– Tu... Tu as posé nue ?Tu m'emmèneras voir son atelier ?
Je me retiens de rire en voyant sa réaction. Il y a de la surprise, bien-sûr… Mais aussi beaucoup de curiosité.
– Ça remonte à des années, mais oui, je rétorque en souriant. Son travail t'intéresse à ce point ?

Je pourrai très bien lui avouer que la statue en question n'existe plus, mais je trouve bien plus amusant de le faire mariner un peu. J'hésite même à évoquer la possibilité que cette dernière se trouve à présent dans le salon d'une personne fortunée. Je décide finalement de le préserver de mes petites plaisanteries pour évoquer une vérité. Cette histoire de road trip et de série de peinture.

– Elles ont été vendues il y a longtemps. Quand le orange était revenu à la mode. Je ne sais pas si Amanda a gardé des visuels.

Je pourrai lui poser la question, un jour, peut-être. Nous sommes encore en froid pour l'instant et je n'ai pas du tout envie de lui parler. Et puis, j'ai décidé de changer de galeriste, et c'est une décision que je respecterai.

Il me parle alors du temps que nous pourrons allouer au tourisme en dehors des répétitions, des essayages, des probables séances photos ou de dédicaces… De tout ce que je peux imaginer en tant que simple spectatrice. En tout cas, je suis soulagée de l'entendre me dire que nous aurons tout de même un peu de temps pour être ensembles.

–Je me sens mieux dans un endroit un peu plus calme. A vrai dire, ça m'arrange bien que tu sois venue. Ca m'évitera d'être entrainé dans une tournée des casinos et boites de nuit, déclare-t-il finalement.
– J'avoue que je ne suis pas vraiment attirée par ce genre de soirée… je rétorque en grimaçant. Je n'ai jamais aimé ça et puis… J'ai l'impression d'avoir passé l'âge.

Et je le préserve de mon imitation de Danny Glover dans l'Arme Fatale: "Je suis trop vieux pour ces conneries". À la place, je pose ma tête épuisée sur son épaule en fermant doucement les yeux. Encore quelques minutes de calme… Juste quelques petites minutes.

L'avion finit tout de même par atterrir. De nombreuses paires d'yeux se posent sur nous et je dois prendre sur moi pour ne pas trop y prêter attention. À dire vrai, je n'ose même pas prendre la main de Tom, de peur de voir une photo de plus publiée dans l'un de ces magazines de salle d'attente. Je tire ma valise en regardant droit devant moi, prenant un air faussement serein… Mais bordel, mon cœur bat à tout rompre. Il y a beaucoup trop de monde, beaucoup trop de bruit… Je prends de profondes inspiration pour essayer de me calmer mais c'est loin d'être évident.

Une jeune femme me frôle et mon épaule cogne la sienne. Son sac à main tombe et le contenu se répand sur le sol.

– Je suis sincèrement désolée, dis-je en me baissant pour l'aider à ramasser.
– Ce n'est rien, ne vous en faites pas. C'est ma faute, je ne regardais pas et… son regard se pose sur Tom et je vois ses yeux s'agrandir. Bon sang, ses pupilles se dilatent carrément. C'est pas vrai ! Tom Alskell ?!

Elle crie son nom et si j'étais déjà gênée par le regard des autres, cette fois, je manque presque de me décomposer sur place. Tout le monde nous regarde… C'est juste ignoble.

"– Ça remonte à des années, mais oui. Son travail t'intéresse à ce point ?"

"- Je suis surtout curieux de savoir ce qui t'a donné envie de poser pour elle", je lui réponds avec un sourire taquin.

J'ai bien l'impression que cette histoire l'amuse particulièrement. A se demander quels liens elle entretien avec cette artiste. Cela doit probablement être une amie proche.

Elle m'avoue ne pas non plus être fan des soirées mouventées à base de casino et boites de nuit. Mais cela ne m'étonne guère. Ce n'est pas comme si ce genre de chose se trouvait aisément à Castine. Et le caractère d'Emily n'est clairement pas compatible avec le tumulte de ce type de lieux.

Je soupire avec bien-être lorsqu'elle pose sa tête sur mon épaule. Et je la serre contre moi.
Je me sens bien et je n'ai pas envie que ce moment se termine.

"- Je t'aime", je lui murmure à l'oreille juste avant que l'avion n'atterisse.
Je sais par avance que notre arrivée ne passera pas inaperçue, et j'espère qu'Emily ne m'en voudra pas.

