« -roh arrête tes conneries, c’est de moi dont en parle ! » avait répliqué Abby en lui coupant pratiquement la parole. Comme s’il était capable d’avoir ce genre d’attirance pour elle. « -aller stop c’est bon ! » la discussion était stérile et ils avaient d’autres priorités. Il avait tapé où ça faisait mal et Abby n’était pas parvenue à garder le sourire, regardant ailleurs quelques secondes. Elle bougea les yeux pour croiser le regard de Seth qui s’était penché. Elle le toisa de haut en bas en serrant les dents, avant de détourner à nouveau les yeux. Ils avaient d’autres affaires à traiter. « -j’aurais préféré que tu sois en meilleure forme pour visiter mon lit. » puis elle ferma les yeux. Roh mais merde !

« -non c’est bon, c’est une question de survit là. Pas de vomi. » rien avoir. Elle n’avait pas vraiment le choix. Sinon c’était sa conscience qui allait être mal. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Et puis elle avait dit oui pour qu’il dorme ici, avec elle. Alors elle n’allait pas le foutre dehors maintenant. Surtout qu’il pissait le sang… Après… elle n’était pas certaine d’avoir des explications un jour. Une fois qu’il serait en meilleure forme, Seth redeviendrait Seth la tête de con. Et… et elle doutait vraiment qu’il réponde. Elle accepta et puis se sentit incapable de faire ce qu’il lui demandait. « -roh Seth… » râla Abby presque dans un gémissement. « -si… si… bien sur… » Chiotte ! Elle décida de vraiment le faire. « -ah bon ? » oui ba c’était plus fort qu’elle, forcement elle se devait de se foutre de sa gueule !

Lorsqu’elle eut finit, Abby aida Seth à s’allonger sur les draps, lui parlant avec douceur. « -autant que tu as besoin… » avait elle répondu avant de se mordre les lèvres, le regardant par-dessus son épaule, toujours à genoux sur le lit, dans son dos. Elle l’observa prendre l’alcool et lorsqu’il posa sa main sur la sienne, de l’autre main elle prit la bouteille : « -mon tour ! » oui là elle en avait besoin. Vraiment. Elle descendit la bouteille, essuya ses lèvres d’un revers de main et répondit : « -alors oui et non. » hors de question qu’il fasse de faux mouvements. Abby se leva pour aller chercher ce qu’il fallait pour le pansement. « -je fais le pansement et je te passe le bandage. Et toi tu l’as ferme. » oui parce qu’il allait encore dire un truc. « -ça devrait pas te faire bander ça quand même ! » ajouta Abby dos à lui, prenant compresse et tout le reste.

Elle revint vers le lit, déposa le tout, et souffla : « -bouges pas d’accord ? » sa voix était douce, tout comme la caresse de ses doigts. Elle observa quelques secondes les cicatrices plus anciennes, avant de prendre une compresse et de se mettre au travail. Quelques minutes plus tard, elle avait fini. « -voilà… » plus qu’à bander le tout. « -merde… on va faire ça avec quoi… » elle se parlait toute seule. Elle revint regarder ce que Seth avait ramener. « -y’a pas ce qu’il faut… » merde… elle réfléchit quelques secondes et finit par ouvrir son armoire à la recherche d’un foulard. Elle mit la main sur l’un d’eux, et elle hésita quelques secondes. C’était un cadeau de son ex… pour leur un an… Abby s’en saisit et revint vers Seth. Elle pencha la tête pour le regarder : « -hey… c’est presque finit d’accord ? Après tu vas faire un gros dodo… » il avait une sale tête. « -je vais me mettre derrière toi, pour tenir le pansement. Poses tes bras de chaque côté ça suffira. » elle passa derrière lui et souffla à son oreille : « -et comme ça pas d’yeux dans les yeux. » avec un peu plus de sérieux elle ajouta : « -aller on y va. » Abby fit au mieux et au plus rapide. Puis elle l’aida à s’allonger de nouveau, virant les serviettes au passage. Elle mit le tout dans le sac poubelle. Puis elle constata que ses mains étaient pleine de sang. Alors elle se tourna vers Seth : « -je… je reviens tout de suite. » elle fila dans la salle de bain et frotta ses mains avec énergie. Une fois de retour dans la chambre, elle se fit discrète et lui tourna le dos, dans l’ombre de la penderie pour changer de débardeur. Il dormait sans doute déjà.

