– Est-ce vraiment une si mauvaise chose ? me demande-t-il alors qu'il se tient si près de moi dans ce bain que je n'ose plus bouger d'un pouce.

Mon mug fumant repose sur le rebord de la baignoire, j'attends que le chocolat refroidisse avant de pouvoir y goûter. Le parfum qui s'en détache en quelques fumerolles délicieuses éveille mon appétit… Tout comme le petit échantillon chocolaté cueilli sur les lèvres de Tom.

Je ne réponds pas à sa question parce que je sais que ce que j'ai à dire n'est pas plaisant à entendre… Et puis, j'estime qu'il n'est pas vraiment nécessaire de s'étendre sur le sujet. Le moment viendra, forcément, mais là encore, les choses se feront naturellement. Nous n'aurons rien à ajouter à nos adieux. Alors autant se contenter de sourire.

– Je n'ai pas envie de vivre avec des regrets, Milly. Pas lorsque cela concerne ce que nous partageons. Tu m'as demandé de ne pas te faire de promesses…

Que partageons-nous exactement ? Est-il seulement capable de pouvoir poser un nom sur notre relation ? Moi pas. Et je sais que c'est inutile alors je ne cherche pas plus.

– Je suppose que tu n'as pas envie de me suivre à Las Vegas ? Tu aurais un pass VIP pour profiter des coulisses. Et je pourrais te trouver une place au premier rang pour le concert…
– Tu supposes bien… je soupire en grimaçant en m'imaginant coincée au milieu de tout ce monde… Je peux déjà sentir l'odeur de la sueur et des mélanges de parfum… Je peux entendre leurs cris hystériques… Je peux presque les sentir sautiller sur place comme des millions de puces. Non merci.

– Et puis...La chambre d'hôtel sera probablement très confortable.
– Ça… je viens murmurer à son oreille pour l'imiter. C'est presque un bon argument… Mais presque, seulement.

Je l'embrasse avec plus de tendresse que de gourmandise.

– Mais on sait très bien, toi et moi, que ce n'est pas ma place, je me saisis alors de mon mug pour goûter à ce fameux chocolat… Délicieux, je déclare avant de fermer les yeux. Cependant, je le trouve bien meilleur sur tes lèvres.

Même si je m'y attendais, je suis tout de même déçu lorsqu'Emily refuse ma proposition au sujet de Las Vegas.

"– Tu supposes bien… Non merci."

Et sa grimace n'aide vraiment pas.
Je sais que nous ne sommes pas du même monde, que nous avons des vies incroyablement différentes. Mais cette confirmation évidente n'est pas facile à digérer.

Et lorsque je mentionne le confort de la chambre d'hôtel...
"– Ça… C'est presque un bon argument… Mais presque, seulement."

Je frissonne tandis que son souffle vient chatouiller mon oreille.
Et lorsqu'elle pose ses lèvres sur les miennes, je ferme les yeux, acceptant simplement ce contact.

Et je reste immobile lorsqu'elle se recule de quelques centimètres. Je sens encore son souffle sur mon visage, ses jambes contre les miennes. Et pourtant, j'ai l'impression qu'elle se dérobe déjà à moi.

"– Mais on sait très bien, toi et moi, que ce n'est pas ma place."

Elle se saisit du mug de chocolat chaud au moment même où mes paupières se soulèvent à nouveau.

"– Délicieux", déclara-t-elle ensuite en fermant les yeux. "Cependant, je le trouve bien meilleur sur tes lèvres."

Cette remarque m'arrache un rire soudain, alors que je me rends compte de l'absurdité de la situation. Nous sommes face à une impasse, tiraillés entre deux mondes. Et pourtant, nous sommes installés dans une baignoire, à boire du chocolat chaud comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Du chocolat chaud lui orne à présent la lèvre supérieure et je viens effacer cette trace en l'embrassant à nouveau.

"– Sache que j'approuve entièrement cette méthode de dégustation", je murmure.

Ma voix est rauque. Mais peut-être est-ce causé par cette émotion soudaine que je ne parviens pas à réprimer tandis que la réalité me rattrape déjà.
J'ai envie de rester enfermé dans cette bulle hors du temps. Mais je sais que c'est impossible.