Cela commence dès notre descente de l'avion. Même avec mes lunettes de soleil sur le visage, j'ai l'impression que des gens me reconnaissent. Peut-être est-ce lié à la guitare dans mon dos, ou au fait que beaucoup de personnes sont au courant de mon arrivée aujourd'hui. J'en vois plusieurs dégainer leur téléphone portable pour prendre des photos.

Il n'y a pas encore de paparazzi. Mais je suppose que ces derniers seront présents dès que nous sortirons de la zone des derniers contrôles.

Je sens Emily se tendre à ma gauche. Et sa main s'éloigne ostensiblement de la mienne. Je grimace bien malgré moi. Elle n'a probablement pas envie que des photos de nous soient prises à notre insue. Mais je crains que ça ne soit déjà le cas.

Je me contente donc d'une main dans le bas de son dos, ne serait-ce que pour lui assurer que je reste avec elle, quoiqu'il arrive.
Elle n'a manifestement pas l'habitude de ce genre d'endroit. Je la vois respirer profondément, comme si elle essayait de se calmer.

Je m'apprête à lui demander si elle souhaite faire une pause, trouver un coin tranquille juste quelques instants, lorsqu'elle se fait bousculer par une jeune femme, dont le sac à main se renverse au sol.

La rencontre est bien trop troublante pour que cela soit lié au hasard. Et même si l'inconnue s'excuse platement vis à vis d'Emily, elle ne manque ensuite pas de me dévisager avec un air faussement surpris.

"- C'est pas vrai ! Tom Alskell ?!"

Je grimace. Je n'avais vraiment pas besoin de cela. Ma main se resserre sur la poignée de mon sac de voyage, et je réajuste machinalement mes lunettes de soleil sur mon visage.

"- Je suis désolé, nous sommes pressés", j'annonce clairement.

J'aide tout de même Emily à ramasser les affaires de la jeune femme.

"- Tenez, et encore désolé pour votre sac", je lui lance en me relevant.

Je sais que tout le monde nous regarde, et j'ai horreur de ça. Mine de rien, je m'étais facilement habitué à l'anonymat relatif que j'avais à Castine.

Ma main se pose sur l'épaule d'Emily, prêt à repartir. Puis la jeune femme sort son téléphone.

"- Une photo ? Juste une ?"

Je ferme les yeux. Je sais que Jake va me tuer si je refuse ce genre de chose. Surtout vis à vis de la mauvaise presse que cette jeune femme pourrait me faire sur les réseaux sociaux.
J'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle s'est déjà positionné contre moi, et prends un selfie à toute vitesse. J'ai tout juste le réflexe de sourire.
Mais au fond de moi, je me sens affreusement mal. Son parfum sent beaucoup trop fort. Rien à voir avec celui beaucoup plus discret d'Emily.

Elle sent le pognon à plein nez. Une richesse synonyme de bling-bling, de soirées passées au casino, et de jets privés. Son sac à main à lui seul doit valoir plus cher que mon pick-up. Et en plus elle me jette un sourire enjôleur lorsqu'elle se décale enfin.

Je lui souhaite une bonne journée du bout des lèvres.
Puis je passe un bras autour de la taille d'Emily.

"- Allons trouver un coin tranquille", je lui souffle à l'oreille. "Jeff n'aura qu'à attendre encore un peu".

J'ignore les quelques individus qui me hèlent par la suite, et j'accélère le pas, arrivant au bout d'un temps à les semer dans la foule. J'entraine Emily dans un couloir désert, et finit par dénicher un cul-de-sac, dans lequel sont entreposés des machines pour nettoyer le sol. Je ne crois pas que qui que ce soit ira nous chercher ici.

"- Je suis désolé. Je suis sincèrement désolé", je murmure en serrant Emily contre moi.

Je dépose un baiser dans ses cheveux, avant de lui embrasser tendrement les lèvres.
Elle est probablement encore plus stressée que moi. Et j'ai moi-même le cœur qui bat bien trop vite pour que ce soit confortable.

"- Je ne suis plus habitué à tout ça", je marmonne dans son cou. "Jake va me tuer."

Je sais que nous ne devons pas trainer, que Jeff nous attend déjà sûrement à l'extérieur de l'aéroport. Mais j'ai besoin de prendre ce temps. Nous avons tous les deux besoin de ce moment volé. Juste pour nous.

