Au fond d’elle, Julia Hampton savait depuis le début que Lisa finirait par le faire. Elle savait, dès l’instant où Lisa avait parlé du stage d’Aayden à Seattle, que sa petite tête blonde finirait par faire sa valise, elle aussi, pour rejoindre son meilleur ami au bout du pays. Il lui manquait, elle en avait conscience et jamais ils n’avaient été séparés vraiment longtemps depuis que le jeune homme était entré dans leurs vies. Julia savait que Lisa avait besoin de lui, de sa présence, pour son équilibre. Elle savait que, d’une manière ou d’une autre, Aayden réparait quelque chose en elle. Une fracture ancienne, qu’elle portait depuis des années. Que la vie avait provoqué. Que son père avait accentué. Elle savait qu’un mois sans voir son meilleur ami n’était pas possible pour Lisa. Pas considérant ses troubles, ses fêlures, ce bagage que son père lui avait laissé en partant. Cette peur de l’abandon qui la terrorise encore et, parfois, déclenche des crises en elle. Elle savait, donc, que sa fille finirait par prendre un billet pour rejoindre Aayden jusqu’à ce qu’il rentre lui aussi et que rien ne pourrait dissuader son enfant de le faire. Du reste, elle ne comptait pas l’en empêcher, considérant le besoin qu’ils avaient l’un de l’autre, l’un comme l’autre. Elle n’aurait pu priver ni l’un ni l’autre de se retrouver.

Lisa n’avait, en fait, pas mis longtemps pour craquer. A peine deux jours après le départ du jeune homme, soit deux jours depuis leur propre retour des Fidji, Lisa avait acheté ses billets aller et retour, avec un départ prévu au lendemain, qui lui avait fait préparer un bagage à la hâte. Quelques vêtements jetés à la va-vite, ses patins “au cas où”, un maillot de bain “parce qu’on ne sait jamais”, une trousse de toilette… Elle avait été très peu ordonnée dans la préparation de ses affaires, contrairement à son habitude, pressée au beau milieu de la nuit par un vol prévu dès le lendemain matin.

Au matin, sa mère n’avait pas cherché à comprendre, ni même à discuter cette décision, se contentant de lui adresser un sourire et une étreinte, consciente de ce que sa fille poursuivait en allant rejoindre son meilleur ami. Elle avait demandé à quelle heure elles devaient être à l’aéroport, puis elles avaient chargé le bagage de la patineuse dans l’élégante Mustang de Julia et avaient pris la route. Jusqu’à ce que Lisa disparaisse derrière les mêmes portiques de sécurité qu’Aayden à peine quelques jours plus tôt, Julia avait attendu dans le hall, jusqu’à ne plus la voir. Puis elle avait repris la route pour rentrer, laissant Lisa déambuler dans la zone d’embarquement en attendant qu’il soit l’heure, pour elle, de rejoindre son vol.

Le trajet la séparant de l'état de Washington durant environ cinq heures, elle avait prit son mal en patience, écoutant de la musique et des podcast le regard perdu par le hublot et, quand l'atterrissage avait été annoncé, elle avait détourné le regard de la piste d’atterrissage, déjà prête à sortir en trombe de l’appareil. Pas qu’elle ait peur dans les airs mais… Elle était pressée. Pressée de retrouver Aayden et, en même temps, consciente que la bataille pour obtenir un taxi serait rude.

Si le vol avait duré cinq heures, il en avait fallu une autre pour récupérer sa valise, sortir de l’aéroport, prendre un taxi et finalement atteindre l’hôtel qu’elle avait réservé pour son séjour, y déposant ses affaire avant de repartir rapidement, appelant un nouveau taxi pour la conduire jusqu’au centre d'entraînement que lui avait indiqué son meilleur ami en lui faisant un petit tour des lieux à son arrivé. Une quinzaine d'autres minutes avaient été nécessaires pour réussir à entrer, bien qu’elle ne soit pas une élève du stage, ni une professeur. Mais elle y était parvenue et, finalement, elle peut se glisser dans le dos d’Aayden au moment où les élèves partent en pause, plaquant ses mains sur ses yeux.

