–De quoi as-tu besoin, Emily ? me demande-t-il d'une voix exprimant toute son hésitation…

Je souris, avant de m'emparer de ses lèvres à nouveau veillant à lui transmettre chacun de mes sentiments.

– De toi… je murmure à son oreille, laissant mes lèvres glisser jusque sur son cou, puis sa gorge.

Non, je n'ai besoin de rien d'autre que lui… Et d'une paire de jambes plus fonctionnelles, à la rigueur. Mais c'est tout.

"– De toi… "

Je crois que c'est suffisant. Juste deux mots. Assez pour que je comprenne ce qu'elle attend de moi, désormais. Et je suis sur la même longueur d'onde.
Je ne cherche plus à dissimuler mes réactions quand ses lèvres se posent sur mon cou puis ma gorge.

Un long gémissement s'échappe de mes lèvres, suivi de son prénom.

"– Je suis tout à toi", je soupire.

Et bien plus que juste sur le plan physique.

J'ai beau connaître Tom et sa sensibilité, je suis toujours surprise de voir ses larmes s'égarer par moment. Je sais que tout va bien, qu'il s'agit juste de ses émotions débordantes, mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter à chaque fois. Malgré tout, je suis toujours incapable d'associer les larmes au bonheur ou au soulagement. Pour moi, c'est toujours quelque chose de négatif. De la tristesse, de la douleur. De la détresse, du désespoir…

– Je t'aime, murmure-t-il contre ma peau. Pardon. La journée a été longue. Mais je suis vraiment heureux d'être ici avec toi

Mes sourcils se froncent par automatisme, je ne comprends pas sa justification. Je m'efforce de ne pas surinterpréter ses propos. C'est totalement inutile et surtout malvenu. Alors je me contente de le serrer dans mes bras, m'assurant que demain, tout ira mieux.

Le lendemain, Lucy vient me chercher à neuf heure pour me conduire au centre où Ben me torture durant le reste de la matinée… Non, je n'exagère qu'à peine. Aujourd'hui, mon amie a vivement insisté pour observer la séance, ce qui est habituellement interdit.

– Et donc … Il t'a demandé d'emménager avec lui ? Me demande-t-elle après s'être installée sur un énorme ballon.
– Euh non, c'est moi qui le lui ai proposé, je rétorque en détournant le regard, franchement gênée.
– Toi ? Emily Greene tu as demandé à un homme de vivre avec toi ? s'écrit-elle attirant ainsi l'attention de tous les patients et du personnel soignant se trouvant là.
– Je crois que c'est pour ça que les accompagnants sont interdits dans la salle … je soupire.
– Mais, Mily, tu ne te rends pas compte, c'est génial ! Bon… c'est un peu tôt peut-être, mais vous affichez tous les deux ce sourire ridiculement niais dégoulinant de tout l'amour que vous avez l'un pour l'autre.
– Comment fais-tu pour rendre ça dégoûtant ? je pouffe.
– Ça veut dire que tu as trouvé ton manchot !
– Euh …
– L'amour de ta vie, idiote,
– Et c'est moi qui vais trop vite…
– Je suis sûre que vos enfants seront magnifiques!
– Ça suffit oui ! je peste avant d'éclater de rire.

De retour à la maison, Lucy s'empresse de se jeter dans les bras de Tom pour le “féliciter”. Honnêtement, je ne sais plus du tout où me mettre, plus particulièrement lorsqu'elle lui dit attendre avec impatience les faire-part de mariage et de naissance de nos futurs enfants.

– Mais t'as pas bientôt fini oui ! je grogne. Elle est intenable aujourd'hui…

Le lendemain matin, je galère avec ma main immobilisée. Pour me laver, pour m'habiller, pour tout en fait. J'en viens même à me demander comment Emily a pu faire pour rester zen tout ce temps vis à vis de ses jambes.

En parlant d'Emily, nous n'avons que peu de temps pour nous étreindre à notre réveil. Lucy débarque à une heure bien trop matinale, tambourinant à la porte comme si nous étions complètement sourds, pour venir chercher Emily pour sa séance de rééducation.

J'ai à peine le temps de finir de m'habiller qu'elles sont déjà parties.

Me voilà complètement seul, ce qui me laisse toute la matinée pour ranger quelques affaires... Et surtout organiser mon espace de travail. Je mets beaucoup trop de temps pour réussir à trainer jusque dans la grange ma valise contenant, entre autres, mon matériel de musique.
Mais enfin, je peux commencer à déballer tout mon bazar.


Au bout de deux heures de travail, je suis enfin installé devant mon ordinateur et je bricole mon logiciel d'enregistrement, m'assurant que tout fonctionne à la perfection.

Un mug de café est posé devant moi. J'en suis déjà à mon deuxième aller-retour de la matinée pour le ravitailler. Il faudra que j'envisage d'ajouter une cafetière sur l'une des étagères encore non utilisée.