Tout va beaucoup trop vite pour que mes yeux ne sachent où se poser. La jeune femme au sac me pousse plutôt violemment pour prendre une photo avec Tom. Je regarde autour de moi et … Ils sont nombreux à pointer leur téléphone dans notre direction. Je sens l'angoisse poindre alors que mon cœur cogne si fort dans ma poitrine que je l'entend directement pulser dans mon crâne. Mes oreilles se bouchent et je me retrouve aux prises avec une sorte de bourdonnement aigu franchement insupportable. Je commence à avoir du mal à respirer…

J'ai… Envie de hurler ou alors de me cacher quelque part. Je veux seulement disparaître, retrouver le calme. Castine me manque. Sean me manque. Nix me manque…

Un bras me surprend en m'entourant. Je sursaute avant de voir le visage de Tom.

– Allons trouver un coin tranquille. Jeff n'aura qu'à attendre encore un peu.

Je le suis sans réfléchir. J'ai juste besoin de m'éloigner de cet endroit, de tous ces gens irrespectueux et intrusifs. Pourquoi se comportent-ils comme ça ? C'est insupportable.

–Je suis désolé. Je suis sincèrement désolé,[i] murmure-t-il en me serrant contre lui.

Nous avons cessé de marcher ? Depuis quand ? Bon sang ce que je peux détester cette sensation qui vient enserrer mes tripes. Ses baisers me sortent peu à peu de ma torpeur.

–[i] Je ne suis plus habitué à tout ça. Jake va me tuer.
– Ah ? On peut donc s'habituer à ce genre de chose ? finis-je par souffler.

Comment peut-on réellement s'habituer à être traiter ainsi ? Tous ces gens qui l'observent comme s'il s'agissait d'un animal dans un zoo… Cette fille qui ne se préoccupait aucunement de ce qu'il pouvait ressentir… C'est comme si… Comme s'il n'était qu'un vulgaire objet tombé dans le domaine public. Il appartient à tout le monde…

– Dis à Jake d'aller se faire voir… Je suis sûre que ça te ferait du bien.

Je soupire avant de me laisser glisser sur le sol. J'ai besoin de m'appuyer sur quelque chose de solide… Que mes jambes arrêtent de trembler.

– Si ta vie ressemble à ça… C'est moi qui suis désolée. Je ne serai totalement incapable de supporter ça chaque fois que je mets le nez dehors.

Je me prends un peu la réalité en pleine poire en réalité.

"– Ah ? On peut donc s'habituer à ce genre de chose ?"

J'hausse les épaules. Je sais que la réponse ne va pas vraiment lui plaire.

"- Au bout d'un temps on se construit une sorte de carapace, dans laquelle plus rien ne peut nous atteindre."

C'est d'ailleurs assez dérangeant, quand on y pense. Un peu comme si je me dissociait de mon corps physique, et me fondait dans un rôle que j'avais appris à jouer un peu trop bien.

"- Je m'étais construit une personnalité publique, une façade. Comme un rôle dans une pièce de théâtre. Mais j'ai l'impression que ce costume ne me convient plus."

Je m'étais d'ailleurs souvent demandé si c'était moi qui avait réussi à séduire Helena, ou si elle était tombée amoureuse du Tom que l'on voyait dans les médias.
Mais je suppose que je n'aurai jamais de réponse à cette question.

"– Dis à Jake d'aller se faire voir… Je suis sûre que ça te ferait du bien."

J'éclate de rire, et j'acquiesce, et me laissant glisser sur le sol à sa gauche. Ainsi positionnés, nous sommes dissimulés par les machines de nettoyage posées devant nous.
Il n'y a probablement que ma guitare qui dépasse. Mais de loin, personne ne sera capable de deviner notre présence - et surtout mon identité.

"– Si ta vie ressemble à ça… C'est moi qui suis désolée. Je ne serai totalement incapable de supporter ça chaque fois que je mets le nez dehors."

"- La plupart du temps, ce n'est pas comme ça", je soupire. "Mais ici... Les gens sont différents, à Vegas. C'est comme s'ils perdaient une partie de leurs inhibitions. Et Jake a annoncé que j'arrivais aujourd'hui. Ca a probablement attiré une foule de curieux... et d'opportunistes."

Je lui jette un coup d'œil. Elle a l'air épuisée.

"- Tu veux que j'appelle Jeff, pour lui demander de te récupérer ? Si je te laisses sortir en premier de l'aéroport, tu ne seras pas importunée. Et je vous rejoindrai tous les deux ensuite."

