Le soulagement laisse rapidement sa place à la fatigue. Je ne me fais guère d'illusion concernant mon sac ou son contenu. Ce dernier doit se trouver dans une poubelle à présent… Non, je n'ai pas suffisamment foi en l'humanité pour imaginer autre chose. Mais tant pis. Je m'occuperai de tout cela demain… Oui, voilà… Demain. Il faut également que je contacte ma banque pour pouvoir rembourser Tom…

–Au pire, il nous restera juste à faire un road-trip en tête à tête jusqu'à Castine.
– L'idée est loin d'être déplaisante… je rétorque tout en entrant dans l'immense suite de Jeff. Tu es sûr qu'il est venu ici tout seul ?

Je suis si surprise que mon visage ressemble à celui d'un merlan frit. La taille de cette chambre est totalement disproportionnée… Et je ne parlerai même pas du soin luxueux apporté aux moindres détails. Mais qui a besoin d'autant de place ? Je veux dire… Ma maison entière pourrait entrer dans cette suite…

Je laisse les musiciens discuter entre eux, me concentrant sur mon repas. Mais même si je ne me mêle pas de leur conversation, j'écoute.

J'apprends alors que Tom doit apprendre une nouvelle chanson… Un œuvre écrite par un tiers qui ne lui inspire rien de très probant. Connaissant son talent, je trouve cela particulièrement triste voire injuste… Est-ce que leur manager est un parfait abruti ? Non… À tous les coups, il fait partie de ces rapaces qui font passer les profits avant l'art.

Je ne sais pas ce qui me dérange le plus dans cette histoire… Le désarroi de Tom ou bien le fatalisme de Jeff.

– Je connais quelqu'un qui a beaucoup réfléchi durant ses vacances. Il est plus que temps... Ta rupture avec Helena t'a fait du bien, Tommy.

Helena ? Serait-ce la blonde qui danse contre lui dans le clip qu'il m'a montré ? Aucune idée… En tout cas, il a l'air gêné d'entendre ce prénom… Pourquoi ? L'aime-t-il encore ?

– J'ai beaucoup écrit. Je t'en ferai écouter quelques-unes. J'ai besoin de ton avis…Même si j'ai déjà l'approbation de ma fan préférée.

J'hausse un sourcil amusé tandis que ses lèvres chaudes rencontrent ma main.

– Je ne sais pas si mon avis vaut quelque chose cela dit…

Il n'a pas sa guitare avec lui et c'est bien dommage. Je ne serai pas contre le fait de l'écouter chanter.

– Tu as beaucoup écrit ? Dans ce cas… Je suis très curieux d'entendre ces chansons…
– Et moi, j'adorerai les entendre de nouveau, j'affirme en souriant.

Emily a l'air impressionnée par la taille de la suite de Jeff. Au point que je lui jette un sourire amusé. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps Jeff et les autres sont à Vegas. Peut-être déjà au moins une semaine, voir plus. Jake a dû juger nécessaire qu'ils aient un peu plus de place qu'une simple chambre comme Emily et moi occupons. Ou peut-être que Jeff a simplement insisté, juste pour embêter Jake.

Je l'ignore. Mais au moins, c'est confortable, et il a beaucoup - même un peu trop - de place.

"- Je ne sais pas si mon avis vaut quelque chose cela dit…"

"- Je t'assure que si", je rétorque. "Bien plus que toutes les critiques musicales"

Je note le sourire amusé de Jeff. Mais au moins, il ne fait aucun commentaire à ce sujet.

"– Tu as beaucoup écrit ?", s'enquit Jeff. "Dans ce cas… Je suis très curieux d'entendre ces chansons…"

"– Et moi, j'adorerai les entendre de nouveau", renchérit Emily.

J'hésite un instant, tout en essuyant mes mains avec l'une des serviettes en papier qui nous a été fourni avec notre repas.

Pour je hoche la tête.

"- Je vais juste chercher ma guitare, je reviens."

Et mon carnet, aussi. La plupart de ces chansons sont encore trop récentes pour que je sois parvenu à me souvenir de toutes les paroles.

Lorsque j'ouvre la porte et que je sors dans le couloir, je me fige en notant l'attroupement qui s'est formé devant la porte de ma chambre.

Plusieurs d'individus qui portent l'uniforme d'employés de l'hôtel sont présents. Et puis il y a cette femme d'une vingtaine d'années, plaquée contre le sol par l'un des vigiles. Elle est vêtue comme beaucoup de ces jeunes femmes qui viennent tenter leur chance à Vegas, avec des vêtements qui respirent le luxe. Et je grimace en notant le t-shirt des Halo N Back sous sa veste en cuir parée de strass.