"– Je t'enverrai des photos", je lance pour essayer de détendre un peu l'atmosphère. "Comme ça tu pourras constater à quel point tu auras bien fait de rester ici."

Les minutes s'étirent, et mon mug est déjà vide.
Un silence confortable s'est installé entre nous, entrecoupé de baisers tendres au goût de chocolat.

Lorsque l'eau du bain commence à devenir tiède, je me résous enfin à bouger. Je sors de l'eau, caressant du regard l'image d'une Emily dans cette eau tiède, au milieu d'une mousse qui a presque complètement disparu.

Je trouve aisément une serviette, que je noue autour de ma taille.
Puis je tends une main à l'attention d'Emily, prêt à l'aider à sortir à son tour.

Tous les artistes du monde sont dotés de ce don étrange et dérangeant qui consiste à ressentir les choses plus intensément que la grande majorité des gens. Tout est décuplé, nos sensations, notre sensibilité aux émotions des autres, comme notre manière de ressentir les nôtres. C'en est souvent très perturbant puisque tout nous parvient comme autant de vagues déferlant sur les rochers. Ce n'est pas une chose que l'on peut ignorer.

Malgré tout, on l'accepte parce que c'est aussi ce qui nous sert à créer. Cela éveille nos sens au point, parfois, d'exploser tant et si bien qu'il nous est impossible de tout garder pour nous…

Tom suscite tant de choses chez moi. Sa sensibilité éprouve la mienne, elle l'attise, la révèle. Ses regards me brûlent… Ses baisers me consument… Près de lui, je me sens exister, dans ses bras… c'est comme si je disparaissais. Non, c'est faux. Je me sens juste différente comme si…Comme si, quelque part, il me complétait.

C'est stupide, je le sais. D'autant plus que bientôt… Il partira à l'autre bout du pays autant dire à l'autre bout du monde. Mon monde à moi est minuscule et, pour l'heure, il se voit même réduit à cette baignoire. Rien de ce qui existe tout autour n'a la moindre importance, du moins… pour l'instant.

L'on finit pourtant par en sortir, c'est la suite logique… Toute chose a une fin après tout. Je le laisse quitter la baignoire en premier, puis je le rejoins, non sans saisir la main qu'il me tend pour m'aider à m'extirper de cette eau tiède. Je dépose un autre baiser sur ses lèvres avant d'attraper une serviette pour m'envelopper entièrement. Il fait bien trop froid pour jouer à Adam et Ève…

Aucun de nous ne parle… Les mots semblent inutiles. Je l'observe en souriant, essayant de chasser les regrets que ni lui, ni moi ne voulons accumuler… Même si… Nous en aurons, forcément. Je récupère les mugs pour les rapporter à la cuisine avant de remettre une bûche dans le poêle…Et je constate que le silence commence à se faire pesant. Ce n'était pourtant pas le cas jusqu'ici. Je le trouvais même plutôt reposant jusque-là… Alors, pourquoi maintenant ?

Je me retourne vers lui, peinant à déglutir. Serait-ce les non-dits qui commencent à se faire lourds ? Peut-être. Nous éludons volontairement tant de choses…

– Tu as faim ? je demande un peu bêtement…

Je n'ai rien de plus intelligent à dire, je veux simplement rompre ce foutu silence. Je lui proposerai même de regarder un film si j'avais une télé… Peut-être devrais-je en acheter une… Ainsi qu'un téléphone un peu plus moderne, l'un de ceux qui permettent de recevoir des photos.

Lorsqu'Emily sort de l'eau, ma première réaction est de m'avancer vers elle, pour serrer son corps contre le mien. Mais elle se dérobe, m'embrassant brièvement sur les lèvres pour ensuite attraper une serviette qu'elle noue autour d'elle.

La température a diminué dans la salle de bain, et si ce n'est pas le moment de se promener dans le plus simple appareil, je ne peux qu'être déçu de la voir disparaître sous cette serviette.

Nous évoluons dans un silence, qui se fait de plus en plus pesant au fil des minutes, alors que nous regagnons la cuisine, et qu'Emily y ramène les mugs, avant de mettre une nouvelle bûche dans le poêle. C'est comme si la magie de nos instants partagés avait soudainement disparu. Ou peut-être est-elle encore là, quelque part, mais que nous manquons tous les deux de courage pour oser raviver la flamme.

