– Tu es beaucoup trop raisonnable, marmonne-t-il en faisant la moue… Une expression évoquant celle d'un gamin auquel on aurait retiré son jouet et qui me fait beaucoup rire.

– Oui… Il faut bien que l'un de nous deux le soit, je rétorque en souriant avant de déposer un autre baiser sur ses lèvres.

J'adore son sourire et la lueur dans son regard lorsque j'évoque le tatouage… Je commence même à me dire que c'est peut-être une bonne idée finalement… Un petit quelque chose de lui sur ma peau, quelque chose d'immortel, d'impérissable. Je sais, c'est étrange de penser cela, surtout d'une marque correspondant à un bleu créé par la précipitation et la peur de me perdre. Mais, c'est plus fort que moi…

Je finis néanmoins par le renvoyer dans la salle de bain dans laquelle je le laisse seul. Je ne réponds pas le moins du monde à sa tentative de provocation - même si ce n'est pas si facile à ignorer - et je me contente de sourire… Tout en observant, du coin de l'œil, les quelques parties de son anatomie qu'il m'expose… En particulier son dos.

"Ok, ma fille… T'es vraiment pas normale", me dis-je avant de fouiller dans mon sac pour en sortir mon carnet et mes crayons. Ce que j'esquisse sur ma feuille est plutôt abstrait. A première vue, cela ne ressemble pas à grand-chose mis à part des formes indistinctes. C'est le résultat visible de mon esprit vaporeux. De mes idées brouillées et entremêlées par la fatigue et tout ce que je peux ressentir en ce moment. Je ne compte pas en faire quoique ce soit. Je m'occupe tout simplement afin de ne pas rester sans rien faire jusqu'à ce que la salle de bain ne se libère.

– La salle de bain est libre, m'annonce-t-il juste avant de se laisser tomber comme une masse sur le lit. Que tout le monde m'oublie. Je ne bouge plus durant les trois prochains jours.
– Si tu y tiens, je pouffe en me relevant pour me débarrasser de mes vêtements.

Je lui lance un grand sourire et disparaît dans la salle de bain. Je décide de prendre une simple douche finalement. De quoi me débarrasser des souvenirs et des odeurs de l'avion. Cela ne me prend que quelques minutes avant que je ne sorte pour me sécher et enfiler un jean et un chemisier qui pourra recouvrir les quelques marques présentes sur ma peau…

Après cela, je retourne dans la chambre et reprend ma place devant mon carnet. Je tourne la page et commence à le dessiner lui…Endormi sur ce lit beaucoup trop grand. J'aime déposer ses traits détendus sur le papier… A dire vrai, je n'ai même plus besoin de le regarder. Je l'ai tellement observé que je saurais parfaitement le dessiner de mémoire. Ai-je déjà autant admiré quelque chose ou quelqu'un auparavant ? Certainement pas… Même esquisser un coucher de soleil exige quelques coups d'œil de ma part…

Finalement, je le rejoins dans le lit. Je me couche à l'extrémité opposée afin de ne pas le déranger. Je ferme à peine les yeux lorsque l'on frappe à la porte…

– Youhou, Toooooom. C'est Kelly…

Et elle frappe de nouveau. J'hésite à me lever pour lui répondre puis je décide de ne rien faire. Après tout, elle fait suffisamment de bruits pour attirer l'attention du dormeur allongé à côté de moi…

– Tom ! Pourquoi tu as éteint ton téléphone ?

Finalement, je crois bien que je ne l'aime pas trop, celle-ci.

Je ne lâche pas Emily du regard tandis qu'elle ôte un à un ses vêtements. C'est un spectacle qui me fait toujours ce même effet. Mon cœur qui s'accélère, et cette chaleur qui se propage dans mon ventre.
Mais cette fois, la fatigue l'emporte sur l'envie d'aller plus loin.
Lorsqu'elle disparaît dans la salle de bain, je ne cède plus au sommeil qui m'appelle.

Je suis réveillé par quelqu'un qui tambourine de manière très insistante à la porte de la chambre. Un bruit qui s'insinue progressivement dans mon sommeil, jusqu'à devenir trop présent pour que je parvienne à l'ignorer.

Je grogne dans mon oreiller. Je me sens bien. Beaucoup trop bien. Je n'ai vraiment pas envie de bouger.

Puis les dernières heures me reviennent en mémoire. L'avion, l'aéroport, et puis cette conférence de presse à laquelle je suis censé assister.

J'ouvre les yeux d'un air catastrophé, et je me redresse dans le lit. Est-ce que je suis en retard ?

Mais l'horloge sur le mur m'indique qu'il me reste encore une grosse demi-heure. Assez pour que personne ne vienne me déranger.

"- Qu'est-ce qui se passe ?" je marmonne en me rallongeant, cette fois contre Emily.

Je dépose un baiser sur sa tempe, et hume son parfum. Elle sent le gel douche, et cette odeur que j'associe à elle. A Emily. A nos deux corps emmêlés l'un dans l'autre, et...

"– Tom ! Pourquoi tu as éteint ton téléphone ?"

Ma main gauche, qui était occupée à se glisser dans la nuque d'Emily, se fige. Et je jure à mi-voix. Je connais ce timbre de voix. Je le reconnais même un peu trop bien.

Kelly.

"– Tooom ! Tu es là ?"

"- Tu crois que si je l'ignore, elle me laissera tranquille ?" je murmure à l'attention d'Emily avant de l'embrasser doucement.

Je suis déçu de constater qu'elle a déjà enfilé des vêtements. Je suis encore vêtu uniquement de ce peignoir, qui s'est dénoué durant mon sommeil. Suffisamment pour ne plus dissimuler grand chose.

Les coups contre la porte continuent. Et je me décide enfin à me relever.

Je note au passage le carnet de croquis d'Emily, qui traine sur le lit. Il est ouvert sur une page en particulier, et je me reconnais aisément dans le dessin qui y est représenté. Je m'arrête un instant, pour le détailler avec un sourire ému.