Lorsqu’Abigail lui coupa la parole, l’agent comprit alors que le sujet était clos, tout en constatant qu’elle n’avait pas une haute opinion de sa personne pour tenir un tel discours. Lorsqu’elle insista pour mettre fin à la conversation, il rétorqua cette fois-ci « J’ai compris ! » avec cet agacement qui le piquait parfois. A la remarque qu’il formula par la suite, Seth nota la perte soudaine de son sourire, et pour lui il n’y avait qu’un homme capable de cela. Il ne l’avait pas assez indemne à l’issue de leur relation. Et le silence que lui offrit Abigail était une réponse à lui seul. Il avait raison. Enfin, ce fut au tout du trentaine de rester silencieux ensuite face à l’aveu de sa colocataire, haussant les sourcils, complément interloqué, puis finit par aligner quelques mots « Dois-je noter cette information dans un coin de mon esprit ? ». Enfin, il demandait, mais c’était déjà fait.

« Raison de plus de l’être » répliqua-t-il aussitôt alors que pour Abigail, les deux situations n’étaient pas comparables et qu’il n’avait rien à lui devoir. Pourtant, ce n’était pas ainsi que l’agent percevait lez choses. Il lui en devait une. Ça ne serait peut-être pas demain, ou la semaine prochaine, mais ça arriverait. Sauf si elle appelait les secours. Là, il serait moins redevable. Il ne voulait pas retourner dans un hôpital, et son petit laïus sur la peur eut raison d’elle. Elle abdiquait. Un soulagement l’accabla au milieu de toute la douleur qu’il pouvait éprouver et lança un regard pour seule réponse à Abigail alors qu’elle se moquait gentiment de lui. Ça ne méritait pas d’être relevé, et de toute manière, il n’avait pas l’esprit à cela.

A l’issue des soins prodigués par la jeune femme, Seth ne se fit pas prier pour prendre place sur le lit. Juste un instant. Juste le temps de rependre ses esprits. La douleur avait été difficile. Il avait été inconscient de sortir de l’hôpital contre avis médical, de ne pas accepter l’invitation de son supérieur de se faire soigner à son retour à Washington. Mais aucun retour en arrière n’était possible. Les paupières closes, il reprit lentement contenance, puis se saisit de la bouteille avant de la tendre à Abigail. Comment aurait-il fait sans elle ? Il l’observa avaler le liquide transparent, puis donna ses consignes, mais elle s’opposa à ce qu’il se charge du bandage lui-même. Il n’avait pas la force de lutter. Il était vidé. Il ne parvenait pas à savoir comment il fonctionnait encore. Un hochement de tête. Il abdiquait face à elle. Toutefois, cette dernière parvint à lui tirer un léger sourire « Je n’ai plus de force pour… ». Oui, en cet instant, il n’était plus capable de rien, pas même ça.

Assis sur le rebord du lit, Seth tourna légèrement la tête vers elle, son visage près du sien. Sa voix était douce, tout comme la caresse de ses doigts. Il resta silencieux, fixant un point invisible au sol alors que la jeune femme terminait de lui prodiguer les derniers soins. Il souffla un « On fera sans… ». Seth n’avait pas envie de chercher, de partir en quête d’un bandage. Il voulait seulement sombrer profondément dans les bras de Morphée. Finalement, ce fut la nouvelle venue qui trouva pour lui et se chargea de border son torse endoloris « OK… » fut sa seule réponse et obéit aux consignes de cette dernière, tout en précisant « Serre bien ». Cela devait maintenir son torse. Malgré la situation, Abigail parvint à lui tirer un petit rire qui le fit grimacer « Mon anatomie masculine ne fonctionne plus de toute manière » et la laissa passer ce qui ressemblait à une écharpe autour de son torse, et parvint enfin à s’allonger dans un soupir de bien-être. Son corps n’avait aspirer qu’à cela depuis son retour du Yémen. Il la laissa s’absenter, fixant le plafond. Peu à peu, il ferma les yeux, jusqu’au retour d’Abigail. Son cerveau était toujours à l’affût du moindre bruit, comme si le danger pouvait surgir de partout, n’importe quand. Seth la suivit du regard jusqu’à la penderie et l’observa un instant changer dos à lui, puis ferma les yeux avec violence. Finalement il s’était trompé. Son corps n’était pas encore assez épuisé… Le visage d’Ahmed qui s’imposa à lui en fermant les yeux eut raison des réactions de son corps et rouvrir les paupières, tournant la tête vers Abigail qui venait de le rejoindre « Encore merci… » d’une voix plein de sommeil.

