne vers sa mission de la soirée.

- ‘Tima !
- Ah, v’la mon escorte, soupire-elle en atteignant le hall d’entrée. Va vraiment falloir que tu arrêtes de m’appeler comme ça, Brutus.
- Sinon quoi ? rétorque-t-il d’une voix qu’il veut faussement menaçante.
- Sinon je te repique des cheveux un à un sur le melon à l’aiguille hypodermique, lui lance-t-elle à son tour du tac au tac, pince sans rire.

Le mastard éclate d’un grand rire qui lui secoue les côtes. Pour quiconque ne serait pas Septima, l’image serait presque plus terrifiante que celle de son habituel air renfrogné.

- Je suppose que je ne t’attends pas ce soir non plus pour rentrer ?

La petite brune ne pipe pas mot.

- Il faudra quand même que tu m’expliques ce que…
- En temps voulu.

Elle ne répond pas, comme toujours, mais il est certain d’avoir lu une légère lueur dans ses pupilles. Au début, elle levait les yeux au ciel, ou le frappait sur le tête pour le faire cesser, mais il n’a jamais arrêté. Kyle n’est pas un poète, mais il aime les mots, il les aime tellement qu’il veut leur rendre leur liberté, ne pas les laisser mourir entre ses lèvres, il les lâche, les laisse s’envoler. Alors il dit ce qu’il a sur le coeur, ce qu’il aime, pourquoi il l’aime. Son père a toujours détesté ça, ses frères se sont moqués, sa mère souriait en levant les yeux au ciel, mais il n’a jamais pu s’arrêter. Et face à Septima, il n’en avait pas la moindre envie. D’ailleurs, s’il ne se trompe pas, c’est cette attitude sûr de lui qui l’a séduite, sûr de ce qu’il ressent, de ce qu’il pense, de ce qu’il aime.

Alors tant pis si elle ne répond pas, lui, il le dit.

La phrase suivant de son amante le plonge dans un gouffre abyssal de solitude. Kyle est sûrement hypersensible, il vit tout pleinement, mais son désespoir est aussi profond de ses joies sont grandes. Il perd pied en se disant qu’elle va disparaître, encore, qu’elle va l’abandonner pour tenter de sauver une situation qui est impossible. Il va perdre ces instants précieux pour rien.

Pourtant, il la laisse s’en aller. Il la laisse partir après un léger baiser sur ses lèvres.
Il ferme les yeux, laissant cette sensation durer, restant dans le déni. S’il ne la voit pas partir, alors elle est toujours là. Il se force à imaginer la sensation sur ses lèvres, à sentir son corps contre le sien, à entendre ses murmures contre ses oreilles. Et quand il ne peut plus rien, quand même l’imagination ne suffit plus, alors il rouvre les yeux.

« T’as l'air sacrément débile, tu sais. »

Il pousse un hurlement de surprise et écarquille les yeux devant la gamine du 7 qui le regarde avec un air désabusé. Il pose une main sur son coeur, espérant le faire repartir à une vitesse normal. Puis il admet que le terme gamine est un peu exagéré, cette nana ne doit avoir qu’un ou deux ans de moins que lui. Mais, comme lui, elle va mourir.

« T’as vraiment rien à voir avec les autres carrières, soit tu caches bien ton jeu, soit t’es un énorme bouffon. »


Là, il explose de rire. Il n’a pas envie de se battre, ça ne sert à rien ce n’est pas de son niveau, il aime les mots, mais elle essaie de tourner la discussion dans sa direction à elle. Alors qu’il rit, il la voit lever les yeux en l’air, en se disant qu’il est complément fou.

« Eh bah, t’es directe toi. »

Voilà, il a enfin lâché les premiers mots. Et elle semble déjà saoulée.  Peut être qu’elle préférait qu’il se taise.