J'attrape une de ses mains, et la masse doucement, avant de la porte à mes lèvres pour l'embrasser.

"- Je ne veux pas que tout ceci soit un poids pour toi, Emily, ou que..."

Je détourne le regard.

"- Ou qu'à cause de ça tu n'ais plus envie de passer du temps en ma compagnie. Je peux gérer les photographes et la presse. Mais je n'ai pas envie de te perdre. Dis-moi juste comment t'aider."

Ses explications ne me convainquent pas vraiment, bien au contraire. Je me sens même de plus en plus navrée pour lui. C'est triste de se dire que pour se préserver de tout ceci, il faut se constituer une nouvelle personnalité. Ce fameux personnage public qui sourit même lorsqu'il n'en a pas envie… Mais au fond, c'est également ce que je fais avec les gens de mon entourage. J'affiche toujours ce foutu sourire dans l'espoir que les autres me fichent la paix, qu'ils m'oublient. Ce n'est pas si différent… Et, malheureusement, je ne connais que trop bien les effets que peut avoir un tel jeu de rôle.

–Tu veux que j'appelle Jeff, pour lui demander de te récupérer ? Si je te laisses sortir en premier de l'aéroport, tu ne seras pas importunée. Et je vous rejoindrai tous les deux ensuite.
– Tu plaisantes ? Hors de question de te laisser seul au milieu de ces personnes, je rétorque en espérant que la mine que j'affiche à présent soit plus déterminée que la précédente. Laisse-moi juste quelques minutes… Le temps d'emmagasiner un peu de courage.

Je prends une profonde inspiration en fermant les yeux… Jusqu'à ce que les mots qu'il prononce ensuite ne me poussent à les ouvrir brusquement.

– Tu crois que… Que tu pourrais me perdre pour ça ? je demande tout en recherchant son regard. Tom… Je suis amoureuse de toi… Je t'aime. Il en faut tout de même plus pour me pousser à te fuir.

J'appuie volontairement sur certains mots pour que ces derniers lui rentrent bien dans le crâne. Certes, mes sentiments ont vu le jour avant de prendre connaissance de tout ceci et, probablement aurais-je eu besoin de plus de temps pour enregistrer l'information… Mais quand même… Quand on aime une personne, on l'aime malgré tout ce qui ne nous convient pas autour d'elle.

– J'ai juste besoin d'un peu de temps. J'étais mal préparée, mais ça va aller… j'affirme avant de déposer un baiser sur sa joue. Allez, zou… À deux, nous serons forcément plus forts.

Je me relève en prenant sa main pour l'attirer vers moi. De nouveau, je ferme les yeux en prenant cette profonde inspiration afin de fixer un grand sourire sur mon visage.

– Allez, on y va. Ton ami nous attend.

Je prends tout de même le temps de m'emparer de ses lèvres avant de reprendre la route du quai de débarquement. Cette fois, plutôt que de fixer mon regard sur la sortie, c'est lui que j'observe. Mon sourire, je le lui réserve. Il est pour lui seul et n'a strictement rien de faux. Les autres n'existent tout simplement pas. Je me fiche des photos et des messes basses. Je ne prête même pas attention aux insultes franchement virulentes émanant de quelques fans frustrées de voir leur idole tenir la main d'une femme tout à fait ordinaire.

Je retiens mon souffle. Je sais que c'est ridicule, que je n'ai pas à avoir peur de ce genre de choses. Pourtant, je suis tétanisé à la simple idée de la voir fuir maintenant qu'elle est véritablement confrontée à mon monde.

"– Tu plaisantes ? Hors de question de te laisser seul au milieu de ces personnes".

Et je ne peux que lâcher un soupir de soulagement.

"- Laisse-moi juste quelques minutes… Le temps d'emmagasiner un peu de courage."

"- Prends tout le temps dont tu as besoin, Mily", je lui murmure à l'oreille, avant de lui déposer un baiser sur la joue.

"– Tu crois que… Que tu pourrais me perdre pour ça ? Tom… Je suis amoureuse de toi… Je t'aime. Il en faut tout de même plus pour me pousser à te fuir."

Son regard accroche le mien, et j'ai envie de la croire. Mais je sais à quel point ce milieu peut être destructeur, même avec les meilleures intentions du monde.

Toutefois, je ne peux m'empêcher de sourire alors que ses mots font chemin dans mon esprit.

