Je m'endors sans même m'en rendre compte, laissant à mon réveil la responsabilité de me tirer de ce sommeil sans rêve. Je grogne tout en cherchant à tâtons ce fichu téléphone décidément beaucoup trop bruyant.

– C'est l'heure, je murmure à son oreille avant de déposer un tendre baiser sur sa joue.

J'aimerais pouvoir prendre le temps de paresser un peu plus dans ses bras, mais il me faut encore me doucher et rassembler le reste de mes affaires. Alors je m'extirpe à contrecoeur de ce lit trop grand et terriblement confortable pour rejoindre la salle de bain. Je m'applique à éliminer autant de paillettes que possible tout en revoyant mon programme de la journée. Un vol Las-Vegas/ Philadelphie avant de poursuivre jusqu'à Portland. Ensuite il me faudra faire la route en compagnie de Betty pour retrouver Sean et Nix. Tout cela va me prendre environ seize heures. C'est long …

Ma douche terminée, je m'habille rapidement pour prendre le temps de grignoter avec Tom, même si je n'ai pas vraiment faim. Je me force à manger néanmoins, juste histoire de ne pas avoir le ventre vide… Et surtout de résister aux horribles sandwichs vendus dans les avions. J'ai choisi de prendre mes billets en classe éco, je n'ai aucunement besoin de faire ce voyage en classe affaire.

Durant le temps qu'il nous reste, je m'efforce à rester joyeuse. Je discute et plaisante jusqu'à l'heure du départ.

Nos adieux ne sont en rien déchirants, même s'ils restent difficiles. Tom me tient compagnie jusqu'à ce que l'on nous appelle pour l'embarquement. Nous nous séparons après un baiser photographié sur plusieurs angles et un dernier échange de "je t'aime".

Mon retour à Castine se fait dans une ambiance étrange, presque irréelle. Je suis heureuse de retrouver Sean et Nix qui saute joyeusement autour de nous pour réclamer ses caresse… J'ai l'impression d'être partie depuis tellement plus longtemps…

Retour à la réalité.

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. J'ai des milliers de choses à faire et ne sais plus où donner de la tête. J'ai Tom au téléphone tous les jours, mais il est évident que notre relation est très différente. Nous parlons beaucoup et partageons énormément de photos.

La nouvelle galerie se trouve à New-York. Il est donc prévu que je m'y rende pour la visiter dans les jours prochains. En attendant, j'achève les derniers travaux de la cuisine qui ressemble enfin à quelque chose. Je suis tellement fière de pouvoir la montrer à Tom lors de l'un de nos appels.

– Qu'en penses-tu ?

Derrière-moi, se trouvent Sean et Charly, venus me prêter main forte, plus particulièrement pour les travaux nécessitant plusieurs bras.

Notre séparation est difficile à digérer. Nos dernières heures ensembles passent bien trop rapidement à mon goût. Et lorsqu'elle m'embrasse une dernière fois à l'aéroport, c'est en public. Avec des photos qui rejoindront probablement les pages de la presse à scandale.

Commencent alors des journées à la saveur étrange. Le temps me parait bien long sans Emily. Certes, Jeff est avec moi, et nous reprenons rapidement nos petites habitudes. Les mêmes que nous avons lorsque nous sommes en tournée. Mon ami me traîne tous les jours à la salle de sport de l'hôtel, arguant que j'ai besoin d'éliminer une frustration évidente. Nous passons également beaucoup de temps à parcourir les chemins de randonnée autour de Vegas.

Et puis il y a les appels d'Emily, qui à eux seuls égayent mes journées. Discuter avec elle ne compense pas ce manque manifeste, mais cela m'aide à supporter la distance. Il y a juste ce petit souci de décalage horaire, qui n'aide pas vraiment. Mais je me plie de bonne grâce à ses appels souvent matinaux.

Notre première entrevue avec Camille est finalement décalée de plusieurs jours, ce qui rallonge mon séjour, à mon grand désarrois. Mais je sais aussi que cette dernière est nécessaire... et je prends donc mon mal en patience.

Nous recevons de temps à autre des nouvelles de Peter et de Frank. La santé de Peter ne s'améliore guère, et les médecins s'inquiètent qu'il garde certaines séquelles, ou même que son état s'agrave. Mais il est encore trop tôt pour vraiment savoir comment cela évoluera.

Et puis il y a Jake, qui nous impose des interviews pour plusieurs magazines, en compagnie de Sofia, et de Kelly.  Les questions s'enchainent et se ressemblent. Celles qui concernent ma vie privée m'agacent, mais je prends sur moi, soucieux de donner une bonne image dans les médias.

"– Qu'en penses-tu ?"

C'est un de ces jours qui me paraissent interminables. Ce n'est que la toute fin de matinée à Vegas. Je suis dans ma chambre, après une nouvelle session de sport en compagnie de Jeff. Nous sommes censés retrouver Camille pour déjeuner ce midi et sommes donc chacun retournés dans notre chambre respectives pour nous préparer.

Je suis assis sur mon lit, les cheveux encore humides après ma douche, avec juste une serviette nouée à ma taille. Et je souris largement à une Emily en tenue de bricolage, qui me présente le résultat des travaux dans sa cuisine.

"– Vous avez fait du super boulot !" je la félicite. "J'ai hâte de voir ça en vrai."

Je fais de mon mieux pour ne pas trop m'attarder sur Charly, que je vois en arrière-plan. Ce dernier semble passer beaucoup de temps en compagnie d'Emily.