Et les coups contre la porte reprennent.

"- Tom ! Tu dors ?"

"- On ne peut même plus être tranquille", je soupire.

Je réajuste le peignoir sur mes épaules, et m'assure de bien le refermer. Il serait ridicule de donner de fausses idées à Kelly. Quoique...

Je lance un sourire amusé à l'attention d'Emily, puis je me dirige vers la porte de la chambre.

Je l'entrouvre, interrompant Kelly qui s'apprêtait à frapper à nouveau.

"- Kelly, que puis-je faire pour toi ? La conférence de presse a-t-elle été avancée ?"

Je note le sourire qu'elle me lance, mais qui me paraît presque forcé en comparaison de ceux d'Emily. Je n'avais pas vu Kelly depuis quelques mois. Elle était alors considérée comme l'étoile montante de la pop. Son statut a l'air de s'être consolidé depuis, du moins si je peux en juger par le côté clinquant de ses bijoux, et provocateur de ses vêtements.

Elle me détaille de haut en bas, et son sourire s'accentue un peu plus.

"- Jake ne m'a rien dit", fit-elle en haussant les épaules. Et elle joue avec une des mèches de ses longs cheveux teintés en blond. "Tu as éteins ton téléphone, Tom. J'ai essayé de te joindre, vis à vis de ce soir."

"- Je t'ai dit que je ne venais pas."

"- Tu dois venir, Tom !" insiste-t-elle pourtant. "Tu dois retrouver la civilisation ! Ne me dis pas que tu as envie de rester enfermé ici alors que tu pourrais sortir à Vegas... Avec moi ?"

"- Je suis occupé, Kelly."

Je jette un bref coup d'œil à l'intérieur de la chambre. La porte n'est pas suffisamment ouverte pour que Kelly puisse voir Emily, et je lance à cette dernière un sourire que j'espère rassurant.

"- Et ce soir je préfère rester à l'hôtel. Avec ma... ma compagne."

"- Ta compagne ?"

Le sourire de la jeune femme est soudainement moins assuré.

"- Ma copine", je précise. "On se voit toute à l'heure pour la conférence de presse. Il faut que je me prépare."

Je referme la porte sans lui laisser le temps de me répondre. Et je verrouille cette dernière. J'imagine déjà très bien le regard outré de Kelly de l'autre côté de la porte. Elle en parlera probablement à Jake. Mais pour l'heure, je me contente de sourire avec satisfaction.

"- Je crois que cette fois elle a compris le message".

Je retourne en direction du lit, pour embrasser Emily.
Puis je jette un coup d'œil à cette horloge qui me nargue toujours plus.
Il va falloir que je me prépare.

Je ne mets guère de temps à rassembler quelques affaires. Une chemise au tissu léger, que je mets d'ordinaire sous une veste de costume. Et puis un pantalon habillé, pour aller avec. Ne reste plus que des chaussures en cuir, pour compléter ce look. Parfait pour une interview.

Je dénoue le peignoir, et l'abandonne sur le lit avec au passage un clin d'œil à l'attention d'Emily.

Puis j'enfile mes vêtements un à un. Je me sens presque un peu à l'étroit dans ces derniers. Je m'étais un peu trop habitué à un jean et à des t-shirts ou chemises plus confortables.

"- Qu'en dis-tu ?" je lance à Emily une fois que j'ai terminé.

Je passe une main sur ma mâchoire, sur laquelle s'étale une barbe de plusieurs jours. J'avais l'habitude d'être parfaitement rasé, jusqu'à présent. Et ce n'est qu'au cours de ce road-trip que je me suis autorisé à un peu plus de liberté.

"- Je crois que je vais garder la barbe", je marmonne distraitement. "Juste cette longueur."

La demoiselle derrière la porte continue son petit manège. Inutile de me dire que cette dernière est chanteuse. Je le comprends en constatant ses extraordinaires capacités pulmonaires que je trouve franchement agaçantes. Tom finit, évidemment, par ouvrir les yeux. Le pauvre semble légèrement désorienté. Je sais que j'aurais très bien pu éviter cela en ouvrant la porte moi-même, mais ne sachant pas ce qu'il voulait lui dire ou non, je n'ai pas osé.

–Qu'est-ce qui se passe ?

Pour toute réponse, je me contente de hausser les épaules. Je ne sais pas vraiment quoi dire après tout… Je sais juste qu'une demoiselle aux abois ne cesse de tambouriner à la porte. L'espace d'un instant, je ne m'en préoccupe plus. Tom est tout contre moi, sa peau est chaude et il sent divinement bon… Je meurs d'envie de me laisser aller à quelques caresses empreintes de douceur et de tendresse… De retrouver le petit monde que nous avons construit ensemble…

– Tu crois que si je l'ignore, elle me laissera tranquille ?
– J'en doute… Elle a l'air très … euh… déterminée ?

J'éviterai de parler de harcèlement, même si cela commence fort à y ressembler. Il finit donc par m'abandonner pour se diriger lentement vers la porte qui tremble presque sous les coups de la starlette. Je ne vois rien mais j'écoute la conversation, venant m'allonger sur le ventre, le visage appuyé contre mes paumes.

Je souris en l'entendant s'étrangler avec le mot "compagne"... Peut-être devrais-je en tirer une honte quelconque, mais je me sens bien trop fière pour tout ça. Il est à moi et je suis à lui…

– Je crois que cette fois elle a compris le message.
– Peut-être, mais je ne suis pas certaine que c'est ce qui la fera renoncer…

Je me laisse rouler sur le dos pour mieux accueillir son baiser. J'aimerai pouvoir faire durer ce dernier, mais le temps presse. Alors je me redresse, enserrant mes jambes contre ma poitrine pour l'observer. Je ne prête aucune attention aux vêtements qu'il a choisi. C'est son corps que j'admire… Ses muscles que j'ai pu sentir glisser sous mes mains… Je peux presque ressentir la chaleur et la douceur de sa peau.

