Un mois. C'est long un mois, bien trop long. Kyle reste silencieux, sur ce canapé dans le salon. Il la regarde touiller inutilement son thé, il la regarde expliquer factuellement les choses. Il ne veut pas l'insulter, mais elle n'est pas idiote normalement. Elle sait que même si c'est long qu'est-ce qu'il pourrait faire d'autre sinon attendre ?

Il soupire, juste parce que ça la fait chier, parce qu'elle va relever le regard vers lui et lui jeter son regard noir, celui qui est si puissant mais dont il n'a plus peur. Il n'a plus du tout peur de Septima, parce qu'il a appris à la connaître. Il rougit moins aussi, en deux mois il a eu le temps de s'habituer, de se calmer. Il parle toujours autant par contre, bon là, s'il se tait, c'est parce qu'il boude.

Kyle sait qu'il ne peut rien y faire, que jamais Septima lâchera tout pour lui, qu'elle a donné sa parole et qu'elle sera le mentor de deux gamins du 2 qui n'en ont rien à faire. Ces deux carrières volontaires se sont entraîné toute leur vie pour mourir dans cette arène, et lui, va devoir laisser Septima juste pour eux ? Il a bien le droit de bouder non.

Un mois, c'est putain d'insurmontable. Surtout qu'à son retour, il ne sera plus là. A son retour, il sera en route pour devenir pacificateur. Il ne lui a pas dit, il le lui a cacher, à quoi ça aurait servi d'ailleurs ? Il allait partir, c'était inscrit depuis le début, tout ce qu'ils ont eu ce n'était qu'un surplus. Kyle avait toujours cru qu'il finirait par y échapper, mais il a eu une conversation avec sa mère, ce matin-là, au retour de la première nuit intéressante de sa vie. Sa mère lui a bien fait comprendre qu'il avait des devoirs, elle a accepté la situation s'il reprenait son chemin comme prévu. Idiotement il a accepté. Et Septima ne sera pas là, il n'aura rien ni personne pour le retenir.

Il finit par se relever et se mettre dans le dos de Septima. Il passe ses bras autour de son corps musclé et l'embrasse dans le cou. Il a déjà fini de bouder, ça ne servait à rien de perdre plus de temps.

- Un mois c'est surmontable, j'ai passé dix-sept ans de ma vie sans te connaître.

Il sourit. Un mois, finalement, c'est rien comparé aux dix-sept prochaines années. Il continue de l'embrasser dans le cou.

- J'imagine que je ne peux rien faire pour t'empêcher d'y aller ? Il n'attends pas la réponse puisqu'il la connait déjà. Alors ne serait-ce pas l'occasion que tu me joues ce thème de Gladiateur au violon ?

Ses yeux se mettent à briller de malice, il n'a jamais oublié leur première rencontre, ce film qu'ils ont vu ensemble, ce regard froid et amer qu'elle lui avait lancé. Il lève les mains en l'air avant qu'elle ne se retourne et lui grogne dessus - oui elle fait ça. Et il dit.

- Sinon, apprends-moi un nouveau sport, genre un sport de combat. Juste un peu, j'veux m'battre avec toi, et rouler par terre pendant que tu me serres dans tes bras.

Le revoilà ce petit côté léger, je m'en foutiste mêlé à de la provocation. Ils savent très bien ce qu'ils va se passer s'ils se battent. C'est rare qu'ils le fasse, mais elle est tellement sexy dans ces moments-là. Ok, elle l'est tout le temps en réalité.

Kyle ne parle pas des jeux futurs, de son absence, de la moisson, c'est trop triste, trop dur, il préfère continue de vivre, au jour le jour, avec elle. Qu'importe s'il n'en reste que deux, autant savourer ses quarante-huit heures jusqu'à la dernière seconde.