”- Devine qui c’est ?” souffle-t-elle alors, la voix amusée, le cœur battant la chamade. ”Si t’as besoin d’un indice c’est plutôt mignon… Je crois.” elle rit, retirant ses mains. ”Parce qu’il n’y a pas une frontière que je ne franchirai pas pour toi…”

Voilà même pas une semaine que tu es là et t’as limite envie de te tirer une balle dans la jambe pour te casser de cet endroit. Autant jouer ne te dérange pas, tu aimes ça. Tu peux te défouler, contrôler ta force, ta respiration pour te concentrer sur ce que tu vois, travailler tes réflexes… Les autres goalies sont sympas, tout aussi fou les un que les autres, tu fais presque calme, sage et timide à côté en vrai. L’introvertie qui n’a rien à faire ici. Mais c’est la manière dont les choses se sont produites qui te mettent en rogne.

Tu as presque reçu le dossier d’inscription fini dans la gueule quand ton paternel en a parlé. Il t’a presque fait signer de force et menaçait de s’en prendre à toi, ta mère et ton frère, qui n’avaient rien demandé. Tu avais grimacé, tenter de tenir tête, mais c’était avant qu’il ne te menace avec son poing. Alors tu avais acquiescé, sans un mot. Tu avais signé, pris ton billet en première classe, l’adresse de l’hôtel et fait tes valises à la hâte. Ta mère, apparemment sobre, avait fait les dernières vérifications avant de te dire qu’elle avait viré des sous sur ton compte pour acheter des vivres pour les deux semaines.

Ou pour t’acheter des conneries si tu avais besoin. Et tu étais parti, seul. Sans vraiment dire au revoir, sans vraiment avoir de soutien. Ton frère qui avait tenté de te faire sourire pendant le trajet de la voiture, t’ayant prêté son téléphone pour que tu avertisses Lisa, t’ayant donné une adresse d’un ami qui tenait une boutique pour que tu puisses en racheter un sur place. Tu n’avais pas compris cette soudaine aide de sa part, lui qui t’avait toujours ignoré. Mais tu n’es pas rentré dans le jeu de la vengeance comme aurait fait ton père. Tu l’as remercié et tu es parti.

Tu as eu un peu de réconfort en voyant avant ton départ la jeune patineuse à son balcon. Une dernière pensée pour elle, interdite… Puis à l’aéroport, il y a eu Julia, cette deuxième mère dont la vie n’a jamais été tendre avec elle, qui méritait que tu lui rendes l’affection qu’elle te donnait… Et tu as eu le cœur brisé en passant le portique, voyant ta meilleure amie de l’autre côté. Tu as vu ses larmes et tu avais promis de l’appeler en arrivant pour la rassurer. Chose faite. Et maintenant ? Tu es là, une autre mâtiné entamée, la folle envie de fracasser ta crosse quelque part et tu étais à pas-grand-chose de prendre toi-même un billet retour…

Tu y pensais sérieusement en buvant, reprenant ton souffle après une session plutôt intense. Tu grimaces et t’apprêtes à remettre ton casque avant de bugué en sentant des mains froides sur tes yeux. Au son de la voix, tu as un sursaut, un arrêt et un sourire se dessine sur ton visage.

- ZA !

Que tu hurles en te retournant après qu’elle ait retiré ses mains, levant tes bras te jetant dans les siens en la câlinant aussi fort que tu pouvais. Tu rigoles doucement et l’embrasses sur la joue, par habitude avant de croiser son regard.

- Mais putain, tu fous quoi ici ?! T’es v’nue seule ? Pourquoi tu m’as pas dit ? J’s’rais venu te chercher et tout. Tu restes combien d’temps ?

