Triple lutz, walley, Salchow. Sauter allongé, boucle piquée, saut de valse. Prise de vitesse, prise d'impulsion. Quadruple Axel. Cornelia retombe gracieusement sur la glace, se laissant porter par la musique, sous l'œil critique de l'entraîneur et du chorégraphe. Même si la saison de patinage touche à sa fin, ce n'est pas pour autant que la demoiselle cesse totalement ses entraînements. Bien sûr, le rythme est plus calme, mais être sportif de haut niveau implique un travail en continu, même si elle pourra bientôt faire une pause de quelques jours avant de commencer, déjà, à préparer la prochaine saison.

"- C'est bien Cornelia ! Va bien au bout du mouvement surtout. C'est très bien. Jusqu'au bout de tes doigts. Voilà ! Recommence l'enchaînement du quad !"

La demoiselle s'exécute rapidement, se préparant à sauter. Donnant une impulsion, ses lames quittent la glace le temps pour elle d'effectuer une quadruple rotation avant qu'un patin n'effleure la glace de nouveau. Elle termine le mouvement de balancier et tiens la position quelques secondes, avant de se redresser et rejoindre les deux hommes au bord de la piste, comme la leçon touche à sa fin.

La demoiselle écoute son coach faire son débrief, hoche la tête et s'étire en même temps sur la rembarde de la patinoire. Elle acquiesce encore une fois et se dirige vers la sortie de la glace, enfilant ses protèges lames sur ses patins avant d'attraper ses affaires et se diriger vers les vestiaires.

Quand elle sort, la journée touche pratiquement à sa fin et le soleil se couche déjà à l'horizon. Elle serre un peu plus son manteau autour d'elle et presse l'allure pour rentrer chez elle, à quelques rues seulement de la patinoire, sans perdre de temps dans les rues. Elle est fatiguée, comme chaque jour après des heures et des heures d'entraînement, n'aspirant qu'à rentrer prendre un bon bain, son dîner et s'écrouler dans son lit, fracassée, en lisant peut-être quelques pages de son livre avant d'être emportée par Morphée.

Elle rajuste son écharpe autour de son cou comme les températures sont encore basse les soirs du mois de mai, surtout pour son corps encore brûlant d'efforts physiques et en tournant à l'angle d'une rue, un impact la fait tomber directement sur les fesses. Elle reste sur le sol, massant son fessier endoloris en relevant le regard vers... Aayden. Son voisin. La tête à claques des Hockeyeurs, qui se montre juste infect avec elle.

"- C'est un sport national pour toi de me faire tomber en toute occasion, hein ?" demande-t-elle en se relevant avant de le dévisager. "Bah alors, t'en profites pas pour me rabaisser ? Pourtant ça te dérange pas trop d'habitude. Qu'est-ce qui t'arrives aujourd'hui ?"

Mais quel débile. Mais. Quel. Débile. Tu avais oublié un truc à la patinoire, un truc con, mais important à tes yeux. Un truc impossible à cacher, à rendre aussi à son véritable propriétaire, mais qu’il fallait absolument que tu retrouves avant de devoir donner des réponses qui ne plairont pas. Déjà que tu redoutais de devoir y retourner pour la croiser Elle… Tu pries doucement pour qu’aucun autre de tes camarades ne l’ait vu tomber de ton sac. Tu pries pour que personne ne l’ait jeté, froissé, détruit. Tu te figes un peu devant la porte de la patinoire.

Oh non, mais c’est l’horaire des patineurs en plus. Tu grimaces et essayes de passer sans que l’on ne te voit, arrivant dans le vestiaire des garçons, rampant presque par terre pour ne pas que…

- Sachs ?

Merde. Tu grimaces et reconnais cette voix. Tu lèves les yeux aux ciels, essayant de retrouver une certaine contenance pour pouvoir lui faire face. Tu redresses la tête et souris nerveusement.

- Myers...

Tu te relèves et t’essuies un peu le torse en toisant le regard bleu de l’adolescent devant toi. Tu serres un peu les dents et croises les bras devant ton torse, t’adossant contre un casier en ayant un sourire en coin.

- Quoi ? T’veux ma photo, la Danseuse ? J’ai autant l’droit d’être ici qu’toi.

Le brun lève un sourcil au surnom que tu lui donnes et pouffe doucement avant de jouer les indifférents avec toi, ne te répondant même pas alors qu’il se dirige vers ses affaires pour se changer. En général, lui et toi, vous n’êtes pas vraiment des amis. Déjà, parce qu’il s’agissait d’un patineur… Et tu es un hockeyeur… Mais aussi parce qu’il est ami avec ta charmante voisine. Une personne aussi que tu ne voulais pas croiser ici. Tu te décales de ta place et en profites qu’il soit de dos pour fouiller du regard le sol, essayant de te souvenir de l’endroit où ce que tu cherches pourrait être.