Est-ce que je suis jaloux ? Sans aucun doute. Mais ce n'est pas comme si je pouvais y faire grand chose.

"– Vous avez réhaussé le comptoir, non ?" je demande ensuite. "– Je n'ai pas eu beaucoup le temps de l'utiliser, mais..."

Je m'arrête avant que ça ne dérape. Nous ne sommes pas seuls, et je n'ai guère envie de m'attarder sur l'utilisation toute particulière qu'Emily et moi avons eue de ce fameux comptoir tout en discutant de Scrabble.

Je me racle la gorge.

"– Nous déjeunons avec Camille ce midi", j'informe ensuite Emily. "Si tout se passe bien, la signature ne devrait pas prendre trop de temps. D'après la femme de Jeff, tout est en ordre dans notre contrat. Nous devrions pouvoir quitter Jake sans trop de difficultés."

Nous avions eu cette information la veille, et j'avais vraiment hâte de l'annoncer à ma compagne.

"– Tu me manques", j'ajoute ensuite d'une voix plus douce.

Je suis plutôt ravie de tous ces changements. Les meubles ont été réparés puis repeints dans une teinte vert d'eau qui se marie à merveille avec le bois de mon plan de travail. Nous avons changé l'évier, la cuisinière antique… Et j'ai surtout fait installer un réfrigérateur !

– Vous avez fait du super boulot ! me lance-t-il. J'ai hâte de voir ça en vrai.

Je ne le montre pas, mais je commence de plus en plus à douter de son retour. Le temps passe et les jours se sont peu à peu transformés en semaines. Je sais bien qu'il travaille et que sa carrière est extrêmement chronophage mais … Son absence reste difficile à gérer.

–Vous avez réhaussé le comptoir, non ?Je n'ai pas eu beaucoup le temps de l'utiliser, mais…
– Oui, répond Charly. On s'est dit que ce serait plus agréable pour cuisiner !

Je ne peux retenir un sourire en écoutant la réponse de mon ami qui… se trouve très loin des préoccupations de mon compagnon.

Il me parle ensuite de son prochain rendez-vous, celui-là même qui a maintes fois été repoussé.

– C'est génial ! je m'écrie, sincèrement heureuse pour lui. Je croiserai les doigts pour vous !
– Tu me manques.
– Tu me manques aussi, je réponds tout en m'efforçant de sourire.

– Mily ! m'interpelle Charly. Il faudrait aller récupérer les crédences à Stockton Springs. Tu veux que j'y aille ?
– Non, c'est bon, je m'en charge, je rétorque avant de reporter mon attention sur Tom. Il faut que j'y aille… On se rappelle plus tard ? Je veux tout savoir de ce rendez-vous … Et j'espère que cette Camille n'est pas trop … mystérieuse ?

Je pouffe.

– Allez. Bon courage mon amour. Je t'aime !

Je raccroche et range mon téléphone dans mon sac avant de récupérer les clés de Sean. Depuis quelques jours, le pick-up de Tom se trouve dans mon garage, mais je n'ose pas y toucher. Alors en attendant que je me décide à me racheter une voiture, je continue d'emprunter Betty.

– Tu as besoin d'aide, ma fille ? me demande Sean tandis que je m'apprête à sortir .Tu veux que je t'accompagne ?

– Non, ne t'inquiètes pas. J'en n'ai pas pour très longtemps.

Stockton Springs se trouve à une trentaine de minutes de Castine, ce n'est tout de même pas le bout du monde…

Je quitte le magasin pas moins de quarante cinq minutes plus tard. Il fait froid aujourd'hui, un vrai temps à neige et j'ai, évidemment, oublié de prendre mes gants. Je souffle sur les mains après chaque cartons déposés dans le coffre. C'est calme dans le coin, il n'y a pas foule sur le parking. Je termine de ranger mes achats et reprends tranquillement la route. J'allume la radio et jongle entre les stations jusqu'à trouver une chanson sympa pour me tenir compagnie durant le trajet…

Je dois l'avouer, je ne suis pas très concentrée sur la route… Mon esprit est ailleurs, focalisé sur tout ce que j'ai encore à faire …Mais surtout sur Tom. J'espère que tout ira bien pour lui et qu'il obtiendra tout ce qu'il souhaite de ce rendez-vous… Je laisse mes pensées s'égarer et…

Je ne vois pas la voiture rouge griller le feu.

– Euh … Tom… C'est Sean, bredouille le vieil homme qui peine à trouver les mots. C'est Emily…Elle… Elle a eu un accident et…

Le grand-père éprouvé tremble beaucoup trop pour espérer fournir la moindre information. Alors le jeune homme récupère le téléphone pour poursuivre.

– C'est Charly à l'appareil… Mily a eu un accident, une voiture lui a coupé la route et… Ils l'ont transporté par hélicoptère au MMC de Portland. On vient d'arriver avec Sean, apparemment elle est au bloc mais… Ils ne veulent rien nous dire, on n'est pas de la famille.

Je fronce les sourcils lorsque Charly me répond au sujet du comptoir. Décidément, je ne l'aime pas beaucoup. Et j'aime encore moins la place qu'il prend aux côté d'Emily. Ça devrait être à moi de l'aider, et pas à lui.

La distance est de plus en plus difficile à supporter, et je vois bien que les sourires d'Emily sont de moins en moins francs, comme si elle doutait que je revienne un jour.

Elle a l'air heureuse lorsque je lui annonce que Jeff et moi voyons enfin Camille ce midi. Avec un peu de chance, les négociations ne devraient pas prendre trop de temps. Mais je n'ose pas m'avancer à ce sujet, de peur de donner un nouveau délai que je ne serai peut-être pas en mesure de respecter.