Du coin de l'oeil, je repère la couverture posée sur le canapé. Et je ne réfléchis pas beaucoup plus. Je m'éloigne quelques secondes, pour abandonner ma serviette au sol, et m'enrouler dans cette couverture.
Et je soupire à la chaleur qui m'enveloppe presque instantanément.

Le regard qu'Emily pose sur moi lorsqu'elle se tourne ensuite dans ma direction est chargé de non-dits, qui ne demandent qu'à remonter à la surface.

"– Tu as faim ?"

Je secoue la tête. Non, je n'ai pas faim. J'ai envie d'autre chose, d'un contact encore plus terre à terre, une connexion qu'elle seule pourra combler.

Lorsque je m'approche vers elle, et que ma main glisse le long de sa mâchoire, j'ai presque l'impression de sentir des picotements aux endroits où mes doigts entrent en contact avec sa peau.

"– Je n'ai pas faim", je lui confirme à voix haute. "Pas pour l'instant"

Je me penche, jusqu'à ce que mes lèvres effleurent les siennes en un baiser qui me fait frissonner.
Je m'éloigne un instant, juste assez pour reprendre mon souffle.
Puis je fais un pas en avant, et je l'attire vers moi, l'embrassant avec fougue.

Je n'ai plus envie de réfléchir au futur, à nos deux mondes qui n'étaient pas fait pour se rencontrer. J'ai simplement envie de sentir sa peau contre la mienne, son souffle contre mes lèvres, sans penser à ce qui se passera ensuite.

La couverture autour de moi menace de glisser de mes épaules, et je la redresse d'une main tremblante, jusqu'à venir également envelopper Emily.
Et je continue de l'embrasser, au cœur de ce cocon de chaleur alors que mes mains s'égarent sur le haut de son dos.

Il secoue la tête et voilà que je perds le peu de contenance qu'il me restait. Je déglutis difficilement… Pourquoi ? Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il me regarde comme ça… En réalité, c'est même la troisième… Ce regard est si intense que lorsqu'il se rapproche de moi, je suis totalement incapable de bouger… Je suis comme subjuguée.

– Je n'ai pas faim, lance-t-il tandis que ses mains glissent sur ma mâchoire m'arrachant, pas la même, quelques nouveaux frissons qui n'ont rien de désagréable. Pas pour l'instant.

Je ne suis pas plus couverte que tout à l'heure et, pourtant, je n'ai absolument plus froid. Nos lèvres, d'abord timides, se rencontrent pour échanger un baiser doux mais brûlant… Mon cœur accélère aussitôt sa course tandis que mes bras se referment instinctivement sur ses hanches nues. Le désir que j'éprouve pour cet homme est si fort qu'il en est presque douloureux… Je le veux, juste pour moi et je le veux tout entier. Alors, j'arrête bêtement de lutter contre mon moulin à vent et je cède. C'est si facile d'abandonner me tient ainsi dans ses bras sous cette couverture qui nous isole du reste du monde.

Lorsque ses mains effleurent mon dos, ma serviette glisse sur le sol. Pourtant, je ne m'en soucis guère, au contraire, je me rapproche davantage jusqu'à ce que ma peau rencontre de nouveau la sienne… La chaleur qu'il dégage est incroyable. Il ne faut pas plus de quelques secondes pour qu'il me la transmette.

Le baiser que nous échangeons se fait alors plus passionné. Je délaisse pourtant ses lèvres pour m'aventurer sur sa gorge, ses épaules… Je veux entendre ses soupirs de nouveau…Je veux le voir s'abandonner contre moi…

– C'est sur, tu n'as pas faim ? je murmure, taquine.

Je souris contre les lèvres d'Emily lorsque la serviette qui était jusqu'à présent enroulée autour d'elle glisse au sol. Elle n'essaie même pas de la retenir.
Un murmure rauque gronde dans ma gorge lorsque sa peau nue rencontre la mienne. Et c'est visiblement ce qui fait s'écrouler les dernières barrières qui étaient érigées entre nous.

Je ferme les yeux tandis que ses lèvres courent sur ma gorge, puis mes épaules. Mon cœur bat à toute vitesse, et je chasse à nouveau les lèvres d'Emily.

"– C'est sûr, tu n'as pas faim ?" me murmure-t-elle juste avant que je ne l'embrasse fiévreusement.

