J'ai 35 ans et je vis à Paris, rue Frédéric Sauton -(5e arrondissement), France. Dans la vie, je suis propriétaire d'une librairie et je m'en sors comme je peux, au vu des restrictions.... Sinon, je suis célibataire mais je ne suis jamais seul bien longtemps.
Bien sûr que c’était de sa faute. Du moins, Lucien en était convaincu. Il avait beau comprendre que l’émotion la britannique avait atteint son paroxysme quelques heures auparavant, imaginer perdre cette amitié pour un geste ou une parole de trop lui serrait l’estomac. Bien sûr qu’il s’en voulut, et qu’il s’en voudrait encore une fois qu’elle aurait regagné son domicile.
Le français acquiesça d’un signe de la tête, incapable de lui refuser le temps dont elle avait besoin pour se remettre sur pieds. Qui pouvait décliner une telle demande, après tout ?
Là où n’importe quel homme aurait entendu qu’elle l’appréciait, lui retint le besoin d’espace qu’elle lui expliqua. En écho à son esprit, et comme si elle lisait à travers lui, elle insista sur le fait que ce n’était pas de sa faute. Comme si elle lisait dans ses pensées, comme s’il était beaucoup trop prévisible.
Les yeux brillants d’une émotion qu’il s'efforça de contenir, Lucien observa Helene déposer une bise sur sa joue. A cet instant précis, le libraire était spectateur de sa vie, et il détestait cela de tout son être. “C’est à toi que je dois le souhaiter.” Finit-il par lui répondre d’une voix douce, à sa demande de prendre soin de lui. Il manquait d’un peu de sommeil, certes, mais rien de comparable à ce qu’elle avait pu vivre au point de se retrouver prostrée dans les coulisses du théâtre. ”Au revoir Helene.” dit-il à voix basse et dans sa langue natale avant de reculer de quelques pas.
Lucien ignora les dernières paroles qui lui soufflèrent aux oreilles : elle était sa cliente. Il lui suffirait de venir à la librairie pour le revoir, comme toujours.
Il attendit qu’elle ait franchi la porte de chez elle, puis se retourna pour entamer le retour dans une ambiance bien moins légère. Le cœur lourd, le français se demanda s’il n’avait pas mis un terme à toute cette complicité. Et si elle avait imaginé qu’il profiterait de ses faiblesses ? Cette simple pensée lui arracha un frisson d’angoisse.
* * *
Les jours qui suivirent ces échanges, et ce malgré les nuits agitées de l’homme, se passèrent relativement calmement. Il évita les horaires habituels de la librairie, trop honteux pour espérer croiser Helene pour le moment.
En revanche, lorsque la voix de la britannique retentissait sur la scène du théâtre, son cœur continuait de se serrer dans sa poitrine.
Pendant quelques semaines, Lucien et Helene ne firent que se croiser dans des moments trop peu importuns -et Lucien en était totalement responsable. Lorsque leurs regards se croisaient, le français lui adressait un sourire, puis s'éclipsait avant qu’elle ne puisse engager la conversation. C’était de sa faute à lui, elle n’avait pas besoin de se justifier de vouloir de l’espace.
Elle était sa cliente, et une actrice qu’il devait mettre en lumière les soirs où elle jouait. C'était tout.
* * *
En parlant de jouer, justement, ce soir-là, Lucien était passé à la Régie pour récupérer une ampoule neuve. Un des projecteurs principaux avait rendu l’âme. Déjà en tenue de régisseur, le français -que tout le monde appelait Lulu en coulisses- s’était faufilé derrière la porte sans imaginer surprendre de conversation.
A cette heure-ci, la pièce était toujours vide. “Non Antoine, ton visage leur est trop familier, ce serait risqué.” Il ne distinguait pas l’auteur de ces paroles, mais il n’était pas difficile de savoir qui en était le destinataire. “Qui veux-tu envoyer ? Nous ne pouvons avoir confiance en personne.” Avait rétorqué sèchement Antoine, le metteur en scène.
Tout en voulant rester discret, Lucien aperçut l’objet de sa recherche à quelques pas de là et s’y dirigea sans faire de bruit. Enfin, c’est ce qu’il pensa, mais c’était sans compter le tas de feuilles jonché sur un bureau qui bascula dans son sillage. Lucien leva les yeux au ciel, maudissant sa maladresse. Il était plutôt agile en temps normal, mais les messes basses l’avaient décontenancé.
“Lulu ? C’est toi ?” Il se râla la gorge, mais finit par se montrer à Antoine -et l’homme inconnu à ses côtés-, l'air désolé. “Je ne voulais pas interrompre votre conversation, désolé. Je venais chercher une ampoule pour le projecteur.” Antoine ne répondit pas, les prunelles fixées sur le visage de Lucien. Le concerné se demanda même s’il n’était pas en train de tester sur lui une technique d'illusionniste dont on entendait parler partout dans les journaux, et qui servait à distraire les Boches. “Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?” Déclara Antoine comme une évidence. “Pensé à quoi ?” Questionna le français.