Septima n'aime pas cette situation. Elle se sent prise entre le marteau et l'enclume. D'habitude, elle est plutôt le marteau. Oh, elle n'est pas inquiète. Si elle le souhaite, elle s'amusera bien au Capitole. Elle est loin d'être naïve. Elle sait tout ce qui peut s'y passer. Elle y a entendu des choses. Elle y a vu des choses. Mais laisser Kyle seul ici ne lui plaît pas. Déjà, la mère de l'intéressé ne lui plaît pas. Et c'est un doux euphémisme. Les regards désormais franchement hostiles que lui adresse Lucretia ne lui plaisent pas. Elle remonte à bien loin, leur dernière partie d'échec. Elle s'est arrêtée net à l'instant où la blonde a posé un œil un peu trop insistant sur le garçon. Le sien. À elle. Et à personne d'autre. Elle a même croisé sa propre mère, une semaine plus tôt, avec laquelle elle a eu un échange exécrable. La vieille peau s'est mise à déblatérer sur le fait que sa fille - elle s'en rappelait bien quand ça l'arrangeait - se ramenait un copain dans l'immense maison dans laquelle elle aurait dû faire de la place pour sa propre famille. Comment elle en a eu écho, Septima l'ignore. Bien qu'elle ait quelques suspicions sur le sujet. Elle s'est bien gardée d'en parler à Kyle. Elle n'a pas envie de jeter encore plus d'huile sur le feu. Enfin, si, elle, elle aime mettre de l'huile sur le feu. Elle ne veut plutôt pas risquer que le garçon soit pris dans le contrefeu. Au lieu de cela, elle a chassé cet épisode de son esprit - comme tout ce qui concerne sa mère - et est passée à autre chose. Tout mis bout à bout, elle n'aime pas trop beaucoup ça.

De frustration, d'agacement, la petite brune met une grande tape dans la tasse pleine de thé. Après avoir dégueulé une partie de son liquide bouillant sur le comptoir, celle-ci glisse le long du comptoir et s'écrase dans un craquement sinistre au fond de l'évier tout proche. Brisée en deux.

Kyle finit par se lever du canapé et Septima réalise, non sans une certaine surprise, qu'elle appréhende quelque peu sa réaction. Est-ce qu'il va tourner les talons sans un mot et ne plus revenir ? S'emporter ? Est-ce la fin ? Il approche et l'enlace. La jeune fille penche la tête sur le côté pour dégager son cou. Lorsqu'elle entend sa réponse, elle laisse momentanément sa tête tomber en arrière, en appui sur son épaule, yeux fermés. Un mois, c'est surmontable. Dans un mois, il sera toujours à elle.

- Mmm, ça dépend. Tu te sens de faire face à Brutus ?

La réponse s'applique à ses deux questions, finalement, pas qu'à la dernière.

- Je sortirai le violon quand tu agoniseras tragiquement entre ses mains, ajoute-t-elle avec un rictus.

Il lève les bras et arrête de l'embrasser dans le cou. Elle grogne. Est-ce qu'elle l'a vexé ? Non, il n'est plus à ça près avec elle. Il reprend alors la parole. Aussitôt, la brune se retourne pour lui faire face et lui passe une main dans les cheveux.

- On a déjà essayé plein de choses mais tu es un élève particulièrement indiscipliné… avec la capacité de concentration d'un gamin devant un étal de bonbons.

Certes, dans le cas d'espèce, c'est elle, l'étal de bonbons, à en juger par la façon dont ont pris fin la plupart de leurs séances. Elle ne va pas s'en plaindre outre mesure. Ce n'est pas forcément désagréable d'être la friandise. Pour autant, apprendre un peu d'autodéfense ne lui ferait pas de mal, surtout si elle n'est plus là pour assurer ses arrières.

- Je n'aurai pas assez de deux jours pour faire quelque chose de toi, lui rétorque-t-elle avec une moue faussement songeuse.

Deux jours.

Rien qu'à la mention de Brutus, Kyle se fige. Ce n'est pas qu'il ne l'aime pas, mais plutôt qu'il en a un peu peur. Il faut dire que tous les gagnants ont du sang sur les mains - enfin presque - et que seule Septima fait battre son coeur, donc forcément les autres...

- Pourquoi je devrais être prêt tente-t-il de son air léger tu m'as dit qu'au fond, c'était un gros nounours.

Il essaie de faire genre que ça ne l'atteint pas, mais il n'est pas certain de la leurrer sur ça. Ah, si seulement il savait ce qu'il lui cachait. C'est pour notre bien, songe-t-il en tentant de s'auto-convaincre.

- Oh non trop d'honneur, quelle chance ! ironise-t-il.