– Qu'en dis-tu ? me demande-t-il une fois habillé.
– Pas mal, je réponds tout en me mordillant la lèvre. Mais je pense que je te préfère sans rien du tout…

Je dis cela uniquement pour le taquiner parce que je dois bien avouer le trouver extrêmement séduisant dans cette tenue. A côté de lui, je dois ressembler à une pauvre fermière totalement dépourvue du moindre charme.

– Je crois que je vais garder la barbe. Juste cette longueur.
– Je t'interdis de te raser, lui dis-je en venant le rejoindre pour ajuster le col de sa chemise. Je l'aime beaucoup trop.

Je dépose un tendre baiser sur ses lèvres.

– Tu es parfait, j'ajoute avant de me rasseoir sur le bord du lit. Tu as une idée du temps que cela va prendre ? Histoire de savoir si je dois t'attendre ici ou si je peux aller faire un tour.

Je pourrai en profiter pour visiter une galerie ou deux. Je suis toujours curieuse de découvrir ce que les autres artistes proposent.

"– Pas mal. Mais je pense que je te préfère sans rien du tout…"

"- Tu ne m'aides vraiment pas à rester raisonnable..."

J'ai envie d'embrasser cette lèvre qu'elle est en train de mordiller. Surtout en considérant le regard qu'elle pose sur moi, comme si elle me déshabillait juste avec ses yeux.

Je frissonne quand elle se lève pour venir ajuster le col de ma chemise.

"– Je t'interdis de te raser. Je l'aime beaucoup trop."

"- A tes ordres", je lui réponds d'une voix rauque.

Ce n'est pas le moment de me laisser distraire. Mais le baiser qu'elle pose ensuite sur mes lèvres est telle une délicieuse promesse. Et je m'y accroche un peu trop longtemps, glissant une main dans son dos.

"– Tu es parfait."

"- Hmm", je murmure contre sa mâchoire. "Je crois surtout que nous sommes parfaitement assortis l'un avec l'autre."

Elle s'arrache à mon étreinte, pour se rassoir sur le lit, m'empêchant de reprendre possession de ses lèvres.

"- Tu as une idée du temps que cela va prendre ? Histoire de savoir si je dois t'attendre ici ou si je peux aller faire un tour."

"- Au moins deux heures, je dirais. Peut-être plus ? En comptant le maquillage, la conférence de presse en elle-même, et quelques photos. Et Jake voudra probablement s'entretenir avec nous."

Je grimace rien qu'à l'idée de le voir.

"- Donc surtout, n'hésite pas à aller te promener si tu le souhaites."

Nous avons tous les deux une clé de la chambre, et il serait donc ridicule qu'elle reste coincée ici en m'attendant.

"- Je t'appellerai dès que ce sera terminé", je lui promets. "Et je garde mon téléphone à portée de main, si tu as le moindre souci."

Je ne suis pas très à l'aise avec Vegas de manière générale. Et même si Emily m'affirme être déjà venue ici, je ne suis pas très à l'aise à l'idée de la savoir se promener toute seule dans cette ville. Je préfère être certain qu'elle soit en mesure de me contacter si besoin.

A ce sujet, je récupère mon téléphone, et je rallume ce dernier. Kelly m'a envoyé une dizaine de sms, et je note plusieurs appels en absence de sa part. Je supprime ses messages sans même prendre le temps de les lire.

Ne reste qu'un message de Jake, qui me rappelle de ne pas être en retard.

Je lève les yeux au ciel, et je range mon téléphone dans la poche de mon jean.

Je fais un bref détour par la salle de bain, pour me coiffer rapidement. Puis je rejoins Emily, lui tend une main pour qu'elle se lève à nouveau, et passe mes bras autour de sa taille, avant de l'embrasser sur les lèvres.

"- Au moins, tu pourras passer complètement inaperçue, si je ne suis pas avec toi."

Je dépose un baiser sur sa joue.

"- Je suppose qu'il est inutile que je traine davantage", je soupire. "Je risquerai d'être en retard."

Je la serre contre moi, et enfouis un instant mon nez dans ses cheveux. C'est bête à dire, mais nous avons été presque tout le temps ensembles ces derniers jours. Et l'abandonner juste quelques heures est un effort qui me parait démesuré.

Je lui vole un dernier baiser, lui glissant au passage un "Pour me donner du courage".

Et enfin, je fais quelques pas en arrière, en direction de la porte de la chambre.

Lorsque cette dernière se referme derrière moi, je remets machinalement le masque qui va avec ce personnage que je m'apprête à jouer. Celui du chanteur célèbre.

Je retrouve Jeff dans le hall de l'hôtel, ainsi que notre bassiste Peter, et notre deuxième guitariste Frank. Je salue les deux derniers d'un signe de tête. Peter me répond à peine, les yeux fixés sur son téléphone. Ses cheveux châtains sont une fois de plus plaqués arrière, avec probablement un pot et demi de gel. Et il porte comme toujours une veste en cuir, accompagnée d'un élégant pantalon étroit.

Frank me sourit par-dessus ses lunettes de soleil, dont il ne se sépare presque jamais. Ses cheveux longs sont noués en un chignon sévère, et il porte un très élégant costume trois pièces. Au point que je me demande comment il fait pour ne pas avoir trop chaud.

"- Tu portes la barbe, maintenant, Tom ?" me taquine-t-il.

J'hausse les épaules.

"- Il paraît que ça me va bien."

J'ignore le coup d'œil moqueur que me lance Jeff. Lui et moi faisons facilement une tête de plus que les autres membres du groupe, et j'espère donc que les deux autres ne prêteront pas trop attention au rouge qui orne mes joues.

Nous nous redressons tous les quatre lorsque la voix de Jake retentit dans le hall de l'hôtel. Il est accompagné de Kelly. Cette dernière me lance un clin d'œil. Et je sais par avance que les prochaines heures vont être très longues.