* * *
Plus de dix semaines s’étaient écoulées depuis qu’Antoine lui avait attribué un nouveau nom, puis deux… puis il avait arrêté de compter. Le justificatif d’identité qu’il portait sur lui en longeant la scène, en ce début d'automne, portait le prénom de Will.
Will était libraire, lui aussi. Son identité finale, il espérait.
Dix semaines intenses, qu’il avait passées à modifier son trajet pour brouiller les pistes. Il avait alors constaté que se rendre en territoire libre n’était pas aussi évident qu’il le pensait en quittant Paris. L’Occupant n’avait pas apprécié la fuite des parisiens...
A chaque arrêt, son interlocuteur suivant l’attendait avec une nouvelle identité, un nouveau billet de train, et un nouveau contact à rechercher. Et tout cela dans quel but ? Passer un message vers les agents d’Antoine qui propageaient le réseau sur tout le territoire.
Quelques mots d'un poème de Baudelaire l’avaient obligé à se cacher, et jouer plus d’un rôle. Par delà les confins des sphères étoilées. Que signifiait ce message ? Il savait bien qu’il ne pouvait pas le comprendre puisqu’il était le messager. Tant de précautions qu’il ne comprenait pas.
Qu’il ne pouvait pas encore comprendre.
Lucien avait atteint Marseille, et fini par délivrer ses quelques bribes de poème à une petite fille alors qu’il faisait la queue pour aller chercher du beurre dans une file de rationnement à proximité du Port. Ainsi, il avait compris que même les enfants étaient utilisés par les Résistants. Tout ce qu’il entendait dans la rue, les rumeurs qui circulaient... Tout cela ne le rassurait pas sur ce qu’il se passait à Paris. Pourvu que sa mère se porte bien, Louise et Marcel aussi. Plusieurs fois, il espéra qu’Helene aussi allait bien.
Mais il était parti trop soudainement pour avoir pu prévenir ses proches.
Plus de dix semaines après son départ, Lucien ne reconnaissait plus la ville qu’il chérissait tant. Pourtant, les arbres jaunis par l'automne n'avaient pas bougé. Était-ce la succession d’épreuves qu’il avait dû traverser avant de revenir ? Peut-être avait-il développé de la paranoïa à force d’entendre tous ses alliés le mettre en garde. Il le savait : il avait un physique qu’on ne pouvait pas oublier, alors il fallait qu’il se fasse le plus petit possible.
Lucien se força à reprendre son identité normale pour se remettre dans le droit chemin. Il laissa ses jambes le porter vers son domicile, mécaniquement. A ce rythme, tout n’était que réflexe. Dix semaines plus tard, et Lucien avait la sensation d’avoir quitté Paris depuis des années. Son physique très aminci -beaucoup de mouvement, peu de rationnement- pouvait tout à fait lui donner raison...
Il n’eut pas la moindre idée de pourquoi son subconscient l’avait conduit jusqu’à la cour de l’immeuble de Louise, mais il semblait lui souffler qu’elle devait être la première à le savoir rentré. Ce n’était pas une si mauvaise idée, après tout. Si Louise apprenait son retour de la bouche de quelqu’un d’autre, il pouvait dire adieu à Will, mais aussi à Lucien.
Prenant son courage à deux mains, le français monta les dernières marches vers ses retrouvailles, entreprit de toquer, resta un instant immobile… La peur d'avoir déçu son amie... Et puis, il se résigna.
Les yeux assassins derrière la porte ne se montrèrent que sur une courte durée. “Lucien, mais bon sang, qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?” Elle fondit en larmes, lui sautant au cou sans lui laisser l’opportunité de dire quoi que ce soit pour se justifier.
Will rentrait de mission, mais Lucien était allé aider un vieil ami à gérer sa ferme alors qu'il venait de perdre sa femme de la grippe.
