J’étais un peu nerveux d’inviter Claire chez moi. Elle n’avait jamais visité mon condo. Heureusement, pour moi j’avais une obsession pour le ménage et donc je n’avais que quelques petits trucs à nettoyer avant qu’elle ne vienne.
Et puis je devais nourrir mon Iguane Paolo sinon il allait m’en vouloir. La blonde semblait perdue dans ses pensées et j’en profitais pour l’admirer de plus belle appréciant la courbe de ses lèvres et son petit nez en bouton. Elle était si belle…
Elle me disait oublier quelque chose et je haussai les épaules ne pouvant l’aider d’une quelconque manière. Ses lèvres étaient venues cueillir un baiser des miennes et à sa question je souriais tendrement avant de répondre :

– Oui, je reste au 142 Pine Street. Soit prudente sur les chemins j’ai cru comprendre que la chaussée est encore gelée de la tempête d’hier.

Puis, je tournais les talons et sortait de l’établissement en serrant les dents sous le contraste de la chaleur de l’intérieur et le froid mordant de l’extérieur. Je m’étais dirigé d’un pas rapide vers le camion de mon frère avant d’embarquer et de prendre la route vers chez moi. Le trafic était beaucoup moins abondant qu’à l’habitude la faute sans doute aux conditions. Je me garai en face de chez mon frangin avant de débarquer lui porter les clés. Quand enfin je retrouvais la chaleur de mon chez-moi, je poussai un soupir de soulagement. J’avais le bout des doigts complètement gelé et la goutte au nez. Je reniflais en retirant mes bottes avant d’aller me moucher de manière sonore dans la salle de bain. Bon il était de mettre un peu d’ordre dans cette maison. Je nourrissais d’abord mon reptile en lui servant les fruits qui étaient sur le point de devenir mauvais et la vieille laitue. Je déposais son assiette dans son terrarium et lui donnait ses caresses habituelles. Il était un fan des gratouilles sous le menton. Je ramassais la vaisselle de la veille. Replaçais les oreilles du sofa et passait le balai avant de me mettre au fourneau j’étais en pleine préparation lorsque la sonnette retentit. Un sourire aux lèvres je me dirigeais vers la porte d’entrée pour accueillir la blonde.

– Entre je t’en pris fais comme chez toi.

Puis, je me tassai sur le côté pour la laisser entrer lui indiquant où mettre ses affaires. Je me dépêchais de retourner dans la cuisine pour finir de faire poêler le steak. Ce soir, c’était steak et patate avec une salade fraîche. J’espérais qu’elle allait aimer.

Sean n'avait visiblement pas exagéré. La chaussée était si glissante que j'ai dû rouler au pas pour rentrer chez moi. Je pris mon courrier, avant de me doucher rapidement, seulement pour me réchauffer… Ensuite, j'enfilais une paire de jeans ainsi qu'un pull rayé bleu et blanc un peu plus épais. Une tenue plus adaptée et surtout plus décontractée que ce que je pouvais porter au boulot. J'attrapais mon gros manteau noir et ma paire de botte fourrée puis je pris la route.

J'essayais de rester concentrée sur la route tout en suivant les indications sur le GPS. Honnêtement, si j'étais ravie de pouvoir souper avec Sean, je n'éprouvais aucunement l'envie de terminer la soirée dans un bar … plus particulièrement avec nos collègues. Après tout, même si nous avions décidé de ne pas nous cacher, nous ne pouvions pas non plus nous afficher ouvertement… Aussi, je me sentais un peu stressée pour cette soirée…

Quelques minutes plus tard, je me retrouvais devant chez lui. Sean ne tarda pas à m'ouvrir pour m'inviter à entrer dans son domaine … Je lui souris avant de retirer mon manteau, mes bottes et mon sac. Je déposais le tout à l'endroit qu'il m'avait indiqué puis le suivis jusqu'à la cuisine.