Un rire nait dans ma poitrine, et remonte jusqu'à mes lèvres pour venir se perdre dans notre baiser.

"– Je crois que je devrais pouvoir survivre".

Je mordille ses lèvres avant de descendre plus bas, couvrant de baisers un chemin imaginaire. Elle sent le bain moussant et le chocolat chaud, un mélange qui me monte à la tête et me rend fou de désir.

"– J'ai faim", j'ajoute ensuite, "Mais pas de nourriture. Seulement de toi."

Mes pas sont maladroits dans cette danse. Je plaque doucement Emily contre le mur qui jouxte la chambre, le temps pour moi de l'embrasser de plus belle, glissant un genou entre ses jambes comme pour essayer d'accentuer ce contact pourtant déjà brûlant.

Puis mes mains trouvent à tâtons la porte, et je pousse cette dernière, jusqu'alors seulement entrouverte, et nous basculons sans attendre dans cette pièce, sur ce lit incroyablement confortable.

Le contact des draps frais est un contraste agréable, et ne fait qu'accentuer les frissons qui naissent déjà sur ma peau, là où s'égarent les mains d'Emily.

Les minutes qui suivent servent à me rappeler à quel point cette connexion que nous partageons est précieuse. Emmêlés dans les draps, avec toujours cette couverture qui nous protège de l'air froid, je laisse libre court à la passion qui brûle en moi, qui brûle pour elle. Je ne me lasse pas d'explorer son corps, pour mémoriser la douceur de sa peau sous mes mains et mes lèvres.
Je lui murmure mille et une promesses à l'oreille, d'un futur pour lequel j'ai envie de me battre. Et ses soupirs sont une réponse délicieuse.

Je n'arrive pas à la lâcher du regard. Si ça ne tenait qu'à moi, je resterais ici encore un peu. Des semaines, des mois de plus. Je sais que c'est impossible. Et c'est peut-être aussi ce qui rend ces instants encore plus précieux.

Il y a tant de choses que j'aimerais lui dire. Mon cœur comme mon âme hurlent en silence et m'exhortent à parler… Mais les mots se meurent bien avant de parvenir à franchir la barrière de mes lèvres. Tout ce que mon cœur désire, je sais que je n'ai pas le droit de lui dire. Ce serait stupide et probablement aussi très égoïste. Nos vies sont bien trop compliquées, bien trop différentes aussi pour seulement espérer s'accorder d'une quelconque manière.

Alors, à la place, c'est à mon corps que je laisse tout le loisir de s'exprimer. Il répond par instinct à chaque baiser, chaque caresse. Parfois même il ose se montrer un peu plus entreprenant… C'est étrange de constater à quel point mon esprit s'efface entre ses bras. Mes questions, mes doutes… Tout ça disparaît, comme soufflés par les soupirs échangés.

Mais je suis gourmande et avide de lui… Alors, lorsqu'il affirme de sa voix rauque avoir faim… de moi, je me surprends même à grogner contre ses lèvres… S'il savait à quel point c'est réciproque… Mon corps entier brûle pour lui. J'ai chaud et froid, le tout à la fois. Même lovés l'un contre l'autre, nos corps ne sont pas assez près à mon goût… Alors je me laisse aller à quelques jeux, quelques découvertes.

Mes soupirs, je les étouffe sur ses lèvres pour faire taire des promesses que je refuse d'entendre. Je veux vivre pour le présent et seulement lui, le reste attendra…

J'ignore combien de temps s'est écoulé depuis que l'écho du pinacle de notre passion a résonné entre les murs de la chambre. Le silence a repris possession des lieux, ma respiration s'est peu à peu calmée, et la sueur sur ma peau n'est plus qu'un lointain souvenir. Reste la chaleur du corps d'Emily, allongée contre moi, et ce souffle qui chatouille mon thorax alors que mes doigts s'emmêlent encore dans ses cheveux.
J'ignore si elle s'est assoupi. Probablement. A vrai dire, je n'ai pas la force de troubler cet état de quiétude qui s'est emparé de nous.