- T’as perdu un truc ?
- Mêle-toi d’ton cul.

Que tu réponds un peu sèchement, par réflexe. Tu grimaces, te figeant en te rendant compte de la violence de tes mots. Tu jettes un regard rapidement au brun qui ne semble pas plus atteint. Il récupère son sac sur les épaules et soupire.

- Comme tu veux, Sachs. A plus, Brutus !

Tu serres les dents. Un partout, balle au centre. Il venait d’utiliser ce charmant surnom que les patineurs t’avaient donné depuis tes exploits. Tu soupires, mais trouves finalement ce que tu cherches. Une photo. Par chance, elle est intacte et tu peux la ranger dans la poche de ta veste au niveau du cœur rapidement pour pouvoir repartir comme si de rien n’était, ayant le sourire aux lèvres, la joie dans le regard. Ton petit trésor est sauf. Tu profites pour courir un peu, alors que la buée sort de ta bouche à chaque souffle. Pas assez chaud pour être en débardeur, pas assez froid pour ne pas avoir de gant, mais au moins, tu peux rentrer tranquil… Fail.

Tu pensais prendre un raccourci en tournant dans un coin de rue, mais c’était sans compter sur ta maladresse et une personne que tu n’avais pas vue. Tu tombes de ton côté et secoues la tête en te relevant.

- Mais putain !! Pouviez pas r’garder au lieu de...

Mais tu t’arrêtes dans ta lancée, lorsque la pique est lancée. Tu écarquilles les yeux. Mais évidemment que c’est elle, évidemment qu’il fallait que tu tombes sur elle. Vous êtes voisin, vous êtes littéralement obligés de finir par prendre le même chemin pour rentrer chez vous. Tu grimaces un peu à ses questions, détournant le regard, rougissant d’un coup. Tu grognes un peu.

- Ça va, t’as d’jà l’cul par terre, j’vais pas t’cracher dessus non plus. Râle pas.

Tu te tournes un peu vers elle et tends la main pour l’aider à se relever. Faudrait pas non plus qu’elle reste comme ça. C’est idiot de dire ça hein ? Après tout, vous êtes ennemis (mot de ton père), c’est qu’une stupide danseuse à tutu (re mot de ton père) et ses patins sont trop fin pour tenir lors d’un coup de vent (mot de ton frère cette fois)… Mais tu ne sais pas… Tu l’as toujours trouvé… Attirante ? Mignonne ? Mais ce n’est pas possible de toute façon elle et toi. Elle te déteste autant que son père déteste le tient. T’as quoi comme chance ?

- M’enfin. Rentrons ensemble vu qu’t’es là...

Il s'énerve. Evidemment. Sachs est-il en mesure d'être autre chose que sanguin ? Beaucoup diraient que non. Elle, elle sait qu'il n'est pas que ça. Le hasard a voulu que les balcons de leurs chambres ne soient pas très loin l'un de l'autre. Elle sait que parfois, quand il est seul dans sa chambre, il est très différent du garçon qu'il est en règle générale. Parfois, elle distingue cette ombre qui passe sur son visage, cette lourdeur. Des problèmes avec un père exigeant sûrement et le stress des matchs, évidement. C'est ce qu'elle croit en tout cas. Ce n'est pas comme si elle allait lui demander, pas non plus comme s'il allait se confier à elle. Il la déteste, après tout. Il le lui a bien fait comprendre et plus d'une fois, devant tout le monde. Car elle ne compte plus le nombre de fois où il s'en est prit à elle devant ses potes, elle, la petite Hardt dont le seul crime est d'avoir été adoptée par la mauvaise famille et de pratiquer le sport qu'il semble détester le plus au monde. Il est celle qu'il semble haïr le plus, mais il déteste tout représentant de cette discipline, à l'exception d'Hampton, nourrissant cette gueguerre qui n'est pourtant pas supposée être la leur. Une guerre qu'elle subit, elle, bien plus qu'elle ne l'alimente. Parce qu'elle ne comprend pas bien pourquoi ils ne pourraient pas simplement coexister. Le patinage et le hockey sont très différents, mais ils partagent un même amour de la glace. Alors ça l'épuise de voir que l'on peut se déchirer comme ça. De voir que les hockeyeurs s'en prennent aux patineurs, qui le leur rendent bien, comme s'ils ne pouvaient pas simplement s'accepter avec leurs différences.