Enfin, elle peut le tenir dans ses bras. Elle peut le serrer fort contre elle et lui donner tout l'amour dont il a besoin, prendre tout celui qu'il lui donne. Elle peut le soutenir, être là pour lui et ne pas se sentir aussi inutile qu'elle se sent l'être à l'autre bout du pays ou du monde. Bon sang. Ce qu'il a pu lui manquer. Elle n'a passé que dix-huit jours sans lui, mais c'est tout un monde. Jamais elle n'aurait pu encaisser de vivre ça encore douze longs jours. Jamais. Si encore Sachs père n'a pas une idée tordue derrière la tête et ne l'envoie pas dans un deuxième stage. Ils savent tous les deux qu'il en est parfaitement capable.

"- Ben... J'viens d'te l'dire !" souffle la demoiselle. "T'es ici. Alors ça n'a aucun sens que je sois là-bas !" affirme-t-elle en se pressant de nouveau contre lui, se fichant pas mal qu'on les voit, qu'on puisse se méprendre sur ce qu'ils partagent, sur le lien qui est le leur. "Ouai... Désolé, je pouvais pas kidnapper Nelly dans mon bagage... Elle aurait pas coopéré. Et si j'te l'avais dis... c'était plus une surprise !"

Et à la tête qu'il avait fait en la voyant, ça aurait été dommage de manqué ça. Non, elle préfère largement lui avoir fait la surprise, ça valait tout l'or du monde. Et puis avec le stage il aurait de toute façon eut du mal à venir la chercher. Elle ne pouvait pas le priver de ces heures d'entraînement. Même si son père les gonflait, le stage était une opportunité pour son meilleur ami. Une opportunité dont Lisa ne l'aurait pas privé.

"- Je reste jusqu'à la fin. J'ai trouvé une patinoire qui accepte les visiteurs pour pouvoir m'entraîner un peu parce que... Bon, j'ai déjà deux semaines de retard et j'suis pas certaines qu'ils m'acceptent ici, ils étaient déjà pas chauds pour me laisser arriver jusqu'à toi parce que... "Vous n'êtes pas enregistré parmi nos stagiaires."" singe la demoiselle en riant. "Et j'allais pas te déranger dans ton entraînement ! Entre le temps que je puisse sortir de l'aéroport, atteindre l'hôtel, récupérer ma chambre, déposer mes affaires... Tu aurais perdu toute la matinée d'entraînement !"

Tu oublies complètement où tu es, tellement heureux de revoir cette rouquine qui t'a suivie toute ta vie. Que tu as soutenu dans ses moments de troubles et d'angoisse. Qui a empêché maintes et maintes fois que tu tombes dans le cercle vicieux de la dépression et que tu ressembles de plus en plus à cet homme qui est la source de tes anxiétés et tes nuits d'insomnie. Et encore aujourd'hui, alors que tu pensais à abandonner, jeter ta crosse plus loin, la voilà ici, devant toi. Tu manques de pleurer de joie avant de te ressaisir, pris de curiosité, l'assommant de question.

Elle garde le sourire et elle y répond comme si de rien n'était. Tu te mords la lèvre, l'entendant dire qu'elle ne voyait pas l'intérêt d'être séparé comme ça, encore une fois, pendant aussi longtemps sans se voir, sans se prendre dans ses bras et de parler de vive voix de vos problèmes ou de vos joies. Tu éclates de rire quand elle parle de la petite brune, voisine, objet secret d'un désir interdit. Tu secoues la tête doucement.

- Tu aurais jamais pu passer sa porte… Même avec tous les meilleurs arguments du monde …

Tu souris, comprenant bien pourquoi elle avait gardé la surprise. Oui, tu aurais fait de même de ton côté, tu aurais pris un billet sur un coup de tête pour traverser le pays, rien que pour la revoir. Tu écarquilles les yeux quand elle te dit qu'elle reste jusqu'à la fin de ton séjour ici. Tu souris et tapotes dans tes gants, heureux, avant de secouer la tête.

- Attend quoi ? Ta chambre d'hôtel ? Non déconne pas. Annule ton séjour là-bas et ramène ta fraise dans l'mien. T'façon, la chambre est trop grande pour moi tout seul. Mon père a exagéré, encore. Puis merde l'entraînement. J'ferais les journées, et l'soir si tu veux, on baladera dans la ville. Ça t'va ?