« T’es là pour toi ? Pour lire ? Pour me faire chier ? Pour t’échapper du diner interminable ? »

Il ne continue pas sur ses similitudes ou non avec les autres carrières, ce soir, il a envie d’avoir une discussion normale, comme s’ils n’étaient pas deux gamins prêt pour l’abattoir, comme si pour cette soirée, l’extérieur n’existait plus. Étrangement, elle saute à pied joint dans cette discussions. Et ils passent l’heure suivante à faire l’autruche, parlant de tout, de rien, de lecture, du travail dans les champs, plutôt que de ce qui les attend le lendemain. Et cet instant de pause lui fait un bien fou.

La 7eme est sûrement retorse, elle devait vouloir obtenir des informations sur le plus faible des carrières pour mieux le poignarder plus tard, mais Kyle s’en fiche, un instant d’amitié lui a fait du bien. Quand la bibliothèque ferme, Septima n’est pas rentrée, comme promis. Alors il se roule en boule sur le canapé de l’entrée de leur appartement et il attend qu’elle rentre. Parce qu’elle va rentrer n’est-ce pas ?

- T’étais où ?

La voix sèche et pleine d’un reproche absolument pas dissimulé la cueille à peine a-t-elle franchi le pas de la porte.  Elle avait oublié que c’était un lève-tôt. Le genre de malade à se lever dès potron-minet pour aller courir quinze bornes. C’était déjà le cas au Village. Elle le voyait d’ailleurs souvent revenir à l’heure où elle-même commençait tout juste à émerger, le nez devant sa cafetière.

- Partie faire du tourisme en ville, lui rétorque-t-elle du tac au tac.
- Tu pues l’alcool.
- La clope aussi, répond-elle sur le même ton, fronçant les narines alors qu’elle renifle le col de sa robe.
- Tu sais, je ne suis pas ta mère, mais…
- Vaut mieux pas, l’interrompt-elle, glaciale, je t’aurais certainement déjà égorgé dans ton sommeil.

Il n’y a plus aucune trace de cynisme dans sa voix. Elle est d’un sérieux implacable.

- Tu n’es rien de plus qu’une garce hautaine.
- Et toi, t’es toujours chauve.
- Septima, je te rappelle que le travail d’un mentor, c’est de conseiller son tribut et…
- Le travail des mentors, c’est de trouver des sponsors. Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a que comme ça qu’il…

«  a une chance de s’en sortir ». La fin de sa phrase reste coincée dans sa gorge. L’évocation de sa mère quelques secondes auparavant à peine ne l’aide pas à calmer la pulsation écarlate qui a envahi son champ de vision.

- Toi, tu leur apprends à ne pas se faire tuer en deux-deux, reprend-elle d’une voix aussi neutre que possible, et moi je leur dégote des sponsors à qui on donne suffisamment envie de ne pas les voir clamser dès le lancement de l’arène.

Face à elle, le mastard plisse légèrement les yeux. A croire que l’information a du mal à atteindre son cerveau.

- Pour l’honneur du district 2, tu te rappelles ? Hors de question que cette année soit celle où un tribut du 2 se fait massacrer dès le bain de sang d’entrée.

Alors qu’il s’apprête à ouvrir la bouche pour reprendre la parole, la petite brune le coupe dans son élan.

- Indépendamment de quoi que ce soit d’autre, conclut-elle sur un ton qui ne laisse aucunement place à la discussion.

Il est hors de question que Brutus se mette à débattre de la place de son affect dans ses décisions. Elle a déjà eu cette conversation avec lui. Dans le 2, avant de monter dans le train, pendant que chacun des deux tributs fraîchement désignés faisaient leurs adieux à leurs proches. Brutus n’était pas dupe. Il avait déjà vu Kyle plus qu’une fois au village des Vainqueurs. Et puis, ce n’était pas comme si Septima avait une vie sociale débordante et que ça se bousculait au portillon. Mais lui était là. Souvent.

