Je me doutais bien qu'il trouverait une réponse à fournir … Une réponse pleine d'assurance et de certitude qui, évidemment, ne me rassure en aucune manière. Les mots ne sont que des mots, ils s'envolent sitôt prononcés. Je ne leur accorde aucune valeur… C'est de l'air, du vent.

– Cela ne change rien pour moi. J'ai toujours l'intention de partir, dis-je avant de soupirer. Non, décidément, je ne compte pas lui faciliter la tâche. C'est sans doute ma manière à moi de le punir… C'est peut-être injuste, c'est peut-être méchant, mais c'est comme ça.

– Mon pied va mieux, n'est-ce pas ? lui demandé-je tout en connaissant la réponse. Je n'ai plus besoin de l'attelle, plus depuis plusieurs jours déjà.

Je devrais même commencer à habituer mon pied à marcher sans armatures afin de gagner en souplesse.

– Je pourrais partir d'ici quelque jours…

Partir aussi loin que possible… Tout reprendre à zéro, ailleurs. L'idée est tout de même très tentante, avouons-le.

– Ça réglerait le problème … Tu ne penses pas ?

Lorsqu’elle me balance que cela ne change rien pour elle et qu’elle prévoie toujours de partir, j’ai du mal à dissimuler le goût amer que cela me laisse en bouche. Je ne comprends pas à quoi tout cela rime, du coup. Pourquoi accepter de m’embrasser, pourquoi me poser cette question, me dire qu’elle aura toujours un doute si c’est pour partir de toute façon.
Alors, au lieu de dire une connerie, je me contente de caresser sa peau jusqu’à ce qu’elle soupire et me parle de son pied.

Oui, ton pied va beaucoup mieux. Garde l’attelle dans ta cabine, cela peut te soulager si à des moments cela te tire, mais en effet, tu n’en as plus besoin. En revanche, tu as toujours besoin de la béquille, même si tu peux doucement reposer le pied par terre.

Elle dit alors qu’elle va pouvoir partir sous quelques jours, que cela règlerait le problème, mais, à aucun moment, elle ne retire son pied de ma cuisse.
Je l’empoigne pour tester minutieusement l’articulation. La souplesse est correcte, tu n’as pas intérêt à courir, mais en réhabituant progressivement ton pied à l’effort, cela reviendra. Après, ce n’est pas suffisant pour espérer voyager bien longtemps. Dis-je avant de reposer son membre sur ma jambe et laissant mes mains dessus.

Non, je ne pense pas que cela règlerait le problème. Cela l’éloignerait juste. Dis-je alors que je commençais à délicatement lui masser le pied.

Je lui parle de partir et il se contente de décrire l'état de ma jambe. Le ton passif qu'il emploie, sa manière de ne surtout pas me regarder… Tout cela m'agace profondément, plus encore lorsqu'il commence à me masser la jambe. J'ai bien conscience que mon comportement est en tout point semblable à celui d'une gamine capricieuse… Je le sais et pourtant, je ne fais strictement rien pour y remédier.

– Pourquoi donc ? Si je pars, il n'y aura plus de soucis. Tu n'auras plus à me supporter ou à me protéger. Tu pourras même baiser qui tu veux quand tu veux sans avoir à penser à ce que je peux ressentir… Et moi, je n'aurais pas à y assister.

Je cherche à le provoquer, sans trop savoir pourquoi… Sans doute pour chercher ses limites, tester sa résistance à mes caprices. Voir si ses dernières paroles ont un fond de vérité. Je sais qu'il ne tient pas à moi plus que ça. J'en suis certaine…Même si rapidement, je tombe à cours de vacherie… J'en ai bien quelques unes qui me viennent, mais même en colère, je n'oserai certainement pas les prononcer à voix haute.

– Arrête avec cette jambe… soufflé-je en récupérant mon pied.

Je relève les yeux sur elle, plantant mon regard dans le sien.

Je ne te supporte pas Lya, j’apprécie, j’adore, j’aime chacun des instants qu’on a passé ensemble et aucun de ces moments avec toi n’a été pour moi quelque chose à “supporter”. Ces heures dans la timonerie, ou sur le pont, l’épisode de la douche, tout cela a été de bons moments grâce à toi, grâce à ta présence. Et te protéger ne m’a jamais posé le moindre problème, au contraire !

J’avais arrêté de masser son pied, sans le lâcher pour autant. Je ne relevais pas ce qu’elle disait à propos de baiser sans se poser de question. Il n’y avait pas grand-chose à dire. Quoi ? Lui dire qu’il n’y avait qu’elle qui m’attirait ? Je serais vraiment bien inspiré de dire ça après avoir couché avec Jen…
Elle grogna alors qu’il fallait que j’arrête avec son pied, le retirant de ma cuisse sans autre forme de procès.