Merde.

"- J'ai la clé ! Laissez-moi rentrer dans cette chambre ! Je suis cliente ici !"

J'hésite quelques secondes sur la marche à suivre. Et le bruit de la porte de la chambre de Jeff, qui se referme derrière moi, trahit ma présence.

"- Monsieur Alskell !" s'exclame aussitôt une jeune femme que j'ai déjà vu quelques heures plus tôt à la réception. "Nous avons appelé la police. Elle a la clé de votre chambre, mais..."

"- La clé ?" je répète en fronçant les sourcils. "Comment a-t-elle pu..."

Mais la clé en question a bien atterri au sol, dans le milieu du couloir, accompagné d'un sac que je reconnais aussitôt.

"- Où avez-vous trouvé ça ?" je siffle en m'approchant à grands-pas.

"- Tom !" s'exclame la jeune femme à mon attention. "Je suis tellement contente de te voir ! Je suis ta plus grande fan !"

Elle tend une main pour essayer de me toucher, mais je recule de plusieurs pas, le sac d'Emily dans ma main.

"- Vous la connaissez ?" me lance la réceptionniste.

Je secoue la tête.

"- Non. Mais ce sac appartient à ma compagne."

Il est déjà ouvert, et je n'ai qu'à y jeter un bref coup d'œil pour noter que certaines de ses affaires sont encore dedans. Reste à savoir si certaines choses manquent. Son téléphone a l'air d'être absent. Mais je vois au moins une autre paire de clés, correspondant à celles de sa maison à Castine. Et probablement ses papiers, un bloc notes...

"- Je l'ai juste suivi !" proteste la fan toujours plaquée au sol. "Juste quelques photos, rien d'autre. Et puis elle a oublié son sac. Je voulais lui rendre, c'est tout !"

Ses explications sont affreusement hasardeuses, et il est évident que ses motivations ne sont pas parfaitement innocentes.

"- Elle l'a oublié, ou vous lui avez volé lorsqu'elle était occupée par autre chose ?"

"- Je ne suis pas une voleuse !" proteste la jeune femme. "Je voulais juste lui emprunter. Trouver des photos sur son téléphone pour les réseaux sociaux, c'est tout ! Mais j'ai juste trouvé une antiquité qui n'a même plus de batterie. Et il avait ce carnet, avec des dessins..."

Les dessins d'Emily... Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle a pu faire avec. Le carnet est toujours dans le sac, mais si jamais elle a pris des photos de ces croquis... Il n'est pas difficile de me reconnaître, sur certains d'entre eux.

"- Je veux que vous retiriez toute photo que vous avez mise en ligne."

"- Il n'y a pas de photos ! Aucune photo, je le jure ! Je voulais juste te voir, Tom ! L'adresse de l'hôtel était dans le carnet. A la réception ils m'ont donné la clé..."

"- Elle s'est présentée avec les papiers de votre compagne", intervint la réceptionniste. "Mon collègue n'a pas pris le temps de vérifier, et lui a donné la clé de la chambre. Mais je suis intervenue juste après."

J'ignore si je dois croire les dires de la jeune femme toujours au sol. Ce genre de personne est capable de mentir sans aucun scrupule. J'imagine déjà le scandale si certains croquis étaient mis en ligne.

Au fil de cette conversation sans queue ni tête, je sens la peur monter à nouveau en moi. J'avais bon espoir que personne ne reconnaisse Emily, et que les quelques photos qui avaient été prises de nous n'aient pas été suffisantes pour que les gens la reconnaissent dans la rue. Mais ce n'est manifestement pas le cas.

"- Restez loin de moi, et de ma compagne !" je siffle.

Puis je me penche pour récupérer la clé de la chambre, toujours au sol.

"- Je ne la connais pas", je confirme aux vigiles. "Elle n'a rien à faire ici. Mais j'aimerais juste vérifier qu'elle n'a rien volé..."

Je tambourine à la porte de Jeff. Puis lorsque cette dernière s'ouvre, j'appelle Emily, et lui tend son sac, encore ouvert.

"- Peux-tu vérifier qu'il ne te manque rien ? "

J'ai probablement l'air en colère, et je me force à lui sourire d'un air plus doux. Je me sens affreusement coupable. Si je n'étais pas connu, tout cela ne serait probablement jamais arrivé.
Dans le couloir, la jeune femme plaquée au sol se met à me crier de revenir, pour faire une photo avec elle. Mais heureusement, les vigiles la plaquent toujours au sol.

J'ai besoin de vacances. Sauf que ces dernières viennent de se finir. J'ai surtout besoin d'être seul avec Emily, dans une chambre fermée à clés. Juste pour pouvoir la serrer contre moi.