"– Il faut que j'y aille… On se rappelle plus tard ? Je veux tout savoir de ce rendez-vous … Et j'espère que cette Camille n'est pas trop … mystérieuse ?"

Je souris à cette plaisanterie, mais l'humeur n'y est pas. Cet appel se termine bien trop vite à mon goût.

"– Beaucoup moins mystérieuse que toi", je rétorque avec un clin de d’œil.
"– Allez. Bon courage mon amour. Je t'aime !"
"– Je t'aime aussi, mon Emily"

L'image est hachée, mais je peux tout de même voir son sourire tendre juste avant qu'elle ne raccroche. Et je m'allonge sur le lit avec un grognement d'impuissance. Vivement que toute cette histoire de contrat se termine.



Deux heures plus tard, je peux constater que Camille n'a guère changé depuis la dernière fois que je l'ai vu. Toujours ces cheveux d'un roux vif, qui sont maintenant beaucoup plus courts. Toujours ces yeux d'un bleu qui tire vers le gris. Et toujours ce sourire charmeur.
Quelques rides sont toutefois venues s'ajouter sur son visage, marquant le passage du temps.
Elle nous serre tous les deux dans une étreinte chaleureuse, qui dure peut-être un peu plus longtemps que nécessaire lorsque c'est à mon tour.
Mais comme souvent avec Camille, elle va droit au but.

"– Alors comme ça, il parait que vous en avez marre de Jake, je ne comprends vraiment pas pourquoi !"

Le ton est ironique, et Jeff éclate de rire.
Les négociations vont bon train, et nous lui montrons tous les deux nos contrats actuels, afin d'avoir son avis sur la meilleure manière de procéder.

Je suis attentif aux échanges, et je participe activement. Mais je ne peux m'empêcher de mettre la main sur mon téléphone à intervalles réguliers. Je l'ai mis en mode avion juste avant le début de ce rendez-vous, afin de me concentrer pleinement sur ce dernier. Et pourtant, je meurs d'envie de tenir Emily au courant de l'avancement des négociations.

"– Il faut que je vérifie ça avec mes avocats", annonce finalement Camille au terme de deux heures d'entretien. "Juste une vérification de routine. Je fais confiance à ta femme, Jeff, mais j'aimerais tout de même m'assurer que tout est en ordre. En tout cas, ce sera un plaisir de travailler avec vous deux. Et continuez de travailler sur ces chansons, elles sont très prometteuses."

Pour l'instant, les chansons en question ne sont qu'au stade de brouillon. Juste quelques vidéos que Jeff a enregistré dans ma chambre d'hôtel. Mais ce premier retour me fait chaud au cœur.

Jeff s'excuse quelques minutes pour passer un coup de fil à sa femme, et la tenir au courant des derniers évènements.

Je me retrouve donc seul avec Camille, et le sourire qu'elle me lance n'a rien d'innocent.

"– Alors, il parait qu'Helena et toi c'est terminé ?"

Sous la table, je sens son pied remonter le long de ma jambe.

"– Je suis en couple, Camille".

Son pied s'immobilise, et elle le recule finalement avec un sourire d'excuse.

"– Dommage", rit-elle en haussant les épaules. "J'envisageais bien de reprendre où nous nous étions arrêtés."

Le clin d’œil qu'elle me dédie juste après me fait éclater de rire.

"– Aucune chance. Je suis heureux, Camille. Vraiment très heureux. Et dès que le contrat sera signé, j'ai prévu de la rejoindre..."

Elle lève une main, me faisant signe de me taire.

"– Je te taquine, Tom. Moi aussi je vois quelqu'un."
"– Oh. Vraiment ?"

Elle acquiesce, et je me sens tout de suite soulagé.

"– Je voulais juste m'assurer que toute cette histoire n'était pas un moyen pour toi de reprendre ce que nous avions commencé..."
"– Non !", je la coupe aussitôt. "Non. Non, absolument pas."
"– Eh bien dans ce cas", reprend-t-elle avec un large sourire. "Ce sera un plaisir de travailler avec Jeff et toi."
"– Plaisir partagé."
"– Et je compte sur toi pour me la présenter, Tom."

Nous nous séparons tous les trois près d'une heure plus tard, après que Camille nous ai promis de nous recontacter d'ici quelques jours.
Et ce n'est qu'à ce moment que je sors mon téléphone du mode avion.

J'ai plusieurs appels en absence. Tous du même numéro. Et j'ai un très mauvais pressentiment à ce sujet.





Les heures qui suivent s'écoulent comme dans un rêve. Ou plutôt, comme dans un cauchemar. Jeff s'occupe de tout, de me ramener à l'hôtel, de nous trouver un vol, d'informer Jake et Camille que nous quittons Las Vegas pour des raisons personnelles.
Il refuse catégoriquement de me laisser y aller seul. Soit-disant que je ne suis pas en état de prendre des décisions.

Probablement.
Certainement, même.
Je n'arrive pas à me sortir de la tête les mots de Sean... et de Charly.

Emily. Accident de voiture. Bloc opératoire.

Comment... Pourquoi ?

Je suis terriblement inquiet. Je l'aime de tout mon cœur, et si jamais il lui arrivait quelque chose...

Mille et un scénarios catastrophe occupent mes pensées. Mais je sais simplement que j'ai besoin de la voir, d'être auprès d'elle. Quoiqu'il arrive.