– Oups, de la viande ? dis-je en lui offrant une moue paniquée… Je suis végétarienne.

Ce qui, évidemment, était totalement faux. Mais j'avais envie de le taquiner un peu.

– Je plaisante, je suis une vraie carnivore. L'ennemie public numéro un pour tous les vegans de la planète… et des vaches aussi, probablement.

Je déposais un baiser sur sa joue puis retroussais mes manches. Hors de question de rester sans rien faire.

– Où ranges-tu tes assiettes et tout le reste. Je vais mettre la table.

Je suivis ses recommandations puis entrepris de déposer assiettes et couverts à leur digne place. Ceci fait, je pus finalement observer son appartement… Et, en effet, ce dernier n'avait strictement rien en commun avec le mien. Sean avait su aménager l'endroit afin que celui-ci lui ressemble. Chaque objet reposait à sa digne place… Tout comme le vivarium contentant un petit animal original…

– Comment s'appelle ton ami ? lui demandais-je en désignant l'iguane.

J’étais euphorique d’accueillir Claire chez moi, il y avait quelque chose d’incroyablement intime et romantique dans l’idée de dévoiler à l’autre l’endroit où je vivais. C’était comme lui donner un accès à une partie de moi que très peu de gens avaient vue. L’endroit était propre et bien décor. Elle était venue me rejoindre en cuisine et tandis que je faisais sauter la viande elle lâchait une vanne qui me fit stopper net mon mouvement. J’avais pris quelques secondes pour encaisser le choc avant d’éclater de rire.

– Tu m’as eu ! J’ai paniqué direct. Tu peux prendre les assiettes dans l’armoire à ta droite, les napperons sont déjà sur la table.

Je finissais de préparer les ingrédients avant de me diriger vers la cuisine pour déposer le steak fumant, les petits pois, la sauce et les patates grelots dans les assiettes. C’était loin d’être de la haute gastronomie, mais pour une soirée d’hiver glaciale c’était exactement ce qu’il nous fallait pour nous réchauffer. J’étais allé chercher une bouteille de rouge et la déposais au centre de la table. Je pris place en face d’elle avant de répondre à sa question :

– Il s’appelle Paolo. C’est mon plus grand pote.

Je débouchais la bouteille et remplis la coupe de la blonde avant de remplir la mienne. J’avais mis une playlist Spotify en background et dans l’ensemble j’étais plutôt satisfait de ma présentation. Je n’étais peut-être pas le roi de la romance, mais je trouvais que je ne m’en tirais pas trop mal.

– Alors, toujours envie d’aller boire avec les collègues tout à l’heure ?

Je connaissais sa réponse, évidemment. Et pour être tout à fait honnête, je n’en avais pas particulièrement envie non plus. Mais c’était pour construire l’esprit d’équipe et faciliter mon intégration il serait mal vu de ne pas s’y présenter.

La question était la suivante : irions-nous en couple ou individuellement ?

Pour être franche, je me sentais plutôt fière de ma petite plaisanterie concernant mon pseudo régime alimentaire. Voir sa jolie bouille se décomposer un instant avant d'éclater de rire valait tout l'or du monde… surtout son rire. J'entrepris alors de dresser la table en plaçant soigneusement chaque élément avant qu'il ne vienne parfaire le tout avec des assiettes pleines de mets délicieusement parfumés et une bouteille de vin. Curieuse au sujet de l'iguane, je l'interrogeais sur son nom. Sa réponse me fit sourire.

– Il n'est pourtant pas si grand, dis-je avant de m'installer devant mon assiette. Ça sent divinement bon. Merci pour le repas.

En bonne carnivore, je commençais pas la viande… Elle était fondante à souhait… Une vraie bénédiction pour mes papilles habituées à manger des plats tout préparés.

