Au moins, je le fais rire. Même si ce n'est pas volontaire. J'avoue ne pas trop comprendre pourquoi il me fait cette pseudo proposition. On se connait à peine et puis… Je n'ai pas forcément l'intention de m'attarder dans le coin des mois durant. Enfin, ça… Il n'a pas nécessairement besoin de le savoir. Je peux encore garder ça pour moi jusqu'à ce que je prenne la décision de partir.

– J'y réfléchirai… Ou pas, le taquiné-je tout en lui donnant un coup d'épaule.

Je termine tranquillement ma glace avant de m'essuyer visage et mains et de jeter le papier dans une poubelle. La nuit est plutôt belle, mais je ne tiens toujours pas en place. Je m'ennuie vite, j'ai besoin de bouger.

– Ça te dit de marcher encore un peu avant de rentrer ?

Un dimanche soir, il n'y a pas grand-chose d'ouvert en dehors des bars et des restaurants. Et franchement, même si j'aime mon boulot, je n'ai pas spécialement envie de traîner dans ce genre d'établissement lors de mon jour de repos. Alors je marche, je regarde les vitrines éclairées des boutiques fermées…. Quel gaspillage…

– Alors, dis-moi… Est-ce que cette soirée en la compagnie est à la hauteur de tes attentes ? Enfin, jusque-là ?

Fait donc ça ! Repliquais-je en encaissant son coup d'épaule en pouffant.

Mon cornet terminé, je m’essuyais la bouche avant de faire disparaître la serviette dans une poubelle, mimant bêtement un tour de magie. Elle me propose ensuite de marcher encore, ce que j'accepte avec plaisir tant la nuit est douce et claire.

On longe des boutiques, passant devant celle où j'avais atterri un peu plus tôt, naviguant entre un exposé de lampes allumées inutilement. Ayant vu la misère de la guerre, ce genre de choses me revoltait. Si encore les boutiques étaient ouvertes, mais non.

Jusque là, c'est un sans faute ! Répondis-je en lui rendant son coup d'épaule joueur. On s'est bien amusé, on a bien mangé, on a bien causé, c'est très agréable comme soirée. Jusque-là, c'est parfait. Dis-je pour conclure.

Et toi ? Demandais-je alors.

Je n'ai rien noté attestant son ennui, mais je suis tout de même surprise de l'entendre me dire qu'il s'est bien amusé. Un “sans faute”... Oui, c'est plutôt surprenant. Lui qui paraît toujours si sage, si sérieux …

– Hm… Étonnamment, je passe une bonne soirée, je pouffe à mon tour avant de lui donner un nouveau coup d'épaule… Oui, j'ai toujours la fâcheuse tendance à renchérir sur ce genre de bêtise.

L'on passe devant le cinematheque qui, ce soir, projette La nuit des morts vivants...

– Qu'est-ce que tu en dis ? demandé-je en désignant l'affiche. Dis ouiiiii, j'adore les vieux films d'horreur, ils sont hilarants ! Surtout ceux avec des tonnes de zombies !!

Sa fausse objection me fait hausser un sourcil. Je sais bien qu'il plaisante puisque plus personne ne peut avoir peur de ce genre de films. Plus depuis que les effets spéciaux horrifiques se sont grandement améliorés. Ce n'est d'ailleurs pas pour éveiller l'effroi que l'on visionne ce genre de films de nos jours. On les aime pour l'imagination des auteurs, les petites mains des costumiers, le talent pour réussir à effrayer toute une génération sans grand moyen. Je trouve ça génial, tout simplement…

– Ça ne vaut pas un Hitchcock, lui il savait vraiment nous faire peur … Là, c'est plus marrant et dégoûtant qu'autre chose… Mais cela ne m'empêchera pas d'engloutir plusieurs kilos de bonbons, quitte à m'en rendre malade, dis-je en n’exagérant qu'à peine.