"– On est presque arrivés, Tom"

Jeff me secoue, et je me réveille dans cette voiture de location, qui n'a rien à voir avec celle que Jeff a laissé à Las Vegas. Une simple berline parfaitement ordinaire. Idéale pour passer inaperçu. Mais nul doute que tous les tabloïds du pays sont au courant que nous avons dû quitter Las Vegas en urgence. Des photos circulent probablement joyeusement sur la toile, avec mes yeux rougis soulignés de cernes noires.

Nous n'avons emporté que quelques affaires, et stocké le reste dans la chambre d'hôtel de Jeff.

J'ai rendu ma propre chambre. J'en reprendrai une si je dois retourner à Vegas. Mais j'ai bien l'intention de rester auprès d'Emily le plus longtemps possible.

"– Merci", je bafouille d'une voix rauque.

Je me sens atrocement coupable d'avoir pris le temps de m'assoupir. Mais les vols ont été longs. Cela fait près de vingt-quatre heures que Sean et Charly m'ont contacté. Et ils ont été incapables de me donner plus de détails, si ce n'est qu'Emily est sortie du bloc, et que son état est stable. Mais elle est dans le coma.

Nous retrouvons les deux hommes dans le hall de l'hôpital. Ils ont l'air tous les deux tout aussi fatigués que moi. Mais leur étreinte est solide.

Les présentations se font rapidement, même si elles semblent parfaitement inutiles en considérant que tout les gens autour de nous ne cessent de nous jeter des regards curieux, à Jeff et à moi.

C'est dans ces moments là que j'aimerais être un type normal.

"– Nous venons voir Emily Greene."
"– Vous êtes de la famille ?"

Je serre les dents. Ces fichues restrictions commencent sérieusement à m'agacer. Et je dois parlementer durant de longues minutes avec la femme à l'accueil de l'hôpital. Contrairement à ses collègues, cette dernière ne semble avoir aucune idée de qui je suis.

"– Écoutez, je suis son compagnon ! Elle et moi sommes en couple depuis quelques semaines, et..."

Je sors mon téléphone de ma poche, et affiche plusieurs photos prises à Castine, sur lesquelles nous sommes tous les deux enlacés.

"– Regardez ! Je vous assure que c'est la vérité. J'aimerais juste... Je veux juste être avec elle, quoiqu'il arrive."

Mon air défait, et la présence de Sean à mes côtés semblent finalement venir à bout des réticences de mon interlocutrice.

"– Très bien, monsieur..."
"– Alskell. Tom Alskell."

Elle hausse un sourcil, et je soupire en sortant mon passeport pour lui assurer que oui, je suis bien moi.

"– Ma fille est fan de votre groupe", commente-t-elle.

Je me mords la langue pour éviter de répondre quelque chose d'impoli.
Et je soupire finalement avec soulagement lorsqu'elle nous donne le numéro de la chambre.

"– Sean va venir avec moi", je lui annonce ensuite en désignant le vieil homme avec moi. "Il est la seule famille qu'il reste à Emily."

Notre interlocutrice se contente d'acquiescer, après avoir dévisagé le vieil homme d'un regard appuyé.

Arrivé à la chambre d'Emily, je m'effondre, tandis que la fatigue et le stress des dernières heures reprennent le dessus. Je fond en larmes, incapable de retenir ces dernières.

Elle est là, allongée sur ce lit, immobile, le visage couvert de contusions. J'écoute distraitement le médecin nous lister toute l'étendue de ses blessures. Mais je n'arrive pas à me concentrer.

Ça fait des semaines que j'ai envie de la revoir, de la serrer dans mes bras, de l'embrasser. Et je la retrouve là, allongée dans ce lit d'hôpital.

J'ai l'impression d'avoir une fois de plus fait passer ma carrière avant mon couple. Et je m'en veux. Terriblement.



Les jours qui suivent, Jeff ne parvient à me sortir de cette chambre que pour me forcer à avaler au moins un repas par jour. Et me forcer à dormir, aussi. Nous avons trouvé un hôtel non loin de l'hôpital. Juste Jeff, Sean et moi.

Charly est retourné à Castine, notamment pour s'occuper de Nix, et il vient aux nouvelles une fois par jour. Mais pour l'heure, aucune évolution.

Certaines marques commencent à bleuir sur le visage d'Emily. D'autres ont déjà disparu. Mais les médecins sont parfaitement incapables de me dire combien de temps durera ce coma.

Je passe mes journées à son chevet, à contempler son visage assoupi, ma main serrant la sienne. J'écris un peu. Je discute beaucoup avec Sean, à voix basse.

Et Jeff est là, m'accompagnant dans cette épreuve, après que les médecins lui aient finalement donné l'autorisation de nous rejoindre dans cette chambre.

Reste maintenant à attendre. Et cette attente est beaucoup trop longue. J'aimerais simplement qu'elle ouvre les yeux, et qu'elle me promette que tout ira bien.

"Chère Martha,

Trois ans se sont écoulés depuis ma dernière lettre. J'en suis sincèrement désolé et j'ose espérer que tu ne m'en voudra pas trop. Non, c'est certain. Tu es beaucoup trop bienveillante pour m'en vouloir pour si peu après tout. Et puis je sais que tu comprends à quel point il est difficile d'écrire à une personne sans pouvoir espérer la moindre réponse. Mais aujourd'hui, j'ai affreusement besoin de te parler… Quelque chose est arrivé à ta petite Emily et j'en suis en partie responsable.

