La première réponse que je reçois est brève, laconique et peu précise. J’en déduis cependant que cela vaut pour un accord de diffusion et, après un rapide tri, je publie donc les superbes photos que j’ai d’elle avant de réaliser mon croquis.

La réponse que je reçois à mon second message et à ce dessin est déjà bien agréable et bien plus sympathique. Je souris en la lisant, l’interprétant comme une possibilité de dialogue.
Alors, je prends mon temps. Je ne veux pas donner l’impression que je suis à l’affût de ses messages, tout en laissant voir que cette reprise de contact est importante pour moi.

"Pas de ma faute si tu rayonnais sur scène !  Le public s’est enflammé dès la moitié de la première chanson. J’ai adoré, vraiment ! Vous avez été bons, très bons !
Je suis super content pour toi !
Et je suis content de pouvoir te le dire en personne !
PS : J’espère que tu ne m’en veux pas, hier soir au bar, j'ai préféré faire comme si on ne se connaissait pas, ce n’était pas contre toi, mais je ne voulais pas risquer de t’embarrasser."

Mon message envoyé, j’attrape mon appareil et décide d’aller profiter de la ville sous un soleil plutôt sympathique.
Si j’ai dans l’idée de profiter de mon séjour pour faire quelques clichés, ce serait mentir que de dire que je ne suis pas attentif à mon téléphone.

– N'importe quoi, je pouffe après avoir lu son dernier message.

“Je ne rayonnais pas du tout. Les projecteurs étaient mal réglés ! Mais je suis ravie d'apprendre que notre prestation a su te convaincre.
PS: Je ne t'en veux pas. En réalité je n'étais pas spécialement prête à te parler non plus.”

Après avoir vu l'heure, je décide qu'il est grand temps pour moi de me préparer à aller bosser. Nos concerts rapportent chaque fois quelques livres, mais ce n'est clairement pas suffisant pour en vivre.

Kris est déjà prête, évidemment. Je n'ai donc plus qu'à filer sous la douche avant de m'habiller. Je travaille toujours dans un bar à ambiance, mais en plus british. Le Primo Bar-Restaurant possède bien une scène, mais il ne l'a propose pas au même genre d'artiste que le Blue Tiger… Et il n'accueille pas du tout la même clientèle. Ici les employés se doivent de porter un uniforme impeccable. Une chemise blanche immaculée, un veston et un pantalon à pince gris. Au primo, je ne suis qu'une inconnue invisible. Et c'est totalement ce qu'il me faut à présent.

Quand vient l'heure pour nous de partir, Kristen m'attend dans l'entrée. Elle me presse, comme d'habitude, par peur d'arriver en retard… Il y a pourtant bien peu de risques, nous ne vivons qu'à quelques rues du Primo…

Je suis au bar, Kristen au service. On discute peu avec les clients ici. Ce n'est pas vraiment le genre de la maison…

“On va dire ça alors ;) Même s’ils ne me semblaient pas très lumineux eux !
Mais oui, vous avez été top ! Tu t’es sacrément amélioré, j’imagine mal le temps que tu y a passé mais le résultat est vraiment génial
PS : Hier, je ne savais pas trop moi-même, puis la nuit et l’organisateur aidant... mais si tu n’es pas à l’aise, ne te sens pas obligée.”

Je réfléchis quelques instants à ce message. Je le trouvais maladroit, mais en même temps, il n’est jamais simple de reprendre contact avec une personne que l’on n'a pas revue depuis plusieurs années… Surtout une personne comme Hailey.

“Cela me fait sincèrement plaisir de te parler en tout cas. Alors si tu as envie de textoter… Bonne journée ”

Au détour de mon parcours, je passais par un parc d’où je tirais quelques photos bucoliques, finalement, j’atteignais un quartier réputé pour ses bars chantant et autres cafés musicaux. Gillan m’en avait recommandé un comme étant tant un bon repère musical qu’une bonne table. Je recherche dans mon téléphone le nom et finis par m’y rendre.
Le Primo, Bar-Restaurant, est visiblement un très bon endroit pour qui aime la musique dans un cadre de standing plutôt élevé. Ici, cela respire le malt plus que le houblon dans une bonne ambiance british.

Tout le personnel est tiré à quatre épingles et d’une politesse un peu guindée. N’ayant guère faim pour le moment, je demande à m’installer dans la partie bar et le serveur me conduit à une petite table entourée de fauteuils Club en cuir sombre.

