Durant la première partie de ce trajet, je les ai écoutés parler de moi comme si je ne m'étais pas trouvé dans la même voiture qu'eux. Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive, mais je continue de trouver cela quelque peu déstabilisant. C'est toujours étrange d'avoir l'impression de ne plus exister, ne serait-ce que l'espace d'un instant aussi bref qu'un clignement de paupière. Malgré tout, je ne m'en offusque guère. Je décide simplement de rester silencieuse… Et c'est ce que je fais jusqu'à ce que nous arrivions à l'hôtel.

Si la bâtisse m'impressionne, ce n'est pourtant rien en comparaison de la découverte de ce fameux masque professionnel que les deux affichent devant leurs fans. Il y a des flashs partout. Les femmes hurlent leur nom dans l'espoir d'attirer leur attention… Une photo, un sourire, une poignée de main. Pourquoi font-elles cela ? Quelle satisfaction peuvent-elles en tirer ? Ils sont juste là… Ils ne chantent pas, ne jouent pas la moindre musique… Ce sont juste deux personnes qui se rendent à leur hôtel comme des centaines d'autres. En quoi la célébrité peut-elle vraiment changer la donne ? Je ne le comprends pas.

Tout le monde à Castine s'accorde à dire que le docteur Jensen, le dentiste, fait un excellent travail. Tout le monde le connait et, pourtant, personne ne s'aventure à le prendre en photo lorsqu'il fait ses courses ou lorsqu'il prend son repas dans un restaurant. Pareil pour Winston, un couvreur exceptionnel… Chanter, pour ces deux là, revient un peu à refaire une toiture ou un dentier. C'est juste un travail comme un autre. Alors pourquoi en faire tout un plat ?

Je reste donc là à les regarder faire. Le sourire de Tom est peut-être radieux, il n'est pas aussi beau que celui auquel j'assiste régulièrement. Il manque cette lueur, ce petit éclat brillant qui illumine ses prunelles sombres qui rend la chose beaucoup plus vraie…Plus naturelle. Je me demande si ces femmes s'en rendent compte ? Probablement pas… Elles ne connaissent rien de lui en dehors de ce masque incroyable qu'il arbore pour le show. Et moi, ce masque… Je ne l'aime pas beaucoup. Ce n'est pas ce Tom là dont je suis tombée amoureuse, loin de là. Celui-ci, je ne le connais pas et le trouve même plutôt agaçant quelque part.

Mais le masque tombe dès lors que son regard se pose sur moi. Je retrouve aussitôt cet éclat si joli dans ses yeux… Alors je souris franchement, heureuse de le retrouver lui… Juste lui… Sans chichis ni paillettes.

– Je ne sais pas toi, mais j'ai besoin d'une douche. Et d'un peu de calme, aussi.
– Je suis plutôt d'accord, je rétorque avant de saluer Jeff d'un geste de la main.

Notre chambre, je ne la découvre pas tout de suite. À peine la porte est-elle franchie que Tom me prend dans ses bras.

– Et bien… Je t'ai manqué ? je plaisante tout contre lui.

Je resserre les bras contre sa taille tout en prenant une profonde inspiration. J'ai l'impression de pouvoir enfin respirer…

– Tu crois qu'il y a une baignoire dans cette chambre ? je demande d'une voix légèrement plus aiguë que d'ordinaire. Je ne serai pas contre un bon bain. Mes muscles sont extrêmement tendus et… je presse un doigt contre son ventre. Visiblement, c'est aussi le cas pour toi.

"– Et bien… Je t'ai manqué ?"

Je soupire de bien être, tandis qu'elle me serre un peu plus contre elle.

"- Ce qui m'a manqué, c'est de pouvoir être seul avec toi", j'admets à voix basse. "Et désolé pour Jeff. Il peut-être assez...envahissant. Mais c'est un très bon ami. Et je pense qu'il est un peu jaloux que tu sois ici, alors que sa femme est restée à Los Angeles."

Malgré son air de décontraction, et les plaisanteries au sujet des préférences des groupies, je sais que mon ami est un homme comblé. Et ce, depuis déjà quelques années.

Je me penche pour embrasser Emily sur les lèvres.

"– Tu crois qu'il y a une baignoire dans cette chambre ? Je ne serai pas contre un bon bain. Mes muscles sont extrêmement tendus et..."

Je frissonne lorsqu'elle appuie un doigt contre mon ventre.

"– Visiblement, c'est aussi le cas pour toi."

Elle n'a pas tort. Et j'entends aussi la fatigue dans sa voix. Une certaine lassitude, et un stress sous-jacent, sans aucun doute lié à notre arrivée ici, et à ce contact avec fans et paparazzi.

"- Il n'y a pas que ça qui va être tendu si tu continues d'appuyer à cet endroit", je plaisante pour essayer de détendre un peu l'atmosphère. "J'ai déjà dormi ici plusieurs fois. Je peux t'assurer qu'il y a une baignoire."

Je la prends par la main, et je l'entraine jusqu'à la salle de bain. Cette dernière est aussi grande que dans mes souvenirs, avec cette large baignoire qui trône dans un coin de la pièce, suffisamment grande pour y accueillir aisément deux personnes.

"- Nous avons deux grosses heures devant nous."