"- Je ne savais pas comment tu allais réagir", j'admets dans un souffle. "La première fois que j'ai dû faire face à cela, j'étais tétanisé."

Je me penche pour effleurer ses lèvres. J'ai envie d'être l'ancrage dont elle a besoin pour faire face à cette épreuve.

Et ce qu'elle me dit ensuite me conforte dans ma volonté.

"– J'ai juste besoin d'un peu de temps. J'étais mal préparée, mais ça va aller… Allez, zou… À deux, nous serons forcément plus forts."

Le baiser qu'elle pose sur ma joue me fait sourire jusqu'aux oreilles. Et je la laisse me tirer vers le haut, me relevant à sa suite. Comment ai-je pu être aussi chanceux ?

J'enserre sa taille, et la serre de longues secondes contre moi.

"- Je ne pourrai être que plus fort avec toi à mes côtés", je déclare avant de me saisir de ses lèvres.

Ce contact me fait du bien. Nous sommes encore dans cette bulle de solitude, qui devra bientôt se briser pour nous forcer à faire face à la réalité.

Mais Emily me sourit, et je me sens cette fois prêt à traverser cette épreuve. Avec elle.

"– Allez, on y va. Ton ami nous attend."

Elle m'embrasse encore une fois, et je réponds immédiatement à ce baiser.
Mon sourire idiot reste probablement plaqué sur mes lèvres bien plus longtemps que nécessaire. Rien à voir avec celui, forcé, que je m'oblige à afficher habituellement.

Cette fois, je ne lâche pas la main d'Emily, tandis que nous avançons dans cette foule compacte, faite de fans et de quelques paparazzi. Jake m'avait promis un service de sécurité. Ce dernier ne se montre que tardivement, juste après avoir passé les derniers contrôles.

Je sens le sourire qu'Emily pose sur moi, et ce dernier est bien plus précieux que les mots que hèlent les gens dans ma direction. Je ne prête plus attention aux murmures, aux flash des photographes, ou même aux remarques agressives de certaines jeunes femmes.
Il n'y a plus qu'Emily, sa main dans la mienne, et ce sourire qui m'est entièrement adressé.

"– Encore un peu, et l'on pourrait croire que tu as fait cela toute ta vie", je lui chuchote à l'oreille avant de lui planter un baiser sur la joue.

Nos gardes du corps nous dirigent en direction d'une sortie qui a été privatisée pour l'occasion. Et enfin, je peux respirer un peu mieux.
Je plisse les yeux lorsque nous arrivons enfin à l'extérieur. Avec le décalage horaire, il n'est ici que le tout début d'après-midi.

Et malgré la fatigue, je souris largement lorsque je note la personne qui nous attend à l'extérieur, appuyé contre une de ses voitures de collection. Cette dernière est cette fois d'un jaune canari, et je sais déjà que les sièges en cuir seront confortables. Peut-être même assez pour faire une petite sieste le temps du trajet.

"- Jeff ! "

Je me précipite dans sa direction, et le serre aussitôt dans mes bras.

Avec ses cheveux blonds qui lui tombent jusqu'aux épaules et sa chemise à fleurs, Jeff a comme toujours cette dégaine de surfeur un peu hippie. Et cela va parfaitement avec son caractère enjoué, et ce sourire presque tout le temps plaqué sur son visage.

"- Tommy ! Te voilà enfin ! Je commençais à me demander si vous ne vous étiez pas perdus,  tous les deux."

Je ris à cette plaisanterie, et je fais signe à Emily d'approcher à son tour. Je ne lui ai lâché la main que quelques secondes, mais déjà sa présence à mes côtés me manque.

Mon bras vient naturellement se nouer autour de la taille d'Emily lorsqu'elle me rejoint, et je lui dépose un baiser dans les cheveux.

"- Jeff, je te présente Emily. Emily, voici Jeff, mon batteur."

"- Et le beau gosse du groupe", s'empresse de plaisanter mon ami avec un clin d'œil appuyé. "Navré, Tommy, mais je crois qu'il faut se rendre à l'évidence… C'est moi que les dames apprécient, désormais".

"- Il aimerait bien", je souffle à Emily avec un air de connivence. "Mais tant que tu es avec moi, c'est moi qui ait à mon bras la plus jolie de nos fans."

Je plaisante, et je sais parfaitement qu'Emily n'apprécie pas la plupart de nos chansons.