Bonjour Monsieur ! Qu’est-ce qui vo…! Me lance une voix qui me dit vaguement quelque chose. Je me tourne donc pour découvrir une Kristen particulièrement gênée.

Oh ! Lâchais-je machinalement. Bonjour, je euh ! Je vous prendrai un Talisker de 25 ans, sans glace s’il vous plaît ! Commandais-je finalement en m’efforçant de lui offrir un sourire bienveillant.
Je n’ai aucune raison de lui en vouloir pour la veille, elle n’a rien fait de mal.

Une fois au boulot, je n'ai malheureusement plus le temps de regarder mon téléphone. Le manager veille à ce que l'ensemble de ses employés restent concentrés… C'est que nous ne servons que des gens aisés ici après tout. Nous devons donc nous montrer irréprochables. Tous mes tatouages sont donc parfaitement dissimulés sous mes vêtements. J'ai même dû renoncer à quelques-unes de mes idées de tatouage. Notamment ceux que je voulais faire sur la nuque ou le poignet. Tant pis… Un jour, peut-être.

L'endroit est plutôt calme aujourd'hui. Une chanteuse blues est sur scène avec sa voix douce et… affreusement chiante. Ce n'est évidemment pas mon style de musique, mais qu'importe. L'ambiance des bar rock me manque énormément, le rythme de travail aussi. Le Primo est un lieu classe mais aussi affreusement ennuyeux. Le temps y passe toujours trop lentement… Heureusement, les pourboires sont toujours très conséquent ce qui reste un sacré avantage surtout quand on connaît le prix d'une vie londonienne.

– Un Talitruc majeur sans glace, s'il te plaît, me lance une Kristen quelque peu distraire.
– Euh… Majeur pour quel pays ? Parce qu'on a aussi du dix-huit d'âge pour le Talisker, je pouffe en essayant aussi de savoir ce qui la rend aussi… curieuse.
– Pardon, vingt-cinq ans… Mon dieu, il est tellement beau.
– Le whisky ? je demande tout en préparant la commande.
– Mais non ! Le client voyons, précise-t-elle tandis que je lève les yeux au ciel. C'est le photographe d'hier… Il a de ses yeux…

Oh… Voilà qui est intéressant.

– Tu crois que j'ai mes chances ?
– Comment veux-tu que je le sache ? dis-je en déposant le verre sur son plateau, ajoutant un bol de biscuits salés. Pose-lui la question…

Je me retiens de sourire en la voyant prendre une profonde inspiration. À l'évidence, elle essaie de rassembler tout son courage. Je pourrais lui dire que Matthew et moi, nous nous connaissons déjà. Je pourrais même faire directement les présentations mais… Je n'ai aucune envie de m'en mêler. Après tout, ils sont assez grands, tous les deux, pour faire leurs propres choix.

Je lui lance un sourire aussi sympathique que possible pour être certain qu’elle comprenne bien qu’il n’y a aucun problème avant qu’elle ne file pour préparer ma commande. Amusé par la situation, même si je vois bien qu’elle semble gênée, je sors mon téléphone.
Pas de réponse d’Hailey, mais je ne m’affole pas. Après tout, si je suis heureux d’avoir un peu échangé avec elle, il faut tout de même se faire à l’idée qu’on ne s’est pas vu ou parlé depuis trois ans. De nombreuses choses se sont passées depuis et aujourd’hui, on se connaît sans vraiment se connaître. C’est un peu étrange.

La chanteuse qui se produit sur scène a une voix agréable mais, si cela colle au cadre, c’est un peu monotone comme rythme. Disons que cela va bien pour accompagner un verre mais que je ne passerais pas une heure ici.

Hum ! Voici votre tal.. whisky Monsieur ! Me lance la jeune femme en déposant mon verre devant moi ainsi qu’un petit pot de biscuits.
Merci à vous ! Répondis-je simplement en lui donnant un billet pour régler ma consommation.

Alors que je m’attendais à ce qu’elle rebrousse chemin, je constate qu’elle reste là, les joues teintées d’une légère rougeur. Nos regards se croisent brièvement alors que je lui lance un air interrogateur. Finalement, elle s’arme de son stylo pour griffonner sur mon ticket de caisse avant de le glisser sous ma monnaie dans une coupelle pour ensuite se sauver.

“Je termine dans 2h…” suivi d’un numéro de téléphone. Je ne peux pas retenir un sourire en lisant ce petit mot. Il est toujours agréable de savoir que l’on plait.
Honnêtement, la jeune femme est loin d’être repoussante et je préfère largement cette approche à la pseudo embuscade de la veille. Il faut dire qu’elle en tenait une belle couche la nuit dernière.