Je suis allongé sur le côté, les yeux fixés sur le mur qui jouxte le lit, détaillant une ancienne photo de Castine, accrochée au mur. L'on y voit le port, et des bateaux qui mouillent l'ancre, visiblement un jour de tempête.
Je suis curieux de savoir quelle serait l'interprétation qu'Emily pourrait en avoir si elle décidait de peindre cette scène.
Quand à moi, des paroles me viennent déjà à l'esprit. L'histoire somme toute banale de deux amants séparés par la tempête.

Cette idée trotte dans ma tête un long moment, avant que je ne tienne littéralement plus en place.

Je bouge le plus doucement possible, prenant garde à ne pas réveiller Emily. Et je dépose au passage un baiser dans ses cheveux, avant d'attraper un pantalon de jogging, et un simple pull, que je passe sur ma peau nue pour me protéger du froid.
Et je fouille dans mon sac jusqu'à trouver mon carnet, ainsi qu'un crayon.

Puis je referme lentement la porte de la chambre derrière moi.

Nix m'accueille dans la pièce à vivre en venant renifler ma main. Puis il retourne presque aussitôt se rouler en boule devant le poêle. Je ravive ce dernier, et soupire de bien être tandis qu'une douce chaleur rayonne à nouveau dans la pièce.

Je m'affale dans le canapé, et je griffonne aussitôt mes premières idées en vrac. Et progressivement, ces dernières prennent forme.
Bientôt, je place quelques accords sur ma guitare, accompagnant une mélodie que je murmure déjà à mi-voix.
Je n'avais pas prévu de composer une nouvelle chanson. Et je suis même surpris de cette inspiration qui m'avait si souvent fuit ces derniers mois. Je ne suis pas certain qu'elle sera aussi fertile lorsque je retrouverai ma réalité.

Les paroles rejoignent la mélodie, et je fredonne un refrain, qui se complète de plusieurs couplets. Rien d'extraordinaire. Du moins, du point de vue qu'aurait Jake de ma création. Mais au fond, cette chanson me parle plus que je ne pourrais l'expliquer.

J'allume mon téléphone, et active ma caméra. Je renvoie probablement une image assez étrange, avec mes cheveux en bataille. Et le col large de mon pull laisse probablement deviner quelques traces de mes activités précédentes.
Et puis il y a cette lumière tamisée, et les ombres dansantes qui évoluent sur les murs.

Mais je reste là, avec ma guitare. Je me redresse dans le canapé, avant d'appuyer sur le bouton d'enregistrement. Et je me laisse porter par la musique.

Ce n'est qu'un brouillon, une composition réalisée en à peine une heure, au coin du poêle, avec en arrière plan les ronflements de Nix. Mais je souris à la caméra alors que la chanson se termine, faisant fi de ma voix rauque et du son étouffé de ma guitare. J'ai tourné des vidéos de bien meilleure qualité, avec un budget mille fois supérieur, et des techniciens expérimentés. Mais finalement, c'est dans cette simplicité que j'ai l'impression de m'épanouir le plus.

J'ajoute quelques harmoniques, et je les laisse résonner pour ponctuer le dernier refrain.

La vidéo se termine sur le silence de la pièce, et le crissement des cordes tandis que mes doigts glissent une dernière fois sur ces dernières.

Ma main tremble lorsque je viens effleurer du bout des doigts le bouton pour arrêter la vidéo. Et je note seulement maintenant les larmes qui me viennent. L'une d'entre elle roule sur ma joue, puis vient s'écraser sur le bois de mon instrument.

Je jure à mi-voix. Je m'étais promis de ne pas me laisse dépasser par mes émotions. Mais bien malgré moi, cette chanson m'a permis d'exprimer tout ce que je ressens vis à vis de mon départ. Dans un peu plus de vingt-quatre heures, je monterai dans cet avion qui m'emmènera loin d'ici. Et je n'arrive pas encore à me résoudre à cela.

Mes épaules se secouent tandis que je me laisse envahir par l'émotion, tiraillé entre l'excitation à l'idée de retrouver mon public, et le déchirement vis à vis des adieux prochains à Emily. J'aime me dire qu'il s'agit simplement d'un aurevoir. Mais le futur est plus qu'incertain. Je sais simplement que je meurs déjà d'envie de la revoir alors que je ne suis même pas encore parti.