"- Tom ! Te voilà enfin ! Je compte sur toi pour être à la hauteur. Kelly t'a remplacé sur toutes les répétitions que nous avons fait jusqu'à présent. Mais maintenant il va falloir que tu te bouges pour rattraper ton retard. Il y a cette nouvelle chanson dont il faut que nous discutions, toi et moi."

Jake me tape dans le dos, comme s'il saluait un vieil ami.

Quelques minutes plus tard, après une pause pour être maquillé "pour cacher tes cernes, Tom ! Tu étais censé te reposer !", me voilà qui entre dans la salle où nous regroupés les journalistes. Je suis éblouis par les flashs, mais je me force à sourire.

Les prochaines heures vont être longues...

Hm… Si je fais un rapide calcul dans ma petite tête, il en a au moins pour quatre heures, et pas seulement deux. Je ne connais pas très bien son monde, mais je sais parfaitement qu'il faut généralement doubler le nombre annoncé quand il s'agit d'une durée estimée. Quatre heures, c'est long… Beaucoup trop pour rester enfermé dans une chambre, quand bien même fusse-t-elle gigantesque. Je préfère encore aller me balader, même si je déteste cette ville. Cela me permettra, au moins, de ne pas devenir totalement folle.

–Je t'appellerai dès que ce sera terminé. Et je garde mon téléphone à portée de main, si tu as le moindre souci.

J'acquiesce simplement, lui offrant un sourire au passage avant de m'assurer que mon propre téléphone est bien dans mon sac. J'espère ne pas avoir à m'en servir. Je suis peut-être déjà venue ici, mais ce n'est pas pour autant que je connais cette ville par cœur… Je décide de m'en référer au chauffeur de taxi que je compte contacter avant de sortir.

– Au moins, tu pourras passer complètement inaperçue, si je ne suis pas avec toi.
– Pas sur que cela compense le manque de ta personne, dis-je en soupirant de façon purement exagérée.

L'heure est venue pour lui de me laisser et de vaquer à ses occupations. Je lui souhaite bon courage avant de contacter la réception pour commander un taxi. Lorsque le téléphone sonne pour m'annoncer son arrivée, je descends dans le hall pour y déposer ma clé. Hors de question de me trimbaler avec elle dans la poche, je pourrai facilement la perdre…

Je demande au chauffeur de me déposer devant une galerie à la mode, ne sachant pas trop quoi demander d'autre… Il me dépose donc devant l'Art Square… Ce qui n'est évidemment pas une galerie, comme son nom l'indique. Qu'importe après tout. Je ne suis pas spécialement amatrice de Street art, mais
Je découvre quand même quelques œuvres très intéressantes. Je discute rapidement avec quelques artistes qui me parlent brièvement de leurs projets passés et futurs. Certains me paraissent prometteurs, d'autres un peu trop… Obscures dirai-je. Disons plutôt que j'ai bien du mal à visualiser ces choses envers lesquelles je suis si peu familière.

Je me promène ensuite dans le quartier où le Street art est finalement partout. L'endroit est animé. Les gens flânent sans être particulièrement pressés par le temps. Je note qu'il y a beaucoup de touristes… Nombreux se sont déplacés pour le concert des Halo N Black. Je m'offre un café à emporter et décide de le boire en extérieur. Le soleil brille comme nul part ailleurs… À voir tous ces immenses bâtiments, on oublie vite que la ville se trouve en plein milieu du désert après tout. J'observe les gens tout en dévorant un beignet au sucre. Après cela je reprends ma route et m'adonne à mon activité préférée : je me perds.

Sauf que cette fois, je me perds vraiment… Et c'est totalement ma faute. J'avance au hasard sans vraiment faire attention de l'endroit d'où je viens. Au début, je ne m'en inquiète pas vraiment, j'ai mon téléphone et la carte du taxi dans mon sac… Sauf que… Je n'ai plus mon sac. J'ai dû l'oublier sur le banc. Je ne panique pas et me contente de retourner sur mes pas … Mais c'est peine perdue. Je pousse un grand soupire puis je décide de rentrer dans une boutique pour leur emprunter leur téléphone afin de joindre un taxi. Heureusement, un vieux disquaire accepte ma demande. Il fait nuit lorsque le chauffeur se gare devant la boutique, mais quand il me demande à quel hôtel il doit me ramener… Mon cerveau bloque totalement…

– Merde… cette fois, je me permets de paniquer. Juste un petit peu.
– Alors ma jolie ? J'ai pas toute la journée.
– Pardon, j'ai oublié son nom… J'ai noté toutes les infos sur mon bloc note mais… Il est dans mon sac et… J'ai perdu mon sac…
– Attends, ça veut dire que tu ne peux pas me payer ça ?
– Mais si, ne vous inquiétez pas. Mon copain vous paiera…
– Bah voyons, on me l'a déjà faite celle-là. Descend de ma caisse.
– Mais… Attendez je…
– Descend !

Voyant qu'il ne servirait à rien d'insister, je quitte le véhicule et le regarde s'éloigner… Pour autant, je refuse de me laisser aller. Je peux toujours me rendre à un poste de police… Eux, ils m'aideront forcément.

La conférence de presse commence assez mal. Surtout lorsque Jake nous annonce que cette dernière va être diffusée en direct. Sur internet, et à la télévision. Autant dire que ce n'est pas le moment de dire des choses qui risqueront de le fâcher.

Je m'installe dans un des canapés mis à notre disposition. Jeff se laisse tomber à ma gauche, et Kelly s'empresse de prendre place à ma droite.

L'interview commence d'une manière parfaitement habituelle, avec Jake qui mène la discussion, et qui revient notamment sur la tournée mondiale qui s'est terminée il y a quelques mois. Puis le concert à Las Vegas est au cœur des discussions, notamment vis à vis du côté grandiose de ce dernier. Je contente de laisser mes amis commenter à ce sujet, m'enfonçant un peu plus dans le dossier du canapé.