« -non ! Non tu mets dans la tête que je raconte n’importe quoi quand je suis stressée. » puis elle marmonna pour elle-même : « -de toute manière, tu te souviendra de rien demain matin. » la douleur, les comprimés, la fatigue… oui, elle imaginait que Seth n’aurait pas tout retenu de leur échange de ce soir. Loin de là même. Abby joua ensuite les infirmières, non sans avoir hésité ou laissé la panique la gagner. Il restait le bandage et Abby improvisa rapidement afin que Seth puisse enfin s’allonger et dormir. Il était à bout de force, ça se voyait sur son visage. Et il venait de le dire à voix haute. Plus la force pour râler, il était vraiment à bout. Elle serra autant qu’elle put, même si elle avait peur de lui faire à nouveau du mal. Elle chercha à lui changer les idées avec une connerie. « -ça reviendra. » avait elle ajouté avant d’enfin terminer le bandage.

Abby mit un peu d’ordre, hors de question de dormir à côté des pansements souillés. Enfin dormir… elle n’était pas certaine de parvenir à fermer l’œil du reste la nuit. Pas parce que Seth était dans son lit, mais parce qu’elle venait de vivre un truc de film d’action assez irréaliste. Il fallait que l’adrénaline du moment retombe. Elle se changea rapidement, discrètement. Puis elle regarda la lit et l’homme qui s’y trouvait. La blondinette laissa allumée la lampe de chevet, comme tous les soirs depuis qu’elle était petite. Lumière faible, tamisée, non gênante. Mais rassurante. Elle s’installa sur le dos, le regard sur le plafond, les deux mains sur le ventre, doigts entrecroisés. Puis elle tourna la tête vers Seth. Il ne dormait pas visiblement… Elle se tourna vers lui et déposa le dos de sa main sur son front. Un léger sourire. Pas de fièvre. « -reposes toi. » souffla la jeune femme avec douceur.

Elle le regarda quelques instants, avant de regarder à nouveau le plafond. Elle n’avait pas du tout sommeil. Peu à peu, elle sentit la respiration de Seth se faire plus régulière. Elle tourna légèrement la tête pour le regarder. Si la douleur lui faisait oublier cette soirée, ça ne serait pas son cas. Ce qu’elle avait fait là, ce soir, jamais elle n’avait imaginé le faire dans sa vie. Elle ne pouvait que prier pour qu’il n’ait pas de complication. Seth serait encore capable de lui dire que c’était sa faute ! Elle n’osait pas bouger, de peur de le toucher, de lui faire mal. Pourtant elle finit par fermer les yeux, et s’endormir. Sans doute une bonne grosse heure après lui.

Allongé au milieu des draps de la jeune femme, ses mains jointes sur son torse recouvert d’un bandage de fortune, il avait fini par fixer le plafond quelques minutes, patientant le retour de la jeune femme qui se glissa, à son tour, dans le lit. Son regard se posa sur Abigail lorsqu’il sentit sa main se poser sur son front, toujours alerte du moindre symptôme de complication. Même s’il restait impassible devant sa douceur, il n’en était pas pour autant insensible. Cela faisait bien longtemps qu’une autre personne ne s’était pas soucié de lui de la sorte. Seth fini par fermer les yeux et peu à peu, s’enfonça dans les bras de Morphée. La douleur et la fatigue accumulée de ces derniers jours avait eu raison de lui dans cet instant d’accalmie…

Ses pas foulèrent la vétuste moquette de la chambre d’hôtel, contournant le lit qui occupait la pièce pour s’avancer jusqu’à la chaise sur laquelle reposait son contact. Il pouvait sentir la moiteur de ses mains, et chaque battement de son cœur résonnant dans sa cage thoracique. Boom... Boom…Boom... Comme s’il savait ce qui allait se produire. Comme s’il connaissait d’ores et déjà son funeste destin. Il avait la sensation d’être un simple observateur de ses actions, incapable de tout arrêter. Pourtant il criait de ne pas faire cela. D’arrêter. De quitter cette chambre d’hôtel maintenant. Mais ce fut impuissant qu’il vit son bras se tendre pour venir se saisir de la cagoule, laissant lentement apparaître le visage de l’informateur. Il crut défaillir en constatant les longs cheveux d’ébène tomber en cascade sur ses épaules au fur et à mesure qu’il ôtait le morceau de tissu. Combien de fois son visage s’était-il perdu dans ses cheveux, humant l’odeur de son shampoing à la fleur d’oranger lorsqu’elle venait se blottir tout contre lui. Comment pouvait-il oublier ces prunelles sombres qui contrastaient tant avec la douceur de son regard. Elle était là, devant lui. Il souffla alors un « Inaya » presque inaudible, comme s’il craignait que toute cette réalité vole en éclats s’il le prononçait à voix haute. Il se sentit reculer d’un pas alors qu’elle se dressait devant lui, tendant le canon de son revolver dans sa direction « Tu m’as tué » et son doigt pressa la gâchette…