L’une des portes des chambres s’ouvre. Il faut dire que les deux mentors n’ont pas particulièrement fait d’effort pour être discrets. Surtout pas Brutus. La finesse n’a jamais été son truc. Alors qu’apparait tout juste l’esquisse d’un visage familier, la brune tourne les talons pour disparaître dans sa propre chambre. Elle lui avait dit qu’elle le retrouverait après. Certes, elle ne s’était pas engagée sur l’horaire. Pour autant, elle n’en ressent pas moins l’impression d’avoir failli à une promesse qu’elle n’a pourtant jamais exprimée verbalement. Cette sensation lui déplait fortement. Un doute s’empare d’elle. A-t-elle tort, au fond, de s’acharner à faire ce qu’elle fait ? Sa robe rejoint le sol, les talons démesurés aussi. Sont-ce leurs derniers instants ensemble qu’elle est en train de gâcher ? SDi c’est le cas, si elle y croit, c’est que de toute façon, ils sont en train de vivre les derniers moments de leur relation agonisante. Littéralement. Et si elle apprécie pleinement l’ironie de la chose, elle préfère l’agonise infligée aux autres que celle que la situation actuelle lui fait subir.

Septima ouvre le robinet de la douche et laisse l’eau glacée sur sa peau lui remettre quelque peu les idées en place.

C'est le ton agressif de Brutus qui réveille Kyle et ce dernier se fait tout petit pour ne rien rater. Si Kyle adore apprendre des informations croustillantes, il n'est pas non plus à la recherche de potins. Or, surprendre les deux mentors en train de s'engueuler, ça peut être intéressant, parce qu'il sait que Septima ne lui dira jamais rien, sous couvert de le protéger.

Puis, quand la conversation devient plus calme, il s'en veut. Qu'est-ce qu'il fait là ? Pourquoi espionner des gens qui essaient de le faire survivre ? Surtout qu'il ne découvre rien de plus qu'il ne le savait déjà : il n'a aucune chance sans elle. Ces derniers jours, il s'est fait du mal en regardant les vidéos de l'année dernière, Septima était un enfer pour les autres tributs, une partie d'elle-même qu'elle ne lui a jamais montré, mais qui existe au fond d'elle.

Il n'avait pas vraiment prévu d'aller ouvrir la porte, mais il l'a fait tout de même et le regard de Septima le cloue sur place. Elle tourne les talons. Il écarquille les yeux comme un imbécile et regarde Brutus qui hausse les épaules en le renvoyant se coucher d'un signe de menton. Le coeur de Kyle bat la chamade et il reste indécis sur place. Septima l'a-t-elle fui ? Elle ne lui a pas adressé le moindre regard, ne l'a pas invité sous la douche. Réagit-il comme un enfant gâté ? Il ne sait plus ce qu'il doit faire. Alors il s'éloigne à son tour, refermant la porte pour sortir sur la terrasse.

La vue qu'ils ont ici est terrifiante, de la ville tour autour de lui, pas la moindre élément naturel, aucun arbre, aucune montagne, aucun lac. Il n'y a pas la moindre vie. Il sait que le Capitole raffole des couleurs, mais au coeur de la nuit, tout est noir, vide. Pourtant il entend des bruits de fêtes plus loin, pour le Capitole c'est une semaine joyeuse. Il a envie de vomir. De hurler. De faire quelque chose, mais il ne sait pas quoi.

Quelques secondes plus tard, il est debout sur le muret. Bien sûr, il y a des filets tout autour, même le suicide est interdit ici. De toute manière, personne n'essaierait, cela retomberait sur la famille, sur les amis, sur le districts. Il ricane en regardant au loin.

« PUTAIN DE MONDE DE MEEEERDE. »

Hurler le défoule finalement.