Pour toutes ces raisons et d’autres sans doute qui, dans l’instant, ne me viennent pas, je ne pense pas que ton départ règle le problème. Parce que, justement, ce que tu ressens m’importe, ta sécurité m’importe, ton bien-être m’importe. Lançais-je sans la quitter des yeux. Tu m’importes et beaucoup ! Concluais-je avant d’approcher mon visage du sien pour, une nouvelle fois, flâner sur ses lèvres.

J’arrive à un point où je ne vois pas quoi faire d’autre pour essayer un tant soit peu de lui prouver ma réelle attirance pour elle. Par là, j’entends de sa personne et pas seulement physique. En tout cas, il est hors de question que je batte en retraite.

Je déteste ça… Mon comportement, ces foutues inquiétudes qui me rongent constamment. Je ne le laisserai pas faire… Je ne le laisserai pas essayer de me rassurer et de me convaincre. Je fais partie de ces gens qui se complaisent dans leur malheur. Qui sont persuadés d'être minables, voire pire. Je le sais tout ça, pour en avoir longuement discuté avec mes psy. Je les ai tous virés simplement parce que leur avis sur moi ne me convenait pas… Bah oui, forcément, ils ne cessaient de me dire à quel point j'étais formidable… Quelles inepties.

Je continue d'essayer de le faire fuir… De renoncer. Au fond, l'histoire avec Jen tient lieu d'excuse à ce stade.

Je n'ai pas envie de le croire, mais ses propos me touchent. Son acharnement me touche… Même si ce ne sont que des mots et que j'ai besoin de plus pour être un tant soit peu rassurée. J'essaie de me dire que la vision que j'ai de moi-même est erronée. Qu'elle m'a été insufflée par des personnes qui ne m'aimaient pas pour des raisons injustifiées. J'essaie, je le jure… Mais c'est tellement plus simple de croire en ces paroles blessantes et douloureuses que d'imaginer que l'on puisse vraiment penser du bien de moi.

Je sens bien qu'il ne sait plus quoi dire… Cela se ressent dans ce nouveau baiser. Il essaie de clore une discussion qu'il sait perdue d'avance. Mais je veux qu'il réalise pleinement les choses… Qu'il prenne conscience de cette réalité dérangeante qui constitue ma véritable personnalité. Je le repousse, encore… Afin de pouvoir poursuivre sans l'agresser… Je suis une girouette, ça aussi, il va devoir l'apprendre.

– Je suis totalement incapable de penser et ressentir quoique ce soit de positif… Tu peux demander à Will, lui lançé-je tout en lui montrant l'intérieur de mon poignet gauche, celui sur lequel je m'étais le plus acharnée et ce, à plusieurs reprises. C'est une lutte constante… Max. Pour moi comme pour mon entourage. C'est pas un jeu, ça n'a rien d'amusant et encore moins de joyeux… Je voudrais vraiment que tu le réalises et que tu réfléchisses… Je ne peux pas me permettre de m'écrouler encore une fois. Alors si tu n'as vraiment pas les épaules, renonce. Maintenant.

Naturellement, elle me repousse, mais sans brusquerie.
Encore une fois, cela tranche de l’instant d’avant où elle semblait chercher à me faire mal, ce qu’elle avait réussi à faire, cela dit, et la douceur avec laquelle elle m’écartait d’elle.

Elle m’expliquait alors ce que Will m’avait plus ou moins déjà raconté. Cette incapacité à être positive, à ressentir le positif. Elle me dévoila les marques sur son poignet et je me demandais même comment j’avais pu passer à côté. Puis, elle m’alerta sur le fait que cet état chez elle était permanent et qu’il gobait tout le monde. Elle insistait pour que j’en prenne conscience, que je ne pouvais pas le comprendre plus tard, car elle ne pourrait pas supporter de s’effondrer une fois de plus.
Je gardais le silence un instant, observant ses pupilles des miennes, devenues plus sombres.

Le premier geste que j’ai eu envers toi, ça a été de te sortir d’un trou pour te guider au travers d’un gouffre. Rappelais-je d’une voix calme, mais ferme, me levant pour me planter devant elle. Quelle qu’en soit la raison, il est hors de question que je te laisse seule et à terre ! Concluais-je en lui tendant la main.

Je sais parfaitement que répondre par de l’imagé à ce qu’elle vient de dire est risqué. Elle peut penser que je me fous d’elle, que je n’ai rien compris, que sait-encore. Mais mon regard devrait l’aiguiller.
C’est imagé, oui, mais le sens profond est le même.

– C'est différent, et tu le sais, lui dis-je. C'est facile de faire des promesses ou simplement de faire preuve d'assurance quand on ne sait pas vraiment de quoi il retourne.

Même si ses paroles sont très plaisantes à l'oreille. Vraiment, j'ai envie de le croire, mais j'ai beaucoup trop souvent chuté pour me montrer aussi objective que lui.