"- Ah oui ? Parce que ça te dérange pas trop d'habitude." qu'elle souffle entre ses dents en le dévisageant.

Qu'est-ce qui ne va pas chez lui . Qu'est-ce qui cloche ? Cornelia ne le sait pas. Ce mec est une énigme. Ce mec est incompréhensible. Et elle ne veut pas le comprendre. Elle veut juste... Qu'il lui foute la paix, qu'il oublie qu'elle existe, qu'il la laisse respirer le même air que lui en paix, sans toujours trouver à la descendre, à la critiquer. Avec le temps, elle a prit le parti d'être sur la défensive avec lui, parce qu'il ne lui a rien montré d'autre que la nécessité de se préserver de tout ce qu'il fait, tout ce qu'il représente... Que la nécessité de se préserver de sa toxicité.

"- Ah ouai, t'as pas peur d'être vu avec une Cocotte à tutu ?"

Elle est sur la défensive. Évidemment qu’elle l’est. Ce n’est pas comme si tu avais fait beaucoup d’effort pour qu’elle ne le soit pas en ta présence. En général, tu ne restes jamais seul avec elle, parce que ton père ne le voudrait pas… Parce qu’il y a toujours Lisa à tes côtés, parce que tu suis ton équipe ou parce que Karine tourne aussi autour de toi comme un vautour sur une proie. Et elle, elle est souvent protégé par les autres patineurs aussi, Ackermann, son frère… Donc, non, vous n’êtes jamais seuls… Vous n’avez jamais l’occasion de parler sans nuisance autour.

Donc tu n’as jamais vraiment l’opportunité de lui parler comme ce soir. C’est peut-être un miracle vu vos emplois du temps de ministre, mais tout ce qu’elle entend de toi en général, ce sont des insultes, des piques, alimentées par le reste de ton équipe, alimenté par les regards de ton père que tu sens sur tes épaules, à chaque instant. Évidemment que maintenant que tu as la chance de pouvoir passer un peu de temps, elle te rend tout ce mal que tu as pu lui faire. Tu serres les dents et soupires.

- Ça va… J’vois pas d’raison là… Dit pas d’connerie maintenant et rentrons… Va finir par vraiment faire froid...

Tu essayes d’insister, tu sais qu’elle peut devenir aussi bornée que toi quand elle le veut. Il n’y a rien qu’à voir sa maîtrise d’entraînement dont tu nieras avoir déjà observé une fois. Tu attendais Lisa pour aller balader et tu avais eu le temps de tourner la tête pour regarder Hardt faire. À l’époque, tu t’étais juste contenté de rire en la voyant faire ses espèces de saut, mais tu sais que ce souvenir est resté ancré dans ta pauvre cervelle. Tu lèves un peu les yeux à sa remarque, plongeant tes mains dans tes poches et secoues la tête.

- J’dirais qu’j'aurait fait une BA en ramenant une nana toute seule chez elle, parce que d’toute, ç’pas comme si on habitait pas à côté… Maintenant, fais pas ta chochotte et vient. J’vais pas t’taper non plus...

Elle écarquille les yeux en le dévisageant comme le jeune homme affirme ne trouver aucune raison pour lui en faire voir de toute les couleurs ce soir et qu'ils feraient mieux de rentrer, parce qu'il ne va pas tarder à faire vraiment froids. Il faut dire que le soir à New York, en mai, les températures avoisinent les douze degrés. Rien de bien glacial, mais rien de très agréable non plus et elle n'a pas besoin de tomber malade. Alors elle fait ce qu'il dit et elle se redresse, époussetant ses vêtements après lui avoir tendu la main pour qu'il l'aide. Bon sang, il va neiger en plein mois de Mai et ce sera entièrement à cause de Sachs, c'est sûr !

"- T'as dû te cogner la tête en tombant et tu me prend pour Lisa, c'est ça ?"

Non, parce que c'est bien la seule patineuse avec qui ce type parvient à être gentil et ce n'est pas vraiment parce qu'elle l'a apprivoisé, mais parce qu'elle l'a connu quand ils avaient quatre ans. Avant qu'il ne devienne un gros crétin, quoi. Forcément, si cette fille était patineuse, elle n'avait pas poussé jusqu'à être une Hardt. Elle était forcément plus appréciable, moins insecte nuisible. Car c'est exactement comme ça que les Sachs la font se sentir, aussi bien le père que les fils : comme une nuisible. Comme si elle leur avait fait quelque chose, alors que bon sang... ça la frustre tout ça et ça l'énerve. D'autant plus qu'ils sont voisins, si bien qu'elle doit se manger cette haine bien trop souvent à son goût, chaque fois que son regard croise celui d'un Sachs dans le jardin, dans la rue, dans le quartier. Mais ce n'est pas comme si elle avait le pouvoir de mettre un terme à tout ça alors tout ce qu'elle fait, c'est de se préserver d'eux, de rester sur la défensive, autant que possible.