”- Peut-être avec la duplicité d’Andy, mais je ne suis pas sûre que mon plus joli sourire aurait plaidé ma cause si j’étais allé le voir pour lui dire “Écoute, tu voudrais pas m’aider à kidnapper ta meilleure amie pour que je la ramène à mon meilleur ami qui veut lui montrer à quel point il a été un gros imbécile avec elle et qu’il est… tombé amoureux d’elle, maintenant”. Tu vois ? Non, vraiment, sur c’coup là, même lui aurait fait bodyguard devant sa porte, même si l’image n’est vraiment pas pour me déplaire.”

Oh bon sang non, elle doit tout sauf imaginer Andy en costume noir. Elle ferme les yeux en essayant autant que possible de repousser cette image loin dans son esprit, pour ne la laisser ressortir que bien plus tard, quand elle sera seule. Non, définitivement, penser à Andy n’est pas une bonne idée tout court, qu’il soit en costume ou… n’importe comment autrement, en fait. Sûrement autant que penser à Nelly pour Aayden, ce qui ne l’a pourtant pas empêché de mentionner la petite demoiselle.

”- On peut faire ça mais je dois récupérer mes affaires du coup ! J’ai déposé ma valise pour l’instant, j’pense qu’ils vont me compter une nuit quand-même parce que… au final, j’occupe la chambre et ils n'arriveront pas à la relouer avant ce soir. Enfin, j’ai pris cette chambre hier donc c’est pas comme si ça leur changeait grand chose à eux mais… Ouai, j’suis presque sûre qu’ils vont me compter cette nuit.” elle hausse les épaules. ”Tant pis. Mais j’espère au moins que t’as un king size !”

Et connaissant le père Sachs… Évidemment qu’Aayden l’a. Avec la super salle de bain et un mini-bar plein sûrement, pour lequel Sachs père ne regardera pas à la dépense. Tant mieux, parce que Miguel n’a pas suivi dans ses bagages. Et, avec ça, il a sûrement un super balcon avec une vue de folie sur Seattle. De quoi bien profiter de la dizaine de jours qu’ils auront à passer ici au final, entre les entraînements du jeune goalie et leur découverte de la ville.

”- Ce sera comme des vacances !” remarque la demoiselle avec bonne humeur. ”T’auras une bonne excuse pour fuir la bouffe immonde qu’ils te servent ici.” elle rit.
”- Bah alors Sachs, tu nous présente pas la d'moiselle ?” lance une voix derrière eux, interrompant leur discussion. ”Elle est plutôt mimi, c'pas très gentil de la garder pour toi comme ça.” lance l'inconnu, le sourire fier de ses bêtises.

Tu soutiens le regard tourné vers le sol en pouffant qu’elle explique son possible plan pour kidnapper la patineuse et l’emmener avec elle, avec l’aide de Myers, mais non. Même avec la bonne volonté du monde, tu sais au fond de toi que rien n’aurait fonctionner. Tu souris un peu avant de t’énerver légèrement quand elle parle de l’hôtel, disant qu’il était hors de question qu’elle aille n’importe où que tu lui laissais la tienne de chambre sans problème. Tu hausses un peu les épaules quand elle parle de ses affaires et de payer un dédommagement du coup pour l’hôtel.

- On passera ça pour des frais collatéraux, t’inquiètes. Mon père y verra qu’d’feu.

Bien sûr. Tant que tu peux gratter de l’argent de cet abruti qui s’autorise de dépenser des sommes sans aucun sens pour toi, que tu pourrais te contenter de peu, tu le fais. Rien que pour lui casser les pieds. Tu pouffes un peu alors que tu réajustes tes gants et hoches la tête.

- Putain, t’as pas vu la gueule du lit. Et j’suis plus à l’aise sur le canap’, pour dire. L’est trop grand pour moi, j’te le laisse avec plaisir.