Le brouhaha extérieur attire mon attention juste avant que l'on frappe à la porte. Jeff me fait signe de me lever… Ce que je fais, un air surpris flanqué sur le visage. Tom me tend mon sac à main, il semble plutôt mécontent…

–Peux-tu vérifier qu'il ne te manque rien ?

Mon regard se pose sur la jeune femme plaquée sur le sol… Que fait-elle ici ? Est-ce elle qui … Pourquoi avait-elle mon sac ? Comment ?

Je fouille à l'intérieur et je remarque qu'il manque mon téléphone, de l'argent, ainsi que quelques dessins sans grande importance. Heureusement pour Tom, celui-ci ne contient aucun dessin le représentant… Mais je me sens atrocement mal… L'on a fouillé dans mes objets personnels, dans mon intimité.

– Mon téléphone et de l'argent… À peu près deux-cent dollars.
– C'était même pas un vrai téléphone !

Cette jeune fille… Elle semble hystérique. Comment peut-on être à ce point obsédé par une autre personne ? Je peine sérieusement à le comprendre.

J'apprends finalement que la jeune fille m'a volé mon sac alors que j'étais prise par mes observations. Bon sang, je ne me suis rendue compte de rien. Elle espérait trouver des photos dans mon téléphone, des réseaux à pirater. N'ayant rien de tout ceci, il est probable qu'elle se soit agacée… Quoi qu'il en soit, mon téléphone avait été jeté sur le sol avant d'être piétiné.

La police arrive et l'on m'encourage à porter plainte pour le vol… Ce n'est pourtant pas ce qui me semble le plus grave dans cette histoire. Cette femme s'est tout simplement introduite dans l'hôtel en passant la sécurité… comment a-t-elle seulement pu récupérer la clé de la chambre alors que je l'ai déposée à l'accueil avant de quitter l'hôtel…

La réalité est très simple : elle s'est faite passer pour moi auprès de l'employée en relève lors d'une pause ou que sais-je. Et, visiblement, sa petite manœuvre a fonctionné jusqu'à ce que l'autre hôtesse ne se rende compte de la supercherie et fasse appel à la sécurité.

Je ne sais plus vraiment où me mettre ni même que faire. Je n'ai pas envie de rester ici, dans cet hôtel, dans cette ville… Je ne me sens pas du tout en sécurité, au contraire… Je me sens violée, observée, perdue.

– C'est… euh… merci.

Le temps que la police arrive, et que la plainte d'Emily soit enregistrée, je sens bien que cette dernière est de plus en plus désemparée. La fatigue ne doit pas non plus l'aider à avoir les idées claires.

Et je m'efforce d'être présent auprès d'elle, ne lui lâchant pas la main.

Lorsque nous retournons enfin à notre étage, je souhaite bonne nuit à Jeff, et nous convenons de nous retrouver dans le hall de l'hôtel le lendemain matin, pour nous rendre ensemble aux répétitions.

"- Je pourrai t'aider à trouver un nouveau téléphone, si tu le souhaites, Emily", propose Jeff avant que nous nous séparions. "J'ai perdu le mien ici il y a quelques années. Et il y a une petite boutique pas très loin d'ici qui propose des modèles assez basiques à un prix abordable. Ou je donnerai l'adresse à Tom, si tu préfères y aller avec lui. On devrait avoir du temps pour ça, demain."

Il nous lance un bref clin d'oeil, puis disparaît dans sa chambre.

Lorsque la porte de notre chambre se referme derrière nous, je prends soin de la verrouiller à double tours.

Puis je me tourne vers Emily, et je la prends dans mes bras, lui murmurant des mots de réconfort à l'oreille. Je n'ai pas besoin de lire dans ses pensées pour me rendre compte de l'état de détresse psychologique dans lequel elle est. Et je fais ce que je peux pour lui permettre de se détendre.

"- Je t'aime. Et je suis vraiment désolé, c'est entièrement de ma faute. On te trouvera un nouveau téléphone demain."

Je dépose mes lèvres sur son front, puis sur ses lèvres.

"- Ca fait déjà plusieurs fois que je viens ici, et c'est la première fois que quelque chose comme ça arrive. Sache juste que ce n'est pas de ta faute. Les gens sont stupides. Je ne sais même pas ce que pensait cette fille. Comme si m'approcher et rentrer dans ma chambre allait lui permettre de..."

De quoi ? Je ne sais même pas. A quoi s'attendait-elle ? Je n'ai même pas envie d'y penser.

"- J'ai envie que tu te sentes en sécurité, ici. Avec moi", j'ajoute à mi-voix. "Dis-moi ce que je peux faire pour que ce soit le cas."

