Elle te hurle dans les oreilles. Elle te massacre les tympans, mais tu sembles faire comme si de rien n’était. Qu’est-ce que tu fais ? C’est une bonne question. Une très bonne question alors que tu as sur tes épaules la fille de l’ennemi juré de ton père. Une bonne question alors que son visage est proche du tien et que tu essayes de faire en sorte qu’elle ne tombe pas, bien accrochée contre toi. Bien sûr que s’il lui arrivait quelque chose, tu serais le premier en tort, surtout si ça devait l’empêcher de patiner. Le sport est trop important dans vos vies pour que vous passiez à côté de toute ça.

Mais tu ne lui réponds pas, concentré sur le chemin, à prendre les bonnes rues pour arriver à votre quartier. Manquerait plus que l’on vous voit, que les rumeurs circulent. Tu y penseras plus tard, quand elle sera au chaud chez elle et toi à te faire réprimander par ton paternel. Une dispute de plus à ton palmarès, rien de grave en somme. Tu serres les dents, évitant d’y penser de suite et fini par ralentir alors que vous atteigniez la dernière rue. Il vous suffit alors ensuite de tourner à droite et vous y êtes. Les deux façades sont visibles grâce au lampadaire. Tu t’arrêtes et mets un genoux à terre pour qu’elle descende à son rythme, en profitant pour reprendre ton souffle.

Cela se plaignait que tu ne travaillais pas ton cardio ? Bah le voilà ton nouvel entraînement tient. Même si la jeune fille ne serait sûrement pas d’accord de réitéré l’expérience. Tu fais signe, sachant très bien que vous étiez fermement attendus, chacun de votre côté. Mais d’ici, de cet endroit, vous n’étiez pas encore visible. Tu pouvais encore un peu lui parler sans que l’on puisse dire quoi que ce soit.

- Voilà, heureuse ? File maintenant. Pas envie d’voir les flics d’vant ta porte parce que soit disant tu aurais disparue.

Tu restes encore un peu dans ta position, te cachant un peu. Ouais non, tu voulais éviter qu’elle ait des problèmes. Pourquoi ? Va savoir. Tu détournes un peu le regard et te maudis un peu, prenant conscience de ce que tu venais de faire. C’est Lisa qui va encore se foutre de ta gueule demain en cours, tient.

Il ne la lâche pas, ni ne ralentie son allure, malgré les cris et les protestations de la jeune femme qui pourrait attirer l'attention sur elle, sur eux. Ballotée sur ses épaules par le mouvement de sa course, elle s'agrippe tant bien que mal, la trouille au ventre à l'idée de tomber et se faire mal, se casser quelque chose. Elle est toujours excessivement prudente avec son corps, sachant que la moindre blessure pourrait mettre un terme définitif à une toute jeune carrière. De fait, se retrouver sur le dos d'un type qui ne l'apprécie pas du tout et n'aime pas des masses les patineurs en général, ce n'est pas vraiment ce qu'elle considère comme quelque chose de rassurant ou de particulièrement sécuritaire, tout au contraire. Et si son idée est de la balancer quelque part elle ne sait où juste parce qu'elle est la petite Hardt... Elle ferme les yeux, son coeur cognant si fort dans sa poitrine qu'il pourrait même le sentir, lui, taper contre son dos. Mais il s'arrête finalement dans leur rue, à deux pas des façades de leurs maisons respectives, mettant un genou à terre pour lui permettre de descendre. Cornelia ne se fait pas prier, s'éloignant d'un bon mètre avant de se retourner vers lui, encore toute ébranlée par ce qui vient de se passer, ne comprenant pas ce qui lui a prit.

"- T'es... Tu... Tu vas pas bien Sachs, hein..."

Elle ne trouve rien d'autre pour expliquer son drôle de comportement, le fait qu'il semble en avoir quelque chose à foutre de l'heure à laquelle elle rentre, alors que ça ne le regarde pas. Il est bizarre, tellement bizarre et elle ne s'explique pas ce qui lui arrive, ce qu'il lui veut, ce qu'il cache. Elle ne comprend rien. Elle ne comprend rien parce que tout ça, ça ne lui ressemble pas. Ce type là est supposé être celui qui se comporte comme un petit con avec elle que ce soit au lycée ou à la patinoire. C'est pas supposé être celui qui la ramène à l'heure et s'assure qu'elle n'aura pas de problème avec ses parents.

"- T'es... bizarre." affirme-t-elle encore avant de décamper pour rentrer directement chez elle au pas de course, arrivant toute essoufflée devant la porte de la maison qui s'ouvre presque immédiatement.

Elle s'engouffre à l'intérieur et range ses affaires aussi rapidement que possible avant de filer dans sa chambre, sortant déjà son téléphone de sa poche pour envoyer un message à Andrew.