Il rêve vraiment de l'entendre jouer, il est certain qu'elle est excellente - comme dans tout ce qu'elle entreprenant - il ne comprend juste pas pourquoi elle refuse de l'entendre faire de la musique. C'est bien l'une des rares activités où elle n'a pas accepté sa présence. Et comme il est trèèès souvent à ses côtés, elle n'a pas dû pratiquer de musique depuis au moins deux mois.

- Genre c'est de ma faute ! s'exclame-t-il avec un air angélique Bon j'avoue, je reconnais, je ne sais pas résister à la puissance de ton aura qui me frappe de plein fouet à chaque seconde...

Il lève les bras en signe de reddition, il ne peut rien face à elle. Absolument rien. Mais ça tombe bien, il aime ça, être faible face à elle, car finalement, ensemble ils sont bien plus fort.

Puis il s'incline - en sur jouant un peu - et lui dit, d'une voix docile.

- Très bien, maître, apprenez-moi. Je serais sage, écoutant et obéissant, je le jure.

Il lève la main et ne sait pas trop quoi faire de ses doigts, alors il les porte à son front en un simulacre de salut militaire. Décidément il mélange tout, s'il ne lui tire pas au moins un sourire, c'est qu'il est rouillé. Il est prêt pour toutes ses leçons, en espérant bien sûr qu'elles se terminent au corps à corps. Son petit sourire en coin quand il relève les yeux vers elle le remplit de joie. Qu'est-ce qu'il aime être ici à ses côtés. Il a vraiment vécu les deux meilleurs mois de sa vie.

Septima lui ébouriffe les cheveux et le repousse gentiment pour le sortir de sa fausse posture de garde-à-vous. Il la désespère. Mais c’est aussi cela qui lui plaît chez lui. Même si la brune n’est pas des plus réceptives à son humour, il persiste encore et toujours. On dirait qu’il s’est fixé pour mission d’essayer de la faire rire. Et il se donne beaucoup de peine pour essayer d’y parvenir. Ne serait-il pas mieux avec quelqu’un qui serait plus capable qu’elle d’apprécier son humour loufoque, ou du moins d’y répondre ? Elle est trop égoïste pour l’accepter. Leur séparation est un problème d’un autre jour. Pour l’instant, elle est là. Il est là. Et il est tout à elle. Elle ne restera pas là à ruminer les possibilités et les scénarios et les peut-être et les pourquoi pas. Elle profitera de l’instant présent. Alors elle se concentre sur cet instant présent.

Et dans l’instant présent, au regard qu’il lui lance, elle sait que ça sent l’arnaque. Elle n’espère pas mieux de sa part qu’une minute trente de concentration avant qu’il ne se mette à faire n’importe quoi. Et encore, elle se trouve optimiste sur le délai.

- Il n’y a pas que mon aura qui va te frapper, si tu continues, lui rétorque-t-elle, narquoise.

Pourtant, cette fois-ci, Septima est plus sérieuse. Elle sent que c’est important. Pourquoi cette fois-ci plus que les autres ? Parce qu’elle ressent que quelque chose est différent, même si elle ne parvient pas à mettre le doigt dessus. Un pressentiment, diraient d’aucuns.

- Donne-moi une minute.

Elle repousse le bandeau dans ses cheveux vers l’arrière de son crâne et le resserre, pour le nouer en queue de cheval. Elle s’éclipse dans l’escalier, retirant sa robe en chemin, comme à son habitude. Quand elle redescend, elle l’a troquée contre une tenue plus adaptée pour le sport. Débardeur noir et pantalon assorti. Elle est restée pieds nus. Elle trouve ça plus confortable. A son épaule, un sac noir contient pas mal de matériel d’entraînement. Matraque, tonfa, épée factice, il y en a pour tous les goûts. Elle se dirige vers le jardin et laisse tomber le sac à ses pieds, attendant que Kyle ne se décide à la rejoindre.

Quand il se poste en face d’elle, elle plonge dans ses yeux un regard plein de défi.

- Ok. Je te propose un deal. Tu arrives à me mettre à terre, je te joue un morceau au piano.

Un sourire sardonique illumine son visage.

- Tous les coups sont permis.

