Je l'écoute m'annoncer qu'elle n'a, elle non plus, rien de spécial à faire à part une course et du bricolage sur sa guitare. Finalement, elle me propose de l'accompagner et que l'on se trouve un truc à manger en chemin.

Ca me va ! Donne moi juste une minute pour que je me change, que j'ai moins l'air de revenir de la piscine ! Pouffais-je avant de disparaître dans ma chambre. J'en ressortais habillé d'un pantalon en lin beige et d'une chemisette de la même matière et d'une teinte bleu clair. Téléphone et portefeuille en poche, je la rejoins à la porte et prends mes clés.

Où allons-nous ? Demandais-je, curieux.

Je ne sais pas si c'est une bonne idée ou non. À vrai dire, je ne me pose pas tant de questions que ça. Je m'y efforce pourtant. On m'a tant fait le reproche de ne réfléchir qu'après… ou de ne pas réfléchir du tout. Mais bon… Il n'y a rien de mal à lui proposer de m'accompagner faire une simple course, n'est-ce pas ? Alex ne risque pas de me le reprocher, pas vrai ? Comment le savoir…

Alex n'est pas le genre de mec à vous dire clairement les choses. Il préfère généralement réagir après coup… Ce qui en soi est plutôt dommage. Enfin… Pour l'heure, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Si Matthew et moi nous entendons plutôt bien, il n'a rien tenté de répréhensible non plus. Alors autant ne pas se prendre la tête et voir… Advienne que pourra.

Une fois paré d'une tenue plus adaptée à une escapade en ville, Matthew me rejoint, curieux de savoir où nous allons.

– Un magasin de musique sur Terminal Avenue, je rétorque en plaçant mon sac sur mon dos. Enfin, si tu n'as rien contre le fait d'accompagner une gamine à Disneyland… C'est plutôt semblable.

Je lui offre un grand sourire et puis nous voilà partis. Nous commençons par récupérer ma voiture. Ma vieille guimbarde aurait bien besoin d'une révision elle aussi. Malgré ses vingt-trois printemps, ma petite Honda Civic tient encore bon. Tant mieux, parce que je n'ai certainement pas les moyens de m'acheter une nouvelle caisse actuellement.

Nous marchons donc jusqu'à la salle d'arcade où je l'ai oubliée la veille… Mon ego de tête en l'air s'en remettra. Après ça, je conduis jusqu'au fameux magasin. L'endroit a bien changé depuis ma dernière visite… Enfin, c'est logique puisque les propriétaires ne sont pas les mêmes. C'est dommage, quelque part… J'aurais adoré revoir le vieux Rufus. Du haut de ses soixante-dix balais, il jouait de la country sur une vieille Gretsch noire et or. Une vraie merveille. J'adorais ce vieux bonhomme. Il était drôle, simple… Et puis surtout, il avait des centaines d'histoires à raconter. Je suis certaine que Matthew aurait adoré le prendre en photo.

Les nouveaux propriétaires sont plus jeunes, probablement la trentaine. Dignes représentants du mouvement grunge, je me reconnais un peu dans ce look dépareillé, où le rouge et le noir semblent dominer. Mon look habituel en somme… Sauf qu'aujourd'hui, je porte une petite robe bleue qui n'évoque rien du tout hormis ”l'innocence”. Je le vois dans leur façon de me regarder. Très clairement, ils se demandent ce que je fiche ici… Et cela m'amuse beaucoup.

Je me rends au comptoir pour choisir mes cordes. Je joue les gourdes, juste pour voir leur réaction. La femme finit par me tendre un jeu, puis je lui demande à voir les guitare. Bah oui quoi, on ne peut pas entrer dans ce genre de shop sans tester quelques grattes ! C'est impensable.

Je l'écoute me parler des quelques acoustiques exposées. Des modèles parfaitement adaptés aux débutants, elle me le garantit. Merde, alors on juge d'après les fringues maintenant ? Ok, je la laisse faire, je fais même mine de l'écouter avec grande attention… Non sans glisser un clin d'œil à l'adresse de Matthew.

Je lui pose mille questions, ça m'amuse. Elle perd un peu patience devant la stupidité de certaines, mais bordel… C'est beaucoup trop drôle pour me décourager. Mon regard se pose finalement sur une Fender Telecaster d'un bleu assorti à ma robe. C'est probablement pour cela que mon choix se pose sur celle-ci et non sur la Stratocaster juste à côté.

– Je peux l'essayer ? demandé-je avec un air des plus innocents.

Oh bien-sûr, elle essaie de m'en dissuader en me montrant des modèles plus adaptés, mais j'insiste. Alors elle finit par céder en soupirant… Puis dès que je prends la guitare en main, je la vois froncer les sourcils. Forcément, il n'y a aucune hésitation dans mes gestes… Et puis je commence. Son t-shirt porte le symbole de Nirvana, alors c'est tout naturellement que je me lance dans une interprétation de Rape me qui lui cloue le bec … enfin, si la guitare avait été correctement accordée, sans doute que le son aurait été bien meilleur.