*Punaise de punaise Andy, tu devineras JAMAIS ce qu'il vient juste de se passer avec Sachs !!!*

Elle est confuse, n’arrive pas à finir correctement sa phrase et tu sais que c’est de ta faute d’une manière. Tu te redresses un peu, voulant la rassurer, lui expliquer… Mais quoi ? Que ça t’a pris sur un coup de tête ? Que tu veux juste aider ? Après toutes ces années ? Que là l’occasion est que, seul face-à-face, tu as envie qu’elle voit qui tu es vraiment ? Et pas juste un petit con encore sous l’influence d’avis complètement biaisé ? Tu ne peux pas, tu ne trouverais pas les mots pour tout lui dire et te prendrais encore plus pour un fou.

Elle le dit elle-même, tu es actuellement bizarre à ses yeux. Tu te masses la nuque et aimerais lui dire quelque chose, mais elle détale. Elle fuit et tu baisses la tête en soupirant. Tu serres les dents et donnes un coup-de-poing dans le mur le plus proche. Tu ne réagis même pas sous la douleur. Peut-être que tu saigneras, peut-être que non, tu t’en fous là. Tu vas te contenter de rentrer en marchant, traversant le salon sans faire attention aux cris de ton père, de ton frère… Tu ne regardes pas, remontant dans ta chambre, donnant un coup de pied dans l’espères de punching-ball offert pour tes quinze ans.

Mais qu’est-ce que t’as branlé ? Tu poses ta veste sur la chaise de bureau et ouvres ton ordi, passant une main sur ton visage en soupirant. Tu espères un peu que ta meilleure amie est connectée pour une vidéo conférence, celle que vous faites chaque soir. Tu profites d’envoyer un message pour annoncer que tu es en ligne…

*Za… J’crois que j’ai merdé sa mère. Mais genre… Vraiment...*

Tu soupires, attendant qu’elle réponde et sort la photo de la poche de ta veste pour la ranger dans ton portefeuille. Tu en profites pour jeter un coup d’œil à ton balcon, cherchant celui qui est en face, t’affalant sur ton bureau… Rêveur. Tu n’entends même pas la sonnerie d’appel de ton ordinateur. Pour dire.

Ce type avait vraiment besoin d’une thérapie, tu le sais. Et toute sa putain de famille avec. Lisa affirmait qu’il était plutôt gentil en temps normal, qu’il n'était pas le même avec ou sans son équipe, sans sa famille autour, mais tu t’en fichais bien pour le moment. Ce n’était pas ton problème. Il était acerbe avec Cornelia et cela te suffisait pour être méfiant quand tu entendant son nom. En y repensant, tu jettes ton sac d’entraînement dans ta chambre, descends dans la salle de bain pour mettre tes vêtements dans la machine à laver, vérifies qu’il ne faut pas en lancer un, pour éviter que maman le fasse.

Tu vas ensuite vers le frigo pour piquer une bouteille de jus d’orange, un yaourt et un sandwich avant de remonter dans ta chambre. Vu l’heure, tu vas rester seul encore un peu de temps dans la maison. Tu verrouilles tout, par habitude, sachant que chacun aura sa propre clé. Tu profites pour prendre une bonne douche chaude avant de te changer, profitant du calme de la maison pour manger à ton rythme et tu attrapes ton téléphone en fronçant les sourcils, voyant la notification venant de ton amie. Tu fronces les sourcils en mangeant, allant te poser sur ton lit et pouffe un peu.

*Bah tient, j’ai aussi croisé Médor à la patinoire ce soir. Vas-y raconte. Il a fait quoi cette fois ? Je dois lui faire manger sa crosse ?*

Tu secoues la tête négativement, pouffant, t’apprêtant aussi à devoir envoyer un message à Lisa au cas où il aurait brutalisé la jeune Hardt. Tu es peut-être le plus calme de ta famille, mais tu n’es pas en reste. Bon ok, en vrai, tu n'aurais aucune chance physiquement parlant, mais tu as quand même des patins qui font mal, qui sait.

Le comportement d'Aayden était anormal, complètement... bizarre. Ce n'était pas dans ses habitudes d'en avoir quelque chose à faire de ce qu'il peut lui arriver. Au contraire, c'est plutôt lui qui est les ennuies qu'elle rencontre sur sa route, d'ailleurs. Plutôt lui qui lui mène la vie dure, en général, avec sa querelle à la con hérité de leurs paternels. Lui et toute son équipe de Hockey qui crachent allègrement sur les patineurs. C'est entièrement de leur faute si ces derniers, du coup, répliquent et en ont assez de se faire marcher sur les pieds, au prétexte que leur sport à eux serait moins valable, moins respectable, que le hockey sur glace. Avec une telle mentalité, ça lui donne surtout envie de fréquenter ces types les moins possibles. Ils sont tous tellement imbus d'eux-mêmes, méprisants et se croient tellement supérieur aux autres...