Je t'épargne les détails de l'accident, ce n'est pas le plus important. J'ai envoyé Betty à la casse sans même oser la regarder, c'est dire…

Des côtes brisées, une jambe cassée, une entorse au poignet, plusieurs traumatismes crâniens, voilà toute l'étendue des blessures d'Emily. Sans parler des quelques contusions et coupures encore visibles çà et là. Un œdème s'était formé au niveau de sa colonne vertébrale, mais les chirurgiens sont heureusement parvenus à l'endiguer à temps, limitant ainsi les risques de paralysie. Les blessures guérissent tranquillement et ses fonctions cérébrales semblent intactes… Les médecins sont unanimes, malgré la violence du choc, Emily a eu de la chance…

Alors pourquoi ne s'est-elle toujours pas réveillée ? Est-elle auprès de toi ? J'espère que non…

Le problème viendrait de ses traumatismes crâniens et de la réponse de son corps. Il guérit, c'est certain, mais comme pour la préserver des douleurs son organisme s'est endormi. Voilà pourquoi ils lui ont laissé cet horrible tuyau dans la bouche pour l'aider à respirer. Elle n'en a pas vraiment besoin, mais les médecins estiment que c'est un moyen de laisser son corps se reposer… Histoire de préserver ses forces.

La voir ainsi reste pourtant très douloureux pour le vieil homme que je suis. Je m'en veux terriblement de l'avoir laissé partir seule ce jour-là, j'aurais dû insister pour l'accompagner. Je sais que tu vas dire qu'Emily est têtue et qu'il est très difficile de s'imposer face à elle… Mais la vérité c'est que je n'ai même pas essayé.

Son petit ami l'a rapidement rejoint. Tu l'aimerais celui-là. C'est vraiment un bon garçon. Et puis, il l'aime ton Emily… Si tu le voyais avec elle… Son ami est même obligé de le forcer à quitter la chambre pour manger ou prendre un peu de repos, c'est dire ! C'est difficile pour lui aussi tu sais…

Alors, je te le demande, Martha. S'il te plaît, ne la ramène pas à toi. Laisse-la nous encore un peu… Je te verrai très bientôt.

Bien à toi,
Sean"

J'ai atrocement mal au crâne. Je serre les dents mais quelque chose m'en empêche, là, dans ma gorge. C'est gênant et légèrement douloureux aussi.

– "Elle lutte contre le respirateur ! Appelez le médecin ! "Hurle une voix féminine que je ne peux m'empêcher de trouver franchement agaçante. "Veuillez sortir s'il vous plaît."

J'ouvre les yeux mais tout est flou.. Tout ce que je perçois c'est une vive lueur blanche qui me brûle les yeux… J'entends des pas précipités, des tas de voix empressées… On me demande de me calmer et de forcer légèrement sur ma gorge… Ok, ils essaient de retirer le tube. Et bon sang, ça fait mal.

Je tousse comme pour me débarrasser de l'acide qui se trouve dans ma trachée. On me demande de ne pas essayer de parler… D'accord, j'attendrai pour leur demander de se taire alors… Ils parlent beaucoup trop fort…

–"Suivez la lumière," me lance l'homme qui retient mes paupières ouvertes… J'obtempère pour qu'il me relâche plus vite… Mais je suis fatiguée. Je veux qu'on me fiche la paix. "Parfait, c'est très bien mademoiselle Greene."

Ouais, parfait… Vous pouvez éteindre la lumière maintenant ? Et puis sortir aussi, ce serait pas mal… Oh, miracle… La lumière se tamise…

– "Vous pouvez entrer," lance le médecin à… Quelqu'un, je ne peux pas voir à qui il parle.

Il se lance alors dans une longue série d'explications que je n'écoute qu'à moitié. Il aurait très bien pu faire ça dans le couloir histoire de préserver ma tête. Ma vision s'améliore doucement et je remarque la jeune femme à mes côtés qui rajuste ma position dans le lit . La douleur s'apaise un peu, elle a dû me donner un médicament… Ça fait du bien…

– "Elle est réveillée, mais elle a quand même grand besoin de repos alors… Je n'autorise qu'une seule personne avec elle… Je vous laisse choisir."

Le miracle se produit un matin comme un autre, alors que je somnole sur cette chaise qui me fait affreusement mal au dos.
Sean est silencieux, de l'autre côté du lit. Lui et moi avons déjà épuisé nos sujets de conversation du jour. Ou peut-être avons-nous tous les deux besoin d'un peu de silence.

Jeff s'est absenté pour passer un coup de fil à sa femme. Ou peut-être à Camille. Je ne sais plus. Je ne l'ai pas vraiment écouté.

Charly, quand à lui, n'est pas encore arrivé. Mais il nous a prévenu qu'il passerait dans l'après-midi.

Mes yeux se ferment à moitié, à cause de cette fatigue qui ne me lâche pas. Je dors mal, ces derniers temps. Ça fait déjà presque deux semaines que je suis là. Deux semaines sans savoir si elle va se réveiller.

Le climat du Maine s'enfonce lentement dans l'hiver, et j'ai bien du mal à réaliser que ma rencontre avec Emily date de la fin de l'été. En y repensant, c'est encore si récent. Tout neuf.

Mais j'ai l'impression d'avoir passé plus de temps sans elle, ou assis sur cette chaise d'hôpital, qu'avec elle dans mes bras.
Cette constatation est si douloureuse. Et je rumine dessus depuis déjà près de deux jours.

Et puis j'ai froid. Je suis un enfant de la côte Ouest. Je ne suis pas habitué au froid mordant du Maine. Il faudrait que je sorte, que j'aille m'acheter des vêtements plus épais... Mais je refuse de la quitter.