J'ai un peu l'impression de ne pas être à ma place. De ne plus être à ma place.

Et lorsqu'un des journalistes s'adresse à moi, mon sourire est peut-être un peu forcé.

"- Et vous Tom, je peux vous appeler Tom ? Vous étiez en voyage, n'est-ce-pas ? Une volonté de vous éloigner un peu du groupe ?"

"- Juste un besoin de me reconnecter avec moi-même", je réponds d'un air parfaitement calme. "Rien de plus."

"- Et avez-vous réussi ?"

Je laisse cette fois un sourire un peu plus franc se dessiner sur mes lèvres.

"- En quelques sortes. J'ai vu du pays. J'ai beaucoup écrit. Notamment quelques nouvelles chansons que je..."

"- Et vous avez rencontré beaucoup de monde, n'est-ce-pas ?", me coupe le journaliste.

Je fronce les sourcils.

"- Oui, bien évidemment. De belles rencontres. Cela m'a fait du bien de revenir à des interactions plus authentiques. Et d'oublier un peu la scène."

Mais je me rends bien compte que le journaliste n'a rien écouté de tout ça. Ce n'est pas ce qu'il attend. Et lorsqu'il me pose enfin la question fatidique, je fais de mon mieux pour garder une expression parfaitement neutre.

"- Et qu'en est-il de la jeune femme avec laquelle vous avez été aperçu ?"

Je le dévisage sans un mot, avant de reprendre la parole, conscient qu'il attend une réponse.

"- Que voulez-vous dire ?"

J'ai conscience du regard agacé que Jake me jette, mais je fais de mon mieux pour l'ignorer. Tout comme la main que Kelly a posé sur mon genou.

"- Pouvez-vous nous donner plus de détails à son sujet ? Cela signifie-t-il que vous vous êtes enfin remis de votre rupture avec le mannequin Helena Antonorov ? Je sais que votre séparation a attristé nombre de vos fans."

Je sais que c'est parfaitement faux. Ou du moins, ceux qui ont mal pris la nouvelle avait une vision idéalisée de notre couple. Ils voyaient le pouvoir, l'argent, le succès. Mais rien à voir avec cet attachement qui s'était atténué au fil du temps, pour ne laisser place qu'à un désir partagé qui ne suffisait même plus à nous rapprocher.

"- Je peux simplement vous dire que je suis en couple, et que c'est du sérieux. Ma compagne souhaite garder son identité secrète, et..."

"- Est-ce vrai qu'il s'agit de la fille de David Greene ? Vous aviez cité ce dernier dans plusieurs de vos interviews, indiquant qu'il faisait partie de ceux qui vous avaient donné envie de vous mettre à la musique."

Je gigote sur le canapé. Je n'ai vraiment pas envie de parler de tout cela.

"- Je ne souhaite pas m'exprimer à ce sujet. Cela n'a rien à voir avec notre musique, et..."

"- Pourtant David Greene fait partie de vos sources d'inspiration. Qu'en pense sa fille ? Est-elle une fan de votre groupe ?"

Le journaliste m'interrompt une nouvelle fois, et je jette un coup d'œil à l'attention de Jake, le suppliant de me sortir de cette impasse. Mais il me fait signe de continuer.

"- Je suis désolé, mais je préfère garder mon couple privé. Après tout, si je vous disais tout, ce serait voler le travail des paparazzi."

Ma plaisanterie fonctionne. Tout le monde éclate de rire, et une autre journaliste prend la parole, interrogeant cette fois Jeff au sujet de sa femme.

Les questions s'enchainent. Bientôt, l'interview supposée durer une heure s'éternise.

Kelly s'extasie de longues minutes lorsqu'un journaliste lui demande ce que ça fait de chanter avec nous. Et elle s'appuie sur moi en empiétant sur mon espace vital.
Au point que je suis obligé de me pousser vers Jeff.

"- Et qu'en est-il de vos prochains projets ?" lance un autre journaliste à la cantonade. "De nouvelles chansons sont-elles prévues ?"

"- J'ai écrit quelques textes, ces dernières semaines", je m'empresse d'indiquer. "De nouvelles chansons. J'ai hâte de les présenter au groupe, et..."

"- Et nous avons bien évidemment ce partenariat qui vient tout juste de se signer", me coupe Jake.

Il enchaine sur une longue explication vis à vis de ces nouvelles chansons qu'il vient d'acheter à compositeur en vue, et qu'il compte bien intégrer à notre prochain album. Mon agacement doit se voir sur mon visage, car Jeff me donne un coup de coude discret.
Et je me force à reprendre une expression neutre.

A la fin de la conférence de presse, je suis épuisé. Et je grimace lorsque Jake nous dirige vers une autre pièce, ou un studio photo est déjà installé.

"- Tom, Kelly, vous passez en premier."

Je soupire, mais je n'ose même pas protester. Une jeune femme refait mon maquillage, puis ouvre les deux boutons du haut de la chemise. Je dois ensuite me placer devant l'objectif, avec Kelly qui se colle à moi.

Le flash m'éblouit presque. Et je perds peu à peu le fil des photos. J'ai envie de disparaître, de me fondre dans le décor, et de ne plus être considéré comme une bête de foire.

J'espère qu'Emily ne m'attend pas. J'imagine que j'ai déjà beaucoup de retard sur l'horaire que je lui ai annoncé.

Je ne sais pas ce que donneront ces photos, et à vrai dire je m'en fiche. Je suis fatigué. Je n'ai plus assez d'énergie pour m'inquiéter de tout ça.

"- Je te fais confiance pour travailler avec Kelly, Tom ?" me lance Jake lorsque les photographes commencent à replier leur matériel. "Demain, à la première heure, je veux tous vous voir sur scène. Tom, viens avec moi. Je dois te faire écouter cette nouvelle chanson. Je te l'enverrai aussi par mail."