Elle ne se fait pas attendre pour envoyer un message à Andreas, ce dernier ne tardant pas à répondre. Lui aussi a croisé Aayden à la patinoire tout à l'heure, dit-il avant de demander ce que le jeune homme a encore fait. Ils ont tellement l'habitude qu'il soit un petit con que la question n'est jamais seulement qu'a-t-il fait mais bien qu'a-t-il encore fait. Elle pousse un soupir en se laissant tomber sur son lit et jette un regard à la porte qui grince. Salchow la rejoignant, elle se lève pour fermer la porte et se replace sur le lit pour tranquillement enregistrer son vocal.

"- Il était genre trop bizarre. D'abord il m'est rentré dedans et s'il s'était pas avachi sur le trottoir lui aussi, j'aurais presque put penser qu'il l'avait fait exprès. Bref. Il m'a... tendu la main pour me relever ? Dans quel univers Sachs aide quelqu'un qui n'est pas un hockeyeur, hein ? Bref ! Il m'a dit que c'était sa BA du jour mais... je savais même pas que ce type pouvait en fait une, tu vois ? J'étais même pas sûre qu'il en connaisse l'existence !"

Une note clignote sur son ordinateur, alors qu'elle revient dans sa chambre après avoir promené Lady en rentrant de la patinoire. Posant négligemment la laisse à sa place, elle jette rapidement un œil à la notification affichée sur son écran en levant un sourcil, s'empressant de cliquer sur l'onglet de sa conversation avec Aayden, lançant immédiatement un appel.

"- Qu'est-ce qu'il s'est passé raconte moi ? T'as fais quoi comme bêtise et avec qui ? C'est ton frère ? Tu t'es encore fait engueuler pour ce crétin ?"

La demoiselle fronce les sourcils, sachant pertinemment comme le contexte familial est un peu... compliqué, chez les Sachs. Ce ne serait pas la première fois qu'Aayden a des problèmes avec son père à cause de l'un ou l'autre de ses aînées.

"- Ou Karine t'as encore fait du rentre dedans et tu lui as dis ses quatre vérités ce qui, si tu veux mon avis, n'est absolument pas une bêtise. Elle mériterait que plus de gens les lui disent !"

Karine. Vaste sujet. Une nana qui tourne autour d'Aayden depuis des mois, parce qu'il fait du hockeyyyyyyy, que c'est trooooooop cooooooool et qui jalouse Lisa au plus haut point. Depuis qu'elle a essayé de créer du grabuge dans le duo, Lisa peut encore moins la supporter, ce qui n'est pas peu dire.

"- Je range mon sac de patinage en même temps mais t'inquiète pas je met l'oreillette, je t'écoute ! Alors, raconte !?"

Le regard tourné vers cette baie vitrée qui montre l’interdit, la jeune adolescente qui disparaît, la porte qui s’ouvre sur son chien, tu te perds en contemplation. Tu sursautes quand tu entends la sonnerie d’appel et te retournes rapidement pour accepter. Tu essayes de prendre un temps pour calmer ton cœur. Tu souris un peu en voyant le visage de ta meilleure amie, mais n’as même pas le temps de commencer à répondre qu’elle balance un quasi-monologue dont elle seule possède le secret. Elle demande en premier si c’est ta famille…

Perdu. Enfin presque. L’origine du problème vient d’eux, mais ne sont pour une fois pas totalement impliqués. Un miracle d’ailleurs. Tu soupires et lèves la main pour essayer d’en placer une quand elle parle de Karine, cette espèce de blondasse qui s’est sûrement inscrite au club de pompom girl de l’école uniquement pour t’approcher, tu le sais, tout le monde le sait. Mais non. Pour une fois, elle n’est pas sur le tableau et tant mieux. Si Hardt te supporte, pas sûr d’en rajouter une couche avec elle serait une bonne idée. Tu te facepalm un peu quand tu vois Lisa partir de l’écran et te contentes alors de taper ton front contre ta table.

- Alors… Je.. Non pour mon frère. J’l’ai pas encore vu ce soir. J’me suis fait engueulé par mon père parce que j’suis rentré trop tard..

Tu te redresses quand tu entends une porte derrière toi qui s’ouvre. Tu fronces les sourcils, voyant ta mère, qui semblait bien lunée. Elle s’approche, pose un plateau-repas sur le bord de ton bureau, t’embrasse sur le front et s’en va, sans rien dire de plus, refermant la porte derrière elle. Tu souris un peu, n’ayant pas eu le temps de la remercier et attaque donc ton assiette. Parfaitement bien équilibré vu ton régime de sportif à tenir.