Je nage donc dans une veste chaude appartenant à Jeff. Mais cela ne suffit pas à me réchauffer pleinement.

Des infirmières passent plusieurs fois par jour, toujours avec cet air compatissant, qui devient agaçant à force. Au début, certaines ont essayé de me faire la conversation, de me parler de mon groupe, de mes albums et concerts. Mais elles ont bien vite compris que je n'avais aucune envie de discuter de ce genre de chose.

Celle d'aujourd'hui est une de celles que j'apprécie le moins. Elle est bavarde, et bruyante aussi. Et elle tient toujours à nous demander comment nous allons, Sean et moi.

"– Ça pourrait aller mieux", je marmonne tandis que Sean hausse simplement les épaules.

Nous sommes tous les deux plongés dans une sorte d'apathie. Au point que je mets un certain temps à réaliser que quelque chose n'est pas normal.

La main d'Emily bouge dans la mienne, et puis...

"– Elle lutte contre le respirateur ! Appelez le médecin ! "

Emily se réveille.

J'ai tellement du mal à y croire que je reste immobile, hébété, incapable de faire quoique ce soit d'autre que de serrer sa main dans la mienne.

"Veuillez sortir s'il vous plaît."

Tout va très vite. Trop vite.

J'ai bien du mal à comprendre ce qui est en train de se passer autour de nous.

Sean et moi sommes sortis de force de la chambre, poussés par cette infirmière toujours aussi désagréable.

"– Elle se réveille. Elle se réveille."

Je serre Sean contre moi. Le vieil homme semble avoir bien du mal à réaliser. Il tremble, et je ne fais aucun commentaire au sujet des larmes qui coulent sur ses joues.

Je sais pertinemment que je ne dois pas être dans un bien meilleur état.

Dans le couloir, des membres du personnel nous dévisagent curieusement en passant.

Nous trouvons un banc sur lequel nous nous asseyons, juste en face de la chambre.

Sean ne me lâche pas la main. Ou peut-être est-ce moi qui lui la serre. Je ne sais pas. Je ne sais plus où j'en suis, ni quoi faire.
Je suis juste suspendu aux bruits que j'entends derrière cette porte fermée, dans l'attente du moindre mouvement, de la moindre nouvelle...

...Jusqu'à ce que la porte s'ouvre, et que le médecin en sorte.

"– Vous pouvez entrer", nous annonce-t-il.

Nous nous relevons immédiatement.

"– Comment va-t-elle ?" je souffle avec espoir.
– "Elle est réveillée, mais elle a quand même grand besoin de repos alors… Je n'autorise qu'une seule personne avec elle… Je vous laisse choisir."

Je soupire, et je me rassois sur ce fichu banc.

"– Je te laisse y aller, Sean."

Ce dernier me jette un coup d’œil surpris, même si je peux lire l'espoir dans ses yeux.

"– Tom... Est-ce que tu es sûr ?"

J'acquiesce.

"– Tu meurs d'envie de la voir. Et moi... Dis-lui simplement que je suis là. Et que je l'aime."

J'ai envie de constater par moi-même qu'Emily va mieux, qu'elle s'est réveillée, qu'elle... Mais Sean est comme sa famille. Cela me parait donc logique de le laisser la voir en premier.

Le vieil homme me remercie avec émotions, et je ne peux qu'acquiesce. Mes mains tremblent et si je fais de mon mieux pour rester parfaitement impassible, je sais que ça ne fonctionne pas.

La porte se referme derrière Sean, et me voilà désormais seul dans ce fichu couloir.

Emily a-t-elle au moins envie de me voir ? Et si... Si elle ne souhaitait finalement pas que je la rejoigne ?

Je sais que c'est ridicule de me poser ce genre de questions. Surtout maintenant. Mais je ne peux m'empêcher d'être assailli par le doute.

On me répète plusieurs fois que je n'ai pas le droit de parler. On me dit que je dois me reposer aussi… J'entends la voix de Sean à côté de moi, il me prend la main et… Ce n'est pas cette main qui tenait la mienne jusque-là, si ? Je suis fatiguée… Non, c'est plus que ça encore. Mes yeux se ferment puis se rouvrent dans une sorte de ballet incessant…

– Ça va aller maintenant, ma fille…

Je sais… J'ai juste besoin de dormir encore un peu. Je sens ses lèvres se poser sur mon front, le contact est agréable…

– Je vais lui laisser la place, d'accord… Il est juste là à côté et il est très inquiet… Puis il voulait que je te fasse passer un message, mais je pense que c'est mieux qu'il te dise ça lui-même…

Il ? Tom est donc ici lui aussi ? Évidemment… Bon sang, j'espère ne pas avoir ruiné ses plans avec cette histoire d'accident. Il s'est donné tant de mal pour en arriver là…

Je lui serre doucement la main pour lui donner mon accord tout en essayant de me montrer aussi rassurante que possible… Mais dans mon état, c'est loin d'être évident.

Il lâche doucement ma main puis j'entends la porte s'ouvrir…

– Petit, tu peux venir… lance-t-il. Elle n'a pas le droit de parler, mais… Elle est là, mon garçon. Elle est là.

"Évidemment que je suis là !" me dis-je, sacrément frustrée de ne pas pouvoir parler… Quoique, si je le fais, qu'est-ce qui se passera ?

–Tom ? dis-je avant de tousser comme une tuberculeuse…

Ok, j'ai compris… Ça fait mal.