Je suis en train d'en boire une gorgée pour essayer tant bien que mal de rester éveillé lorsque mon téléphone sonne.

Je décroche sans attendre.

"– Jeff, comment vas-tu ? Tout se passe bien à L.A ?"
"– Oh tu sais, comme d'habitude", me répond aussitôt mon ami. "Tu n'imagines même pas la tonne de paperasse que Joy m'avait mis de côté. Des factures, encore des factures, quelques papiers de ma banque. C'est infernal !"

J'émets un murmure d'acquiescement.
Je vois très bien de quoi il parle. J'ai moi-même dû trier la tonne de courrier qui m'attendait sagement lorsque je suis rentré chez moi.

"– Et ces retrouvailles, Tommy ? Ca va, elle ne t'a pas trop épuisé ?" me lance-t-il en riant.
"– Je ne donnerai aucun détail à ce sujet", je rétorque après m'être raclé la gorge.
"– Il faudra que tu me racontes pour ton poignet, mon vieux. Il n'y a pas idée de se blesser juste en arrivant."

Il se moque de moi durant de longues secondes, ignorant volontairement mes tentatives pour changer de sujet.

"– Elle m'a demandé d'emménager avec elle, Jeff".
"– Oh."

Visiblement c'est cette fois suffisant pour le faire taire.

"– C'est une excellente nouvelle, Tom ! Tu abandonnes L.A, alors ?"
"– Non ! Non, bien sûr que non. Tu sais bien que c'est impossible. Nous n'avons pas encore discuté des détails, mais... Mais j'espère pouvoir l'amener avec moi la prochaine fois que je viendrai dans le coin."

Je soupire. La conversation de la veille au soir me paraît encore tellement irréelle. J'ai encore bien du mal à réaliser qu'Emily m'a bel et bien fait cette requête.

"– Nous devons encore en discuter tous les deux", je reprends.
"– Je comprends", me répond mon ami. "Mais je suis vraiment très heureux pour toi. C'est un peu rapide, certes, mais tu sais ce que tu fais, n'est-ce-pas ?"

Je m'empresse d'acquiescer. Et Jeff change aussitôt de sujet.

"– Tom, vis à vis de ce colis..."

Je grimace.

"– Ca a été une surprise. Une mauvaise surprise."
"– J'imagine très bien."

Le ton de Jeff a changé. Il est nettement plus tendu. Au point que je me demande quelle a été sa réaction en découvrant ces petites pilules.

"– J'ai été porter plainte", m'annonce-t-il. "Juste histoire de me débarrasser de ces cochonneries.
"– Les miennes sont planquées dans ma valise", je soupire. "Je n'ai vraiment pas envie de devoir gérer ça. Pas maintenant. Je pensais pouvoir enfin souffler, prendre des vacances."
"– Evite quand même de les garder trop longtemps. On ne sait jamais."

Je l'entends soupirer à l'autre bout de la ligne.

"– J'ignore qui nous a envoyé ça, mais ça ne me dit rien qui vaille."

Nous passons de longues minutes à essayer de faire une liste des suspects. Mais c'est plus pour nous rassurer qu'autre chose. Sans plus de détails, nous savons l'un comme l'autre que nous ne risquons pas d'aller bien loin.

Lorsque Jeff raccroche, nous avons passé près d'une heure et demie au téléphone. Et je suis encore plus stressé qu'avant.
Je termine le reste de mon café, qui est maintenant complètement froid.


Quand Emily et Lucy sont de retour en toute fin de matinée, je ne m'attends pas à ce que Lucy se jette dans mes bras pour me féliciter.

Je jette un coup d'œil surpris à Emily, complètement perdu.
Et voilà que Lucy se met à parler de faire-part de mariages et de naissance.

"– Mais t'as pas bientôt fini oui !" s'exclame Emily. "Elle est intenable aujourd'hui…"

Je lâche un éclat de rire nerveux lorsque Lucy se décolle enfin de ma personne.

"– Nous n'avons pas envisagé les choses jusque là", je bafouille, les joues rouges.

Surtout que j'ai bien compris qu'Emily n'avait vraiment pas envie de se projeter jusque là. Et pour être honnête, c'est beaucoup trop tôt.

"– J'ai préparé à manger", je lance pour changer de sujet. "J'espère que vous aimez les pâtes à la carbonara. Recette familiale. Je n'ai juste pas mis de viande. Je l'ai remplacé par des légumes."

Je profite que Lucy a le dos tourné pour m'approcher d'Emily et l'embrasser sur les lèvres.

"– J'ai commencé à installer mon bureau", je lui glisse à l'oreille. "Et il faudra que tu me montres où je peux ranger mes vêtements."

Je lui souris tendrement et l'embrasse une nouvelle fois.

"– Comment s'est passé ta matinée ?" je lui demande ensuite en retournant vers la cuisine pour commencer à dresser la table.

– Oui bah, jusque-là, elle n'envisageait même pas vivre avec quelqu'un… souffle-t-elle. Du coup, je m'attends à tout maintenant.