Aujourd’hui, c’est jour d’entretiens individuels avec les organisateurs. Ceux à l’occasion desquels les tributs pourront faire la démonstration de leurs talents. Ceux à l’issue desquels ils en sortiront avec une note qui les aidera plus ou moins à gagner des sponsors. Raison de plus de déserter Kyle. Elle n’a pas besoin de le distraire. Brutus sera possiblement de meilleur conseil qu’elle, de toute façon. Elle sait que Kyle a visionné les derniers Jeux. Ses Jeux. Il n’a sûrement pas besoin qu’elle apparaisse à ses côtés, représentation précise de tout ce qu’il ne pourra pas être dans l’arène. De tout ce qu’il n’est pas. Et c’est tant mieux, quelque part. Même si dans le cas d’espèce…

Non, vraiment, sa présence ne fera qu’ajouter une pression inutile. Du moins, c’est ainsi qu’elle se convainc de faire en sorte d’esquiver le garçon pour la journée. De toute façon, l’échange de ce matin avec Brutus l’a bien refroidie. Elle n’a pas envie de voir sa tête non plus. Et encore moins celle de miss Machin qui lui renvoie un reflet désagréablement familier.

Elle déserte donc rapidement le centre d’entraînement et lui préfère le QG des Jeux. C’est lâche. Est-ce lâche ? Sourcils froncés, Septima contemple les écrans devant elle. Depuis quand refuse-t-elle d’affronter l’adversité et préfère-t-elle se terrer dans des bureaux ? Elle ne refuse pas de faire face. Elle fait face, à sa manière. Ce n’est pas de soutien moral dont a besoin Kyle. C’est d’une vraie solution, concrète. Elle n’a pas besoin d’être à ses côtés et de le papouiller, elle doit faire en sorte que son plan, lorsqu’elle le mettra à exécution, se déroule sans encombre. Et pour cela, c’est ici qu’elle doit être, pas à lui tenir la main alors qu’il se prépare à se présenter au jury qui le notera. Alors elle le chasse de ses pensées et elle se reconcentre pleinement sur sa mission. Préparer son plan, en peaufiner les moindres détails. Elle n’a pas le droit à l’échec.

Au fond d’elle, elle espère quand même qu’il ne récoltera pas un score trop bas. Certes, c’est une stratégie comme une autre, de baisser volontairement sa note pour ne pas laisser paraître l’adversaire que l’on est réellement… Quoiqu’il en soit, si c’est le cas, c’est bien la ligne de communication qu’elle compte défendre. Pour autant, il ne peut pas finir dernier sur vingt-quatre. On peut voir les côtes des deux tributs du sept et Septima est à peu près certaine que la fille du district neuf souffre d’une plaie mal cicatrisée, probablement infectée. Au bras gauche, probablement. On pouvait le remarquer à la façon dont elle grimaçait quand elle soulevait un objet. Et si elle l’a relevé, il y a fort à parier que c’est également le cas des Carrières de cette année. La misérable hère ne va certainement pas faire long feu dans l’arène. Clairement, Kyle ne peut pas faire pire qu’eux.

Ce n’est que lorsque la nuit tombe enfin sur le Capitole que la brune rejoint le deuxième étage du centre, celui qui leur est dédié, passant sans les voir les deux Avox qui gardent les portes de l’ascenseur. Un troisième l’attend à l’ouverture des portes, un rafraîchissement à la main. Depuis combien de temps est-il là avec sa coupe, cet ahuri ? La brune s’empare du verre qu’elle vide d’une traite sans se préoccuper de son contenu. Ce n’est pas comme si elle pouvait lui poser la question, de toute façon. Elle repose la coupe vide sur le plateau et lui fait signe d’en ramener un ordre, tandis qu’elle approche du salon où s’élève soudain le tonitruant hymne des Jeux. Pile à l’heure pour les résultats.

Septima examine rapidement la configuration, et opte pour le fauteuil un peu à l’écart, à la droite de Brutus. Ce dernier s’apprête à prendre la parole mais Septima le fait taire en posant son index sur ses lèvres puis en désignant l’écran où le commentateur s’apprête à donner les résultats.

Le plateau apparaît comme par magie à ses côtés et la petite brune s’empare de la nouvelle coupe qui lui est servie en se concentrant sur l’écran pour ne pas avoir à croiser le regard de Kyle. L’instant de vérité.