Je me place derrière elle, et je commence à masser doucement les muscles du haut de son dos, en espérant lui permettre de se détendre.

"- Ensuite", je continue avec lui avoir retiré sa veste et son pull pour un meilleur accès à son dos, "il y a cet entretien, avec la presse. Mais ça se passera dans une des salles de l'hôtel. Tu pourras donc rester ici te reposer pendant que je serai assommé de questions par une foule de journalistes. Et après, eh bien..."

Je dépose un baiser dans sa nuque.

"- Les répétitions ne commencent que demain matin. Je ne sais pas si nous sommes attendus pour diner ce soir. Mais je pourrai prétexter la fatigue du voyage. Et je t'assure que le room service est à la hauteur."

J'ai à peine le temps de passer mes mains sous le chemisier d'Emily pour continuer de lui masser le dos que mon téléphone portable sonne dans ma poche.

Je soupire, et je jure à mi-voix, avant d'attraper cet objet qui n'aura décidément jamais fini de m'interrompre.

Je fronce les sourcils au numéro qui s'affiche sur l'écran. Ce dernier ne fait pas partie de mes contacts.

"- Allo ?" je décroche tout de même.

"- Tom ? C'est Kelly !"

Je grimace.

"- Kelly !" je réponds d'un ton qui retranscrit probablement un certain agacement. "Je ne savais pas que tu avais mon numéro."

Je reconnais sans mal sa voix, et surtout cet accent particulier de la côte Ouest, probablement accentué par ses amitiés dans la jet set.

"- Peter me l'a donné."

Peter, le bassiste du groupe. Cela ne m'étonne guère de sa part.

"- Tu es libre ce soir ?" poursuit-elle. "Je sors avec quelques amis, après notre interview, et je me disais que ça te dirait peut-être de venir ?"

La perspective même d'aller faire la tournée des boites de nuits et casinos de la ville m'arrache une nouvelle grimace. Je me demande surtout pourquoi elle me demande à moi, alors que d'autres membres du groupe seraient probablement beaucoup plus intéressés. A moins qu'ils ne soient déjà dans la confidence.

Je me suis approché du bord de la baignoire, et j'ouvre le robinet de cette dernière, cherchant une température appropriée pour un bain chaud.

"- Je suis navré, mais le voyage m'a épuisé. Et puis, je ne suis pas venu seul, et..."

La sélection de produits de bain est comme toujours assez variée, et j'hésite sur lequel sélectionner.

"- Ton ami peut nous accompagner s'il veut !" s'exclame-t-elle aussitôt.

Je fronce les sourcils. Je crois qu'elle n'a pas exactement saisi l'identité de la personne qui m'accompagne. Mais peu importe. Je n'ai vraiment pas envie de m'attarder sur ce sujet pour le moment.

"- Je suis navré, mais ce soir je ne peux vraiment pas."

J'attrape de ma main libre une bouteille de bain moussant, apparemment parfumée à la lavande, et je la tends à Emily en haussant un sourcil, curieux d'avoir son avis à ce sujet.

A l'autre bout du fil, Kelly insiste un peu, mais je m'empresse de décliner à nouveau

Et enfin, je parviens à raccrocher, après quelques salutations d'usage Et je prends un malin plaisir à éteindre mon téléphone. Il y a une horloge accrochée au mur. Ce sera largement suffisamment pour garder un œil sur l'heure.

"- Désolé pour cette interruption", je souris en m'approchant à nouveau d'Emily. "Celui là te convient ?" je lance en désignant d'un signe de tête la bouteille de bain moussant.

Je me penche pour capturer ses lèvres.

"- J'ai envie de prendre le temps d'être avec toi, sans aucune interruption", je lui confie à voix basse.

– Ce qui m'a manqué, c'est de pouvoir être seul avec toi, murmure-t-il de sa douce voix grave qui a le don de me faire frissonner. Et désolé pour Jeff. Il peut-être assez...envahissant. Mais c'est un très bon ami. Et je pense qu'il est un peu jaloux que tu sois ici, alors que sa femme est restée à Los Angeles.
– Ça m'a manqué aussi, je réponds en un profond soupir exprimant cette quiétude agréable qui vient avec le calme. Ne t'excuse pas pour Jeff, je l'ai trouvé très drôle et plutôt sympathique… C'est juste que… J'ai du mal à discuter avec les inconnus et même des personnes pas si inconnues que ça…

Il ne s'en rend pas forcément compte parce qu'avec lui, tout était différent dès le départ. Je me suis toujours sentie à mon aise avec lui. Je ne peux pas l'expliquer, mais c'est comme ça.

– Pourquoi sa femme n'est pas venue ? je demande sincèrement curieuse d'en apprendre plus sur cette personnalité haute en couleur.

Je suis plus que ravie d'apprendre que cette chambre possède bel et bien une baignoire. Je rêve d'un bon bain moussant suivit d'une sieste. Sa petite plaisanterie me fait rire, mais je préfère ne pas relever. Nous avons, avant toute chose, besoin de repos. La nuit précédente a été très courte et il est parfaitement impossible de se reposer dans un avion. Et puis … Je l'ai vu s'assoupir dans la voiture. Il est visiblement épuisé et la journée ici ne fait que commencer.