Que tu clames en rigolant un peu. Tu pouffes de plus belle en voulant reprendre à boire quand elle parle de la bouffe avant de manquer de recracher ta gorgée, entendant la voix des autres stagiaires avec toi. Tu grimaces et te tournes vers le goalie qui était en train de parler et tu serres ta bouteille dans la main, à l’écraser complètement, te fichant pas mal si tu étais mouillé ou non.

- T’as dis quoi, Sanders ?

Que tu demandes, te tournant vers ton collège de Virginie-Occidentale. Tu te lèves du banc, prêt à lui faire face, le regard sombre. Tu vois qu’il déglutit, qu’il recule, main devant lui. D’autres goalie se taisent, reculent. L’un d’entre eux, se contente de finir sa brique de jus de fruits en grimaçant, attendant de voir si tu comptais garder ou non ton calme.

- Bah quoi ? C’vrai, elle est mignonne quoi, j’ai pas..
- T’as dit QUOI ?!

Que tu manques de hurler, balançant tes gants sur les côtés, en train de te jeter sur lui. Ok… Ouais, non, c’était mieux que Nelly ne soit pas là.

"- Je ne sais pas ce qui me scandalise le plus. Que tu n'ai absolument aucun scrupule pour mentir à ton père ou que cet imbécile soit capable d'avaler cette excuse sans poser de question ? Voire même ne pas du tout se rendre compte qu'il y a un pépin." remarque la demoiselle.

Pour une fille qui a grandit en apprenant à donner aux autres et qui n'est pas matérialiste pour un sous, le mode de vie de Sachs père est incompréhensible. Non, elle ne peut pas vraiment comprendre que l'on puisse vivre avec autant de fric et le dépenser sans y faire attention pour son plaisir et sa gloire personnels. Elle ne comprend pas que l'on ne puisse pas avoir ne serait-ce qu'un peu de cœur et d'humilité. Mais Sachs lui avait depuis longtemps apprit que les connards existaient. Qu'ils vivaient dans l'opulence comme un dû sans jamais se poser la question de savoir comment vivaient les plus petits que lui. Il n'en avait rien à faire et, là où Julia lui avait inculqué la bonté et des valeurs, Sachs n'avait transmis à ses enfants que détresse et peur.

"- J'ai pas besoin d'un lit si grand si je suis seule dedans, je m'inquiétais surtout de l'effet sardine mais, suis-je bête, évidemment que ton père a prit la suite impériale. Pour quoi il passerait s'il prenait moins que la suite la plus chère, voyons ?" Elle pince ses lèvres. "T'as ouvert le minibar pour vérifier si y'a pas du foie-gras dedans ? Sait-on jamais, avec lui..."

Non, elle n'apprécie pas vraiment le père de son meilleur ami et dans le classement des pires pères de la création, elle est à peu près certaine que Sachs l'emporte sur le sien. Le sien, au moins, l'a juste abandonné. Après tout, elle n'est pas si mal. Il ne l'a, au moins, jamais frappé. Elle pousse un soupir.

Une voix leur parvenant les interrompt dans leur discussion et Lisa remarque le mouvement de la main de Den sur sa bouteille d'eau immédiatement, prêt à briser le plastique à mains nues et faire s'écouler tout le liquide à même le sol. Le manque de patience de son ami est légendaire et, une fois de plus, se manifeste, lui faisant suspecter une crise et le possible oublie de son médicament ce matin. Ce qui ne peut aboutir qu'à un seul cas de figure...

Déjà, Aayden est debout, le regard sombre et la mine renfermée, protecteur comme il l'a toujours été, menaçant comme il sait si bien l'être. Ce n'était pas pour rien qu'on le prenait parfois pour son garde du corps. Il l'était. Il l'était vraiment. Et, en face, Sanders réagit comme n'importe quel être normalement constitué lorsqu'il se sent menacé. Il recule. Comme d'autres. Et il fait bien, mais il devrait s'abstenir d'en rajouter en répétant son propos.

"- Laisses, Sanders, l'mieux c'est d'pas faire d'commentaire sur elle et encore moins d'la tou..."