Bon, elle n'a pas tort. L'idée même de partager mon lieu de vie avec qui que ce soit ne m'a jamais traversé l'esprit. Enfin si, une seule fois … Mais en prenant la fuite, j'ai pu réaliser à quel point cette idée me déplaisait. Néanmoins, ce n'est certainement pas parce que je me suis sentie prête à franchir un pas que je le suis pour le reste… Surtout pour le “reste” présent dans la tête de mon amie.

– Arrête un peu tes bêtises, s'il te plaît, je soupire avant de prendre le temps de saluer mon compagnon comme il se doit.

– Il cuisine en plus ! s'écrit-elle en lorgnant les plats. Garde-le celui-là ! Y'en a marre de ne bouffer que des sandwichs.
– N'importe quoi, je pouffe avant de rendre son baiser à Tom.
–J'ai commencé à installer mon bureau. Et il faudra que tu me montres où je peux ranger mes vêtements.
– Super. Je n'ai rien de prévu pour cet après-midi, on pourra regarder ça tranquillement.
– Tranquillement ? proteste Lucy. Ça veut dire que tu me vires ça?
– Mais non… Si ? j'affiche un sourire espiègle avant de m'asseoir sur l'une des chaises de bar.
–Comment s'est passé ta matinée ?
– Hm… Bien ? C'est juste épuisant.
– Peut-être, mais … Il y a de jolies choses à regarder dans ce centre.
– Ce sont des personnes, Lucy. Tu ne peux pas les appeler “choses”.

Elle éclate de rire avant de récupérer les assiettes dans le placard. Cette cuisine, elle l'a connait bien mieux que moi.

– Ce Ben, par exemple… Si j'aimais les hommes…[/b]
– Tu préfères Naomi.
– [i] En même temps, cette femme est exceptionnelle. Magnifique.

Je ris de bon cœur avant de m'en reporter à Tom.

– Et toi ? Tu as pu joindre Jeff pour cette affaire de colis suspect ?

La discussion entre Emily et Lucy me fait sourire. Leur relation ressemble vraiment à celle que j'ai avec Jeff.

J'éclate de rire quand Lucy vante mes talents pour la cuisine.

"– Parce que vous ne mangiez que des sandwichs, avant que j'arrive ?", je ris.

Je serre Emily contre moi, souriant quand elle me propose de voir pour ranger mes affaires dans l'après-midi.

"– Tu te sentiras mieux après un bon repas", je lui glisse lorsqu'elle déclare que la matinée a été épuisante.

A vrai dire je suis à peu près dans le même état d'épuisement, même si le mien a plutôt à voir avec de la fatigue mentale.
En tout cas, Lucy a l'air en forme.

Je la remercie d'un sourire tandis qu'elle m'aide à mettre la table.
Avec une main immobilisée, j'avance tout de suite beaucoup moins vite.

"– Ben ? C'est ton kiné, c'est ça ?", je demande à Emily en m'installant à table.

Elle ne m'a presque pas parlé de cet homme. Juste qu'il avait tendance à la torturer, et c'est à peu près tout. A vrai dire, je suis assez curieux d'en savoir plus au sujet de cet homme.

Je les laisse se chamailler au sujet d'une certaine Naomi. Puis Emily se tourne à nouveau vers moi.

"– Et toi ? Tu as pu joindre Jeff pour cette affaire de colis suspect ?"

Je ne peux masquer une grimace.

"– Il a porté plainte. Et ça lui a permis de se débarrasser de ces trucs."

Je jette un coup d'œil à l'attention de Lucy, et lui explique brièvement la situation, sans mentionner la drogue que mon manager m'avait forcé à prendre à l'époque.

"– Je pense que je vais aussi porter plainte", je soupire. "Et j'aimerais essayer de joindre Frank. Juste histoire de voir s'il a reçu la même chose."

A vrai dire je préfèrerai dans l'idéal éviter tout contact avec lui. Mais avec un peu de chance il se sera un peu calmé depuis la fois dernière.

"– Et je dois contacter ma manager", je reprends. "Elle pourra sûrement m'aider."

Je me note de le faire dans l'après-midi. Il est inutile de laisser trainer les choses.

"– Est-ce que tu sais jouer de la guitare, Lucy ?" je lance pour changer de sujet. "Je ne vais pas pouvoir jouer durant des semaines, et je dois envoyer des démos de nouvelles chansons à ma manager."

J'avais vraiment prévu d'avancer sur ces chansons. Et sans guitare, ça risque d'être compliqué.

"– Ou sinon tu ne connaitrais pas un guitariste dans le secteur, Emily ? Juste pour préparer mes démos. Je suis prêt à le payer pour tout le temps qu'il ou elle passera avec moi."

Je ne m'attendais vraiment pas à être immobilisé de cette manière.

"– Au pire j'attendrai que mes parents arrivent", je soupire.

Même si ça me gênerait d'embêter mon père de la sorte.