Vient-elle de faire de l'humour ? Kyle en est persuadé, voilà qu'elle va bientôt se mettre à rire à ses blagues. Le jeune homme se promet de ne jamais arrêter jusqu'à réussir, de toute manière, il ne peut pas vraiment changer qui il est, n'est-ce pas ? Enfin, entre revêtir un masque et nier qu'il est un humoriste hors paire, il y a un gouffre. Il sourit donc et fait ce qu'elle lui dit. Il l'attend.

Elle revient en tenue de sport. Une moue triste se dessine sur sa face, bon, il aime bien la voir se battre et sentir ses muscles, mais sur lui... c'est différent. Déjà ça ne marche pas, il est toujours aussi nul et ensuite, c'est épuisant de faire de l'activité physique ! Mais a-t-il le choix ?

- Hum, ok.

Il n'a aucune chance face à elle, c'est évident, mais elle ne veut pas le tuer, donc peut être qu'il peut se servir de ça. Il se penche pour regarder ce qu'on peut trouver dans le sac et décide de sortir une épée. Elle n'a pas l'air trop dangereuse, et il a toujours rêvé d'être un guerrier d'antan. Bon, l'allure ne suffit pas.

Il se met en garde, comme elle a tenté de lui apprendre il y a deux semaines. Elle a finit par désespérer. Cette fois-ci, il se dit que, peut être, il peut faire un effort. Elle a l'air extrêmement sérieuse. Bon, elle est toujours sérieuse, mais là, dans son regard il y lit quelque chose. Peut être qu'elle a peur de leur séparation, il hésite entre : jouer encore plus au con que d'habitude ou, pour une fois, tenter de lui faire plaisir en rentrant dans son jeu.

- Ahhhhhhh hurle-t-il.

Il s'avance vers elle dans un grand cri et elle pare le coup, bien évidemment, mais s'il ne se lançait pas tout de suite, il allait s'enliser sur place et ne plus oser bouger. Kyle recule bien vite et se remet en place.

Kyle a bien conscience qu'elle le laisse essayer et qu'elle ne fait que se défendre, mais ça n'en reste pas moins un énorme challenge. Il tente une autre technique, une de celle qu'elle a essayé de lui enseigner il y a six jours. Deux coups à droite et un à gauche. Il tourne autour d'elle, la forçant à se retourner. Il avance, recule, il essaie réellement de frapper, mais aucun coup ne l'atteint. Essoufflé, il reprend sa respiration. Elle ne peut pas lui en vouloir, il s'est donné à fond déjà, puis il jette son épée et attrape autre chose, une espèce d'arme en bois avec une poignée. Septima a tenté de lui montrer ses armes pour qu'il retienne les noms, mais comme tout le reste, il était un peu dissipé.

Il tente une nouveauté, puisqu'elle ne va pas le mettre à terre tout de suite - du moins, c'est ce qu'il espère - il s'approche en courant tend l'arme vers son ventre puis dépose un baiser sur sa joue. Elle va le tuer, mais il faut bien qu'il prenne des risques, elle a prévenu que tous les coups étaient permis. Et ensuite il s'attaque à ses jambes. Elle danse bien trop vite pour lui et il s'essouffle avant elle. Il se remet face à elle, un peu en retrait. Elle n'a pas une goutte de sueur, contrairement à lui.

Il songe à cette série mignonne des gars qui jouaient au rugby. Il va tenter. Il recule encore un peu et prends de l'élan, court et se baisse au dernier moment pour que son épaule touche les hanches de Septima. Il sert fort ses jambes et continuer de la pousser en arrière avec l'élan qu'il a pris.

Septima n'a même pas sorti d'arme du sac. Elle n'en a pas besoin. Avec la bonne technique, il n'y a pas besoin d'arme pour se débarrasser de quelqu'un. Ne nous méprenons pas, c'est un gain de temps et d'énergie significatif. Mais elle est là pour entraîner Kyle. Pas pour le tuer. Elle se contente d'observer le garçon pendant qu'il fait son choix, tout en croisant les mains dans son dos.

Il se met en garde. La pose est assez correcte. Significativement meilleure que la dernière fois qu'ils l'ont travaillée. Elle hoche de la tête d'un signe approbateur. Par contre, quand il charge en hurlant, la brune lui adresse une moue réprobatrice. Elle se déporte d'un simple pas sur le côté et l'esquive sans la moindre difficulté.