– Nous avons deux grosses heures devant nous.
– Alors autant ne pas perdre de temps !

Deux heures avant que son emploi du temps gargantuesque ne le monopolise pour de bon. Il me l'expose tout en me massant doucement les épaules… Le baiser qu'il dépose dans mon cou me pousse à fermer les yeux le laissant le dévêtir… Et son téléphone se met à sonner.

Instinctivement, je m'écarte. Je n'ai pas spécialement envie de le mêler à cette partie-là de son existence. Malgré tout, je peux tout entendre de la conversation… la voix de cette femme au bout du fil se fait pressante et il ne semble pas s'en rendre compte. Il s'excuse plusieurs fois … En utilisant des termes comme "je ne peux pas", expliquant qu'il n'est pas venu seul et … Mince, il ne l'a corrige pas lorsqu'elle me qualifie d'ami au masculin.

Des faux semblants, des mensonges … des cachotteries. Pourquoi ne pas simplement dire la vérité… Dire que c'est une femme qui l'accompagne… Mais au fait… qu'est-ce que je suis au juste ? Il m'aime, je le sais et je n'en doute pas. Néanmoins, je ne sais pas ce que je représente pour lui… Hormis une contrainte, parce que sur l'instant, c'est ce qu'il me fait ressentir.

Je m'écarte un peu plus… Je suis blessée sans vraiment comprendre pourquoi. Mais en cet instant précis… J'ai juste envie de rentrer chez moi.

Il raccroche et s'excuse pour l'interruption, me désignant alors un flacon de bain moussant dont je me fiche éperdument.

Il m'embrasse et je ne réagis pas. Il ne se rend vraiment compte de rien ?

– J'ai envie de prendre le temps d'être avec toi, sans aucune interruption.
– T'en es sur ? je lui demande en lui lançant un regard perplexe. Il n'y a aucune colère dans ma voix, elle est simplement empreinte de tristesse qui est venue m'étreindre… J'ai eu l'impression d'être décrit - sans e- comme un boulet que tu traînes à la cheville et qui t'empêche de rejoindre cette demoiselle qui, visiblement, a très envie de passer du temps avec toi, elle aussi. Je sais que ce n'est pas ce que tu penses, mais c'est l'impression que tu renvoies… Pourquoi ne pas simplement être plus franc ? Pourquoi ne pas lui avoir dit que n'as tout simplement pas envie de sortir… Que tu es venu avec ta … Je sais pas moi… Ta conquête du moment ?

Je n'aime pas cette expression, mais je sais que c'est ainsi qu'ils me voient tous… Son agent, Jeff, les journalistes. Je ne suis que l'inconnue qui partage son lit pour l'instant, avant la prochaine… Peut-être même cette Kelly avec qui il garde la porte grande ouverte.

– Ce Tom là, vraiment… Je ne l'aime pas, je soupire avant de ramasser mes affaires. Je ne suis plus si fatiguée, finalement… Je vais prendre l'air…

Je ramasse mon sac mais je laisse les vêtements chauds qui sont parfaitement inutiles ici.

Je me rends compte que quelque chose ne va pas au regard qu'elle me lance lorsque je me penche vers elle pour l'embrasser une nouvelle fois. Son sourire a disparu, et elle me dévisage comme si je n'étais qu'un parfait inconnu.

"– T'en es sûr ?" me lance-t-elle lorsque je lui murmure que je souhaite passer du temps avec elle.

Et j'ouvre la bouche pour lui répondre, mais elle est plus rapide que moi.

"- J'ai eu l'impression d'être décrit - sans e- comme un boulet que tu traînes à la cheville et qui t'empêche de rejoindre cette demoiselle qui, visiblement, a très envie de passer du temps avec toi, elle aussi. Je sais que ce n'est pas ce que tu penses, mais c'est l'impression que tu renvoies… Pourquoi ne pas simplement être plus franc ? Pourquoi ne pas lui avoir dit que n'as tout simplement pas envie de sortir… Que tu es venu avec ta … Je sais pas moi… Ta conquête du moment ?"

Je grimace au terme de conquête. J'ai l'impression qu'elle me le balance en pleine figure, comme si ce dernier n'était qu'une insulte pour elle.

"– Ce Tom là, vraiment… Je ne l'aime pas. Je ne suis plus si fatiguée, finalement… Je vais prendre l'air…"

Je reste figé, immobile dans la salle de bain. J'ai l'impression qu'elle vient de piétiner mon cœur, de jeter tout ce que nous avons construit ces derniers jours.

Et à vrai dire, je suis blessé qu'elle me considère capable d'enchainer les conquêtes. Il n'y a eu personne, depuis Helena. Juste quelques relations d'un soir, mais qui se comptent sur les doigts d'une main.

Et je ne parviens à bouger qu'au terme de longues secondes. Je referme machinalement le robinet de la baignoire. Puis lorsque je m'élance en direction de la chambre, Emily a déjà son sac à la main.

"- Emily, attends !" je lui attrape le bras, avant même qu'elle n'atteigne la porte de la chambre. "Je t'assure qu'il n'y a strictement rien entre Kelly et moi. Elle a vingt ans, bon sang ! C'est une gamine ! Je vais juste chanter avec elle, comme je l'ai déjà fait à plusieurs reprises."