"- Parce qu'Aayden Sachs est le genre de type qui fait des Bonnes Actions ?" s'étonne la demoiselle en levant un sourcil, commençant à marcher. "J'étais même pas sûre que tu en connaisse l'existence."

Elle est peut-être plus mordante qu'elle le voudrait. Il faut dire qu'elle est fatiguée. Mais parfois, la meilleure des défenses, c'est l'attaque. Surtout avec ces gens-là.

Elle semble halluciner. Cela se voit dans son regard. Elle se redresse au moins, te fait enfin face et tu serres les dents, remarquant que tu dois bien baisser la tête pour croiser son regard. Tu n’avais jamais remarqué qu’elle était aussi petite. Enfin, elle fait une tête de moins que toi, c’est tout. C’est presque trop mignon, mais tu serres le poing, te retenant un peu. Une part de ton cerveau te hurle dessus de vouloir lui tapoter gentiment le haut du crâne. Mais dans quel sombre scénario de ta cervelle cela pourrait bien se passer si tu le fais ?!

Tu lèves les yeux aux ciels, ranges tes mains dans les poches de ton pantalon et commences à la suivre dans la marche et hausses les épaules, sans répondre à sa question. Non, tu ne t’étais pas cogné la tête et non tu ne la confondais pas avec ta meilleure amie. Amie qui t’aurait bien sauvé la vie-là actuellement. Ou pas. Elle avait le sale don de te mettre dans l’embarras et de te repousser dans tes retranchements… Mais elle peut lire en toi comme dans un livre ouvert aussi, cela ne compte pas. Tu soupires, prenant la nouvelle attaque de l’adolescente en pleine face. Tu secoues la tête.

- Ouais, paraît qu’j’connais ces mots, ouais. Crois-le ou non, ça m’arrive d’aider aussi les autres.

Tu serres les dents, essayant de ne pas en rajouter. Ta patience est mise à rude épreuve et possiblement qu’elle le sait, le sent, le voit. Tu te redresses, cherchant quand même à ne pas te relâcher. Elle est sur la défensive, tu ne dois pas non plus attaquer pour te défendre toi-même. Un cercle vicieux risquerait de s’installer et c’est peut-être pour ça que vos pères ne s’entendent pas. Tu regardes ta montre et grognes un peu.

- Et traîne pas, ou j’te porte sinon. Et tu vas pas aimer.

Une bonne action. Il connaît ce mot. La brunette ne peut pas s'empêcher de souligner qu'elle ne l'aurait jamais cru, puisque le jeune homme ne lui a tout simplement jamais laissé entrevoir cette facette de sa personnalité. Il ne lui a jamais présenté qu'un visage moqueur, ne rattant pas une occasion de s'en prendre à elle et plus généralement à tous les patineurs. C'est simple, il les déteste, nourrit à l'aversion depuis sa plus tendre enfance. C'est comme ça qu'elle voit les choses, qu'elle les ressent. Parfois c'est plus simple à gérer que d'autre. Alors ouai, ça la surprend. Ça la surprend parce que pour elle, avec elle, il a presque tout du petit con harceleur et populaire dans un film pour ado. Elle hausse les épaules.

"- Je ne crois que ce que je vois. On ne peut pas dire que ce soit une facette de ta personnalité que tu montres beaucoup." répond franchement la brune.

Elle est d'un naturel plutôt calme, plutôt doux, mais lui... Lui il provoque en elle des émotions à nulle autres pareilles et la pousse toujours dans ses retranchements. Elle n'est pas sûre d'aimer la personne qu'elle est en sa présence, du reste, toujours méfiante, toujours sur la défensive, à imaginer quel sera la prochaine vacherie qu'il trouvera à lancer. C'est un domaine dans lequel cet homme est plus que bon.

"- Me porter ?"

Carrément ? Elle fronce les sourcils comme il lui demande de ne pas trainer et elle est presque sûre qu'il mettrait sa menace à exécution si effectivement il trouvait qu'elle n'avance pas assez vite à son goût. Mais elle ne voit pas bien ce que ça peut lui faire. Elle n'a pas besoin qu'il la raccompagne chez elle. Même s'ils habitent à côté, ils ne sont pas obligés d'arriver ensemble. S'il est si pressé, il n'a qu'à avancer lui et la laisser rentrer à son allure.

"- Tu sais que ça fait longtemps que je n'ai plus besoin de baby sitter, hein ?" demande-t-elle en marchant à côté de lui.