Mais c'est trop tard. C'est trop tard parce qu'Aayden est déjà gonflé à bloc, ouvrant ses bras de chaque côté, provocateur, comme s'il n'attendait que d'entendre Sanders répéter, encore, ce qu'il venait de dire, pour pouvoir se jeter sur lui. Et, dans le fond, c'est sûrement ce qu'il attend. Parce que, quand il en arrive là, il n'y a rien qui puisse le calmer, sinon le combat. Ou la présence de Lisa.

"- Denden !"

Elle l'appelle, partant après lui, ses bras trouvant rapidement sa taille pour l'encercler, le maintenir contre elle. Parce qu'il ne peut pas la toucher, parce qu'il ne veut pas la toucher, tant qu'elle maintiendra cette étreinte, il ne pourra rien faire. Il ne pourra pas avancer. Il ne pourra pas en découdre. Et elle compte tenir, Lisa. Elle compte rester comme ça, aussi longtemps qu'il le faudra pour le calmer. Aussi longtemps qu'il le faudra pour l'apaiser.

"- C'est rien Denden..." souffle-t-elle. "C'est rien."

Puis, plus bas, beaucoup plus bas, dans un murmure à peine audible, elle ajoute.

"- Tu as oublié tes cachets ?"

Tu étais en train d’oublier où tu étais, laissant tes troubles prendre le dessus, laissant ton impulsivité maladive faire son travail et te voilà, presque en train de vouloir étrangler quelqu’un… Ou du moins de balancer du poing dans les dents. Ça essaye de parler autour, ça tente d’arrêter le feu, d’y foutre de l’eau dessus pour que tu évites de passer à l’acte, mais c’est plus de l’huile qui est balancer, te rendant incontrôlable. Ou presque. Tu te figes en plein milieu du chemin alors que tu as toujours ton regard noir tourné vers ton camarade de hockey.

Tu serres les dents et grimaces alors que ton nom est hurlé. Tu serres les poings à t'en faire blanchir les jointures alors que tu sais qu’elle est derrière toi, te tenant dans ses bras. Tu pourrais t’en foutre, la balancer plus loin, te libérer de son emprise, mais non. Tu ne peux pas. Ton cerveau est en mode pause, comme si tu étais paralysé. Tu sais au fond de ton esprit que tu es incapable de la toucher, de lui faire du mal. Comme un ancrage au bateau qu’est ton cerveau, Lisa est encore capable de te stopper dans une crise.

Tu souffles un peu fort, te retenant autant que tu peux, essayant de retrouver ton mantra, pour retrouver ton calme, essayant de ne pas passer pour le dingue de service auprès des autres, pas à trois jours de stage. Tu fermes les yeux et baisses doucement les épaules en levant les mains en signe d’abandon. Tu essayes de sourire et grimaces à la question de Lisa. Tu soupires doucement et murmures.

- Si je te dis oui, tu me crois ?

Non, bien sûr que non. Vu ce qui venait de se passer, elle n’allait pas être dupe. Bien sûr que non. Tu avais oublié de les prendre, sûrement parce que tu étais en train de faire autre chose. Mais c’est comme ça. De toute façon, vu la gueule de ton petit-déjeuner… Tu soupires et baisses la tête.

- Désolé.. J’ai pas… J’ai…

Tu n’as même pas les mots pour t’expliquer… Ouais non. Tu avais définitivement oublié de prendre tes cachets. Vive les handicaps invisibles hein ?

Bien sûr qu'elle le croit. Bien sûr qu'elle sait que non, il n'a pas prit ses cachets, que oui, il les as oublié. C'est l'évidence même. C'est s'il avait dit non qu'elle ne l'aurait pas cru. Mais là... Elle ne peut que savoir qu'il dit la vérité et ce d'autant plus qu'elle n'a posé la question que par principe, connaissant la réponse avant même que le jeune homme ne la formule. C'est que, depuis le temps, elle le connait. Elle sait comment il est. Elle sait ce qu'il en est et... elle sait aussi reconnaître les situations, les niveaux de patience... Elle sait reconnaître les moments où ses cachets font effet, lui permettant de se contrôler un peu, d'avoir un peu plus de patience et les moments comme celui-ci où il n'en a tout simplement aucune.