Je sais pertinemment ce que Kelly essaie de faire. Ce n'est qu'une technique marketing, probablement encouragée par son agent. Une idylle avec moi ne ferait qu'augmenter sa popularité. Et rien de plus.
Mais je suis bien trop vieux pour ce genre de conneries, à présent. Et Emily m'est bien trop précieuse.

"- Nous n'avons pas discuté de ce que nous sommes, l'un pour l'autre, exactement. Tu n'es pas qu'une conquête, Emily. J'ai... J'ai horreur de ce terme. Il n'y a eu presque personne, depuis que j'ai rompu avec mon ex. Et cela n'a rien à voir avec ce que nous partageons. Je n'ai pas corrigé Kelly lorsqu'elle t'a pris pour un ami, car je ne savais pas... Je ne voulais pas utiliser des mots sur lesquels nous ne nous sommes pas mis d'accord. Tu n'es pas une conquête, Emily. Tu n'es pas un boulet. Tu es... "

J'ai du mal à trouver mes mots, et la fatigue y est pour beaucoup. Je suis épuisé, mais je sais aussi que ce n'est pas le moment de m'emmêler dans des explications hasardeuses.

"- J'ai envie de pouvoir dire que tu es ma copine, même si je suis bien trop vieux pour utiliser ce terme. Tu es la femme dont je suis tombé amoureux."

Je relâche son bras, réalisant soudainement que je l'empêchais jusqu'alors de se dérober à moi si elle le souhaitait.

"- J'ai envie de pouvoir parler de toi comme mon amante, comme ma partenaire. Tu es bien plus qu'une simple conquête. Dis-moi simplement quoi faire pour que tu sois à l'aise ici, avec moi. "

J'aimerais faire un pas en avant, la prendre dans mes bras. Mais je ne suis pas certain qu'elle ait envie que je franchisse cette barrière qu'elle a érigée entre nous.

"- Toute à l'heure", je reprends d'une voix plus calme, "tu me demandais pourquoi la femme de Jeff n'avait pas fait le déplacement. Elle a horreur de Las Vegas. Elle préfère nettement le calme de leur villa, sur les hauteurs de Los Angeles. Et toute cette mascarade, la presse, les paparazzis, elle en a eu assez. Elle faisait de la musique, il y a quelques années. Maintenant, elle écrit. Beaucoup. Et ses livres ont du succès. A vrai dire, je l'envie beaucoup. Et Jeff aussi. J'aimerais que nous trouvions cet équilibre, un jour, toi et moi."

Je me sens affreusement mal, et cela est probablement accentué par la fatigue. Mes yeux sont troubles, emplis de larmes qui ne demandent qu'à rouler sur mes joues.

Je n'ai pas la moindre envie de me disputer avec lui, j'éprouve simplement le besoin de m'éloigner et de prendre l'air. Je déteste ce monde… Il me rappelle les sacrifices de mon père. Ce que ma mère et moi avions dû subir pour les besoins de sa foutue carrière… Le fait qu'ils en sont morts en me laissant derrière. Et tout ça pour quoi ? Pour satisfaire une industrie, des inconnus ? Pourquoi donc tout accepter en fermant les yeux ? Pourquoi s'oublier soi-même au profit d'un personnage méprisable qui n'a plus aucun respect pour ses propres besoins, sa propre volonté ?

À travers ses "Je suis navré, je ne peux pas," c'est tout cela que je vois. Et bon sang, ça fait mal. C'est une chose que je ne peux  pas tolérer.

Je suis prête à partir, mais il me retient.

– Emily, attends ! la poigne qui enserre mon bras est douloureuse. Je t'assure qu'il n'y a strictement rien entre Kelly et moi. Elle a vingt ans, bon sang ! C'est une gamine ! Je vais juste chanter avec elle, comme je l'ai déjà fait à plusieurs reprises.

– Je me fiche de cette fille, Tom… je soupire en détournant les yeux.

Ce n'est pas le problème. J'ai entendu suffisamment d'insultes à l'aéroport pour réaliser que ces demoiselles étaient nombreuses à le vouloir dans leur lit. On ne peut strictement rien contre ça et… Merde, il ne s'agit pas d'une vulgaire histoire de jalousie ou de manque de confiance. Je ne suis pas aussi stupide, pas plus je ne suis aveugle.

Je réalise ensuite qu'il a fort mal interprété mes propos et je m'en sens aussitôt désolée. Je le laisse néanmoins finir, livrer le fond de sa pensée jusqu'à ce que la pression sur mon bras disparaisse…Je n'ai même pas besoin de regarder pour savoir que sa poigne me laissera un bleu, une nouvelle marque. L'on dit que la passion fait mal… C'est probablement vrai.

Je le laisse terminer. J'écoute en m'évertuant de mieux le comprendre. J'ai besoin de savoir ce qui se passe.

– Tu dis que tu en as envie mais… Bon sang, Tom, personne ne t'en empêche en dehors de toi !

Bon, d'accord, cette fois ma voix a grimpé de quelques octaves. Ce n'est pas le moment de m'énerver… Il doit encore subir quelques interviews après ça et il est essentiel d'apaiser les tensions.