Le calme ambiant de la résidence se brisa sous le hurlement de terreur qui jaillit de la gorge de Seth alors qu’il s’extirpa brutalement des bras de Morphée. La respiration haletante et le cœur battant à tout rompt, il eut besoin d’un instant pour se reconnecter à la réalité qui était la sienne. Une grimace déforma bien vite son visage alors qu’il posa sa main sur son bandage de fortune, la douleur le rappelant à lui. Il se passa une main lasse sur son visage, dégoulinant de sueur. Un regard pour Abigail qu’il avait brusquement réveillé « Rendors-toi… Je… Ça va aller » tout en posant sa main sur la sienne, et se leva du lit pour se rendre lentement jusqu’à la salle de bain. Avec lenteur, il se pencha au-dessus de l’évier, recouvrant son visage d’eau froide, puis croisa son reflet dans le miroir. Ahmed n’avait éprouvé aucune pitié. Lui aussi avait perdu quelqu’un ce jour-là… Il réitéra son geste, se rafraichissant le visage, puis l’essuya vulgairement avant de retourner auprès de la jeune femme « Je devrais peut-être dormir dans mon lit ». Elle avait eu assez de sensations fortes pour ce soir. Elle méritait une nuit paisible.

La soirée avait été longue. Abby était fatiguée. Pas autant que Seth, c’était certaine. Mais ça faisait beaucoup de sensations fortes. Trop pour sa petite personne. Elle était restée à fixer le plafond durant un long moment. Une question revenait sans cesse. Qu’est ce qui s’était passé ? Pourquoi Seth était il rentré dans un tel état à l’appartement. Et puis il y avait aussi : la plaie. Elle avait vu la forme… mais ça ne collait pas avec le professeur qu’il était. Il y avait un hic, un gros hic ! Un truc qu’elle ne comprenait pas. Il n’avait pas voulu en parler. Elle avait obéis pourtant, elle savait qu’à un moment, elle aurait besoin de réponses. Est-ce que demain il voudrait bien lui en donner ? Elle avait soupiré. Le lendemain matin, Seth serait redevenu la tête de con qu’il était de base. Alors elle pouvait dire adieu à ses réponses. Elle devrait se contenté du merci qu’il avait dit ce soir. Elle trouva ça un peu injuste. Ce soir, elle avait fait pour lui quelque chose de dingue. Vraiment… elle avait repoussé ses limites. Vraiment. Et tout ça sans vraiment le connaitre. Ils n’étaient pas amis après tout. Elle ne connaissait pas grand-chose de lui. Et en même temps, elle n’allait pas le laisser crever sur le palier ! Elle s’endormit sur cette penser.

Abby fit des rêves avec des litres et des litres de sang. Elle avait beau appuyer sur la plaie, rien à faire, ça continuait de couler encore et encore. Elle hurla quelques secondes après Seth. Elle ne sut pas si c’était parce qu’il l’avait réveillé ou si c’était à cause de son cauchemar dans lequel elle l’avait vu hurler. Assise dans le lit, le souffle court, elle tourna le visage vers Seth, glissant rapidement les deux mains dans ses cheveux en détournant le visage vers le plafond. « -non je crois pas… » souffla la jeune femme autant perturbé par son cauchemar que par le visage de Seth à ses côtés. Elle retira sa main de sous la sienne, peut-être un peu trop brusquement. Puis elle fixa un point sur le drap. Elle avait la nausée. Elle le laissa se lever, et en fit de même quelques minutes plus tard. Direction la cuisine pour elle. Elle prit une bouteille d’eau et en avala presque la moitié. Elle remonta les marches avec lenteur, une autre bouteille pour Seth entre les mains. Abby la déposa sur la table de nuit, afin qu’il la trouve si il en voulait. Puis elle s’approcha de la fenêtre, délaissant le lit pour chercher un peu d’air frais. Elle se retourna lentement en entendant Seth revenir dans la chambre. « -comme tu veux… » souffla Abby. Elle n’allait pas lui dire de rester, il allait se faire des idées. Et elle n’allait pas non plus poser de questions. Visiblement il avait fait un cauchemar. Vu son état physique, elle imaginait qu’il s’agissait de ce qu’il avait subi. Elle dit cependant : « -il dois faire chaud dans ta chambre… » ici, la fenêtre et la porte ouverte, un courant d’air passait. C’était sans doute un moyen de le retenir. Il faisait ce qu’il voulait. « -évites seulement de trop bouger… » lui faisant comprendre avec un regard qu’elle ne recommencerait pas une seconde fois ce qu’ils avaient fait plus tôt. Elle demanda tout de même : « -ça va la douleur ? » elle ne bougea pas, toujours assise sur le rebord de la fenêtre, genoux pliés, dos légèrement vouté.