"- Ravi de te rencontrer", s'exclame Jeff à l'attention d'Emily. "J'aimerais dire que Tom m'a beaucoup parlé de toi, mais il a été relativement silencieux à ton sujet, le petit cachotier."

Je lève les yeux au ciel, sans me départir de mon sourire.

"- Allez, suivez-moi les amoureux", lance finalement Jeff faisant un signe en direction de sa voiture. "Votre carrosse vous attend."

– Encore un peu, et l'on pourrait croire que tu as fait cela toute ta vie, murmure-t-il à mon oreille.

Son souffle contre ma peau me chatouille doucement, ce qui me pousse à sourire malgré tout. Nous suivons les gorilles en costumes jusqu'à la sortie et je me sens aussitôt soulagée. Il n'y a plus de foule autour de nous et j'ai enfin l'impression de pouvoir vraiment respirer. Le soleil brille si intensément par ici que j'en viens à regretter de ne pas avoir de lunettes de soleil…

Un peu plus loin, je remarque un homme affublé d'un look clairement californien adossé à une voiture jaune poussin. Ses couleurs sont chaudes, du jaune, du rouge et du orange. J'imagine une personnalité plutôt joviale et chaleureuse… Une certaine assurance se détache de lui…

Tom nous présente brièvement et Jeff répond par une plaisanterie que je peine à saisir… Enfin, non… Je comprends très bien la forme mais c'est le fond qui me perturbe, je ne suis pas vraiment habituée à ce genre d'humour. Je me contente donc de sourire.

–J'aimerais dire que Tom m'a beaucoup parlé de toi, mais il a été relativement silencieux à ton sujet, le petit cachotier.
– Pour sa défense, nous avions convenu de dire que j'étais une hallucination collective, je rétorque sans avouer que je ne sais pas grand-chose sur lui non plus.

À dire vrai, je n'ose pas vraiment parler. Je me trouve bien loin de ma zone de confort et j'ai grand besoin de mieux observer pour réellement m'acclimater. Je choisis donc de me mettre volontairement en retrait. Puis je remarque la voiture…

– Oh ! Une twister !

Je suis certaine que Sean serait fou devant cette caisse. Une Mustang Twister de 70. L'un de ses rêves … Même si son cœur bat davantage pour la Shelby GT350, sortie la même année que celle qui se trouve devant moi.

– Je connais quelqu'un qui serait plus que ravi de faire sa connaissance…

"– Pour sa défense, nous avions convenu de dire que j'étais une hallucination collective."

Jeff me jette un regard curieux suite à cette remarque, et je me contente de lui sourire. Je n'ai pas envie de partir dans des explications détaillées à ce sujet. Pas pour le moment.

"- Une très jolie hallucination collective", je me contente de glisser à l'oreille d'Emily.

Je note tout de même qu'elle reste en retrait, comme si Jeff l'intimidait. Et je sais à quel point la personnalité très extravertie de mon ami peut être perturbante... Au début, du moins. Je suis certain que Jeff et Emily arriveront à s'entendre très vite.

Surtout lorsque Jeff nous fait signe d'avancer en direction de sa voiture.

"– Oh ! Une twister !"

Je n'y connais quasi rien en voitures. Au grand dam de Jeff dont c'est la véritable passion. Et visiblement, Emily et lui sont sur la même longueur d'ondes à ce sujet. Je vois aussitôt le regard de mon ami s'éclairer.

"– Je connais quelqu'un qui serait plus que ravi de faire sa connaissance."

"- Il faudra que tu me le présentes", lance Jeff avec bonne humeur. "Et je suis ravi de rencontrer quelqu'un qui apprécie les jolies choses. Contrairement à d'autres."

Je lui tire la langue lorsqu'il me jette un regard appuyé.

"- Tu veux monter devant ?", Jeff propose à Emily. "On peut laisser Tom roupiller à l'arrière. Il finit toujours par s'endormir, de toutes les façons."

"- C'est totalement faux !" je m'empresse de protester, les joues rouges.

Je sais que mon ami fait référence au road-trip que nous avions entreprit tous les deux il y a quelques années, le long de la Pacific Coast Highway en Californie. Il m'avait reproché d'avoir dormi durant tout le trajet. Mais à ma décharge, j'étais épuisé d'une tournée interminable.

"Et notre hôtel n'est pas si loin que ça..."

"- Environ trente minutes avec les bouchons. La moitié juste pour sortir de l'aéroport. La presse est partout. Votre arrivée était très attendue. Nous ne pourrons malheureusement pas déroger au service de sécurité."