– Je n'ai jamais dit que je pensais être l'une de tes nombreuses conquêtes, j'ai juste utilisé un terme déjà entendu… je précise en soupirant. Effectivement, nous n'en avons jamais discuté et je ne pensais pas vraiment cela nécessaire. Tu es mon amant, mon partenaire… Mon compagnon. Mon chéri. Mon amour. Mon copain. Mon amoureux. Et je me fiche bien de mon âge, tu es tout ça, Tom.

Voyant qu'il n'ose pas se rapprocher, je le fais pour lui, jusqu'à venir de prendre sa main dans la mienne.

– Ce n'est pas une chose que j'ai décidé… C'est ce que je ressens et je l'accepte… C'est toi que j'accepte, Tom… Le toi que j'ai rencontré et appris à connaître… Pas cette créature stupide et insipide que tu déploies devant ces gens ! Je suis outrée de te voir t'écraser de la sorte… Je ne sais pas ce que tu essaies de prouver à ces gens, mais cela n'a rien à voir avec ton talent.

Je comprends mieux la différence entre les chansons qu'il a écrites et jouées à Castine et celles que j'ai pu entendre sur internet ensuite.

– Je t'aime, Tom… Mais je ne pense pas que nous puissions trouver un équilibre ensemble tant que tu n'en as pas trouvé avec toi-même, je relève ma main jusqu'à sa joue, celle que je viens caresser du bout du pouce. Et l'homme dont je suis tombée amoureuse a tellement plus à offrir que cette pâle copie que tu exhibes… Il a un talent exceptionnel et tellement de choses à raconter. J'aimerais vraiment que tu t'en rendes compte…

Qu'il s'affirme, qu'il assume ses sentiments, ses émotions. Qu'il montre au monde celui qu'il est vraiment… Pas cette chose informe et pitoyable au sourire figé.

– Ce que je ressens pour toi… Je ne l'ai jamais ressenti auparavant. Tu es spécial. Tu as quelque chose que les autres n'ont pas. C'est aussi pour cela que je t'aime. C'est pour ça que je suis ici avec toi. C'est pour ça que je m'accroche à toi…

J'ai beau lui dire tout ceci, je ne fais guère mieux de mon côté. Et c'est sans doute ce qui m'agace le plus dans cette histoire. J'ai bien conscience de mes failles, de mes erreurs… Si j'agis de la sorte envers le monde entier, ce n'est pas par peur d'être rejetée, mais uniquement pour me protéger et ne laisser personne m'atteindre. Tom est le premier à avoir su trouver la faille dans mes remparts. Il est le premier à avoir su toucher mon âme, mon coeur… Ce n'est certainement pas sans raison.

Je veux bien la croire lorsqu'elle me lance qu'elle se moque complètement de Kelly. Mais je ne comprends alors pas où elle veut en venir. Et c'est seulement lorsqu'elle reprend la parole que je comprends enfin ce qui la dérange.

"– Tu dis que tu en as envie mais… Bon sang, Tom, personne ne t'en empêche en dehors de toi !"

Elle a raison. Elle a parfaitement raison. Et je mords la lèvre lorsqu'elle élève la voix. Je ne pensais pas avoir une conversation comme celle-là aujourd'hui, même si je me doutais que mon retour à la réalité allait être plutôt brutal.

Elle m'affirme que je suis son copain, son amant, et plein d'autres mots que je n'avais pas osé employé, de peur de la faire fuir. Mais c'est pour ensuite arriver au cœur du problème.... Et ce, même alors qu'elle s'avance dans ma direction, pour me prendre la main.

"C'est toi que j'accepte, Tom… Le toi que j'ai rencontré et appris à connaître… Pas cette créature stupide et insipide que tu déploies devant ces gens ! Je suis outrée de te voir t'écraser de la sorte… Je ne sais pas ce que tu essaies de prouver à ces gens, mais cela n'a rien à voir avec ton talent."

J'accuse le coup face à cette vérité que je me prends en pleine figure. Je sais qu'elle a raison, que je n'ai fait que me fondre dans un moule froid et vide. Mais ce n'est pas pour autant que c'est facile à entendre. Bien au contraire.

Et je détourne le regard, honteux de ne pas encore être arrivé à dépasser cela.

"– Ce que je ressens pour toi… Je ne l'ai jamais ressenti auparavant. Tu es spécial. Tu as quelque chose que les autres n'ont pas. C'est aussi pour cela que je t'aime. C'est pour ça que je suis ici avec toi. C'est pour ça que je m'accroche à toi…"

J'entends ce qu'elle me dit, mais ce n'est pas pour autant que la blessure qu'elle a ouvert se referme si facilement.

"- Je suis désolé", je murmure au terme de longues secondes durant lesquelles j'ai tenté de trouver autre chose à dire. "Je t'aime, et je suis vraiment désolé."

Et je le suis. Je suis navré de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir à être celui dont elle a besoin, celui qu'elle voit en moi.

"- Je vais essayer de m'imposer davantage. Pour toi. Pour moi. J'ai beaucoup écrit, ces dernières semaines. Je compte bien présenter ces chansons au groupe. Et s'ils refusent... Si Jake refuse... Je trouverai un moyen de les produire autrement. Peut-être avec enfin un album solo."