Mes mains se calent de chaque côté de sa mâchoire, et je plonge mon regard dans le siens. Ce que je lis dans ses yeux m'attriste plus que je ne suis capable de l'exprimer. Je n'ai pas envie qu'elle parte. J'ai envie qu'elle reste ici, avec moi. J'ai envie de lui faire découvrir mon métier, qu'elle me voit sur scène dans quelques jours. Mais je sais aussi que le plus important est qu'elle se sente bien.

"- Je peux te faire couler un bain", je propose. "Avec peut-être un massage ? Pour te faire oublier tout ça."

– Merci, je réponds à Jeff d'une voix plutôt neutre.

Trouver un nouveau téléphone n'est pas ce qui m'inquiète le plus. Le matériel, je m'en contrefiche. Ce n'est pas non plus une question d'argent. Pas du tout même. Ce qui m'ennuie, c'est cette intrusion dans mon intimité. Et contre cela, aucun mot ne saura m'apaiser. La vision de cette gamine plaquée sur le sol me hantera un bon moment. Je l'imagine fouiller dans mes affaires à la recherche du Saint Graal sans jamais rien trouver. Je visualise sa frustration en découvrant mon téléphone dépourvu de la moindre fioriture… Je vois sa colère, je la ressens et j'imagine le geste qui a mené à la destruction de l'appareil.

C'est tout ceci qui me perturbe. Je m'enferme avec ces pensées dans ma tête, tant et si bien que je ne me rends compte de notre retour dans la chambre que lorsque les bras de Tom se referment autour de moi.

– Je t'aime. Et je suis vraiment désolé, c'est entièrement de ma faute. On te trouvera un nouveau téléphone demain.
– En quoi est-ce ta faute ? je demande, perplexe. C'est moi qui ai pris la décision de sortir, de m'asseoir sur ce banc… de continuer ma route. C'est ma naïveté qui a causé tout ça… C'est moi qui suis désolée.

J'ai l'impression que mon âme s'est faite percuter par un bus. L'image est peut-être violente, mais c'est bien ce que je ressens. Je me suis montrée stupide et c'est ma stupidité qui a causé tous ces problèmes. Qui lui a causé ces problèmes… Cette pauvre fille doit être totalement déséquilibrée. Au fond, elle n'est en rien responsable de tout ceci. Elle s'est laissée guider par son obsession… Ce genre d'amour passionnel totalement dépourvu de logique et de limite qui peut causer bien des malheurs… Ce genre d'obsession, ce sont les labels qui les provoquent à grands coups d'interview de plus en plus personnelles et de photos dépourvues de la moindre censure.


– J'ai envie que tu te sentes en sécurité, ici. Avec moi. Dis-moi ce que je peux faire pour que ce soit le cas.
– Rien… Ne fais rien… je soupire en me lovant contre lui.
– Je peux te faire couler un bain. Avec peut-être un massage ? Pour te faire oublier tout ça.

Je peux sentir son inquiétude, ses craintes… Je suis sincèrement navrée d'avoir éveillé tout cela chez lui.

– Tom… Ça va aller, d'accord ? je déclare avant de capturer son visage entre mes mains, ses lèvres contre les miennes.

Je reconnais aisément ce besoin qui prend doucement naissance… Celui de nous réunir. Je viens doucement déboutonner sa chemise afin de lui faire comprendre mes intentions sans pour autant interrompre le baiser qui se fait de plus en plus pressant. J'ai cruellement besoin de ressentir ce lien tangible entre nous …

"– Tom… Ça va aller, d'accord ?"

Je n'en suis pas vraiment certain. Nous avons tous les deux été cruellement rattrapés par la réalité. Et je sais que cet incident n'est que le premier d'une longue série.  Il est évident que nous allons devoir apprendre à nous protéger pour continuer à faire vivre notre relation.

Mais Emily m'embrasse d'une manière qui n'appelle plus que le silence, et une communication d'un tout autre type.
Ses lèvres sont insistantes contre les miennes. Et je les entrouvre pour approfondir un baiser déjà passionné.

C'est fou la rapidité avec laquelle ce désire partagé se réveille. Juste une caresse, un baiser appuyé, rien qu'un regard, et je suis là, devant elle, attendant uniquement ses ordres, ce qu'elle attend de moi.

Elle ôte un à un les boutons de ma chemise, et je me débarasse de ce tissu devenu trop encombrant, le laissant tomber au sol. J'aurai bien le temps de m'en occuper ensuite, de l'amener au pressing de l'hôtel. Pour l'heure, j'ai juste besoin de la chaleur de la peau d'Emily.