Cela faisait plusieurs années que ses Démons venaient le hanter à la nuit tombée. Rares étaient les nuits paisibles. Avec le temps, il s’était fait une raison, considérant cela comme le prix à payer pour la mort qu’il avait causé en Afghanistan. Toutefois, peu de cauchemars étaient parvenus à le réveiller au beau milieu de la nuit, comme aujourd’hui. Son corps en émoi, Seth ne parvenait pas à reprendre contenance aussi rapidement qu’il l’aurait souhaité. Il tenta de rassurer Abigail qu’il avait brusquement réveillé dans son élan, et resta silencieux face à sa réponse. Il ne le pensait pas non plus. Ce fut dans un silence de plomb que ce dernier se dirigea jusqu’à la salle de bain, s’autorisant un instant de solitude. L’eau froide sur son visage lui permis de renouer avec la réalité, sans pour autant faire disparaître le visage d’Inaya de son esprit. Le temps n’avait apparemment pas d’emprise sur la culpabilité. Sur ces pensées, l’agent s’essuya vulgairement le visage tout en revenant jusqu’à la chambre d’Abigail d’un pas lent. Il n’était pas certain que poursuivre la nuit dans cette chambre leur serait profitable à tous les deux. La jeune femme avait besoin de retrouver son équilibre, une certaine quiétude qu’il était venu balayer d’un revers de main par sa seule présence ce soir. Elle ne s’y opposa pas. Parfait. Le regard se Seth se posa sur la bouteille d’eau qu’il porta à ses lèvres, appréciant la fraicheur du liquide coulant le long de son œsophage.

Tout en rebouchonnant ladite bouteille qu’il déposa ensuite sur la table de nuit, Seth rétorqua « Peut-être… » alors qu’il posa son regard sur la jeune femme. À dire vrai, il n’en avait pas la moindre idée, et ce n’était pas sa préoccupation première ce soir. Sa main se posa machinalement sur le bandage de fortune qu’elle lui avait fait « Je vais essayer » tout en restant debout aux côtés du lit, ne parvenant pas à quitter la pièce. Il ne souhaitait pas être seul. Il n’en avait pas envie. Il avait presque peur de se retrouver avec lui-même pour seule compagnie. « Un peu mieux que tout à l’heure » avoua-t-il alors que ce n’était toutefois pas encore l’idéal. Il aspirait à des jours meilleurs. Pas particulièrement remis des derniers évènements, Seth décida de prendre place sur le rebord du lit alors qu’il sentait ses jambes défaillirent peu à peu sous son poids « Je me suis rendu à Boston pour rendre visite à mon oncle, et un soir, alors que je rentrais jusqu’à sa résidence, je me suis fait prendre en embuscade par trois types un peu louche. Ils en voulaient à mon argent. Enfin… C’est ce que j’ai pensé au début, parce qu’ils ne sont pas partis après leur avoir donné mon portefeuille. Ils ont échangé un regard entendu, puis se sont rués sur moi. J’ai tenté de me défendre du mieux que je le pouvais, mais face à eux, j’étais impuissant. Je gisais au sol quand l’un d’eux a sorti une arme et a fait feu… ». Il resta silencieux une seconde, déglutissant avec difficulté, puis reprit « Ce sont des passants qui les ont fait fuir, et c’est comme ça que j’ai pu m’en sortir ». C’était un mensonge. Il le savait. Mais le fond restait vrai. Il avait été sauvé par l’intervention des militaires postés à proximité. Sans eux, il ne serait pas là ce soir. Toutefois, il ne pouvait rien lui dire. Il se mettrait en danger, lui, mais elle aussi. Il ne connaissait que trop bien le prix que coûtait un tel métier… Seth tourna la tête en direction d’Abigail « Je t’avais dit que je t’expliquerais ». Un regard pour le lit et ajouta d’une voix moins assurée « Je peux rester ? ».