Et c'est la vérité. J'ai beaucoup réfléchi, ces derniers jours, notamment au sujet de la série de chansons que j'ai pu écrire au cours de ce voyage. Je sais qu'elles ne correspondront pas au style de mon groupe. Mais je n'ai pas pour autant envie de les laisser tomber dans l'oubli. Cela fait des années que je baigne dans ce milieu, suffisamment pour avoir assez de contact dans d'autres maisons de disques. Et notamment dans des petits labels, qui accepteront sans aucun doute que j'enregistre chez eux un album solo.

"- Tu pourras peut-être me peindre une pochette pour cet album, si j'arrive à le faire produire ?"

Puis je perds le sourire qui était venu s'égarer sur mon visage.

"- Vis à vis de Kelly, tu m'avais dit que tu ne voulais être qu'une hallucination collective, Emily. J'ai besoin de comprendre... ce que tu veux, exactement. Je t'aime, et j'ai envie de te présenter comme ma copine, ma partenaire. Je n'ai pas envie de me cacher. Mais es-tu vraiment prête à ça ? Il est probable que j'ai des questions à ton sujet, lors de la conférence de presse de toute à l'heure."

J'ai beau les entendre, je ne comprends pas ses excuses, probablement parce que je les juge parfaitement inutiles. Suis-je donc un bourreau ? Est-ce ainsi qu'il me voit ? Est-ce pour cela qu'il détourne si aisément le regard alors que je m'efforce à maintenir le mien ?

– Je vais essayer de m'imposer davantage. Pour toi. Pour moi. J'ai beaucoup écrit, ces dernières semaines. Je compte bien présenter ces chansons au groupe. Et s'ils refusent... Si Jake refuse... Je trouverai un moyen de les produire autrement. Peut-être avec enfin un album solo.

Je souris à cette idée. Ses dernières chansons sont magnifiques et elles méritent d'être entendues. En revanche, il y a une chose dans sa déclaration qui me chiffonne. Aussi, je décide d'apporter un peu de précision.

– Fais le pour toi, Tom… Uniquement pour toi.

Tout ce travail, ces efforts… Tout cela mérite d'être exposé. C'est un artiste, un véritable poète, pas un vulgaire interprète uniquement capable de prêter sa voix pour raconter les histoires des autres. Il a des choses à dire… De si jolies choses… Et je trouverai dommage que l'on ne lui laisse pas cette chance après toutes ces années de sacrifices.

– Tu pourras peut-être me peindre une pochette pour cet album, si j'arrive à le faire produire ?
– Avec plaisir, je rétorque en souriant.

Les idées pleuvent déjà dans mon esprit même si j'ai encore besoin d'entendre ses chansons pour m'en imprégner totalement.

–Vis à vis de Kelly, tu m'avais dit que tu ne voulais être qu'une hallucination collective, Emily. J'ai besoin de comprendre... ce que tu veux, exactement. Je t'aime, et j'ai envie de te présenter comme ma copine, ma partenaire. Je n'ai pas envie de me cacher. Mais es-tu vraiment prête à ça ? Il est probable que j'ai des questions à ton sujet, lors de la conférence de presse de toute à l'heure.

Ah… Oui… Comment lui exprimer correctement le fond de ma pensée alors que je peine à me comprendre moi-même . Je me fiche totalement de cette Kelly. Après tout, elle a tout à fait le droit d'exister et d'avoir des ambitions ou des envies.

– Ce que je n'ai pas apprécié, c'est que tu lui dises ne pas "pouvoir" venir, alors qu'il aurait été plus juste de dire que tu ne voulais pas y aller… Surtout en précisant que tu n'étais pas seul. Cela laisse sous-entendre que si je n'avais pas été là, tu aurais pu y aller… Je ne tiens pas à être présentée comme… un prétexte.

Je ne suis pas certaine que tout cela soit vraiment clair, mais je ne sais pas comment l'exprimer autrement.

– Je n'ai rien contre le fait d'être présentée comme ta copine. En revanche, il n'est absolument pas nécessaire de parler de ma vie, de mon travail ou même de mon chien. C'est le côté privé que je tiens à préserver, le reste n'a pas grande importance… Même si je doute que ce soit bon pour ta publicité personnelle.

Ses fans sont si nombreux à rêver d'une histoire avec leur idole après tout.

– Tu peux très bien dire : "j'ai une copine, point." Tu as même le droit de dire que c'est du sérieux et que je sais montrer les dents quand c'est nécessaire, j'ajoute en souriant. Mais tout le reste… On le garde pour nous, c'est tout ce que je demande.

Je ne participerai à aucune interview et je me ferai aussi discrète que possible.

– Mon père avait coutume de dire que les journalistes étaient gourmands. Plus on leur donne des infos, plus ils en veulent… Il suffit donc de leur couper les vivres. Qu'ils parlent de ta musique, pas de vie. Tu as totalement le droit de refuser de répondre à certaines questions. Ne te laisse pas faire…

"– Fais le pour toi, Tom… Uniquement pour toi."

"- Pour toi aussi", je persiste. "J'ai envie d'être l'homme que tu vois en moi."

Au sujet de Kelly, je réalise bien que Kelly en elle-même n'est pas la question, et j'écoute attention les explications d'Emily.