– Reste avec elle et force la à rester raisonnable… Je rentre à l'hôtel. Bon courage.

"– Petit, tu peux venir… Elle n'a pas le droit de parler, mais… Elle est là, mon garçon. Elle est là."

Je me relève par automatisme, les jambes tremblantes.

Sean n'est resté dans cette chambre que quelques minutes. Mais ces dernières m'ont parut interminables.

J'acquiesce à ses recommandations.

Et lorsque je m'avance enfin vers la porte, je me fige en notant qu'Emily a les yeux entrouverts, même si elle ne semble pas me voir.

"–Tom ?" articule-t-elle avant de se mettre à tousser.

Je sais que si je reste là je vais me remettre à pleurer. Quoique...
Je pose une main sur ma joue. Cette dernière est déjà humide.

Et je sursaute lorsque Sean pose une main rassurante sur mon épaule.

"– Reste avec elle et force la à rester raisonnable… Je rentre à l'hôtel. Bon courage. "

J'acquiesce sans un mot, ne me faisant pas confiance pour réussir à dire quoique ce soit.

J'entre dans la chambre, et je referme la porte derrière moi.

"– Emily..."

Le médecin est encore présent, et j'écoute avec attention ses recommandations. Elle n'a pas le droit de parler. Pas de gestes brusques. Pas d'émotions fortes.

Son regard est sévère, comme s'il s'attendait à ce que je lui désobéisse. Ne réalise-t-il pas à quel point Emily compte pour moi ? Tout ce qu'elle représente ?

Il quitte la pièce, me laissant enfin seul avec Emily.

Je me laisse tomber dans ce siège toujours aussi inconfortable, et je suis cette fois incapable de retenir mes larmes.

"– Tu... Tu m'as fait peur. Tu m'as fait tellement peur".

Je lui prends la main. La même que je serrais lorsqu'elle s'est réveillée. Et je viens poser mes lèvres sur le dessus de cette dernière.

"– Je t'aime. Je t'aime tellement, Emily. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si..."

Je n'ose même pas finir ma phrase. Évoquer à voix haute les cauchemars qui me hantent n'est pas de bonne augure. Surtout alors qu'elle vient à peine de se réveiller.

"– Je ne t'ai pas quitté. Je suis resté avec toi. Je suis venu dès que j'ai su."

Je caresse son visage du bout des doigts, prenant bien garde à ne pas toucher les zones meurtries.

"– Tu m'as manqué. Beaucoup trop. Je ne pensais pas qu'il était possible d'avoir à ce point peur. Je t'aime."

Je bafouille et je m’égare, mais je suis tellement soulagé de la savoir réveillée, tout en gardant en moi une inquiétude tenace.

– Tu... Tu m'as fait peur. Tu m'as fait tellement peur.

L'intonation de sa voix me brise le cœur… Jamais je ne l'ai senti aussi triste, désespéré. Je meurs d'envie de le rassurer, de lui dire à quel point je suis désolée, mais à la place, je me contente de sourire en serrant doucement la main qu'il a placée dans la mienne et qu'il vient tendrement embrasser.

– Je t'aime. Je t'aime tellement, Emily. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si…

Ma vue est peut-être encore bien trouble, mais cela ne m'empêche pas de froncer les sourcils. Je suis là, bien vivante, même si plutôt amoindrie pour l'instant. Je serre un peu plus sa main. Je l'aime moi aussi, et il m'est insupportable de le voir se torturer de la sorte. Je ne peux tout simplement pas le tolérer.

– Je ne t'ai pas quitté. Je suis resté avec toi. Je suis venu dès que j'ai su.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Personne ne me l'a dit… Mais je crains le pire… Et si, à cause de moi, les efforts de Tom avaient été réduits à néant ?! J'espère bien que non… Je suis tellement désolée de l'avoir à ce point inquiété…

– Tu m'as manqué. Beaucoup trop. Je ne pensais pas qu'il était possible d'avoir à ce point peur. Je t'aime.

Il m'a manqué aussi, terriblement… Et je m'en veux d'avoir à ce point douté de ses sentiments… Cette tristesse dans sa voix, je ne la supporte pas. Alors tant pis si ça fait mal, je ne résiste pas à l'envie de chasser ses larmes :

– Si… S'il me faut… avoir.. un acci…dent … pour te… voir… alors… je m'étouffe en riant. Je recommencerai.

Deux jours plus tard, je peux enfin communiquer normalement… Enfin, presque. Sean se moque allègrement de ma voix éraillée. Mais au moins, je peux parler sans m'étouffer. Ma vision est revenue, même si je ne supporte toujours pas les lumières vives. Heureusement, nous sommes dans le Maine, en plein automne, la pluie m'aide à garder les yeux grands ouverts.

J'ai eu droit à de nombreux examens pour s'assurer que tout va bien. Ma tête se porte mieux, mes fractures se réduisent tranquillement, reste encore cette histoire d'engourdissement dans les jambes à contrôler. J'ai visiblement échappé à la paraplégie, mais j'ai gagné une grosse faiblesse nécessitant une rééducation. En somme, je vais quand même devoir composer avec un fauteuil pendant un moment.

