Cela me plait de la voir rire de cette manière.  Je suis même particulièrement fier d'être parvenu à dissiper la morosité qui l'habitait un peu plus tôt.

Mais lorsque je mentionne son statut d'artiste peintre, elle perd aussitôt son sourire. Et le soupir qu'elle pousse me fend le coeur.

"– Je n'ai plus peins depuis mon accident, enfin … En dehors des murs et des meubles de ton bureau. Je sais … Tout va finir par s'arranger. Je le sais parce qu'on n'arrête pas de me le répéter mais … J'ai l'impression de ne plus être moi…"

Je me redresse à mon tour, grimaçant brièvement en m'appuyant sur mon avant-bras gauche. Puis je me laisse finalement retomber sur mon oreiller en soupirant.

Cette incapacité à me servir de ma main gauche commence à devenir sacrément ennuyante.

Mais je me reconcentre vite sur Emily.

"– Ces murs et ces meubles me plaisent beaucoup", je lui souris. "Tu as fait du très bon boulot."

Et à vrai dire, j'ai bien l'intention de lui demander de peindre d'autres choses sur ces murs. Tout ce qu'elle voudra, lorsqu'elle pourra à nouveau le faire.
Je ne lui ai pas encore formulé cette requête, ne voulant pas la brusquer. Mais d'ici quelques temps...

En ce qui concerne son inquiétude principale...

"– Tu sais que notre identité ne se résume pas uniquement à notre métier ? Jeff me l'a souvent répété, il y a quelques années. Parait-il que c'est son psy qui lui a dit ça. Mais je pense qu'il a raison. Tu as tellement plus à offrir que juste tes peintures. Tu as une sensibilité si particulière... Tu pourrais juste trouver d'autres manières de l'exprimer ?"

Je lui attrape la main, entremêlant nos doigts.

"– Dis… Ça te dirait de… Vivre avec moi ? Enfin… Jusqu'à ce que tu en ai assez de me supporter ?"

C'est tellement inattendu que je reste silencieux de longues secondes.
Lorsque nous étions à Vegas, elle m'avait confié ne pas vouloir se projeter. Mais me demander de vivre avec elle...

"– Tu veux que j'emménage ici ?" je souffle avec surprise.

J'avais prévu de rester quelques semaines, sans vraiment anticiper de date de retour.

Mais je n'avais pas osé me projeter de cette manière.

"– Fais attention, Emily", je murmure avec un sourire, "je pourrais y prendre goût."

Je porte sa main à mes lèvres.

"– Si nous vivons ensemble, viendras-tu à L.A avec moi, lorsque je devrai y retourner ?"

Je ne me fais pas d'illusions à ce sujet. Je sais que je ne pourrai pas rester à Castine éternellement.

"– Quand tu seras rétablie, bien sûr", je m'empresse de préciser.

– Non, Tom, je ne parle pas uniquement du côté professionnel de la chose, je précise. La peinture fait partie de moi… C'est une part de ma personnalité, au même titre que mon absence totale de talent culinaire...

J'aime peindre comme j'aime me balader longuement sur la place avec Nix. C'est une manière de m'aérer l'esprit… de m'évader aussi. C'est un besoin vital qu'il m'est nécessaire de combler pour être réellement épanouie. Sauf qu'actuellement, l'une ou l'autre des activités me sont totalement inaccessibles. Enfin, pour la peinture, ce n'est pas tout à fait vrai non plus. C'est juste que je suis incapable de peindre assise…

La proposition qui suit semble le surprendre. Il m'observe, silencieux… Si bien que j'en viens rapidement à me demander si c'était une bonne idée de lui parler de cela. C'est peut-être trop tôt ? Trop précipité ?

– Tu veux que j'emménage ici ?
– Je… C'est trop tôt ? je bafouille sous la panique. Fais comme si je n'avais rien dit…
– Fais attention, Emily, je pourrais y prendre goût.
– Y prendre goût ? je répète, surprise.
– Si nous vivons ensemble, viendras-tu à L.A avec moi, lorsque je devrai y retourner ?
– Euh…
–Quand tu seras rétablie, bien sûr.
– Et bien, si rien ne me retient dans le coin, je suppose que oui, je rétorque en haussant les épaules. Enfin, si tu veux que je vienne, évidemment.