"- Tu n'es pas un prétexte, Emily. Mais je me suis effectivement mal exprimé. Je mettrai les choses au clair avec Kelly, toute à l'heure."

Et je ne peux m'empêcher de sourire lorsqu'elle aborde le sujet délicat de la révélation de notre relation à la presse, même si cette dernière est déjà plus qu'au courant.

"– Tu peux très bien dire : "j'ai une copine, point." Tu as même le droit de dire que c'est du sérieux et que je sais montrer les dents quand c'est nécessaire."

J'éclate de rire à cette remarque.

"- Mais tout le reste… On le garde pour nous, c'est tout ce que je demande."

"- Ca me va parfaitement."

"– Mon père avait coutume de dire que les journalistes étaient gourmands. Plus on leur donne des infos, plus ils en veulent… Il suffit donc de leur couper les vivres. Qu'ils parlent de ta musique, pas de vie. Tu as totalement le droit de refuser de répondre à certaines questions. Ne te laisse pas faire…"

"- Je vais t'embaucher comme coach pour me motiver, en plus d'illustratrice sur mon album", je plaisante vis à vis de sa dernière phrase. "Mais promis, je resterai sur le strict nécessaire. Juste assez pour que le monde soit au courant que je ne suis plus célibataire, et surtout que c'est du sérieux. Quand à montrer les dents..."

Je me penche pour l'embrasser doucement.

"- Je demande à voir", je lui chuchote ensuite.

Et je pose mon front contre le sien, avant de fermer les yeux. Je suis épuisé, et cette conversation ne m'a pas aidé à me détendre.

"- Je n'aime pas lorsqu'on se dispute", je soupire. "Mais tu as parfaitement raison de me secouer, de temps en temps."

Lorsque mes paupières se soulèvent ensuite, je lui souris timidement. Emily est sans aucun doute l'étincelle qui me manquait dans ma vie, ce catalyseur qui me donne envie de devenir la meilleure version de moi-même. La transformation ne sera pas facile, et je n'ose même pas imaginer tous les obstacles qui se mettront sur ma route. Mais j'ai tout de même hâte de faire mes premiers pas en direction de ce futur que je commence tout juste à apercevoir à l'horizon.

"- Maintenant, que dirais-tu de prendre un bain, à moins que tu souhaites que je te laisse un peu seule ?"

Elle donnait vraiment l'impression d'avoir besoin de prendre l'air, toute à l'heure. Et je ne veux en aucun cas la forcer à quoique ce soit.

Mon regard tombe plus bas, et j'écarquille les yeux en notant la marque rouge que j'ai laissée sur son bras.

"- Je suis tellement désolé !" je m'exclame en attrapant son bras pour examiner cette trace. "Je ne voulais pas te faire mal."

On voit presque le détail de mes doigts, et je m'en veux horriblement. Je ne m'étais pas rendu compte de la force que j'avais mis pour la retenir.

"- Dis-moi, la prochaine fois", je bafouille avant de déposer un baiser sur sa peau rougie. "Je te promets que je ne suis pas quelqu'un de violent. Je t'autorise même à me donner un bon coup de genoux entre les jambes si jamais ça se produit à nouveau."

Les marques de notre passion partagée sont encore visibles sur la jonction entre son cou et ses clavicules. Et avec cette marque en plus sur son bras, je vois déjà des rumeurs filer au sujet de ma vie romantique, et surtout de mes exploits entre les draps. Et surtout, je n'ai pas vraiment envie qu'Emily soit ainsi impliquée dans de tels racontars.

– Pour toi aussi. J'ai envie d'être l'homme que tu vois en moi.

Je me doute bien qu'il ne faut pas prendre les mots au pied de la lettre ici, pourtant cette phrase me perturbe.

– Si je le vois, c'est que tu l'es déjà… non ? je rétorque en haussant un sourcil perplexe. En tout cas, tu l'es avec moi.

Le problème en réalité vient du fait qu'on lui a toujours laissé croire qu'il se devait de dire amen à tout. C'était peut-être vrai au début de sa carrière, alors que son groupe était inconnu et invisible aux yeux du public… Cependant, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Je n'ai pas encore rencontré son agent, mais je sens que je risque fort de ne pas l'apprécier. J'ai l'impression que cet homme le traite comme une vulgaire marionnette et ce n'est pas quelque chose que je peux supporter.

– Je vais t'embaucher comme coach pour me motiver, en plus d'illustratrice sur mon album. Mais promis, je resterai sur le strict nécessaire. Juste assez pour que le monde soit au courant que je ne suis plus célibataire, et surtout que c'est du sérieux. Quand à montrer les dents…Je demande à voir.

Je ne sais pas ce qui me fait le plus frissonner. Le baiser, le son de sa voix quand il murmure, son regard ou bien les sous-entendus… Sans doute un mélange de tout ça. Quoiqu'il en soit, la sensation de son front posé sur le mien m'apaise totalement.

– Je n'aime pas lorsqu'on se dispute. Mais tu as parfaitement raison de me secouer, de temps en temps.
– Je n'aime pas ça non plus…

D'autant plus que je ne me dispute jamais avec personne. Je dis ce que j'ai à dire lorsque quelque chose me heurte, mais la déclaration est généralement suivie par un immense silence que je ne cherche jamais à briser. Je suis ensuite totalement incapable de parler à la personne. Comme si les mots restaient bloqués dans ma cage thoracique.