– Je t'ai dis que tu peux rentrer chez toi, Sean ! Je vais rester ici un moment, il est inutile que tu laisses ta vie de côté simplement pour me tenir compagnie !
– Roooh, mais tu m'embêtes ! Je fais encore ce que je veux. Et puis… Cet hôtel est très confortable et la bouffe de la cafétéria bien meilleure que tout ce que je peux cuisiner…
– N'importe quoi… je soupire en tournant la tête en direction de Tom. C'est valable pour toi aussi tu sais. Tu me veilles depuis suffisamment longtemps, il faut que tu penses à ta carrière.
– T'en as de belles toi des fois… Tu te rends compte de ce que tu dis, Mily ?
– Je suis vivante ! Je vais bien ! Vous croyez que j'aime vous voir broyer du noir et vous inquiéter dès que je fais le moindre mouvement ? je m'offusque. Je ne suis pas en sucre, non d'un beignet !

"– Si… S'il me faut… avoir.. un acci…dent … pour te… voir… alors… Je recommencerai."

Elle rit, mais je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle.
Comment peut-elle rire après ce qui lui est arrivé ?

"– Je t'assure que ça ne sera pas utile", je bafouille.

Et je serre un peu plus sa main.



Deux jours plus tard, elle peut enfin s'exprimer un peu plus... tout en gardant pour le moment une voix éraillée.
J'aimerais bien qu'elle se repose, qu'elle économise sa voix.

Mais Emily est Emily. Et on peut dire qu'elle a besoin de s'exprimer... bruyamment. La situation semble la frustrer au plus au point. Et elle s'en prend à Sean... et à moi.

"– Je t'ai dis que tu peux rentrer chez toi, Sean ! Je vais rester ici un moment, il est inutile que tu laisses ta vie de côté simplement pour me tenir compagnie !"
"– Roooh, mais tu m'embêtes !" grogne ce dernier. "Je fais encore ce que je veux. Et puis… Cet hôtel est très confortable et la bouffe de la cafétéria bien meilleure que tout ce que je peux cuisiner…"

Je ne peux m'empêcher de rire. Jeff s'est envolé pour Vegas le soir-même du réveil d'Emily. Un nouveau rendez-vous avec Camille, pour signer quelques papiers.
Les négociations sont plus longues que prévues, à mon grand désarrois, mais mon ami me tient au courant de l'avancée des choses.
Sean, quand à lui, semble ne pas vouloir lâcher Emily du regard, comme s'il avait peur qu'elle disparaisse ou qu'il lui arrive quelque chose.

Je me tends lorsqu'Emily se tourne vers moi.

"– C'est valable pour toi aussi tu sais. Tu me veilles depuis suffisamment longtemps, il faut que tu penses à ta carrière."

Heureusement, Sean est là pour prendre ma défense.

"– T'en as de belles toi des fois… Tu te rends compte de ce que tu dis, Mily ?"
"– Je suis vivante ! Je vais bien ! Vous croyez que j'aime vous voir broyer du noir et vous inquiéter dès que je fais le moindre mouvement ? Je ne suis pas en sucre, non d'un beignet !"
"– Tu es un très joli beignet", je la taquine en me penchant pour l'embrasser sur la joue.

Puis je lui prends la main, reprenant un air plus sérieux.

"– Ma carrière va très bien, je te remercie. Je devrais sûrement retourner à Vegas dans les prochains jours, mais comme je te l'ai dit, Jeff s'occupe de tout pour le moment."

Et à vrai dire, je passe déjà assez de temps au téléphone avec lui, ou à lire les différentes propositions de contrat qu'il m'envoie.

"– Tu ne peux pas nous en vouloir d'être inquiets pour toi, Emily", je reprends d'un ton plus doux. "Nous tenons à toi. Nous sommes simplement soulagés et heureux de voir que tu vas mieux. Tu nous a fait très peur."

Je serre un peu plus fort sa main lorsque la porte s'ouvre sur Charly.

Ce dernier est beaucoup plus présent, depuis qu'Emily s'est réveillée. Et je dois admettre que je suis toujours aussi mal à l'aise de voir à quel point il est proche d'elle.

Je suis jaloux. Affreusement jaloux. Je suis pourtant soulagé de savoir qu'il y a à Castine des personnes qui prennent soin d'elle.

Mais Charly...
J'ai bien du mal à me faire à sa présence.

Mon téléphone sonne dans ma poche.
Un nouvel appel de Jeff.
Je salue Charly avec un sourire forcé et je sors dans le couloir pour répondre à mon ami.

"– Jeff ? Quoi de neuf ?"
"– Tu as vu les nouvelles, Tom ?"
"– De quoi tu parles ?" je rétorque.

Je ne passe que peu de temps sur internet, ces derniers jours. Je n'ai pas le temps pour ça, ni l'énergie.

Je marche dans le couloir, m'éloignant de la chambre d'Emily pour me dégourdir un peu les jambes.

"– L'interview de Kelly", reprend Jeff. "Je t'enverrai le lien.  C'est... spécial. Parfait pour entretenir les rumeurs d'une relation entre elle et toi. Probablement une idée de Jake."

Je jure à mi-voix. Je n'avais vraiment pas besoin de ce genre de choses.

"– J'essaierai de la croiser, quand je reviendrai à Vegas, histoire de mettre les choses au clair."

Jeff n'a pas l'air convaincu, mais il change vite de sujet, et nous discutons durant une petite demie-heure des modalités du contrat que nous propose Camille.

"– Il faudrait que tu reviennes pour signer tout ça, Tom. Je suis désolé, mais..."
"– Je sais", je soupire.

Je n'ai vraiment pas envie de quitter Emily, mais je sais aussi que mon retour à Vegas est inévitable, même si ce n'est que pour une courte durée.

"– Tiens-moi au courant quand... Quand il le faudra."

Je remercie Jeff une nouvelle fois. J'aurais été bien incapable de faire tout ça sans lui.