Je sirote alors mon verre, réfléchissant au reste de ma journée, me questionnant également sur la suite à donner à cette invitation. Il est vrai que cela fait plusieurs mois que je n’ai eu personne et qu’en temps normal cela aurait pu me tenter. Cela dit, le fait d’avoir repris contact avec Hailey me chamboule un peu.

“Je suis flatté, sincèrement mais je ne donnerai pas suite, pas en ce sens. Bonne continuation. Matt” Écrivais-je à la suite de son message.

Mon verre terminé, je me levais pour rapporter la coupelle avec le message et un pourboire au comptoir. C’est une habitude que j’ai, pour m'assurer que c’est bien la personne qui m’a servie qui empoche l’argent et non le patron comme cela se fait dans certains établissements.
Sauf que Kristen n’était pas seule derrière ledit comptoir.

Oh ! Lâchais-je en me retrouvant face à la serveuse et… A Hailey. Je marquais une seconde de pause, réfléchissant à la méthode à adopter. Finalement, je glissais la coupelle vers Kristen. Bonjour à la chanteuse aussi, du coup ! Lançais-je avant de les observer toutes les deux.
Encore bravo pour hier soir, c’était parfait !

J’avais fait en sorte de rester assez neutre dans mes propos, de façon à ce qu’il n’apparaisse pas que la blonde et moi nous connaissions déjà. Je ne savais pas ce que la jeune femme avait dit ou non à son amie et je ne voulais pas trahir un éventuel secret.

Bon courage pour la fin de service ! Dis-je finalement avant de me diriger vers la sortie.

Je souris face à la surprise parfaitement visible dans le regard de Matthew lorsque ce dernier se pose sur moi. Je pensais qu'il me parlerait plus naturellement, mais je comprends bien vite qu'il tient à rester parfaitement neutre. Je suis légèrement déçue, mais puisque nous sommes sur mon lieu de travail, c'est probablement mieux comme ça… Surtout en présence de Kris.

– Merci monsieur. En vous souhaitant une excellente soirée, lui dis-je en le saluant poliment pour satisfaire les exigences du manager.

Je le regarde s'éloigner jusqu'à ce que le long soupir poussé par mon amie n'attire mon attention.

– Qu'est-ce qui t'arrive?
– Oh et bien, regarde, me dit-elle en me tendant un morceau de papier. Il ne sait pas ce qu'il perd…

Je découvre ensuite leur pseudo conversation et surtout les quelques mots visant à éconduire ma colocataire. Je comprends mieux sa déception et je sais par avance que cette dernière se trouvera au centre de nos conversations pendant un long moment. Afin d'éviter que tout ceci ne devienne très gênant, je décide de lui parler de Matthew et du fait que nous nous connaissons lui et moi. Évidemment, j'évite soigneusement d'évoquer les baisers et mon départ précipité. Je préfère ne parler que des détails plus légers. L'amitié avec mon frère, le fait qu'il vive principalement au Canada… Enfin, c'est du moins ce que j'imagine.

– Pourquoi ne pas vous être salués hier alors ? Pourquoi vous montrer si distants l'un envers l'autre.
– J'en sais trop rien en réalité, lui dis-je, en toute franchise.

Un peu plus de deux heures plus tard, nous sommes de retour chez nous. Épuisée, Kris part immédiatement se coucher tandis que je préfère m'installer tranquillement dans mon lit avec un bouquin. Je mets toujours un temps fou à m'endormir… Ce n'était pas le cas avant mon brutal changement de vie. Après quelques pages, je me souviens des messages de Matthew et saisis mon téléphone. Je parcoure les derniers textos en hésitant… Répondre ou ne pas répondre, telle est la question.

Finalement, je me décide à lui envoyer :

“Combien de temps comptes-tu rester à Londres ?”

Elle semblait très bien, Kris. Cependant, même si je m’étais un peu décoincé par rapport à il y a trois ans, je ne me voyais pas me laisser aller dans les bras de l’amie d’Hailey… A plus forte raison alors que je reprennais à peine contact avec cette dernière.
Ainsi, j’avais essayé, pour la seconde fois, de repousser gentiment les avances de la jeune femme.

Le sourire de la blonde, lorsque je laissais échapper ma surprise, ne m’échappait pas, une lueure complice traversant alors mes pupilles. Si je ne l’avais pas remarqué, elle savait déjà que j’étais là.
J’étais un peu déçu qu’elle ne soit dès lors pas venu me saluer mais, étant sur son lieu de travail, la raison lui donnait entièrement raison et c’est donc dans cette même lignée que je me montrais assez neutre dans mes propos.