Ce n'était pas ce qui était prévu dans le planning. Mais j'acquiesce, tandis qu'il me prend à l'écart.
La vidéo qu'il me montre sur son téléphone est sans doute extraite des répétitions. On y voit Kelly qui s'époumone sur un titre qui correspond parfaitement à ce qui passe en ce moment à la radio. Une histoire d'amour qui enchaine les clichés. Je n'arrive même pas à me reconnaître dans cette dernière.
Mais au moins, les paroles ne sont pas très compliquées à apprendre.

"- J'ai écrit de nouvelles chansons, Jake", j'insiste tout de même après avoir regardé la vidéo jusqu'au bout. "J'aimerais en jouer au moins une à l'occasion de ce concert. Juste moi, à la guitare. "

Jake fronce les sourcils. Visiblement, il ne s'attendait pas à cela.

"- J'y tiens beaucoup", j'ajoute ensuite.

Et c'est probablement ce qui le fait céder.

"- Très bien", acquiesce-t-il. "Envoi-moi une vidéo, et je verrai."

Je le remercie du bout des lèvres. Je suis bien trop fatigué pour discuter davantage.
Lorsque je peux enfin m'éclipser, et rejoindre les autres membres du groupe, j'en profite pour jeter un œil à mon téléphone. Emily ne m'a pas appelé. Est-elle déjà retournée à notre chambre ?

Je décide de lui passer un coup de fil, et j'écoute les sonneries qui s'égrènent. Mais je tombe sur la boite vocale.

"- Tu sors ce soir, Tom ?" m'interpelle Frank. "Kelly nous a proposé d'aller au casino, si ça te dit ?"

Mais je secoue la tête.

"- Je vais retrouver ma copine, et passer la soirée avec elle. Je pense que nous avons tous les deux besoin de nous reposer. Le voyage a été fatigant. On se voit demain ?"

Frank me salue, et Peter ne me fait qu'un vague signe de la main, le nez encore dans son téléphone. J'ignore ostensiblement Kelly, qui me fait pourtant de grands signes de la main à l'autre bout de la pièce. Heureusement, Jake lui adresse la parole, et elle se retrouve bloquée en sa compagnie.

"- Tu salueras Emily de ma part, Tom ?" fait Jeff en m'emboitant le pas. "Je n'ai pas eu l'occasion de vraiment faire sa connaissance, toute à l'heure."
"- Je pense que vous pourriez bien vous entendre, tous les deux", je souris. "Tu sors avec Kelly, ce soir ?"

Mais mon ami secoue la tête.

"- Moi ? Il n'y a vraiment pas moyen ! J'ai passé l'âge de ce genre de choses. Et Jake veut nous voir tôt, demain."

Nous arrivons à mon étage, et il semble que Jeff ne soit pas logé loin. Dans la chambre attenante à la mienne, à vrai dire.

"- Tu bois un coup, Tom ?" me propose-t-il. "J'ai un très bon whisky que tu vas probablement apprécier."

"- Emily doit probablement déjà être rentrée", je l'informe. "Mais pourquoi pas. Laisse-moi juste le temps de voir avec elle si elle souhaite se joindre à nous."
Je frappe à plusieurs reprises contre la porte de la chambre, et je fronce les sourcils. Seul le silence me répond.

Je déverrouille la porte. La pièce est plongée dans l'obscurité.

"- Elle n'est pas rentrée ?" me lance Jeff qui est resté dans le couloir.

"- Non. Et elle ne répond pas à son téléphone."

Je tente de l'appeler à nouveau, pour tomber une nouvelle fois sur le répondeur. Ma main tremble, et je crois que je commence à paniquer un peu.

"- Est-ce que tu sais où elle est allée ?" s'enquit mon ami.

Je secoue la tête. Je ne lui ai pas posé de questions. Je lui ai fait confiance. Et maintenant...

"- Relax, Tom, elle s'est peut-être juste perdue."

"- Sans son téléphone ?" je m'exclame.

"- Elle n'a peut-être plus de batterie", fait Jeff d'un ton calme. Je sais qu'il essaie de me rassurer, mais ça ne marche pas vraiment. "Si tu veux, on prend ma voiture, et on roule dans Vegas. Garde ton téléphone à portée de main. Si on ne la retrouve pas, on appellera la police. Mais ce serait mieux d'éviter de les impliquer là dedans pour le moment. Et laisse un message à la réception, avec ton numéro de téléphone. Ils pourront te contacter si elle revient à l'hôtel."

J'acquiesce, le cœur battant. Jeff est toujours celui qui arrive à me calmer lorsque je me laisse submerger par le stress.

Quelques minutes plus tard, je scrute attentivement les trottoirs des rues que nous traversons. La voiture de Jeff est suffisamment reconnaissable pour qu'Emily nous fasse signe si nous la croisons. J'espère simplement qu'elle va bien.

J'ai demandé mon chemin a un passant qui m'a gentiment indiqué où se trouve le poste de police le plus proche, mais j'ai dû me tromper à un moment puisque je ne le trouve pas. Je m'enfonce dans la ville qui est à présent bien illuminée de ses milliers de couleurs et je ne suis plus aussi rassurée. J'ai froid, j'ai mal aux pieds… Rien ne va plus et pourtant je refuse de pleurer. J'ai croisé pas moins de trois voitures où les passagers se sont mis à siffler en me voyant. Elles ne se sont pas arrêtées, heureusement. Je continue de marcher mais je n'ose plus demander mon chemin aux gens… Il n'est pas si tard, pourtant, beaucoup sont déjà ivres et je préfère les éviter.

Je ne cesse de m'insulter, me traitant d'idiote… Il faut vraiment être stupide pour oublier son sac sur un banc ainsi que le nom de son hôtel. Je ne connais même pas le numéro de Tom… Faut dire que je n'ai pas vraiment eu besoin de retenir son numéro… Je me sens tellement minable… Bon sang, vu l'heure, son interview doit être terminée depuis longtemps. Il doit s'inquiéter….