Abby avait toujours eu peur dans le noir. Se réveiller en pleine nuit, ça lui était arrivé des milliers de fois depuis qu’elle était gamine. Généralement, malgré la lumière de la lampe, elle était incapable de retrouver le sommeil. Pourtant ce soir, elle était fatiguée. Elle sentait vraiment qu’elle avait besoin de dormir. Sauf qu’une fois revenu de la cuisine, elle peinait à chasser les images de son rêve de son esprit. Elle réalisa que ça aurait pu se passer ainsi. Qu’elle se loupe, qu’il se vide de son sang là, sur son lit… Ils avaient été totalement inconscient de faire ça. Du grand n’importe quoi. Et pourtant, elle avait accepté de le faire. Cela la mettait devant un nouveau dilemme. Seth lui-même l’avait soulevé l’autre jour au petit déj’. Faire passer les autres avant elle. Maintenant c’était son esprit qui lui envoyait des images horribles. Si elle l’avait emmener à l’hôpital, il aurait été prit en charge. Elle aurait pu lui tenir la main.

Abby ferma les paupières avec force avant d’entendre Seth revenir de la salle de bain. Il l’avait supplié de ne pas le laisser seul ce soir, et voilà qu’il se ravisait. Elle n’allait pas le retenir. Il faisait bien comme il voulait. Elle parla de la chaleur, parce qu’elle avait la sensation d’étouffer là. Puis elle lui demanda de ne pas faire le con. « -non, fait le. » ça voulait dire clairement qu’elle ne renouvellerait pas l’expérience. Puis elle redressa la tête et demanda tout de même si la douleur était supportable. « -les anti-douleurs sont sur mon bureau. Tu peux en prendre un autre. » ça ne servait à rien de souffrir inutilement. Mais elle était presque convaincu qu’il allait dire non. En bonne tête de con qu’il était. Elle le regarda s’asseoir, avant de posa l’arrière de sa tête contre le mur. Elle bougea uniquement les yeux lorsqu’il prit la parole. Elle resta silencieuse, chose qui n’était pas habituelle chez elle en présence de Seth. « -tu as porté plainte ? » demanda Abby sans faire de scène suite à ce récit. Ça arrivait malheureusement. Mauvais endroit, mauvais moment. « -c’est toi qui voulait partir. Je t’ai pas chassé. » répondit la jeune femme toujours sur le même ton posé. Pour le moment, elle n’avait pas le cœur à plaisanter. Pourtant ça aurait été facile : ils aimaient pas ta gueule. T’avais qu’à leur sourire. Ou encore : tu peux plus te passer de moi. Mais elle tourna de nouveau la tête vers la fenêtre. Un long moment de silence et elle finit par souffler : « -tu aurais pu crever dans cette ruelle et on en aurait jamais rien su… » c’était un constat un peu macabre mais c’était la vérité. Elle tourna de nouveau la tête pour le regarder : « -allonge toi. » elle n’avait pas la moindre envie de le voir tomber là. « -t’as… t’as revu la scène ? » elle fit tourner son index devant elle comme si cela allait l’aider à comprendre sa phase : « -dans ton rêve, je veux dire. » elle se pinça les lèvres et enchaina sans qu’il ait le temps de répondre : « -j’ai rêvé que tu perdais des litres et des litres de sang… que j’étais totalement impuissante. » aller savoir pourquoi elle lui disait ça. Il devait bien s’en foutre.

Face au miroir de la salle de bain, il fit l’amer constat qu’il n’était en paix nulle part. Dans ses rêves ou dans la réalité, il n’était jamais apaisé, jamais serein. Lorsque l’on essayait pas de lui nuire dans son quotidien, cela se produisait dans ses cauchemars. Il venait presque à s’interroger de savoir s’il parviendrait à renouer avec une certaine quiétude un jour ou l’autre. Peut-être dans la mort…et encore. Au vu des vies qu’il avait pris ou contribué à prendre, il s’attendait à poursuivre sa vie de l’au-delà dans les flammes de l’Enfer, un tant soit peu qu’il y croyait. Un nouveau coup d’eau sur le visage et rejoignit Abigail dans la chambre. Elle restait à distance de lui, du lit. Des événements de cette nuit. Finalement, Seth n’était pas certain de vouloir poursuivre sa nuit entre ces murs. La jeune femme devait pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Elle ne s’opposa pas à sa décision, elle souhaitait seulement qu’il prenne soin de ses blessures. Il essayerait. Un mot qu’elle ne voulait pas entendre. Il fut presque interloqué par sa réponse, et souffla un « Je le ferais ». Si c’était ce qu’elle voulait entendre, alors soit.