Et je note du coin de l'œil la voiture beaucoup plus sobre dans laquelle nos gardes du corps prennent place. Je sais qu'ils nous suivront jusqu'à notre destination.

"- Je ne suis plus habitué à tout ça", je marmonne.

Mon ami me flanque une tape dans le dos.

"- Allez Tommy, c'est juste un mauvais moment à passer."

Nous montons à bord de la voiture, et je me cramponne à mon siège lorsque Jeff démarre en trombe, comme à son habitude. Ainsi installé à l'arrière, je n'ai guère de place. Je suis surtout callé contre nos affaires, et surtout contre ma guitare, attachée sur le siège à côté du mien.

Les flashs des photographes m'éblouissent lorsque nous sortons de la zone qui nous était réservée, et je me force à sourire au travers de la vitre. Je glisse une main vers l'avant, pour serrer celle d'Emily. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas de toute cette mascarade. Heureusement, cela ne dure pas, et nous voilà enfin lancés sur la route en direction du centre ville de Las Vegas.

– Il faudra que tu me le présentes. Et je suis ravi de rencontrer quelqu'un qui apprécie les jolies choses. Contrairement à d'autres.
– Sean est un très ami, je rétorque en lorgnant volontiers sur cette beauté mécanique.

J'en viens de plus en plus à regretter de ne pas avoir d'appareil photo. Sean aurait adoré voir l'une de ces merveilles en si bel état… Je ne relève pas la suite de ses propos. Dans tous les cas, je ne sais pas vraiment comment les interpréter. J'ai vu Tom s'émerveiller devant bien des choses en si peu de temps. L'on ne peut donc pas vraiment dire qu'il ne sait pas apprécier ce qui est beau.

–Tu veux monter devant ? On peut laisser Tom roupiller à l'arrière. Il finit toujours par s'endormir, de toutes les façons.

Je me contente de hausser les épaules. À dire vrai, je me fiche bien de monter devant ou derrière… J'aurais plutôt préféré qu'il me propose de la conduire, même si je ne vois pas spécialement d'intérêt à le faire dans une ville de cette taille. La circulation est bien trop dense pour un moteur V8. En tout cas, c'est ce que Sean aurait dit.

Le reste de leur conversation… Je préfère l'occulter. Je n'ai pas vraiment envie de penser à la presse ou aux gorilles en uniformes circulant dans une voiture derrière nous. Mais je regrette tout de même de ne pas m'être assise à l'arrière… Ces fichus paparazzi sont vraiment inconscients. Pourquoi nous photographier avec de tels flashs alors que Jeff est en train de conduire, c'est dangereux. Je ne m'en rends pas spécialement compte sur le moment, mais j'ai cessé de respirer. C'est la main de Tom sur la mienne qui me ramène tout doucement au calme. Je lui souris avec tendresse avant de caler sa joue contre la vitre pour regarder le paysage défiler.

Vegas a été conçue pour n'être spectaculaire que la nuit. En pleine journée, cette ville n'a vraiment rien d'extraordinaire. Tout est plat, rectiligne. Des cubes de béton s'enchaînent à la suite des autres sans grande logique. A ma droite, je discerne une chapelle accolée à un centre médical qui lui même jouxte une école ainsi qu'un motel aux murs jaune poussin.

– Première fois à Vegas ? me demande Jeff tout en ajustant ses lunettes de soleil sur son nez.
– Non, ma réponse a beau être prononcée avec le sourire, elle reste tout de même un peu sèche.

Je ne le connais pas et même si c'est un ami de Tom, je ne me sens pas suffisamment à l'aise avec lui pour retirer mon masque. Je ne me lancerai pas dans de longues conversations avec lui, j'en suis encore incapable. Je vois bien qu'il lance un regard légèrement outré à son ami assis à l'arrière. Je ne suis pas aveugle puisque le rétroviseur se trouve bien à sa place au milieu de l'habitacle.

– Pas très bavarde…
– Navrée, il me faut du temps pour ça.

Je n'ai jamais aimé que l'on souligne ce trait de caractère qui me pourrit la vie depuis l'enfance. Je suis comme ça et je n'y peux rien. Me pousser à me comporter différemment reviendrait à m'étouffer et ça… Non, c'est impossible. Je préfère généralement me tenir loin des personnes que cela dérange.