Je suis réveillée par le son d'une mélodie doucement pincée à la guitare…Par l'appel d'une voix légèrement rocailleuse, mais qui n'en reste pas moins harmonieuse… Sa voix…La [i]sienne[i]... Elle me semble si triste qu'elle chamboule mon âme. Non, elle me bouleverse totalement. À taton, je cherche l'interrupteur de ma lampe de chevet. Je ne supporte pas le fait de rester seule dans le noir. Une fois la lumière allumée, je me sens un peu mieux. J'attrape mon peignoir et l'enfile avant de me diriger vers la porte de ma chambre que je garde close.

J'écoute, le front posé sur le battant fermé. Je ne veux pas l'interrompre… J'écoute et je laisse sa voix me transporter dans son monde… dans son histoire qui me semble si familière et pour cause… Je sais que c'est la nôtre même si quelques détails diffèrent. J'attends la fin avant d'ouvrir doucement la porte, je ne tiens pas à le surprendre… Mais alors que je m'attends à le trouver debout, c'est un homme assis, le dos courbé sous le poids de ses émotions que je découvre… Là, sur mon canapé…

Alors en silence, je me rapproche pour aller simplement l'enlacer. Je déteste le voir ainsi. Je veux le voir sourire, entendre le son si joyeux et entraînant de son rire… Je ne supporte pas les larmes… Je ne supporte pas la tristesse… Je veux que tout ça disparaisse au profit de quelque chose de plus joyeux … C'est peut-être pour ça que je me laisse aller à mon tour, à chanter la première chose qui me vient en tête. Une chanson de mon père que personne ne connaît. Une sorte de secret de famille… Ma voix est légèrement enrouée, mais la mélodie reste juste. Dommage, m'entendre chanter faux aurait pu, potentiellement, lui arracher un fou rire… Enfin, je suppose. Alors tant pis si cette fois je chante juste. Je lui offre le cadeau que mon père m'avait réservé autrefois. Une chanson joyeuse qui parle d'amour naissant, de sentiments partagés… Il y a beaucoup d'espoir dans cette dernière mais ce n'est pas tant ce que je souhaite partager avec lui pour l'instant. A travers les mots et la musique de mon père, ce sont mes sentiments que je lui livre … Je suis sûre qu'il ne m'en voudra pas de les lui emprunter ainsi. Je termine en déposant un baiser sur son front. Un geste doux porteur de tous ces sentiments qu'il a su éveiller chez moi...

– Tu sais ...j'aime mieux quand tu souris.

Je ne sais pas exactement quand Emily vient me rejoindre. Je sens à peine ses bras se nouer autour de moi. Mais je finis peu à peu par me laisser aller dans cette étreinte.
Puis une voix commence à chanter. Et je suis tellement surpris que je me demande en premier lieu si Emily a allumé la radio, avant de réaliser qu'il s'agit simplement d'elle.
Je n'avais pas réalisé qu'elle était capable de chanter ainsi.

Je ne reconnais pas cette chanson, mais je me laisser bercer par celle-ci, par ces mots qui me touchent en plein cœur. Ces paroles, c'est une déclaration, pure et simple. Et je n'ose pas bouger, de peur qu'Emily s'arrête, de peur de briser ce moment.  
Il y a tant d'incertitudes chez elle, qui fait écho aux questions qui dansent dans mon esprit... Mais pour une fois, elle semble être capable d'exprimer par des mots ce qui nous unit.

Je frissonne lorsque ses lèvres se déposent sur mon front, tandis que le silence retombe.

"– Tu sais ...j'aime mieux quand tu souris."

Je ris au travers des quelques larmes qui roulent encore sur mes joues. Et je les efface d'un geste de la main.

"– Je suis désolé", je bafouille. "Je ne pensais pas que cette chanson allait me toucher ainsi".

Je désigne la version provisoire de la chanson en question, griffonnée sur mon carnet. Et j'essaie de la chasser de mon esprit, pour ne pas replonger dans ce désespoir qui m'a saisi un peu plus tôt.

Ma guitare est toujours sur mes genoux. D'une main tremblante, je viens l'appuyer contre la table basse. Et je me love contre Emily, mes dernières larmes venant humidifier le tissu de son peignoir.

"– Ce que tu as chanté...", je demande d'une voix encore rauque. "Qui en est l'auteur ? Je n'ai pas le souvenir d'avoir écouté ceci auparavant..."