Septima n'a pas réapparu. Et l'angoisse de Kyle est remontée en flèche, pourtant, il n'a pas eu une seconde à lui. Brutus l'a accompagné pour lui donner quelques conseils, étonnement, ils ont été utile et ajustés, Kyle se demande ce qu'il sait, ce qu'il pense de tout ça. Il évite de laisser ses pensées vagabonder, le risque est qu'elles empruntent le mauvais chemin et que ça gâche tout. Septima a un plan, il doit y croire, même si au fond de lui, tout hurle pour qu'il arrête et s'enfuit. Pour aller où ? lui rappelle son inconscient avec les accents traînants de Septima et il manque de vomir.

Il est faible. Il s'en rend compte. Il a couru avec Brutus sur le terrain laissé libre, il n'a pas tenu un tour. Il s'est entraîné au lancé de couteau, il a raté toutes ses cibles, le camoufflage n'est pas vraiment une qualité qui inspire et il ne s'est pas essayé au corps à corps, ça ne sert à rien pour impressionner les juges de toute manière. Ce qu'il sait faire n'apporterait aucun point bonus. Cuisiner ou déclamer un poème n'est pas une action impressionnante pour ceux qui veulent le voir mourir. Brutus a cherché avec lui une astuce, chaque année depuis plus de soixante jeux, aucune nouveauté n'est attendue, chaque tribut a déjà fait étalage de son savoir, son pouvoir, sa force ou son inventivité. Il ne reste plus rien à Kyle. Juste ne pas finir dernier ce serait pas mal.

D'une main tremblante il se passe une main sur le visage, il est le suivant à entrer dans la petite salle et son corps sécrète de la transpiration. Bordel, il faut qu'il se contrôle.

Quand il arrive devant la juge, la salle pue la transpiration et derrière leur écran de verre, les juges boivent et mangent. Certains le regardent, d'autres pas. Pourtant, il passe dans les premiers, il songe aux enfants des derniers districts qui n'auront rien pour eux.

Kyle a donc opté pour un tour de magie, parce qu'il est habile avec ses longs doigts, habitués à chaparder tout ce qu'il voit. C'est bien son seul talent et il sera totalement inutile dans l'arène. Avec Brutus et le styliste, ils ont préparé leur tour. Lentement, il récupère le long tissu rouge qui se trouve sur la table. Il le tend devant lui, attirant quelques regards peu intéressés et commence son tour. On voit bien qu'il n'y a rien ni devant, ni derrière, alors Kyle fait tourner le tissu sur lui-même puis en fait sortir un couteau et une flèche. Il les jette plus loin. Il fait sortir un bouquet de fleur qu'il envoie vers les juges avec un léger sourire, avant de s'enrouler lui-même dans le tissu.

Quelques secondes plus tard, le tissu une épaisse fumée se dégage du tissu qui se met à flotter vers le sol. Le tissu s'embrase, le feu envahit un instant la pièce avant de s'éteindre, révélant les habits de Kyle sur le sol. Quelques mètres plus loin, Kyle s'extirpe de la pièce avec un sourire, totalement nu.

S'il n'a pas montré de capacités de combat, il a dévoilé ses talents de disparition et une certaine tendance à la pyromanie.

Tout le capitole le verra donc faire usage de ce talent inutile. Il espère que Septima ne soupirera pas trop fort en levant les yeux au ciel en découvrant son manège.

Les juges, eux, ont été amusé de sa prestation. Elle n'est pas exceptionnelle, mais de la force brute ils en ont vus et revus et parfois ils valorisent l'originalité et ce qu'on voit rarement. A la fin, lorsque le classement des vingt-quatre tribut sort sur l'écran du Capitole, Kyle est classé 8ème. Ce qui peut être bas pour un carrière est très élevé pour un glandeur tel que lui et il n'est pas peu fier de ce résultat sachant qu'il n'a pas la moindre aptitude qui lui permettra de survivre. Grâce à son classement, réussira-t-il à gagner le coeur des sponsors ?