Le soir venu, j’avais envoyé mes clichés du jour à mon agent qui se chargerait de trier ceux qui pouvaient être intéressant à commercialiser ou à proposer à des magazines.
Une bonne douche plus tard, j’étais dans mon lit, attendant que la télé ne m’endorme, ce qui tardait.

Mon téléphone se réveilla alors et j’affichais un court message de la chanteuse. Je tapais mon message plusieurs fois, hésitant un peu sur le contenu, effaçant puis recommençant. Reprendre contact en montrant qu’on y prend plaisir sans paraître lourd et intrusif, ce n’est pas un exercice aisé.

"Environ six mois encore. Plus si j’ai des opportunités. On arrivera peut-être à se voir à un moment où tu ne bosses pas ? xD”

Par cette question qui avait des allures de suggestions, je voulais trancher de notre bref échange plutôt neutre de l'après-midi et lui faire comprendre que ma réserve était jusqu'à présent lié, non pas à elle, mais bel et bien à l’environnement ou aux gens présents.
Après tout, je ne sais pas ce que son amie sait et je ne veux pas créer un conflit.

Sa réponse a beau m'arracher un sourire, je ne sais pas pour autant comment l'interpréter… Et encore moins si nous revoir est une bonne idée. Certes, en trois ans il s'en est passé des choses. De l'eau a coulé sous les ponts… Il est même possible que certaines choses ont pu être oubliées ou seulement pardonnées… Peut-être, j'en sais trop rien.

N'ayant aucune nouvelle d'Alex, je ne sais pas ce qu'il en est de leur relation. Je n'ai jamais réellement su ce qui s'était passé après mon départ d'ailleurs…

“Peut-être, qui sait ?” finis-je par répondre non sans soupirer.

Je souris à sa réponse pourtant courte.
Je prends en photo le planning des concerts prévus sur les six mois et le joint à ma réponse.

“Voilà, comme ça, tu sais quand moi je travaille. Si tu le veux, tu auras juste à me dire quand tu es dispo et ce serait avec plaisir. Il n’y a rien qui presse !”

Je griffonne alors un autoportrait souriant en gros plan qui levait un doigt affirmatif, une petite bulle disant : “ Je suis déjà ravie de ces petits messages !”

Mon dessin envoyé, j’essaye de mettre un peu d’ordre dans ma tête.
Si je n’ai aucun doute sur le fait que j’ai pardonné son départ précipité, trois ans plus tôt, je ne veux pas m’emballer comme à l’époque. Je ne sais pas vraiment comment elle à pu évoluer et, à vrai dire, c’est un peu comme si je ne la connaissais plus.

Aussi, si j’avais très envie de la revoir, je savais qu’il faudrait probablement repartir de zéro et faire comme si l’on se rencontrait plus ou moins pour la première fois. Qu’à cela ne tienne, cela me convenait. La disparition soudaine d’Hailey ayant été déclenchée par les propos de son frère, je ne lui en voulais plus depuis longtemps. Même si j’avais repris contact avec Alex un an après avoir quitté la colloc et que je l’avais pardonné, nous n’étions plus aussi proches qu’avant.
Je ne l’avais d’ailleurs pas informé que j’avais retrouvé sa petite sœur. Cela ne me concernait pas.

En réalité, je pensais vraiment que ma réponse “énigmatique” suffirait à le dissuader de poursuivre. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, mais je ressens toujours cet étrange besoin de me tenir éloignée. Malgré tout, je réalise bien vite face à son planning que nous serons forcément amenés à nous revoir, que je le veuille ou non… Tout simplement parce que mon groupe doit participer à quelques concerts notés sur sa liste.

“Es-tu vraiment sûr que c'est une bonne idée de nous revoir ?” je lui demande tout de même.

Je sais bien que nous rencontrer ne signifie pas forcément reprendre là où nous nous étions arrêtés. Ce serait stupide d'imaginer une telle chose. Mais quand même, je sais bien que mon comportement d'alors n'était absolument pas approprié. J'ai pris la fuite, comme une idiote, sans rien lui dire… Je suis partie comme une voleuse et, malgré tout, je sais que je l'ai blessé en agissant ainsi. Ce n'est pas difficile à deviner après tout… Pas après m'être rendu compte de la disparition de ses propres affaires.