- Règle numéro 1 : on ne hurle pas en chargeant pour avertir son adversaire qu'on va attaquer.

Elle se retourne pour le suivre du regard. Il est de nouveau en garde. Bien. Au moins il a intégré le concept. Une feinte. Elle pare sans peine. Elle apprécie tout de même le fait qu'il se rappelle de ce qu'elle lui a montré. Il y a peut-être encore de l'espoir pour lui, après tout. Elle espère surtout qu'il n'aura jamais besoin de les mettre en application. Ce n'est qu'une simple précaution…. Et aussi une distraction pour chasser de ses pensées le fait qu'ils vivent leurs dernières heures ensemble avant ce qui sera une éternité pour l'un comme pour l'autre. Elle ne veut pas y penser.

Il charge une nouvelle fois. Sans crier, cette fois. Il y a du mieux. Elle esquive, encore. Mais cette fois-ci, il a également fait un pas de côté et atteint sa joue. Avec ses lèvres plutôt qu'avec la lame. Ça reste une touche. Mais elle est encore loin d'être au sol. Il utilise ses jambes. Elle lève un genou. Elle bloque. Elle pare. Elle déporte son poids sur sa jambe droite et le repousse de la gauche. Contrairement à lui, elle est solide sur ses appuis et dotée d'un bon équilibre. Elle a déjà identifié à quel endroit il suffirait d'appuyer pour lui briser le péroné. Elle repère tout aussi vite le creux derrière son genou qu'il expose. Rien de tel pour le faire tomber au sol, lui. Elle a l'impression de danser. Il est rapide, il faut tout de même lui reconnaître ça. Mais il risque de vite s'épuiser. Et inutilement. Il manque encore trop de précision.

Il charge une troisième fois. Elle finit par se faire l'effet d'un toréador. Sauf que cette fois-ci, il parvient à s'emparer de ses jambes. Il pousse, elle recule. Elle l'a vu venir, elle s'est campée sur ses appuis, lui rendant la tâche plus difficile. S'il veut la faire basculer, il ne suffit pas de pousser, il faut la déséquilibrer. La jeune fille enfonce ses doigts  juste au-dessus de sa clavicule et appuie vers le bas. Pas trop fort, ni trop vite. Le but n'est pas de briser. Mais rien que comme ça, la douleur devrait déjà l'arrêter dans son élan. Et elle l'arrête.

- Il te manque une bonne dizaine de kilos  (de muscles) pour rendre ce genre de charge efficace.

La petite brune pose un genou au sol, son visage au niveau de celui du garçon.

- Surtout, si tu veux profiter de l'effet de surprise, il te faut moins d'élan. Enfin, si tu n'immobilises pas les bras, dans ce genre de mouvements, tu t'exposes aux coups. J'aurais pu taper n'importe où entre l'arrière de ton crâne et tes reins.

Elle prend son visage entre ses mains, pose un baiser sur ses lèvres et se redresse, l'air toujours aussi sérieux.

- Je suis toujours debout.

Debout, essoufflé, transpirant  Kyle a envie d'abandonner. Septima est droite, sérieuse, elle a réplique à chacune de ses attaques corrigeant sa posture, sa position ou ses - mauvaises - idées. Pas la moindre parole d'encouragement, pas le moindre sourire de satisfaction. Qu'est-ce qu'il fait là déjà ? Il soupire et se redresse. Il sait en réalité. Et puis, il voit comment elle a peur pour lui, combien elle essaie de l'entraîner juste pour qu'il puisse survivre pendant son absence, comme s'il n'avait pas survécu dix-sept ans seul. Bon, en réalité, il a peut être une cible sur le dos, il y a toujours des gens qui veulent embêter les anciens vainqueurs. Alors il joue le jeu, juste pour lui faire plaisir, parce qu'il ne veut pas perdre la moindre seconde.

- Tu peux m'dire comment je peux réussir ? Tu tomberas pas si tu ne veux pas, alors autant que tu me donnes un véritable indice qui me permettrait de...

Il s'arrête avant qu'elle l'incendie. Il aura essayé au moins.

D'un coup de tête, il renvoie ses cheveux mi-long vers l'arrière, il comprend pourquoi elle change de vêtement et pourquoi ses cheveux sont toujours attachés maintenant. Kyle préfère le style que la praticité, mais il doit reconnaître que parfois...