- J’disais… Avant d’être interrompu .. J’suis rentré trop tard. Pour ça qu’j’mange seul, encore. Bref. J’ai pas vu Karine ce soir, et tant mieux. Mais non… Je… C’est pire là…J’crois que...

Petit regard de nouveau vers ton balcon, perdu sur la baie vitrée en face.

- J’crois qu’j’tombe amoureux… J’suis dans la merde Za...

Allumant ton ordi pour ouvrir le journal du lycée, prendre des nouvelles en même temps que tu attendais la réponse de ta meilleure amie, tu fronces les sourcils devant les préparatifs de la fête de fin d’année. Tu pouffes, te disant que l’an prochain vous y aurait droit et ça te fait autant rire que peur, pour dire la vérité. Oh, bien sûr, tu resterais ici, pour aller dans une faculté spécialisée, comme la plupart des ados ici présent, vivre pour le sport, le sport pour vivre. Mais tu t’angoisses quand même un peu. Tu perdras peut-être de vue certains de tes camarades, mais bon…

Tu t’apprêtes à prendre une nouvelle bouchée en allumant le vocal et bug un peu, fronçant les sourcils au fur et à mesure du vocal. Heureusement que tu n’étais pas en appel avec elle, elle t’aurait vu avec une élégance rare recracher ta salade, manquant de t’étouffer avec un bout de jambon. Tu tousses comme un tuberculeux et l’appelle directement avec ton téléphone, mettant le haut-parleur le temps que tu puisses nettoyer ton bazar. Oh bah tiens, une belle à raconter à Hampton ça. Ou alors la rouquine aura une meilleure explication à ce comportement. Tu attends que la jeune patineuse décroche et prend une inspiration.

- Il a quoi?!

Que tu manques de hurler doucement. Vive les non-voisins hein ?

- Qui… Tu l’as laissé t’aider ? Non parce que là, j’vais entourer la date dans un calendrier hein ? Il va neiger, tu crois ? Les cours vont être annulés ? MIEUX ! Les examens !! Oh merde...

Tu rigoles doucement, secouant la tête, cherchant une putain d’explication à ça.

- Nan mais… Brutus et la bonne conduite ça fait cinq. J’te rappelle qu’il s’est fait jeté de cours plus d’une fois. S’il avait pas le hockey, il aurait déjà décroché les cours. Donc là… Sauf s’il a jumeau caché qu’on ne connaît pas, il a juste… J’sais pas. T’as vérifié que c’était pas une blague ou genre… Une caméra cachée ?

Évidemment, son meilleur ami ne se fait pas attendre pour l'appeler et demander plus d'explications au sujet de ce qui s'est passé un peu plus tôt avec Aayden. Il faut dire que le comportement de ce dernier, affectueusement - ou pas - surnommé Brutus par Andrew comme par le reste des patineurs, a de quoi surprendre. Ça ne colle absolument pas avec la personnalité que le jeune homme affiche en général. En tout cas, pas envers les patineurs artistiques qu'il considère comme lui étant inférieur, de simples danseurs. Il ne les a tout simplement pas habitué à ça. En général, il est plutôt du genre à enfoncer les patineurs dès qu'il le peut. Surtout si le patineurs en question est Cornelia, en fait, du fait de la rivalité et de la haine entre leurs deux pères, dont ils ne savent même pas vraiment dans le fond pourquoi ces deux là ne se sont jamais supportés. Du moins, Cornelia n'en a aucune idée.

"- J'te jure ! Et après ça tu vas pas me croire mais... Il était vraiment trop bizarre en fait ! Il a commencé à me proposer de finir la route ensemble. Enfin, il a plutôt exigé. Parce que j'aurais largement pu continuer sans lui. Mais il m'a dit je cite "fait pas ta chochotte". Non mais... Vraiment ? Franchement j'y croyais pas ! Mais c'était bel et bien lui. Je sais pas, y'a peut-être sa whey qui est pas passée ? Ça peut tourner ce machin là peut-être ?"

Plus elle en parle, plus elle y pense et plus il est évident que le comportement de son voisin était des plus étranges. Un comportement qu'il n'était pas supposé avoir. Et encore, elle n'a même pas raconté le pire. Mais, elle y vient. À grand renfort de détails d'abord, bien entendu !

"- Donc forcément, je lui ai dit que je pouvais très bien marcher toute seule et que j'avais pas besoin d'une baby-sitter parce que franchement j'ai passé l'âge tu vois mais il a commencé à me dire que c'était tard et... bah il m'a pris sur son dos et il a commencé à courir comme un fou jusqu'à notre rue ! Tu t'rend compte ? Forcément il a eu aucun mal à me mettre sur son dos parce que, on va pas se mentir, il est quand même hyper fort et moi bah... Je suis une patineuse quoi, il faut bien que je puisse faire mes sauts. J'ai eu tellement peur qu'il me fasse tomber !!!"