Il a beau sourire, j'ai beaucoup de mal à interpréter sa réaction. Est-il heureux ? Surpris ? Contrarié ? Je peine à comprendre.

– Mais si tu trouves ça trop précipité, on peut oublier hein …

"– Je ne vois pas à quoi tu fais référence pour la cuisine, les pancakes étaient très bons," je lui répond en plaisantant.

Mais pour la peinture, je comprends ce qu'elle veut dire. C'est important pour elle, tout comme c'est important pour moi de faire de la musique. C'est une manière pour moi de m'exprimer, de laisser échapper certaines émotions que je ne suis pas capable de gérer autrement.
Sans cela, je ne sais pas comment je ferais.
Ce manque doit donc la ronger de l'intérieur.

Vis à vis de sa proposition, je me rends vite compte qu'elle interprète de travers mes réactions. Je n'ai probablement pas été assez clair.
Ou peut-être ai-je encore tant de mal à y croire que je n'ose pas pleinement exprimer ma joie à l'idée d'une vie commune.

"– Emily", je la coupe avec un large sourire. "Je t'aime. Bien sûr que j'ai envie d'emménager avec toi. "

Je lâche sa main un instant pour replacer une mèche de cheveux derrière son oreille.
Et je soupire en lui prenant à nouveau la main.

"– Ce n'est pas trop tôt", je poursuis sans me départir de mon sourire. "J'ai même l'impression que nous avons déjà trop attendu."

Et cette constatation m'arrache un éclat de rire. Le Tom d'il y a quelques années n'était pas si impulsif. Ou peut-être que pour une fois je suis absolument certain de ce que je veux. Je la veux elle. Je veux ce futur qui s'offre à nous, cette vie commune qu'elle me propose.

"– Je veux t'emmener avec moi à Los Angeles, te faire découvrir les plages sauvages le long de la côte. Je veux t'entendre me taquiner au sujet des murs blancs de ma maison. J'ai envie de trouver tes affaires dans mes placards, tout comme j'aurais une partie des miennes ici."

Je m'interromps juste le temps de l'embrasser. Un baiser qui dure peut-être plus longtemps que nécessaire. Mais mon coeur bat à tout rompre. Tant d'émotions fortes se bousculent dans mon esprit.

"– Je t'aime tellement", je murmure contre ses lèvres. "Bien sûr que j'ai envie de vivre avec toi. Ici à Castine dès que je pourrai, ou à L.A lorsque je serai obligé de m'y rendre."

Je l'embrasse une fois encore.
Puis je viens coller mon front contre le sien, un sourire idiot plaqué sur mon visage.

Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas. Savoir comment mener une vie de couple en fait partie. Alors, jusque-là, je me contentais simplement d'avancer pas après pas pour voir ce que cela pouvait donner. Tom m'a insufflé cette envie-là. Un pas avec l'autre en laissant tous mes blocages habituels de côté. Le fait est que j'aime le trouver à mes côtés chaque matin. J'aime partager mes repas avec lui… J'aime l'avoir auprès de moi, tout simplement.

Je ne pense toujours pas à l'avenir. Ce dernier reste trop incertain à mon goût mais… J'ai décidé de le laisser venir. “Advienne que pourra” après tout. Je suppose que vivre ensemble entraînera bien d'autres choses que le simple fait de dormir ensemble chaque nuit. Mais nous verrons cela le moment venu.

Juste un pas après l'autre, rien de plus.

– Emily… Je t'aime. Bien sûr que j'ai envie d'emménager avec toi.

Je peine toujours à savoir s'il est sincère ou s'il se contente d'accepter par crainte de me blesser. Sans doute aurais-je dû trouver un autre moment pour lui faire cette proposition. Cela m'aurait évité quelques doutes parasites. Son sourire est sincère pourtant… Ses caresses sont incroyablement douces. Mon petit cœur se gonfle un peu plus d'amour. Je suis officiellement devenue niaise…

– Ce n'est pas trop tôt, affirme-t-il en souriant. J'ai même l'impression que nous avons déjà trop attendu.
– Tu trouves ? je pouffe. Nous ne sommes pourtant ensemble que depuis quelques petits mois.