- Ok, tu veux pas te bander les yeux ? Histoire que ça soit, un peu moins, déséquilibré ?

Kyle le sait, ça ne la déstabilisera pas. Il n'est absolument pas assez discret. Alors il tente son dernier truc, peut-il être plus rapide qu'elle ?

Il attrape une arme, une espèce de long bâton et court vers elle. Il tourne autour de Septima, en tentant des coups, sans trop réfléchir à une technique, mais en faisant bien attention à reculer à chaque fois pour ne pas lui offrir trop de prise. Il ne sait même pas si ses coups sont parés par ses mains, son arme ou son corps, juste il essaie de la toucher, mille fois, puis, au dernier moment, il envoie le bâton vers elle avant de courir pour lui rentrer dedans. Il espère l'avoir déstabiliser cette fois-ci, qu'elle n'ait pas réussi à se concentrer à la fois sur le bâton volant et sur lui.

Evidemment, qui tombe ? C'est lui. Uniquement lui. Au sol, il fait encore plus mine d'être essoufflé et triste.

- J'suis pas loin d'abandonner, tu m'aides à m'relever.

Son air est suppliant, il a l'air doux, innocent et inoffensif. Elle va tomber dans le panneau non ? Alors qu'elle lui tend la main, il l'accroche et... la fait basculer vers lui pour la prendre dans ses bras. Ils sont tous les deux, allongés dans l'herbe maintenant.

- T'avais dit qu'tous les coups étaient permis. lance-t-il avant d'embrasser son nez.

- Je peux.

Cela fait longtemps qu’elle n’a pas fait l’exercice de se bander les yeux pour combattre. Il souffle comme un bœuf. Il ne devrait pas être dur à perdre de vue, et ce même les yeux fermés. Septima récupère le bandeau dans ses cheveux et le passe de sorte à se couvrir les yeux avec. Elle respire lentement. Plus elle respire calmement, plus elle peut se concentrer sur ce qui l’environne. Kyle prend toujours trop d’élan quand il attaque. Elle l’entend venir à presque tous les coups. Il tombe à chaque fois lourdement au sol. Il n’est pas discret non plus lorsqu’il se relève. La brune égrène les conseils et les recommandations. Elle ne lui lâche pas la bride. Elle est dure avec lui. Plus dure qu’elle ne l’est normalement. Elle le sait.

Quand la voix de Kyle s’élève de nouveau, elle retire le bandeau de ses yeux. C’est déjà un miracle qu’il ait tenu aussi longtemps avant de craquer ou de faire n’importe quoi. Septima soupire. Il ne sert à rien d’insister. Elle n’est pas en train de l’entraîner pour les Jeux. Elle est simplement en train d’essayer de chasser de son esprit le fait qu’ils passent leurs derniers instants ensemble. Parce qu’au fond d’elle-même, elle ne se leurre pas. Elle sait qu’il ne sera pas là à son retour. Elle n’a rien d’autre à offrir que ce qu’elle est, elle. Elle sait ce qu’elle est. Et surtout ce qu’elle n’est pas. Il ne l’attendra pas amoureusement. Il trouvera mieux.

Elle lui tend la main pour l’aider à se relever. Elle aurait dû le voir venir. Le piège était gros comme une maison. Il a dit « pas loin ». Il n’a pas dit qu’il avait abandonné. Obnubilée par ses pensées, elle est trop distraite pour percevoir la subtilité. Alors elle bascule. Elle bascule et atterrit dans ses bras. Il y a pire. Bien pire. Comme à chaque fois qu’il pose les mains sur elle, elle frissonne à son contact. Réflexe pavlovien.

- Oui, je l’ai dit. Tu as gagné.

Elle lui caresse la joue et lui mordille la lèvre du bas.

- À la déloyale, souffle-t-elle tout proche de son visage, mais tu as gagné.

Sans lui laisser le temps de réagir, elle se redresse tout de go, cette fois-ci sans l’aider à se relever, et s’éloigne vers la baie vitrée. Direction le frigo et une bouteille d’eau bien fraîche.