Lisa fronce les sourcils alors que, pour une fois, ça n'a rien à voir avec le grand frère de son meilleur ami. Quelle nouvelle ! Elle se serait attendu à ce que ce soit un problème familial parce qu'avec lui, c'est presque toujours le cas. Il est clair qu'il a eu beaucoup moins de chance qu'elle à la distribution des parents. Enfin, si sa mère rattrape le coup, on ne peut pas dire que son propre père soit exemplaire. Sur ce point-là, le père d'Aayden reste plus enviable. Encore que, elle n'est pas sûre qu'il ne soit pas préférable de ne pas avoir de père du tout plutôt que d'avoir le père de son meilleur ami. S'il y a des gens à qui elle aurait tendance à dire qu'ils ont la chance au moins d'avoir un père présent dans leur vie, elle n'est pas sûre que cela s'applique dans le cas de son meilleur ami.

Alors que son meilleur ami essaie de parler et de raconter ce qu'il s'est passé, ce qui lui arrive, ils sont soudainement interrompus par la porte de la chambre qui s'ouvre sur la silhouette de Madame Sachs apportant un plateau repas. C'est vrai que son meilleur ami elle a l'habitude de manger tôt. Enfin, plus tôt qu'elle qui, pour sa part, attendra que sa mère rentre. D'ailleurs, peut-être que une fois qu'elle aura terminé de s'occuper de son sac, elle devrait aller s'occuper du diner en attendant que sa mère arrive.

Son meilleur ami reprend le cours de ses explications tout en mangeant et Lisa vient se réinstaller devant l'écran, de son sac terminé, l'idée de ses affaires du jour et préparer pour le lendemain. Ce n'est pas Karine non plus et elle fronce les sourcils. Si ce n'est ni la famille, ni Karine, alors qu'est-ce que ça peut bien être ? La réponse ne tarde pas à se faire entendre et Lisa en reste pantoise, comme elle ne se serait pas attendu à entendre ces mots dans la bouche de son meilleur ami. Enfin, elle ne se serait surtout pas attendu à ce qu'il comprenne et remarque aussi vite ce qu'elle soupçonne déjà.

"- Mhhh je ne vois pas ce que ça a de si terrible... est-ce qu'on peut savoir de qui ?" demande la demoiselle en prenant son air le plus innocent, battant des cils.

Tu soupires un peu, toujours dans ta contemplation alors que ça y est. Le ciel s’assombrit, la lune montre ses couleurs et les étoiles commencent à devenir visible, sans nuage. Tu te lèves pour fermer ta baie vitrée, jetant une dernière fois un regard en face avant de revenir devant l’ordi pour manger tranquillement, grimaçant à la question de ta meilleure amie. Tu sais que d’une certaine façon, tu peux tout lui dire. Elle sait déjà tous tes problèmes, entre les compétitions, le stress, les cours, ta famille… Mais rajouter ça. Tu ne sais pas. Tu passes tes mains sur ton visage et étouffes un râle.

- Nan ! Tu captes pas…

Enfin si. Tu es juste le seul qui ne s’était pas rendu compte de la situation. Tu es le seul qui n’avait pas remarqué que depuis des mois, tu commençais à rester de plus en plus longtemps à la patinoire, te cachant un peu pour l’observer. Tu étais le seul qui n’avait pas remarqué que tu espaçais de plus en plus tes insultes, se taisant presque quand ton équipe en faisait, ne suivant pas le mouvement. Tu étais le seul qui n’avait pas remarqué que tu zonais le soir, à regarder son rituel de bonne nuit, étreindre ta lumière en même temps qu’elle. Aveugle.

Tu reposes ton front contre la table et tapotes un peu, comme si tu cherchais à oublier quelque chose. Tu soupires et te redresses un peu posant ton menton sur la table.

- J’crois qu’à ce niveau-là, mon père accepterait plus facilement qu’j’me tape un mec…

Tu te redresses un peu et secoues la tête, te massant la tempe, cherchant de quoi boire un peu. Tu regardes ta meilleure amie, grimaçant.

-M’r’garde pas comme ça. J’te dirais pas son nom. Pas d’suite en tout cas.

Que tu rajoutes doucement, regardant derrière toi, jetant un coup d’œil à la lumière sous ta porte. Il faudra attendre que tout le monde dorme pour ça. Hors de question que son nom soit entendu par quelqu’un d’autre.