– Le trou dans lequel je me trouve, c'est moi qui l'ai creusé. Je le connais par cœur et m'y complaît. Il fait partie de moi maintenant. C'est un refuge…

Un refuge toujours plus sournois, je vous l'accorde. Sauf que quand on ne connaît que ça, et bien… On a la fâcheuse tendance à s'y accrocher. Vient alors les commentaires que tout être en détresse a déjà entendu au moins une fois "mais tu ne fais rien pour aller mieux", "on dirait que tu ne veux pas aller mieux". C'est faux, totalement faux. C'est juste qu'on ne sait pas comment faire …

– Allons rejoindre les autres, j'en peux plus d'être enfermée ici…J'ai besoin de prendre l'air… dis-je en saisissant sa main.

Consciente qu'il me faut également prendre un peu de recul.

Oui, évidemment que je sais que c’est différent. Et elle, elle sait que j’en ai conscience alors qu’elle continue d’essayer de me faire opérer un demi-tour. Elle a raison, dans le fond, ses problèmes sont difficiles à appréhender et à prendre en charge, surtout lorsqu’on ne les maitrise pas spécialement.
Elle poursuit en m’expliquant qu’elle s’est elle-même créé ce fossé, qu’il est devenu rassurant parce qu’elle le connait. J’ai du mal à croire cependant, qu’elle aime s’y retrouver, aussi rassurant soit-il.

C’est facile de faire des promesses, mais c’est encore plus simple de ne pas chercher à faire quoi que ce soit ! Quant à ton refuge, il n’est jamais trop tard pour l’améliorer ou, même, en créer un nouveau… Répondis-je avant qu’elle n’exprime une envie de sortir pour prendre l’air, saisissant ma main.
Je la tire donc afin de l’aider à se relever, la réceptionnant dans mes bras, me retrouvant avec le visage proche du sien. Je l’observe tranquillement, tenant une de ses mains, ayant passé l’autre autour d’elle.

Ça te dit d’aller faire un tour à terre ? De quitter le bateau un petit moment ? Proposais-je tranquillement, espérant qu’après plus d’un mois à bord, l’idée la réjouisse… Ou, en tout cas, l’intéresse.

"C’est facile de faire des promesses, mais c’est encore plus simple de ne pas chercher à faire quoi que ce soit !" Certes, loin de moi l'idée d'affirmer le contraire. J'use et j'abuse même de cette fameuse facilité… Même si j'ai tendance à laisser les promesses au placard.

"Quant à ton refuge, il n’est jamais trop tard pour l’améliorer ou, même, en créer un nouveau…"

– Hm… Encore une chose plus facile à dire qu'à faire… raillé-je en suivant son impulsion pour me relever.

Je me retrouve de nouveau contre lui, nos visages se frôlant presque. Je ne peux m'empêcher de me demander "et là, va-t-il m'embrasser?" Mais non, il n'en fait rien. Il semble avoir compris que je n'aimais pas abuser de ce genre de contact… C'est peut-être étrange, mais j'ai besoin que ces actes aient un sens… une raison d'exister autre que le simple fait de répondre à une pulsion sournoise.

– Ça te dit d’aller faire un tour à terre ? De quitter le bateau un petit moment…
– Oh que oui ! Mille fois oui ! m'écrié-je clairement emballée par sa proposition.

Je n'ai rien contre ce bateau, mais j'avoue que j'apprécierai de pouvoir marcher sur un sol plus stable… Et puis, il commence à y avoir un peu trop de monde à bord.

– Laisse-moi juste prendre ma béquille. Sait-on jamais.

Il est toujours plus simple de parler que d’agir, aussi minime soit l’action ! Répondis-je à sa raillerie tandis que je l’attirais à moi.
Je la tenais contre moi dans un silence de quelques instants avant de lui proposer de quitter un peu le navire. Si j’avais espéré que cela puisse l’intéresser, je ne m’étais pas attendu à un tel engouement. Pourtant, c’est bien un réel enthousiasme qu’elle exprimait, demandant juste à récupérer sa béquille. J’évitais de plaisanter sur le fait qu’elle devait encore s’en servir, de toute façon, préférant simplement acquiescer.

Eh bien ! Allons-y ! Souriais-je, sincèrement satisfait que mon idée lui plaise.

Je confiais, une radio à Charly, en qui j’avais plus confiance que Will, après avoir stoppé le bateau au milieu du fleuve, à un endroit où il n’y avait aucune installation humaine, ni sur une berge, ni sur l’autre. Nous avions rejoint la berge avec le canot, malgré les protestations de Will. Je portais toujours ma tenue de survie et j’emportais, évidemment, mon sac à dos et mon armement classique, à savoir poignard, pistolet et fusil. J’avais un second pistolet, accroché au sac à dos, pour Lya au besoin.

Nous marchions, sous le couvert des arbres, vers un petit lac noté sur ma carte. Ce n’était pas loin du fleuve, le but n’étant pas de s’éloigner de dix kilomètres, mais suffisamment pour prendre de la distance avec le bateau.
Nous allions, tranquillement, au rythme de Lya.