– Ça s'accorde une guitare, lui dis-je en lui rendant la bestiole.

Je ne m'attarde pas plus. J'ai fait ma petite blague, payé mes cordes. Alors je peux quitter le magasin avec un sourire satisfait sur les lèvres.

– Pardon, ce n'est pas dans mes habitudes de fanfaronner, mais elle m'agaçait… Bref. Tu veux manger où ?

Je range mes emplettes dans mon sac avant de récupérer mes clés de bagnoles.

– Va pour des sandwichs, dis-je en ouvrant ma portière.

À cette heure-ci, il ne faut guère plus d'une dizaine de minutes pour se rendre jusqu'à Pacific boulevard. Je me gare sur le parking du stade, parfaitement désert, pour entreprendre le reste du trajet à pied. Le temps est superbe, l'air à peine rafraîchi par une petite brise marine fort agréable. Je le suis donc à travers l'allée pleine de touristes égarés. J'observe un peu les vitrines, question d'habitude, même si je n'ai pas l'intention de m'arrêter dans l’un de ces magasins.

Arrivés à la sandwicherie, je me mets à analyser chacune des propositions… L’on peut dire qu'il y a du choix, c'est bien ce qui rend la tâche compliquée… N'ayant pas envie de me prendre la tête, je me contente d'une garniture au pastrami, oignons et cornichons. C'est pas très healthy, mais j'en ai strictement rien à faire…

De retour à leur appartement, je m'empresse de ranger mon linge propre dans le sac que je dépose dans la chambre d'Alex. Après tout, il m'a bien proposé de squatter son lit durant son absence, autant en profiter pour alléger le salon.

Après cela, nous n'avons plus qu'à nous installer sur le balcon pour prendre notre repas.

– Tiens, je me demande, lancé-je. Qu'aurais-tu fait si je n'avais pas été là ?

Je pensais qu'il travaillerait ou en tout cas, qu'il serait réellement occupé… Pas qu'il chercherait une occupation là où il n'y a rien à faire. Quel homme étrange, ce Matthew. Honnêtement, j'ai beaucoup de mal à le comprendre. Avoir la flemme et accepter l'ennui, c'est quand même surprenant…

– Tu as une vie trépidante, dis-je d'un ton monocorde contrastant énormément avec mes propos. Je peux comprendre que tu en ais assez de bouger mais… Tu sais, on travaille pour vivre hein, pas l'inverse.

Même Alex a su trouver le temps et la motivation de se trouver une copine. Il sort, fait des rencontres… Pendant un temps, il faisait même partie d'une équipe de Bowling ou un truc du genre.

– C'est pour ça que tu n'as pas de copine alors ?

Matthew m'a tout l'air d'avoir toujours mené une vie bien rangée. Au fond, cela colle plutôt bien à l'image que j'ai de lui… Deux vraies relations et deux ou trois aventures… À son âge, avec son métier et son physique ? J'avoue avoir un petit peu de mal à le croire, mais bon … pourquoi pas après tout ?

– Une vraie vie de moine dis-je en levant mon verre. Dire que je trouvais Alex trop sage et trop coincé…

Cette fois, je pouffe en songeant à mon frangin … C'était un vrai tombeur au lycée mais il s'est énormément assagi après. Bon… Sans doute parce qu'il n'avait plus vraiment le temps de draguer. Peut-être, au fond, j'en sais rien du tout.

– Heureusement que tu as ton boulot pour décompresser…

Je l'écoute me parler brièvement de sa scolarité passée dans des établissements où les filles et les garçons ne se mélangeaient pas. Je suis presque choquée d'apprendre que ce genre de structure existe encore de nos jours. Après tout, il n'y a rien de mal à ce que les deux genres apprennent et jouent ensemble. Je ne comprends pas trop ce genre de principe… Et je le plains d'avoir grandi là-dedans.

– Sur l'échelle monacale ? je pouffe. On peut dire que je suis assez proche de l'excommunication en réalité. Je suis restée sage jusqu'au lycée. J'étais encore une jeune fille fleurs bleue, un véritable cœur d'artichaut qui tombait amoureuse toutes les dix minutes. Après j'ai grandi et j'ai réalisé que ça ne fonctionnait pas du tout comme ça.

Je prends une pause pour terminer mon sandwich et m'essuyer la figure.

– Je n'ai pas vraiment le profil de la nonne. J'ai arrêté de compter mes aventures et je n'ai jamais eu de vraie relation. J'ai bien vécu avec des hommes durant un temps, mais rien de bien sérieux pour autant … Je ne suis pas ce que l'on appelle une fille fréquentable, tu vois.