Une demie heure plus tard, à peu de chose près, la voiture se gare devant l'entrée d'un hôtel incroyablement luxueux. Le bâtiment est immense… Suffisamment pour me donner le tournis lorsque je lève la tête pour chercher le dernier étage. Un voiturier vient m'ouvrir la porte avant de contourner le véhicule pour se placer côté conducteur. Quelques souvenirs d'enfance me reviennent, ce n'est pas la première fois que je me retrouve dans cette situation.

Jeff tente tant bien que mal de faire la conversation à Emily, mais cette dernière n'est manifestement pas d'humeur. Chose que je peux comprendre. Cela doit vraiment lui changer de Castine. Et ce contact avec les paparazzi doit probablement lui rappeler ceux qui s'étaient introduits dans son jardin. Pas la meilleure des expériences, donc.

Je roule des yeux au regard outré qu'il me lance via le rétroviseur.

"- Laisse-la tranquille, Jeff. Le trajet a été long."

Ce dernier se renfrogne.

"- On dirait toi il y a quelques années, au tout début de notre carrière", finit-il par déclarer avec un sourire amusé.

Je fais la moue, et je me contente d'hausser les épaules. Au fond, le caractère d'Emily n'est pas si différent du miens. J'ai simplement plus d'expérience dans le fait de gérer la presse, les fans, les photographes, c'est tout. Rien de plus.

"- Ce n'était pas forcément une mauvaise chose", je soupire.

Et mon regard se perd vite dans la contemplation de la ville. Las Vegas est égale à elle-même. Toujours aussi bruyante et colorée, avec cette foule qui ne désemplie vraiment jamais.

Conformément aux dires de Jeff, et probablement à son grand amusement, je somnole à l'arrière de la voiture. Et je ne me réveille que lorsque la voiture s'arrête finalement devant notre hôtel. Un palace dans lequel j'ai déjà séjourné plusieurs fois. Et je regrette immédiatement le calme de l'auberge de Castine.

"- La belle au bois dormant est-elle enfin réveillée ?" me lance Jeff tandis qu'un voiturier s'avance déjà pour ouvrir la porte côté passager.

"- La belle au bois dormant avait besoin de dormir", je marmonne avant de sortir de la voiture à la suite d'Emily.

Je sors machinalement ma guitare, puis nos valises. Pour une fois, je n'ai pas envie que quelqu'un d'autre s'occupe de mes affaires. Je suis bien assez grand pour me débrouiller tout seul avec.

Et cela me vaut un coup d'œil amusé de la part de Jeff.

"- Les vacances t'ont fait du bien, on dirait", me sourit ce dernier. "Je retrouve presque le Tom d'il y a quelques années, avant..."

Je sais où il veut en venir. Avant Helena. Avant que je parvienne à me fondre dans le showbiz tel un caméléon. Ou du moins, avant que ce milieu me fasse rentrer dans le moule. De force.

"- Je vais prendre ça pour un compliment".

Ma main se noue machinalement autour de la taille d'Emily.

"- Tout va bien ?" je lui demande doucement.

Quelques flashs m'aveuglent, bien que moins important que ceux à l'aéroport.
Et je note également la présence de quelques fans, derrière un cordon de sécurité.

Je m'approche d'eux, et je réponds à leurs salutations avec un sourire, avant de me prêter au jeu des autographes. Quelques photos sont prises au passage, notamment des selfies. Jeff ne tarde pas à me rejoindre.

"- Je suis ravi de revenir ici", je réponds lorsqu'une jeune femme me pose la question. "Et j'ai vraiment hâte de retrouver le public, mes fans, pour ce concert."

"- Et de chanter avec Kelly Kherson ?"

J'avale le soupir qui menace de franchir mes lèvres.

"- Sans aucun doute. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, le trajet a été long."

Je recule enfin, leur dédiant un dernier sourire.

"- Je ne sais pas toi, mais j'ai besoin d'une douche", je glisse à l'attention d'Emily. "Et d'un peu de calme, aussi".

Et je dédie un bref signe de tête à l'attention de Jeff, qui remonte déjà dans sa voiture, probablement pour la garer plus loin. Je sais qu'il refuse absolument que quiconque d'autres conduise ses précieuses voitures.

"- Merci pour le transport ! On se voit plus tard !"

Quelques minutes plus tard, je peux enfin respirer lorsque la porte de la chambre se referme derrière Emily et moi.
Nous sommes enfin seuls, et je me tourne vers elle pour la prendre dans mes bras et la serrer contre moi.