Même s'il a redoublé d'effort et que Septima partait avec un handicap, ça n'a pas suffit. Elle est réellement trop forte, elle a bloqué tous ses coups. Sauf son coup bas quand il l'a embrassé au sol. Il rit, fier d'avoir réussi, fier de l'entendre le dire. Peut être que maintenant elle va se calmer et sourire, comme il y a un mois et demi et que leur vie était belle. Pourtant ces quelques jours lui mettent une pression monstrueuse ? Ce n'est pas lui qui ira dans l'arène. Il lève les yeux au ciel et la suit.

Le bruit qui leur parvient de dehors les empêche de savourer leur temps ensemble, Kyle a juste envie de fermer les fenêtres et de monter le son de la télévision à fond tout en se blottissant contre Septima, mais au fond de lui, il est curieux. Qu'est-ce qui peut faire du bruit devant le village des vainqueurs ? Est-ce une révolution ? Il a envie de rire, personne ne se révolte, jamais. Le prix à payer, tout le monde le connait et plus personne n'est prêt à le verser. Il se penche par la fenêtre.

- Ah bah tiens, voilà des jeunes qui veulent prendre des cours avec toi.

Il a de nouveau revêtu son masque d'indifférence. Il voit que jeunes qui s'tapent dessus, comme lui et Septima viennent de faire. Il ne comprend pas forcément les enjeux d'une telle façon de faire. Sont-ce les volontaires de cette année ? Se battent-ils pour obtenir le soutien de Septima ?

- Bon, c'pas nos affaires, revenons à ce qu'on allait faire, regarder un film non ?

Ils n'avaient jamais dit qu'ils feraient quoique ce soit et, vu la sueur qui dégouline du dos de Kyle, Septima préférerait sûrement qu'il aille prendre une douche, mais il n'a pas envie de perdre de temps. Soudain, il met un mot sur ce qu'il ressent : de l'angoisse. Son visage ne le reflète pas, mais son ventre se noue sans cesse. Il veut s'enfermer, oublier que la vie dehors continue de tourner, rester tranquille et ne pas penser au lendemain. A n'importe quel lendemain. Juste le moment présent, ça, c'est bien.

Septima ne rit pas à la boutade. D’ailleurs, en est-ce vraiment une, de boutade ? Le bruit dehors, elle le sait, ce ne sont pas « des jeunes qui veulent prendre des cours avec elle ». Ce sont des jeunes qui ont prit des cours, oui. Ce sont des jeunes qui prennent des cours depuis des années. Parmi eux se trouvent celui et celle qui lèveront le bras bien haut cette année. Parce que l’un comme l’autre se sent plus prêt que les autres, plus courageux. Parce que ses entraîneurs lui ont dit qu’il était prêt. Parce que ses entraîneurs lui ont dit que c’était enfin son tour, cette année. Qu’il pouvait aller tenter sa chance d’apporter honneur et gloire à son nom et à celui de sa famille. Septima ne connaissait que trop bien le discours. Elle avait été l’un de ces jeunes, là dehors. L’un de ces jeunes qu’on emmenait voir le village des Vainqueurs un peu avant la Moisson pour qu’ils puissent y rencontrer leurs aînés. Leurs modèles. Ceux qui avaient réussi. Leur futur mentor, pour celui et pour celle qui se seront portés volontaires.

Brutus lui en a parlé, il y a un petit moment. Ce à quoi elle lui a répondu que si elle cédait à la mascarade du Capitole, elle ne s’imposerait pas en prime celle de leur district. Il n’y avait pas besoin d’être mentor pour cela. Certains Vainqueurs se feraient un malin plaisir à y participer. Elle ne doute pas que Lucretia, en particulier, y fera certainement un tour. Une occasion de faire son numéro de charme auprès d’un public béat.

Accoudée sur l’îlot central, elle boit une longue goulée d’eau à la bouteille avant de lancer celle-ci au garçon, de l’autre côté. Elle n’a pas envie de regarder ce qui se passe dehors. Elle n’est pas pressée de se faire rattraper par la réalité. Parce que la réalité la rattrapera. Mais demain. C’est le problème de la Septima de demain.

- Tu veux pas une douche, plutôt ? rétorque-t-elle en fronçant le nez.

Si elle n’a pas transpiré outre mesure, on ne peut pas en dire de même du garçon qui dégouline dans son salon.

- Pendant ce temps, je choisis le film... ou je viens te tenir compagnie.