– Alors, toujours envie d’aller boire avec les collègues tout à l’heure ? me demanda-t-il tandis que je portais mon verre à mes lèvres.
– Pas le moins du monde, mais cela fait partie de ces obligations professionnelles que nous aurons à affronter… L'esprit Ford, tu sais…

Et puis, ils avaient organisé cette soirée spécialement pour lui. Afin de l'aider à s'intégrer dans cette équipe déjà soudée. Nous ne pouvions nous y soustraire sans provoquer leur fureur ou leur incompréhension. Mais je me doutais que cette question en cachait forcément une autre… Une question à laquelle j'avais déjà répondu en prenant ma propre voiture.

– Je sais que tu ne veux pas que l'on dissimule notre relation, mais je n'ai pas pour autant l'intention de l'étaler devant nos collègues… Pas pour l'instant du moins. Je préfère attendre de voir où tout cela nous mène. Qui sait, dans une semaine tu penseras peut-être que je suis une femme insupportable… Ils n'ont pas besoin de tout savoir.

Loin de moi l'idée de le vexer. Je cherchais plutôt à le protéger autant des rumeurs à venir que des menaces de licenciement.

– Je compte prendre contact avec un chasseur de tête afin de… Peut-être postuler ailleurs. J'ai bien compris que je ne pouvais pas espérer évoluer dans cette entreprise et puis… Je ne suis pas certaine de vouloir encore travailler pour des gens qui ne croient pas en mes capacités.

Je bus une autre gorgée de vin avant de sourire.

– Puis je ne peux même pas me plaindre de mon supérieur direct avec toi… C'est moins drôle du coup.

Son visage arborait une expression triomphante et j’avais soupiré de soulagement en réalisant qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Quand elle m’interrogeait sur mon compagnon, je m’empressai de lui répondre qu’il se prénommait Paolo et que c’était mon plus grand ami. Claire fidèle à elle-même en profita pour faire une vanne sur sa taille et je souriais, amusé. Il fallait toujours qu’elle aille le dernier mot. Elle me remerciait pour le repas et commençait à attaquer son assiette. Je décidai de la suivre dans son mouvement, la cuisson était bonne. Je n’étais peut-être pas le meilleur cuistot du monde, mais ça avait le mérite d’être comestible. Je lui demandai si elle avait toujours envie de sortir avec les collègues. Et elle me répondait que cela faisait partie de l’esprit de Ford. La soirée avait été organisée en mon honneur, mais rien n’obligeait la blonde à y aller. Elle ajoutait qu’elle préférait garder notre relation secrète pour l’instant. À cela, je préférais ne rien répondre. Claire était une femme complexe. Cela je l’avais compris bien assez vite. Elle avait bâti des remparts autour de son cœur et de son univers et il était bien difficile pour un Joe comme moi d’y accéder. Elle vivait dans la peur, la crainte. On l’avait laissé, abandonnée, visiblement elle cherchait à éviter de revivre une telle douleur. Je pouvais comprendre. Moi-même, je ne connaissais que trop le goût amer du rejet.

– Je comprends, je ne chercherais pas à te convaincre du contraire. Mon but est que tu te sentes à l’aise avec moi.

Elle me confia son plan de parler à un chasseur de têtes pour éventuellement changer d’emploi. Je considérai l’idée pendant un moment. Il était vrai que l’entreprise avait insulté les efforts qu’elle avait faits pendant plusieurs années en engageant quelqu’un de l’externe pour le poste de gérant de succursale. Claire s’épanouirait davantage dans un milieu ou l’on apprécierait ses talents de vendeuse ou elle pourrait évoluer.

– Je trouve que c’est une excellente idée. Est-ce que tu voulais rester dans le domaine automobile ou essayer de vendre autre chose ?

Je pris à mon tour une gorgée de vin en souriant à son commentaire sur le fait qu’elle ne pouvait pas se plaindre de son supérieur :

– Tu peux te plaindre au contraire, tu as le pouvoir administratif de me faire dormir sur le canapé.

Je lui lançais un clin d’œil avant de finir mon assiette. Quelle belle soirée.