Tu mâches doucement, croyant vraiment qu’il s’agisse d’une blague. Mais tu reconnais le ton de la jeune patineuse. Elle ne rigole pas, elle est franche et en panique. Tu manques de laisser tomber ton sandwich tout en écoutant son monologue. Tu poses ton repas plus loin, commences à marcher dans ta chambre et te pinces le nez. Il a quoi ? Comment ? Tu secoues la tête et regardes ton calendrier, décidant de lier la parole au geste en entourant la date d’aujourd’hui. Un grand cercle rouge en écrivant "Brutus" dedans. Tu comprendras, tes frères non et tu t’en fous. Puis leur expliquer prendrait trop de temps. Déjà qu’ils ne viennent désormais que les dimanches… Tu hoches la tête et soupires un peu en te massant le front.

- Attends… Il… Il t’a porté sur son dos ? Genre comme je fais de temps en temps pour déconner quand on patine ?

Tu pouffes un peu et secoues la tête en essayant d’imaginer la scène et la facilité du gardien pour la porter. Bien sûr qu’il n’a pas eu besoin de forcer. Ce mec avait beau être plus maigre que toi, il était plus grand et tout en muscle. Sec, bien sûr, rien de visible. Une raison sûrement pourquoi les filles du club de pompom girls se l’arrachent. Sans toi pour cette fois hein ? Tu aimes être au centre de l’attention, mais pas de celles-là.

- Et tu t’es laissée… Porter ? Sans te défendre ?! Quoi que non. Tu as bien fait. Ce mec me bat en vitesse sur la glace alors j’veux même pas imaginer quand il court sur sol sec. Mais t’as rien hein ? Il a genre… Fait gaffe ? Vraiment ? Mais putain. Ok, j’vais me pincer et je vais vérifier qu’on nage pas en plein rêve plein délire.

Tu poses ton téléphone sur la table et te gifles un peu. Tu râles et reprends le combiné en soupirant.

- Nan, j’confirme. On est dans le réel, bien réel. M’enfin. Ça n'explique pas ce qu’j’ai vu à la patinoire ce soir. Il rampait dans le vestiaire comme s’il cherchait un truc. Il voulait pas que je l’aide, limite m’a envoyé chier encore plus agressivement qu’il ne le fait habituellement. J’pense que c’était trop important pour que je tombe dessus.

Tu souris en coin. Tu sais exactement comment faire pour avoir une réponse à ça.

"- Ouai ! Ou comme quand j'suis trop p'tite pour voir quelque chose dans une foule ! Ou comme tu porte Lisa aussi. Fin, tu vois !? Porter, porter ouai !"

Non elle n'en revient toujours pas. C'était bel et bien réel, elle le sait à l'allure à laquelle son cœur battait dans sa poitrine, comme au souffle court qu'elle avait eut. Elle le sait parce qu'elle pourrait presque retrouver la sensation de ce que ça fait d'être sur lui quand il court, pressée contre son dos. Elle ferme les yeux. C'est vraiment pas le moment de penser à ça. Vraiment pas le moment de penser à tout ce qu'Aayden Sachs lui inspire vraiment et qu'elle ne peut pas dire, qu'elle n'a jamais dit, pas même à Andrew parce qu'elle n'est pas sûre qu'il pourrait comprendre, qu'il ne s'imaginerait pas illico qu'elle est folle. Et peut-être qu'elle l'est. Tout ça, y'a déjà un moment, enfin quelques mois, qu'elle a décidé de l'enterrer pour ne plus JAMAIS y penser.

"- Bien sûr que non, j'ai hurlé ! Je l'ai menacé de lui coller un procès si jamais il me faisait tomber ! Imagine un peu si à cause de lui, je n'avais plus été capable de patiner ! J'crois que j'aurais pas eu le temps de porter plainte, en fait, papa serait immédiatement allé l'étrangler ! Enfin bref. J'me tenais tellement que je l'ai à moitié étranglé et, ouai, il court vite, même là." Elle s'arrête, reprend son souffle et reprend. "Non j'ai rien, t'inquiète. Sinon j't'aurais déjà dis où était le corps !" Elle rit. "Mais j'sais pas c'qui lui a prit !"

Apparemment, il était bizarre aussi lorsque Andrew l'avait vu dans les vestiaires de la patinoire, cherchant un truc pour lequel il avait refusé l'aide du patineur de manière très agressive. Elle fronce les sourcils.

"- Tu crois qu'il se drogue ?! Ou qu'il deale ? Non, Lisa le saurait, elle l'aurait quand-même pas laissé faire, hein ? Ou elle le sait peut-être pas. Oh wow. T'imagines, autant il se doppe ? Lisa dit toujours que son père est hyper sur son dos alors autant... faut bien trouver un moyen de gérer la pression..."