– Mais quelle idiote… je gronde tout en donnant un coup de pied dans une canette qui traîne sur le trottoir.
– Je te demande pardon ?

C'est une voix féminine qui m'interpelle. Une femme d'une quarantaine d'années, les cheveux rouges sang et une robe en cuir qui semble avoir été taillée sur sa peau. Une fleur de trottoir, sans nul doute… Elle m'observe, la clope au bec. Je sens qu'elle me juge mais elle reste silencieuse.

– Pardon, je me parlais à moi-même.
– Quelque chose ne va pas, chérie ?

Sa voix se fait plus douce.

– Je me suis perdue et j'ai oublié mon sac quelque part en ville.
– Première fois à Vegas ?
– Non, mais c'est tout comme, je soupire avant de m'asseoir sur une petite marche. J'en peux plus, j'ai mal partout, je suis épuisée et frigorifiée.
– Tu es là pour un enterrement de jeune fille ou quelque chose du genre ?
– Non, je suis venue accompagner mon copain… Il est là pour travailler.
– Je vois… Tu veux que je t'appelle un taxi ?
– C'est gentil, mais je ne me souviens même plus du nom de mon hôtel…
– Il ressemble à quoi ? Je connais plutôt bien les hôtels, figure toi.
– À une grande tours ?
– Tu ne m'aides pas beaucoup …

Je pouffe.

– Désolée… Je ne m'aide pas beaucoup non plus, si cela peut vous rassurer.
– Je m'appelle Calista, me lance-t-elle en me tendant la main.
– Emily.

Je reste un petit moment avec elle, à discuter de tout et de rien. Dans tous les cas, je ne sais pas vraiment où aller… J'ai besoin d'une pause… Au bout d'une trentaine de minutes, je la vois s'agiter. Les feux d'une voiture se rapprochent lentement. Je n'ai pas encore vu le modèle de celle-ci, mais la prostituée semble savoir faire la différence… Elle lève la main en s'excusant par avance de m'abandonner et … Cette voiture, je la connais !

– Tom ! je m'écrie en bondissant de ma marche. Je suis tellement heureuse et soulagée que j'ai l'impression que mon coeur va lâcher.
– C'est pas vrai… Tu les connais ?

Calista me dévisage, les yeux exorbités. Elle les a probablement reconnues.

– Attends, c'est Tom Alskell ton chéri !?

J'ignore combien de temps nous roulons. Les minutes défilent, tout comme les rues que nous traversons.
Il se fait tard, et les rues de Vegas s'emplissent d'individus pas forcément très fréquentables. Des ivognes, des prostituées, et des gens qui errent simplement, le regard vide. Certains sûrement sous l'emprise de drogue, comme on en voit tant à Los Angeles.
Je suis mort de trouille à l'idée qu'il arrive quelque chose à Emily.

Nous nous faisons plusieurs fois interpeller par des passants. Nous n'avons cette fois aucun service de sécurité avec nous, et la voiture de Jeff est aisément reconnaissable pour ceux qui auraient vu les photos qui ont été prises de nous le matin même.

Mon ami reste silencieux, conscient que je ne suis pas d'humeur pour discuter. Et je lui en suis reconnaissant.

Plusieurs fois, je tente de joindre le portable d'Emily. Mais ce dernier finit par ne plus sonner. Comme s'il n'avait définitivement plus de batterie... ou comme si quelqu'un l'avait éteint.

Je suis sur le point de désespérer, et de dire à Jeff de faire demi-tour pour nous rendre au poste de police le plus proche. Jake nous en voudra à mort si cette histoire venait à se savoir, mais la sécurité d'Emily est plus importante que tout le reste.

Je suis plongé dans mes pensées, le regard fixé sur les trottoirs qui défilent.
Une prostituée nous fait de grands gestes. Une de plus. Probablement convaincue que nous sommes suceptibles d'être des prochains clients.

Je suis prêt à l'ignorer, lorsqu'une voix me fait sursauter.

"– Tom ! "

"- Arrête la voiture ! " je m'exclame à l'attention de Jake. "Elle est là !"

J'ouvre la portière avant même que Jake ait fini d'immobiliser le véhicule. Et je m'élance dans la nuit, pour serrer contre moi une Emily gelée.

Je tremble. A la fois de peur et de soulagement. Et je la plaque probablement un peu trop fort contre moi.

"- Tu m'as fait une de ces peurs ! Que s'est-il passé ? J'ai essayé de t'appeler plusieurs fois. J'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose.

Je l'embrasse sur le front, puis sur les lèvres.

Du coin de l'oeil, je vois que Jeff nous a rejoint.

"- Tu nous a fait peur, Emily", fait-il avec sérieux. "Surtout Tom."

Il jette un regard autour de nous.

"- Il ne faut pas trop traîner ici.  Ce n'est pas un quartier très bien fréquenté."

Surtout que la prostituée qui semble avoir tenu compagnie à Emily s'est rapprochée. Elle nous a manifestement reconnu, et elle a l'air particulièrement intéressée.

"- Désolé, mais je suis marié !" S'exclame Jeff. "Et mon ami est... indisponible."

Je roule des yeux. Je n'ai toujours pas lâché Emily. Et je ne compte pas la lâcher de sitôt.

"- Ne me refais plus jamais peur comme ça", je souffle en la serrant une nouvelle fois contre moi.

Je tellement soulagée de le retrouver qu'il me devient très difficile de contenir mes larmes. Je m'effondre tout bonnement dans ses bras.

–Tu m'as fait une de ces peurs ! Que s'est-il passé ? J'ai essayé de t'appeler plusieurs fois. J'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose.

Je suis morte de honte à l'idée de lui expliquer… Mon côté tête en l'air fait également partie de mes bizarreries, celles que les gens pointent du doigts à la moindre occasion. Mais c'est Calista qui finit par répondre :

– Apparemment, elle a laissé son sac et toutes ses affaires sur un banc… Puis elle s'est perdue.