"- J'aurais pu parier sur c'te réponse." souffle la demoiselle, remontant une de ses mains pour venir gratter son crâne doucement, le papouiller. "Lààà. Est-ce que ça va mieux ?" poursuit-elle, restant contre lui aussi longtemps que nécessaire avait de commencer à s'en éloigner légèrement.

Il essaie de s'excuser, probablement pour le collègue qui tremble encore comme une feuille à deux pas. Sanders n'en mène pas large mais, à sa place, elle serait sûrement dans le même état. Elle sait qu'Aayden est impressionnant quand il le veut - et pas seulement - même si elle n'y a jamais été confrontée pour elle-même, que sa colère n'a jamais été dirigée à son encontre. Et elle sait que son trouble y est pour beaucoup, mais elle sait aussi que ce n'est pas quelque chose dont il doit nécessairement parler avec de presque inconnues. Alors elle sait qu'elle doit trouver quelque chose pour le tirer de là ou pour détourner l'attention.

"- Sanders, c'est bien ça ?" demande-t-elle pour initier le contact. "J'suis Lisa. Sa meilleure amie." glisse la jeune femme, comme si cette seule affirmation pouvait suffire à expliquer le comportement du goalie. "Excuse le il... Il est un peu du genre protecteur et il a tendance à me voir plus jeune que j'ne suis." affirme-t-elle avec un rire, en espérant que ce sera suffisant. "Comme une mère poule qui voit pas grandir son enfant, pareil !" continue-t-elle en espérant dissiper le malaise.

Le dos rond, le regard baissé, te voilà penaud, face à une nana qui doit faire deux tiers de ton poids et une tête de moins. Tu fermes les yeux, frissonnant d’un coup, sentant ses doigts dans tes cheveux. Tu reprends doucement ta respiration, les mains desserrées. La scène doit être irréaliste pour les goalies autour de vous. L’instant d’avant, tu étais toute griffe dehors, prêt à te jeter sur quelqu’un pour l’amocher ne serait que pour avoir jeté un regard sur elle, et là… Tu es au calme, sur le point de flancher pour t’asseoir de nouveau. Deux salles, deux ambiances.

Il y a de la culpabilité dans ton regard, de la gêne. Tu grimaces, honteux d’avoir encore une fois oublié de prendre tes cachets, de t’être laissé emporté pour pas-grand-chose. Heureusement que tu sais pourquoi, que tu as mis des mots dessus et que tu peux essayer de trouver des solutions pour que tout se passe pour le mieux avec tes proches. Tu hoches doucement la tête à Lisa, quand elle demande si ça va mieux et te tournes vers Sanders, qui semble reprendre des couleurs. Il rigole nerveusement et tend sa main.

- Ah ok. Désolé. On a pas l’habitude d’voir des na… des filles sur la glace en stage donc.. On pensait...

Tu serres les dents doucement. Tu manques d’attraper ta crosse, mais ce serait mal vu. Tu essayes de récupérer tes gants et fait signe.

- Nan. C’pas ma copine. J’l’rappelle pour les sourds du fond.

Que tu râles un peu, sans vraiment écouter ce que raconte Lisa avant de rigoler doucement. Puis il y a un sifflement. Tu soupires, sachant que tu dois retourner sur la glace. Tu pouffes et approches de Lisa.

- J’y r’tournes. J’te récupère après, promis.

Que tu dis avant de remettre tes gants et ton casque pour retourner sur la glace. Tu réussis tous les exercices, suit avec attention les règles et les instructions du coach. Tu restes en tête de classement pour le moment, avec le meilleur temps et évaluation. Il faut encore attendre la fin du stage pour avoir le classement final, mais qui sait. Tu ne sais pas combien de temps cela dure avant d’être libéré pour la journée. Tu grimaces en sortant de la patinoire et rejoins enfin ta meilleure amie en levant les bras au ciel.

- ENFIN !!

Tu approches de Lisa en souriant, retirant ton casque.

- On file hein ? Amène-moi loin d’ici.