Tu ne captes pas. Ben voyons. Lisa esquisse un léger sourire. Elle répondrait bien "que tu crois", mais elle sent bien que là, tout de suite, son meilleur ami ne serait pas forcément réceptif à ce genre de "moquerie" si l'on peut dire. Non, elle préfère se taire en souriant bêtement devant son écran, le laissant continuer de parler, comme il jette un regard par ce qu'elle sait être sa fenêtre. Non vraiment, elle ne capte rien. Rien du tout. Cette affirmation la ferait rire volontiers, mais elle se contrôle et continu de l'observer.

"- Bah tu sais pour ton père, j'suis presque convaincu que dans le fond, c'est un gay refoulé. Au moins un bi. Non parce que franchement, aimer à ce point la testostérone, tu vois..."

Elle laisse sa phrase en suspend. Peut-être bien que ouai, Monsieur Sachs prendrait très bien le fait que son fils soit gay. Elle ne peut pas être sûre de ce qu'elle avance, bien sûr, mais... Ce n'est même pas comme s'il était juste machiste, non. Non, il déteste simplement le patinage artistique qui n'est pas viril et préfère le hockey qu'il encense parce que ça c'est un sport de mecs, un vrai.

"- Reçu cinq sur cinq. Et donc, tu comptes faire quoi pour Nelly ? Tu vas lui dire ?"

Il est peu probable que la famille d'Aayden puisse l'entendre si elle dit son nom mais, dans le doute, Lisa préfère ce nom de code, bien plus discret. En espérant qu'il comprenne qu'elle a comprit de qui il parlait, bien entendu.

Elle sourit. Mais pas un sourire simple, pas un sourire qui semble naturel. Ton amie sourit et tu fronces les sourcils alors que tu retournes ton regard sur ton écran, en croisant son regard. Tu n’aimes pas vraiment quand elle est comme ça, c’est comme si elle savait quelque chose que tu ignorais. Comme si elle avait deviné à l’avance et qu’elle lisait en toi comme un livre ouvert. Un stupide livre qu’elle était capable de feuilleter pendant son temps libre, du bout des doigts. Ou alors, dont elle était capable d’écrire elle-même tes pensées.

Tu fais une moue un peu blasée quand elle répond pour ton père. Tu lèves les yeux aux ciels et secoues la tête. Tu hausses les épaules, cherchant une excuse à cet homme dont tu te rends doucement compte des soucis, des problèmes et des frustration qu’il endure. Et impose du coup sur toi en croyant pouvoir te manier selon ses désirs.

- Bah écoute. Mon frère aîné est trop con pour tenir une crosse… Ma sœur est une fille donc elle peut pas selon lui… Et moi… apparemment j’ai un talent pour ça. Ses mots, pas les siens.

Tu précises parce qu’en vrai, tu n’as jamais trouvé que tu étais si doué. Tu arrives bien à analyser les trajectoires, savoir quand et vers où le palet sera tiré. Mais tout bon hockeyeur est en capable, alors tu ne comprends pas. Puis tu es dans les cages, tu n’es pas non plus sur le terrain, à t’épuiser rapidement pour être changé après quelques minutes en cours de match. Donc, non, pour toi, tu étais juste assez doué pour être en niveau compétitif, mais rien de plus. Tu te renfrognes un peu, croisant les bras sur ton torse et grimace en entendant le nom de code donné à la patineuse. Tu regardes ton amie et fronces les sourcils, rougissant.

- De… De quoi tu parles ? C’est quoi le rapport ? J’veux dire… Pourquoi tu parles d’elle ?

Tu essayes de ne pas rire, imaginant ton amie sur le dos du gardien en train de hurler. Tu l’imagines bien, du haut de son mètre soixante en train d’utiliser tout l’air de ses poumons pour essayer de forcer à Sachs de la poser avant qu’il ne lui arrive quelque chose de grave qui pourrait l’empêcher de continuer sa future carrière. Tu pouffes un peu quand elle confirme que s’il lui était arrivé un accident, le blond serait déjà en train de nourrir des vers de terre dans le jardin familial. Tu vas chercher ta bouteille de jus de fruit et manque de tout recracher.

- Nan ! Déconne pas. Son père est un dingue du sport, mais de là à stresser son fils pour qu’il se drogue… Faut pas déconn..

Tu te figes en essayant de te remémorer le caractère du concerné depuis quelque temps. Tu réfléchis doucement et te grattes la tempe.

- Attend attend… Tu y crois quand même pas hein ? J’veux dire… Ok, depuis quelques semaines, il nous lâche la grappe… Mais il est toujours aussi nerveux sur la glace, hein ? Lisa m’a dit qu’au dernier match, il avait foncé dans les jambes d’un attaquant adverse, manquant d’lui niquer les tibias. Enfin, j’veux bien qu’il défende des buts, mais là… C’était exagérer… Puis j’crois qu’il a fini le match en prison. C’est l’autre gardien qui a dû encaisser. Et il est pas aussi endurant qu’Sachs.