Je ne tiens pas à ce qu'une telle chose se produise avec lui. Je préfère encore les disputes aux silences. C'est la preuve que, malgré nos désaccords, nous avons encore quelque chose à nous dire. Que ce "nous deux" est encore possible.

– Maintenant que dirais-tu de prendre un bain, à moins que tu souhaites que je te laisse un peu seule ?

Je pouffe.

– Je pense que, ce bain, tu devrais le prendre seul. Pas parce que je ne veux pas le prendre avec toi, mais parce que tu es clairement épuisé et que je sais parfaitement que tu ne pourras jamais te tenir si l'on se retrouve tous les deux nus au même endroit, je murmure avant de déposer un baiser sur le bout de son nez.

Mieux vaudrait qu'il se repose pour être en état d'affronter la suite. Nous aurons bien le temps de nous retrouver plus tard.

Ses yeux s'écarquillent à la vue du bleu qui commence à se former sur mon bras. Sans doute ne s'est-il pas rendu compte de la force qu'il a pu placer dans sa poigne.

– C'est bon, ne t'en fait pas. Il n'y a pas de quoi crier à la femme battue juste avec ça, lui dis-je pour le rassurer avant d'ajouter sur le ton de la plaisanterie. Je vais peut-être m'en faire un tatouage tiens.

Je m'empare de ses lèvres, désireuse de clore cette conversation… Et notre dispute, par la même occasion.

– File effacer les dernières marques de ce voyage et repose-toi. Quelque chose me dit que tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour affronter la suite.

Je fais la moue lorsqu'elle me lance que je devrais prendre un bain seul, pour éviter que les choses ne dérapent. Je sais qu'elle n'a pas tort, mais ce n'est pas pour autant que ça me plait.

"- Tu es beaucoup trop raisonnable", je marmonne tout de même, juste pour la forme.

Elle n'a pas l'air d'être particulièrement gênée par ce bleu qui la marquera pourtant quelques jours. Elle plaisante même à ce sujet.

"- Je vais peut-être m'en faire un tatouage tiens."

J'écarquille les yeux, et mon sourire est plaqué contre ses lèvres lorsqu'elle m'embrasse. C'est une réaction purement masculine, mais la simple idée d'encrer sur sa peau une marque qui m'appartient réveille en moi une partie beaucoup plus primaire. Je soupire contre ses lèvres.

Lorsqu'Emily recule, je suis prêt à l'embrasser à nouveau. Mais elle calme aussitôt les choses.

"– File effacer les dernières marques de ce voyage et repose-toi. Quelque chose me dit que tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour affronter la suite."

J'ai un sourire coupable, et je lui vole un baiser, avant d'acquiescer.

"- Très bien. Mais n'hésite pas à me rejoindre si tu changes d'avis."

J'ôte sans attendre ma veste et ma chemise, me laissant torse-nu. Et je dédie à Emily un clin d'œil et un sourire charmeur avant de disparaître en direction de la salle de bain.

La baignoire se remplie rapidement, et je ne perds pas de temps, ôtant un à un le reste de mes vêtements, pour enfin glisser dans cette eau chaude et parfumée.

Je ferme les yeux, et m'étire paresseusement. Je ne m'étais pas rendu compte d'à quel point j'en avais besoin. Je suis vraiment fatigué. Epuisé, même. Et je sais que la conférence de presse à laquelle je dois assister ensuite n'aura pour effet que de me rajouter une couche de fatigue en plus.

Je somnole un long moment dans le bain. Jusqu'à ce que l'eau commence à tiédir. Et lorsque j'en sors enfin, je me sèche sans attendre. Puis je m'étire une nouvelle fois, en souriant aux craquements de mon dos. Je suis encore fatigué, mais je me sens déjà mieux.
Je croise mon regard dans le miroir, et je grimace aux cernes bien visibles sous mes yeux. Jake aura probablement embauché quelqu'un pour nous maquiller, ne serait-ce que pour s'assurer que tout le monde soit présentable pour quelques photos.

Et je souris largement en examinant un instant mon dos. Les marques des ongles d'Emily sont encore bien présentes. Je ne les sens plus du tout, par contre. J'aurais presque envie qu'elle s'accroche à nouveau à moi de cette manière, ne serait-ce que pour emporter avec moi une sensation de ses mains sur ma peau. Mais je sais également que ce n'est pas raisonnable. Pas maintenant.

Un coup d'œil à l'horloge de la salle de bain m'indique qu'il me reste encore une petite heure avant de devoir être présentable. Juste assez pour fermer un peu les yeux.

Ignorant mes vêtements posés en boule dans un coin de la pièce, j'enfile simplement un des peignoirs épais accrochés dans la pièce.

"- La salle de bain est libre", j'annonce en sortant de cette dernière.

Et je m'empresse d'aller m'affaler sur le lit. Ce dernier est grand, et je m'enfonce dans la couette posée sur le dessus, la tête contre un oreiller moelleux.

"- Que tout le monde m'oublie. Je ne bouge plus durant les trois prochains jours", j'annonce en un soupir.