Nous achetons nos places, mes bonbons puis nous prenons place dans la salle. Bizarrement, ce film ne semble pas attirer les foules puisque nous sommes seuls dans la salle. Tant pis pour les autres, tant mieux pour moi puisque je peux m'étaler sans gêne en posant mes jambes sur le siège face au mien.

– Si jamais tu changes d'avis, je veux bien les partager avec toi, lancé-je en posant le paquet de bonbons entre nous.

Le film me captive tout bonnement. J'adore l'ambiance, la musique… Ce noir et blanc et ce son si particulier lié aux pellicules aujourd'hui abandonnées… Je pioche dans mes bonbons sans jamais détourner le regard. Je sursaute plusieurs fois avant d'éclater de rire… Les visuels sont tout simplement extraordinaires.

Une fois de plus, je passe un très bon moment. Généralement, je préfère me rendre au cinéma seule, juste pour ne pas être dérangée par quelques bavardages insupportables. Je déteste les gens qui parlent durant le film, même si ce n'est que pour donner son avis. J’associe cela à un manque de respect envers l'équipe du film et préfère largement en débattre après, en sortant… C'est une sorte de rituel… Le film s'achève, les lumières se rallument et nous voilà sortis.

– Je suis heureuse de constater que tu ne fais pas partie de ces commentateurs chevronnés, lancé-je en souriant avant de jeter mon paquet vide…

Je crois que j'ai mangé suffisamment de sucre pour la semaine… Ou pour le mois.

– Qu'as-tu pensé de la mort incroyablement lente de cette pauvre Helen ? je lui demande juste avant de m'arrêter devant l'affiche du prochain film diffusé : Oh ! Ils vont diffuser la version de 1990 ! je m'écrie, joyeuse. “Ils viennent te chercher, Barbara !”

Et voyant qu'ils comptent projeter toute une flopée de films d'épouvante datant des années trente à quarante, je m'empresse de récupérer leur programme.

– Je reviendrai, c'est certain, dis-je en rangeant le papier dans mon sac. Finalement, j'ai choisi toutes les activités de la soirée…

Mon sourire s'élargit lorsqu'il affirme vouloir m'accompagner pour de prochaines projections. Je ne l'ai pas invité à le faire, mais il s'impose sans détour. Ce comportement m'amuse beaucoup, même si je n'en dis rien. À la place, je souligne simplement le fait d'avoir choisi toutes les activités de la soirée, même si cela ne semble pas le déranger pour un sou.

– Oh, vraiment ? je m'écrie, souriante. Tu viens de piquer ma curiosité !

Je passe tout naturellement mon bras sous le sien comme pour l'inviter à m'escorter vers cette “maison” qui n'est pourtant pas la mienne.

– Par contre … Pas de pop-corn. Cette fois, c'est sur, je n'ai plus faim… j'éclate de rire.

Sur le chemin, nous parlons de tout et de rien, comme de vieux amis. Je ne me souviens pas avoir déjà autant parlé avec quelqu'un, généralement je suis beaucoup moins bavarde. Je décide d'appeler ça l'effet Matthew.

Arrivés à l'appartement, je me rappelle avoir laissé ma voiture quelques rues plus loin… avec mes vêtements propres. Tant pis, il me reste tout de même de quoi me changer ici. Je n'aurais qu'à y retourner demain. Ça m'apprendra.

Je dépose mon sac, retire mes chaussures et vais, par habitude, déplier le canapé.

– Bon bah … On aura plus de place comme ça, je pouffe tout en saisissant un élastique qui trainait sur la table basse pour m'attacher les cheveux. Je vais juste enfiler mon pyjama, au cas où, je reviens.

J'attrape mon sac de voyage et me dirige dans la salle de bain pour me changer et faire un brin de toilette. Une fois parée de mon magnifiques pyjama rock-licorne, je regagne le salon pour m'asseoir sur le canapé.

– Parée, chef !