Son regard se posa sur le bureau où elle avait déposé les antidouleurs, et s’approcha de ce dernier, sa bouteille d’eau en main, et avala deux comprimés. Si ça n’atténuait pas complètement sa douleur, ça le ferait sûrement avec son esprit. Seth finit par rejoindre le lit sur lequel il prit place, ses pieds toujours au sol, et après un bref silence, se lança dans un monologue afin de justifier ses blessures. Un mensonge à la sauce CIA. Il posa ses yeux clairs sur Abigail alors qu’elle ne le prit pas en pitié. Ce qu’il apprécia. « Je n’ai pas vu leurs visages ». Cela justifiait l’absence de dépôt de plainte, et le trop de questions sur leurs identités. A trop mentir, il risquait d’en perdre le fil et de soulever des soupçons de la part de son entourage. Sa vie était bien assez complexe ainsi. Finalement, le trentenaire ne voulait pas rejoindre la solitude de sa chambre et esquissa un sourire à la réponse pertinente de cette dernière « C’est vrai ».

Il déposa ses jambes sur le lit, son dos contre le mur et fixa la jeune femme qui semblait vouloir maintenir cette distance entre eux. Son constat le laissa silencieux quelques minutes alors qu’il ne la quittait plus du regard « C’est une manière de voir les choses. Oui ». Funeste constat. S’il était décédé au Yémen, il se serait resté un inconnu pour le reste du monde. On aurait sortit une belle histoire à ses colocataires, une autre à son oncle, et la vérité serait restée un secret pour tous. Il n’aurait été qu’une étoile accrochée sur le mur de Langley. Une parmi tant d’autres, représentant les agents tombés en mission. A la demande d’Abigail, il se laissa glisser sur les draps, remontant légèrement l’oreiller pour y poser sa tête. Il n’eut le temps de répondre à la question de cette dernière, qu’elle lui fit part de son cauchemar. Ce n’était en rien étonnant. Les civils n’étaient pas entraînés pour ce genre d’événements, et encore moins une informaticienne. Il l’observa un instant avant de souffler un « Je suis désolé » sincère. Il était l’unique responsable. « Regarde, je vais bien… » en faisant une tentative de sourire, puis ajouta « C’est pour ça que tu gardes une certaine distance entre nous, ou c’est que tu ne peux plus voir ma gueule ? »

Il s’était donc fait agressé au détoure d’une ruelle. Pourquoi est ce qu’elle avait du mal à y croire ? C’était possible pourtant. Le monde partait en vrille, les gens devenaient dingue. Alors c’était possible… « -ça n’empêche pas… tu n’es peut-être pas le seul qu’ils ont agressé. » avait répliqué Abby toujours sur ce même ton posé. C’était important. Visage ou pas, au moins c’était signalé. Mais il faisait bien comme il voulait. Elle n’était pas sa nana encore moins sa mère. Elle ne lui avait pas dit de quitter sa chambre. C’était lui qui était revenu de la salle de bain avec cette idée en tête. Alors oui, il pouvait rester. Ça éviterait de faire le ménage dans deux chambres de font en comble. « -repose toi. » insista Abby. C’était important. S’il ne parvenait pas à trouver le sommeil, elle comprenait, mais elle voulait vraiment qu’il évite de bouger.

« -je trouve ça horrible… » souffla Abby le regard dans le vague. Mourir comme ça… Ils ne se connaissaient pas assez pour qu’elle puisse dire qu’ils étaient amis. Malgré tout, surtout malgré son caractère, elle l’appréciait d’une certaine façon. Alors oui, l’évidence des faits lui créa une sorte d’enclume dans l’estomac. Elle enchaina avec ce qui l’avait réveillé lui. Mais recentra rapidement sur elle. Un regard. Il était désolé. Super ça allait vachement l’aider à se sentir mieux. « -fais en sorte que ça continue s’te plais… » souffla Abby avec un pâle sourire. Elle avait eut peur. Pas seulement dans son rêve. Un léger sourire en coin : « -depuis quand t’as besoin qu’on soit proche ? » demanda Abby en lui jetant un regard. N’importe quoi. « -j’ai mis plus d’une heure à m’endormir tout à l’heure. Parce que j’ai peur de te filer un coup en dormant. » elle sourit pour elle-même de façon ironique : « -sans compter le fait que j’ai perdu l’habitude d’avoir quelqu’un dans mon lit. » elle avait tendance à prendre toute la place, toute la couette. Et ça, c’était quelque chose qu’elle adorait dans son célibat. Elle bougea enfin pour venir récupérer son roman sur la table de nuit. « -essaie de dormir. T’en as plus besoin que moi. » elle dormirait demain. « -j’ai des somnifères si tu veux. » si ça pouvait l’aider. Elle regagna sa place sur le rebord de la fenêtre, et ouvrit son roman. Elle n’avait pas envie de parler, de plaisanter ou quoi que se soit d’autre. Elle avait besoin de s’évader un peu là… de penser à autre chose qu’à ce qu’elle avait fait, qu’aux cicatrices étranges de Seth et sa présence dans sa chambre.