- Je ne crois que ce que je vois. On ne peut pas dire que ce soit une facette de ta personnalité que tu montres beaucoup.

Touché. Tu marques un arrêt, la regardant un instant. Tu ne sais pas si tu dois te sentir vexé de sa remarque ou applaudir de sa sincérité. Tu lâches un rictus nerveux au final, plutôt amusé de sa franchise et de l’entendre se défendre. Elle avait toujours été très indifférente en temps normal, ce que tu pouvais comprendre, espérant que tu arrêtes tes insultes d’ado borné qui ne ressortait que les mots de son père.

Elle pose ensuite sa question, naturellement, fronçant les sourcils en continuant sa marche. Tu soupires et te remets à avancer, regardant une nouvelle fois ta montre. Tu grimaces et regardes autour de toi. Ouais non. Vous étiez encore un peu loin. Tu secoues la tête et grognes un peu. Tu essayes rapidement d’analyser la situation et réfléchis à un plan pour pouvoir la porter sans qu’elle ne hurle ou ne te tapes pas. Elle est trop grande pour tes épaules, risque de hurler si tu la prenais comme un simple sac à patates et hors de question de la porter en mode princesse.

- Ouais bah écoute, la baby-sitter temporaire, elle va faire en sorte que tu n't’fasses pas engueuler par ton daron parce que t’es en retard pour l’dîner. Accroche-toi et ferme là.

Tu ne la laisses même pas le temps de répondre que tu clames ça en arrivant devant elle assez rapidement pour la porter sur ton dos, calant ses jambes autour de tes hanches en commençant ainsi à courir vers votre rue commune. Pourquoi tu fais ça d’ailleurs ? Parce que tu sais que normalement, elle rentre plus tôt et que tu as déjà vu ce qui se passait dans le regard de son père quand elle ne respectait pas ses horaires ? Que tu pouvais comprendre cette pression même si les Hardt semblaient plus être inquiets qu’en colère quand ça arrivait ? Tu ne sais pas. Peut-être tout à la fois. Tu essayes de courir le plus vite possible, puis… Elle n’était pas lourde, un avantage.

Tu serres les dents, inquiet.

Y'a un truc avec ce type. Y'a un truc mais elle ne sait pas quoi, elle ne sait pas ce qui lui prend de vouloir absolument lui tenir compagnie pour rentrer ce soir, sous prétexte qu'ils sont voisins. Ce n'est pas pour autant qu'ils sont obligés de faire le chemin ensemble, loin de là. Ils ne le font jamais, d'ordinaire, alors pourquoi là ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi alors que leurs pères se détestent et qu'il la déteste, surtout ? Pourquoi vouloir la raccompagner ? Cela ne fait aucun sens. Elle ne se l'explique tout simplement pas. Il pourrait simplement suivre sa route et ne rien en avoir à faire d'elle, ou de son rythme. Parce que c'est pas comme s'il était supposé en avoir quelque chose à foutre. Qu'est-ce que l'heure à laquelle elle rentre peut bien lui faire ? Qu'est-ce que la distance qui lui reste à parcourir peut bien avoir comme importance à ses yeux ? Elle a l'habitude qu'il se moque d'elle ou qu'il l'ignore. Pas qu'il ne fasse ni l'un ni l'autre. C'est déroutant. Déstabilisant. Et elle ne sait tout simplement pas comment réagir. Encore moins quand il affirme qu'elle se fera disputer si elle rentrer trop tard chez elle. Comment il sait ça lui ? Ce n'est pas le genre de choses dont il est supposé avoir connaissance. Comment peut-il savoir ? Elle n'en sait rien. Elle n'en sait rien mais ça ne change rien au fait qu'il ne devrait pas s'inquiéter pour elle, que ça n'a aucune logique. Et pourtant il l'attrape, la place sur ses épaules et la porte en courant vers leurs adresses respectives, en même temps qu'elle passe ses bras autours de son cou en hurlant sous l'effet de surprise.

"- MAIS QU'EST CE QUE TU FAIS ???" Elle s'agrippe. "Pose moi de suite... JE TE JURE QUE SI TU ME FAIT TOMBER ET ME CASSE UN TRUC, ON TE FAIS UN PROCES !"

Perdre l'usage de ses jambes ou de ses bras, au moins partiellement, est sans aucun doute sa plus grande peur, comme celle de ses parents. Autant dire que se savoir juchée sur les épaules de celui qui n'as jamais manqué une occasion d'entretenir pour elle la haine créé par leurs parents ne la rassure pas du tout. Son cœur bat à cent à l'heure.