Le téléspectateur est en train de finir son introduction, bientôt remplacé par le premier visage, celui du tribut masculin du district 1. Un grand « dix » s’affiche aux côtés de l’air satisfait qu’exhibe la tête patibulaire à l’écran. La petite brune grimace. Les districts défilant dans l’ordre, Septima sait qu’elle ne va pas tarder à être fixée. Les Carrières sont généralement dans la gamme de huit à douze, la moyenne étant généralement autour de cinq. Difficile pour les sous-nourris des districts de pouilleux de tenir la dragée haute.

Le visage de Kyle apparaît alors à l’écran. N’empêche qu’il est assez photogénique, ne peut-elle s’empêcher de constater, non sans une once de satisfaction. Même Appia lui jette une œillade en coin avant que ne s’affiche le résultat fatidique. Septima se sent soudain prise d’une furieuse envie de lui crever un œil, jusqu’à ce que le « sept » qui vient de s’afficher à l’écran la fige sur place. Sept. Sont-ce ses talents propres qui l’ont placé là ou le travail en sous-main de Septima ? La petite brune dévisage alors le garçon.

- T’as fait quoi ? demande-t-elle de sa voix habituelle, réputée pour être si pleine de douceur et de nuances.

Les deux autres la gratifient d’un « chhhhh » alors que la tronche d’Appia vient de remplacer celle de Kyle à l’écran. « Neuf ». Voilà qu’on lui voit toutes les dents. Septima ne sait pas de quoi elle se satisfait. L’an passé, son collègue d’infortune a eu dix et elle-même avait obtenu onze. Preuve que globalement, ce sont bien les meilleurs qui gagnent, et beaucoup moins rarement les « outsiders surprise ». Sauf sur un coup de bol…. Comment on planifie un coup de bol ?

- Kyle, tu as fait quoi ? Reprend Septima sur le même ton maintenant que Brutus et Appia n’ont plus besoin de la « chhhh »-ter.

Quand le garçon, après quelques hésitations – et sous le regard noir de la brune – finit par céder et prendre la parole, un silence de mort tombe sur l’assemblée. Brutus est livide. Appia se retient de toutes ses forces pour ne pas pleurer de rire et Septima continue à le dévisager, imperturbable.

- Tu as fait… quoi ?!

Alors qu’elle commence sérieusement à considérer la possibilité de mettre fin à ses jours elle-même, d’un geste de la main, Brutus lui indique l’écran. Le listing complet reparaît, cette fois-ci classant l’ensemble des tributs dans l’ordre de leurs notes. Huitième sur vingt-quatre. Il est dans le premier tiers du classement. Appia n’est finalement que trois places devant lui.

Presque incrédule, Septima réalise qu’il a toutes ses chances… de se faire tuer parmi les premiers. Pas assez bon ni « de la clique » pour s’intégrer aux Carrières – sauf sur un coup de bol, pourvu qu’il ait un coup de bol –, mais suffisamment bon pour être jugé comme une menace qu’il faudrait éliminer assez rapidement. Alors même qu’il a réussi à obtenir cette note sans ne serait-ce que manier la moindre arme...

Sur le coup, Kyle en avait tiré de la fierté, en songeant à ce qu'il avait réussi à accomplir avec ses moyens - extrêmement faible - puis il avait du l'expliquer à Septima, devant Brutus et Appia. Et là, il avait commencé à se dire que son idée n'était peut être pas si phénoménale, malgré sa note et sa place dans le classement. Il avait rougi, bafouillé, tenté de dévier la conversation, mais lorsque Septima voulait quelque chose, elle l'obtenait, quelque soit la chose en question.

Alors il avait raconté comment il avait fini nu, comment il avait mis le feu grâce à un tour de magie. Et il avait voulu disparaître de leurs regards. Enfin, de son regard à elle, parce qu'Appia et Brutus ne l'intéressaient pas le moins du monde, il se fichait de ce qu'ils pensaient. Sauf que Septima n'était pas en colère, mais son expression restait menaçante. Il soupire.

« Vas-y, dis ce que tu as à dire. » lance-t-il prêt à tout entendre. Elle ne se fera sûrement pas prier pour finir de lui faire ses remontrances, il préférait que ça se passe maintenant en présence de témoin et qu'on puisse aller de l'avant ensuite.