C'est vrai mais… Même si nous avons passés plus de temps l'un de l'autre qu'ensemble, j'ai l'impression que notre relation est bien plus vieille que ça. Je sais bien qu'il me reste beaucoup de choses à apprendre sur lui, mais je me rends compte que j'aime tout ce que je sais déjà… Le reste, j'aimerais l'apprendre sous un toit que nous partagerions tous les deux… Jusqu'à … Ce que la vie nous sépare ?

– Je veux t'emmener avec moi à Los Angeles, te faire découvrir les plages sauvages le long de la côte. Je veux t'entendre me taquiner au sujet des murs blancs de ma maison. J'ai envie de trouver tes affaires dans mes placards, tout comme j'aurais une partie des miennes ici.

Tom me paraît de plus en plus emballé… Il se projette, sans nul doute. Et même si cela ne fait pas partie de ma mentalité, je dois bien avouer que l'entendre parler de ces quelques projets me rassure… Le baiser qu'il m'offre ensuite achève de me convaincre. Je peux saisir chaque battement de son cœur cognant sur ma paume posée sur son torse… Et il n'en faut pas plus pour éveiller le désir qui ne s'était pas vraiment endormi…

– Je t'aime tellement, murmure-t-il contre mes lèvres. Bien sûr que j'ai envie de vivre avec toi. Ici à Castine dès que je pourrai, ou à L.A lorsque je serai obligé de m'y rendre.
– Très bien alors, faisons cela, dis-je tout en le repoussant légèrement pour m'installer à califourchon sur lui. Ici ou ailleurs peu m'importe.

La couette glisse le long de mon dos. À mon tour, je viens capturer ses lèvres pour mieux approfondir ce baiser qui se fait de plus en plus brûlant. Je ne tiendrai pas des heures sur mes jambes, mais je n'ai rien trouvé de mieux pour l'inviter à reprendre là où nous étions arrêtés.

"– Nous ne sommes pourtant ensemble que depuis quelques petits mois", me fait-elle remarquer lorsque je lui dis que ce n'est pas si tôt que ça d'emménager ensemble maintenant.

A vrai dire, j'ai l'impression que ces quelques mois étaient suffisants pour que je réalise que je ne peux tout simplement pas vivre sans elle à mes côtés. J'ai bien l'intention de profiter de sa présence aussi longtemps que possible. Jusqu'à ce qu'elle en ai marre de moi... ou de toutes ces petites choses qui font que Jeff a déclaré un jour qu'il ne pourrait plus vivre dans la même maison que moi.

Comme ma tendance à rester éveillé au beau milieu de la nuit si je suis inspiré par une chanson. Ou mon incapacité à manger à heures fixes lorsque je suis seul. Et dans un registre plus terre à terre, les mugs vides et les guitares que je laisse traîner un peu partout.

Mon ex m'accusait de ne pas savoir ranger mes affaires, aussi. Et de passer plus de temps avec ma guitare qu'avec elle.

J'espère réussir à m'améliorer sur tous ces points avec Emily. J'ai presque envie de lui lister toutes les raisons qui font qu'elle pourrait regretter de m'avoir fait une telle proposition.

Mais je ne peux que conserver ce sourire parfaitement niais tandis qu'elle me pousse en arrière et vient s'installer à califourchon sur moi.

"– Très bien alors, faisons cela. Ici ou ailleurs peu m'importe."

Je gémis contre ses lèvres quand elle capture les miennes dans un baiser brûlant. Assez pour réveiller en moi le désir qui s'était doucement calmé.

La manifestation physique de mon excitation est parfaitement évidente entre nous. Il n'a pas fallu grand-chose pour me donner à nouveau envie d'aller plus loin.

Mais elle m'avait demandé d'arrêter il y a quelques minutes. Alors j'hésite à me laisser porter par la passion.

Ma main valide se pose tout d'abord sagement sur sa taille, caressant du bout des doigts sa peau nue.
La couette est tombée derrière elle. Je ne peux que m'installer un peu plus contre mon oreiller, à bout de souffle, et faire courir une main hésitante sur son torse, traçant une ligne de ses clavicules à son ventre, passant entre ses seins.

Mais je n'ose pas descendre plus bas.

"– De quoi as-tu besoin, Emily ?" je lui demande doucement.