Si Seth avait choisi de mentir, c’était tout simplement parce que la vérité n’était pas accessible à tout le monde. Avouer qu’il était un agent de la CIA, blessé en mission au Yémen parce qu’il y a quelques années de cela, il avait participé implicitement au meurtre de la femme qu’il aimait… Que ce frère qui avait toujours voué sa vie à protéger sa petite sœur avait désiré sa mort, jusqu’au sacrifice ultime… Non, il en était incapable. Abigail ne pourrait pas comprendre. Personne ne le pouvait pas vraiment. L’image de James Bond était séduisante, celle d’un réel agent du Gouvernement l’était moins. Il s’était salis les mains au nom de la Maison Blanche, il avait empêché des coups d’États, des attentats terroristes. Il avait menacé, transigé, et parfois même tué pour parvenir à ses fins. Ou plutôt aux fins de son État. Les Hommes d’en haut dormaient sur leurs deux oreilles, pendant qu’il était hanté par ses démons à la nuit tombée. Alors oui, ce soir, dans la presque pénombre de la chambre à coucher de la jeune femme, il avait menti. Il avait créé une agression de toute pièce, sans avoir la conviction qu’elle le croyait sur parole. Elle doutait peut-être de la véracité de ses propos. Mais ce mensonge était toujours préférable à la sombre vérité qui se cachait derrière. Cela lui importait peu qu’elle y croit ou non. C’était la seule version qui lui livrerait sur ses blessures. Bien évidemment, Abigail l’interrogea sur les faits. Avait-il porté plainte ? La réponse était non. On ne portait pas plainte contre des fantômes « Cela ne changera rien ». En vérité, son agresseur avait sûrement péri de ses blessures, ou se trouvait alors dans une cellule, d’une prison de haute sécurité, attendant son heure. Parce qu’il n’y aurait aucun jugement. Il n’y en avait jamais pour eux.

Son agression n’avait pas laissé indemne la jeune femme, ou plus particulièrement ce qu’il lui avait demandé de faire pour sa survie. Alors, lorsqu’elle lui demanda de se reposer, il ne se fit pas prier et prit place sur le lit de cette dernière. Le constat que fit Abigail sur son agression, dans cette ruelle, fut bien sombre pour une femme qui semblait être si pleine de vie. « Ça ne l’est que pour ceux qui restent » répondit-il à la jolie blonde qui se tenait à quelques mètres de lui. Ce sont les proches qui souffrent de la disparition de l’être aimé, pas l’être aimé lui-même. Alors apprendre qu’il était décédé dans une ruelle sombre, ou dans cette miteuse chambre d’hôtel de Hodeïda, ça n’aurait fait souffrir que les personnes qui lui étaient proches, et uniquement elles. C’était lui qui souffrait de la disparition d’Inaya. C’était lui qui portait dorénavant la mort de son frère sur la conscience. Lui et uniquement lui. La tête posée contre le mur, il finit par la tourner en direction de la jeune femme. Il lui avait causé du tort en lui imposant une telle situation, et s’en excusa. Il ne l’avait jamais souhaité. Un hochement de tête, comme une promesse silencieuse. Et fit le constat, à voix haute, de la distance qu’elle leur avait imposé « Je n’en ai pas besoin. Seulement, c’est ta chambre, et ton lit ». Alors si sa présence le dérangeait, il pouvait partir. Ses explications ne furent pas particulièrement rassurantes pour le trentenaire qui se sentait réellement comme un indésirable dans sa chambre. « Je préfère éviter de prendre trop de médicaments » souffla-t-il, sentant bien que les antidouleurs brouillaient quelque peu son esprit. Il suivit du regard la jeune femme qui prit possession de son livre pour le lit contre la fenêtre « Je ne vais pas mourir parce que tu m’auras mis un coup durant la nuit, tu sais… Mais si ce sont vraiment tes craintes, je peux aller dormir dans ma chambre Abigail. Ça ne sera pas la première fois que je ferais des cauchemars ».