Il se tourne vers Brutus et le pointe du doigt. « Il a approuvé mon projet, pour info. » Il essaie de reprendre son air habituel, celui qu'il arbore quand il veut faire croire à tout le monde qu'il est sûr de lui, mais Septima le connait trop bien pour savoir que ce n'est qu'une façade. « Puis bon, c'est fait. Au moins j'suis pas dernier et j'ai pas paru menaçant non plus. » C'était ce qu'elle lui avait demandé non ? « J'ai du passer devant la longue file des tributs à poil, donc t'inquiète. » T'inquiète de quoi ? Il aurait peut être du taire ce dernier fait finalement. Oh punaise, pourquoi est-ce qu'il ne réfléchit jamais avant de parler ?

Sauf que maintenant, il n'a plus qu'à garder la tête haute et à tenter de croire que tout se passera bien, parce qu'il n'y a pas trop d'autres solutions. L'entrée dans l'arène est imminente - il n'a jamais été aussi proche de poser ses pieds dedans et cette idée lui donne envie de vomir - et il va bien falloir qu'elle lui trouve un plan de sortie si elle veut le revoir en vie.

Clairement, Kyle ne comprend pas les tenants et les aboutissants de l’expression – ou plutôt l’absence d’expression – sur le visage de Septima. Il ne peut pas comprendre qu’une telle note signe son arrêt de mort plus qu’elle lui rend service. Et Brutus ! Qu’il ait approuvé le projet ne le rend pas plus intelligent. Si Brutus était du genre à donner des conseils intelligents, ça se saurait. Mais surtout, il est totalement à côté de la plaque et elle ne peut absolument pas le dédire sous peine de lui renfoncer le peu de moral qu’il a retrouvé tout au fond de ses chaussettes. Et merde.

Qu’en a-t-elle à faire, vraiment, qu’il se balade à poil devant une ribambelle de tributs ? Attends… quoi ?! Comment ça « à poil » ? Les yeux de la jeune fille s’arrondissent momentanément de surprise.

Appia, qui n'arrive plus à retenir le fou rire qui a commencé à s’emparer d’elle, s’empresse de prendre la poudre d’escampette quand elle croise le regard, lui bien loin d’être hilare, de la mentore. Craignant que la poilade vire au pugilat, elle préfère baisser le rideau pour la soirée et s’éclipser dans sa chambre. Le très vaillant et courageux Brutus ne tarde pas à en faire autant avant que le vent ne tourne en sa défaveur. Avantage et inconvénient d’une Septima : on ne sait jamais quand elle va soudainement et brusquement vriller. Et quand elle vrille, elle peut littéralement devenir mortellement dangereuse.

Les voilà seuls. La surprise est vite balayée par un relent d’accablement profond. La petite brune pousse un long soupir asthénique. Ouais, « t’inquiète ». C’est vrai ça, pourquoi s’inquiète-t-elle, après tout ? P’têt bien qu’il vaut mieux qu’il meure, tout compte fait. Nouveau soupir. Plus long encore que le précédent si c’est possible.

- A poil ?

Elle hausse les épaules.

- Clairement, Brutus est de très bon conseil. Tu es entre d’excellentes mains.

Une pause.

- Il pourra s’occuper de toi pour la préparation d’interview de demain aussi, je suppose ? Quant à moi, je vais tranquillement me rentrer au district. J’ai quelques emplettes à faire et une mère à égorger. Mais si tu t’en sors, on se fait une bouffe quand tu rentres… Ah au fait, continue-t-elle au vitriol, il te reste 24 heures pour devenir pote avec Shimmer du 1 et t’assurer qu’il te préfère à Machine.

D’un signe de tête, elle indique la direction de la piaule d’Appia. Pourquoi elle est si acerbe à l’encontre de Kyle, elle l’ignore. Mais c’est ça ou le tuer de ses propres mains. Alors comme le but de la manip’, c’est quand même d’essayer de lui sauver les miches, elle a choisi la colère glaciale. Ambiance.