– Je ne me souvenais plus du nom de l'hôtel et je n'ai pas mémorisé ton numéro…

Et au final, j'ai tout perdu. Mon téléphone, les clés de chez moi, mon carnet, mes papiers… Je me maudis intérieurement.

–Tu nous a fait peur, Emily, me sermonne Jeff. Surtout Tom.
– Je m'en doute… Je suis désolée.

Je me presse un peu plus contre Tom. Son parfum, sa chaleur me rassurent et me ramènent lentement au calme. Du coin de l'œil, j'observe Calista qui nous observe en souriant…

– Merci pour ta bienveillance, je lui lance.
– Oh, mais je t'en prie, chérie. Ce fut un plaisir pour moi de faire ta connaissance.

Ne voulant visiblement pas nous déranger plus longtemps, elle nous salue d'un geste de la main avant de s'éloigner.

– Ne me refais plus jamais peur comme ça.
– Je ne peux pas te le promettre… lui dis-je en tentant un sourire. C'est pas vraiment la première fois que ça m'arrive, alors je doute que ce soit la dernière.

Enfin, d'habitude, je me contente de me perdre. Je n'oublie pas mes affaires dans un coin… Je pense pouvoir mettre cette extrême étourderie sur le compte de la fatigue.

– Bon… Je suppose que vous avez faim non ? Nous lança Jeff, les bras croisés. Ça vous dit de grignoter un bout ?
– Avec plaisir… Quelque chose de chaud. Je suis gelée.

Emily sanglotte dans mes bras, et je ne peux que la serrer contre moi, tout en lui murmurant à l'oreille des mots de réconfort.

Les explications viennent, aidés par l'intervention de l'amie d'un soir d'Emily.

"– Apparemment, elle a laissé son sac et toutes ses affaires sur un banc… Puis elle s'est perdue."

"– Je ne me souvenais plus du nom de l'hôtel et je n'ai pas mémorisé ton numéro…"

Je ne suis pas du tout rassuré par ces explications, au contraire.

"- On essaira de retrouver tes affaires", je lui promets. Même si cela risque de ne pas être chose aisée. Avec un peu de chance, quelqu'un aura juste abandonné son sac, après lui avoir juste volé l'argent qu'il y avait dedans.

Emily ne se détache de moi que pour remercier la femme qui l'accompagne. Et je lance à mon tour un sourire à cette dernière. Elle nous salue et s'éloigne, probablement à la recherche d'autres clients.

"-C'est pas vraiment la première fois que ça m'arrive, alors je doute que ce soit la dernière."

"- Et c'est censé me rassurer ?" je m'offusque.

Heureusement, Jeff intervient avant que je puisse continuer à protester.

"– Bon… Je suppose que vous avez faim non ? Ça vous dit de grignoter un bout ?"

Et Emily acquiesce aussitôt.
"– Avec plaisir… Quelque chose de chaud. Je suis gelée."

Nous finissons par nous arrêter dans un fastfood. Le premier que Jeff nous indique. La personne de l'autre côté de la vitre du Drive ouvre de grands yeux lorsque Jeff prend notre commande.  

Et nous reprenons ensuite la route en direction de l'hôtel.  Jeff m'a chargé du sac avec notre repas du soir. Ce dernier est posé sur mes genoux. Et de mon bras libre, je sers Emily contre moi. J'ai presque peur de la voir disparaître.

De retour à l'hôtel, je m'arrête à la réception, afin de demander s'il est possible d'appeler tous les comissariats de la ville pour demander si quelqu'un a retrouvé le sac d'Emily. Je glisse quelques billets à mon interlocuteur, lui précisant d'en donner la moitié à celui ou celle qui ramènera le sac en question, et de garder le reste pour lui.
Je n'ai pas l'habitude de faire ça. Mais les circonstances sont particulières. Et autant que mon argent serve à quelque chose.
Aidé d'Emily, je donne le maximum de détails possibles pour identifier le sac en question.
Et je demande de nous prévenir dès que possible s'il est retrouvé.

Elle aura au moins besoin de des papiers, ne serait ce que pour rependre l'avion dans l'autre sens.

"- Au pire", je lui glisse alors que nous rejoignons Jeff, "Il nous restera juste à faire un road-trip en tête à tête jusqu'à Castine."

Nous nous installons dans la chambre de Jeff. Ou peut-on encore parler de chambre ? Il s'agit plutôt d'une sorte de suite, encore plus luxueuse.

Le contraste entre la nouriture que nous mangeons avec les doigts, et le luxe autour de nous est saisissant.

Et le whisky que Jeff nous sert est délicieux.

"- Qu'est-ce que tu penses de cette nouvelle chanson ? Celle que Jake souhaite que j'apprenne ?" je lui demande au terme de notre repas.

Mon ami hausse les épaules.

"- Comme d'habitude, non ? Rien de bien innovant. Elle ressemble à toutes les autres."

Je fais la moue.

"- Tu n'as jamais eu envie de faire autre chose ? De retrouver ce que nous chantions lorsque nous étions plus jeunes ?"

Jeff hausse un sourcil, avec un sourire moqueur.

"- Je connais quelqu'un qui a beaucoup réfléchi durant ses vacances", me taquine-t-il. "Il est plus que temps... Ta rupture avec Helena t'a fait du bien, Tommy."

Je grimace. Je n'ai vraiment pas envie d'aborder le sujet en compagnie d'Emily.

"-J'ai beaucoup écrit", je lui confie pour changer de sujet. "Je t'en ferai écouter quelques unes.  J'ai besoin de ton avis."

Et je jette un coup d'oeil à Emily.

"- Même si j'ai déjà l'approbation de ma fan préférée", j'ajoute avec un sourire.

J'attrape la main d'Emily, et la porte à mes lèvres.