Tu soupires et vas chercher ton dessert, calant ton téléphone entre ton épaule et ton oreille pour pouvoir avoir tes deux mains de libre. Tu attrapes ta cuillère pour commencer à manger ton yaourt, en tailleur sur ton lit pour continuer ton discours.

- C’que j’veux dire… C’est que ça n’a aucun sens. Il est bon ce con. Très bon, il peut devenir pro. Il irait pas niquer sa carrière avec un truc de drogue… Ça n’a aucun sens. Y a autre chose. J’sais pas quoi, mais j’trouverais bien.

Est-ce qu'elle pense que Sachs pourrait se doper pour maintenir son niveau ? Honnêtement, elle n'en sais rien. De toute façon, elle ne le connais pas ce type. Elle ne sait rien de lui. Enfin, elle ne sait intimement rien de lui. Elle ne sait absolument pas comment il gère le stress des compétitions et tout le reste. Oui c'est un bon joueur mais n'importe quel bon joueur peut craquer un jour... Et avec son père sur le dos, peut-être qu'il a besoin d'un petit coup de pouce pour être sûr de maintenir ses bons résultats. Après tout, ça ne serait pas le premier sportif à le faire. Pas le premier sportif à tomber dans ce genre de travers alors, oui, pourquoi pas ? Pourquoi est-ce que ça ne serait pas possible ? Après tout, s'il a fait tomber quelque chose, s'il le cherchait et qu'il est devenu agressif lorsque de l'aide lui a été proposé, c'est bien la preuve que ce qu'il cache est quand même assez important. Alors oui, c'est vrai qu'accepter l'aide d'un patineur, ça aurait peut-être donné un coup à son ego et peut-être que ce qu'il cherchait n'était pas aussi terrible que ce qu'elle s'imagine. Mais peut-être aussi que c'est exactement ce qu'elle imagine. Après tout, il y a une pression monstre sur les épaules des sportifs professionnels. Et certains sont prêts à tout pour le tester ou pour le devenir.

"- Je ne sais pas, c'est quand même hyper bizarre cette histoire quand on y pense. Je veux dire, de là à ce qu'il soit particulièrement agressif envers toi, encore plus que d'habitude quand tu as proposé ton aide ? C'est forcément qu'il cache un truc vraiment très très important non ? Et en même temps je me dis que forcément, Lisa l'aurait déjà découvert et que, si c'était le cas, elle serait déjà intervenu. Elle aurait forcément déjà fait quelque chose et il lui aurait passé un savon.... Mais il n'empêche que ça reste très bizarre..." elle pousse un soupir. "Ce type est... Je ne sais même pas comment on pourrait le qualifier. Incroyable ? Non, je sais ! Déroutant !"

"- J'dis juste qu'il vante un peu trop la masculinité pour que ça ne soit pas légèrement questionnant... J'veux dire, c'est quoi cette fixette pour que vous soyez absolument des bonhommes et que vous fassiez des sports de vrai mec ? Y'a qu'un type pas sûr de sa propre hétérosexualité pour avoir besoin de souligner à ce point le fait de faire des trucs d'homme. Ceux qui sont sûrs d'eux, ils ont pas besoin de casser du sucre sur le dos des autres. Mais ça... Je t'apprends rien. Pas vrai ? Enfin bref."

Oui, elle a bien vu que le ton pris par la conversation ne plaît pas vraiment à son meilleur ami et que ce dernier a tout sauf envie d'imaginer que son père puisse être autre chose que ce qu'il a toujours cru qu'il était. Mais dans un même temps, le fait d'être sa meilleure amie ne veut pas dire qu'elle doit dire à Aayden seulement ce qui lui fera plaisir, bien au contraire. Il sait que Lisa déteste le mensonge et qu'elle a à cœur de dire la vérité, surtout en ce qui le concerne. Parce qu'il n'y a que la vérité qui peut aider un ami. Lisa ne lui cache rien, jamais, même quand elle sait que ça pourrait ne pas lui plaire. Elle sait que ça fait parti de son rôle. Elle sait que c'est à elle qu'il revient d'être là voix de la sagesse pour lui et de le guider sur les sentiers qu'il ne veut peut-être pas explorer. Sans le contraindre, bien sûr, mais en éclairant ses possibilités. Peu importe.

"- Pourquoi je parle d'elle ? Sûrement parce que tu es devenu rouge comme une cerise quand j'ai mentionné son nom. Et, en plus, c'est pas comme si je ne t'avais pas déjà vu la regarder, tu sais..." elle esquisse un léger sourire. "Puis c'est pas comme si ces derniers temps tu n'étais pas... comment dire... plus calme avec elle. Genre... moins mordant... elle sourit. "Alors ? Tu comptes faire quoi pour elle ? Tu comptes lui dire ?"