J'ai 33 ans et je vis là où me mène mes recherche, partout dans le monde. Dans la vie, je suis Docteure en médecine, tératologie et biologie et je m'en sors bien. Sinon, grâce à ma chance-malchance, je suis mariée sur le papier, mais je me considère divorcée
Helene avait espéré que ses paroles aient pu rassénérer un peu Lucien. Un espoir vint, elle le savait bien. Il se sentait toujours coupable, elle n’avait pas besoin de lire dans ses pensées pour le savoir. Elle se sentit monstrueuse de lui infliger cela. Voilà ce que John la poussait à faire, mais penser à lui rouvrait les blessures profondes qu’il avait créé et remettait en perspective sa relation avec le libraire. Elle avait besoin de temps, besoin de réfléchir, besoin de poser les choses et de s’éloigner de tout cela, quand bien même elle ne pouvait fuir ses responsabilités, ni se plonger dans ses expériences lorsqu’elle se sentait mal. Ici, à Paris, tous ses repères étaient bouleversés et Lucien semblait au cœur de ses bouleversements. Trop de choses qu’elle ne pouvait supporter en une seule fois. Elle avait besoin de s’éloigner de tout cela, besoin de se protéger et peut-être… de protéger Lucien. Plus il s’approchait d’elle, plus il risquait sa vie, et elle craignait la réaction de John. Trop de choses se mélangeaient et, comme toujours, sa première réaction était de se renfermer, de ne compter que sur elle-même…
La porte se referma sur elle, la replongeant dans le tumulte de sa vie, malgré toutes ses pensées tournées vers Lucien, John, et tous les événements de cette soirée.
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Les semaines qui suivirent s’enchainèrent sans lui permettre de se poser sur ses sentiments. Elle avait annoncé la présence de John à William, qui avait prit la nouvelle avec contrôle, mais elle pouvait distinguer l’éclat de colère dans ses yeux sombres. Tous deux étaient pourtant bien conscient de la réalité qui s’imposaient à eux avec cette nouvelle, de ce qui devrait se faire au fil des semaines. Et Helene connaissait suffisamment son ex-mari pour savoir à quel point il pouvait se montrer secret sur les informations qu’il recueillait. Sa situation n’avait rien de simple et, malgré les capacités dont il était doté, il ne pouvait être totalement libre de ses mouvements.
Oui, Helene était consciente de tout ceci et consciente du rôle qu’elle finirait par jouer à travers cela. Il avait trouvé le contact parfait, si elle cessait de le fuir…
Toute à son angoisse sur le sujet, les semaines s’étaient écoulées, ne laissant que peu de place à la réflexion, dans une attente de croiser des yeux bleus perçant, et pas ceux dont elle regrettait tant la présence. Parmi tout le tumulte de sa vie, la médecin pensait à lui, aux derniers mots échangés, au dernier regard et cette douleur qu’elle lui avait infligée. Elle s’en voulait pour cela, mais ne réussissait pas à se débarrasser de cette angoisse sourde quand elle pensait à lui, plus encore quand elle le croisait au théâtre. Une partie d’elle désirait lui expliquer, mais plus forte était les sentiments confus et tempêtueux qui l’assaillaient.
Et John qui ne revenait pas, lui ferait presque douter des événements qui l’avaient tant éloigné de son seul ami à Paris. Elle regrettait, mais elle ne pouvait revenir en arrière. Alors elle assurait tous ses rôles, soignait des gens, montait sur les planches du théâtre et essayait de tenir.
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Deux semaines s’étaient écoulées sans qu’elle ne voit Lucien au théâtre, ne serait-ce que de loin, et ce n’était pas faute d’observer avec soin l’équipe technique, mais personne ne semblait savoir où il se trouvait. Elle savait qu’elle avait demandé un peu de temps pour faire le point, mais elle ne souhaitait pas couper complètement les ponts avec lui de cette façon. Et son inquiétude se faisait de plus en plus sourde au fil des jours, ne sachant que trop bien ce qui se passait dans cette ville, la violence et les enlèvements. Elle ne pouvait repousser cette idée, cette angoisse, malgré tous ses efforts pour faire taire son inquiétude et contrôlé son imagination. Elle savait ô combien cela était délétère.
C’est dans ce climat tendu qu’elle le revit. Pas l’homme qu’elle avait repoussé, mais l’homme qui l’avait blessé. Leurs yeux se croisèrent, dont l’éclat se confrontait. Un combat s’engagea entre son devoir et son envie de fuir cet homme. La première fut plus forte et elle vint à sa rencontre, aussi glacial que les eaux du nord. « Tu ne t’enfuis pas cette fois ? questionne-t-il avec une certaine prudence en l’observant. Ses yeux se baissent sur son poignet. Excuse-moi pour la dernière fois, je… » Commence-t-il, avec une expression presque convaincante. Helene se tendit, croisant les bras, relevant le menton pour se donner plus de force. « Je n’ai que faire de tes semblant d’excuses. Dis-moi simplement ce que tu as à dire. » Son expression glaciale et sa posture firent taire John, qui prit une bouffée de sa cigarette, avant de donner quelques précieuses informations, leur conversation couverte par le bruit de la musique dans le club. Sitôt terminé, Helene ne resta pas plus longtemps en sa présence. S’appuyant contre le mur, son corps entier se mit à trembler, sa respiration devenir difficile et son esprit devenir fou d’angoisse. La douleur à son poignet revint, comme s’il l’avait à nouveau saisi.
L’insupportable douleur hurlait dans son esprit, se répandait dans son corps et elle était seule.
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Les semaines s’écoulèrent et furent intenses et éprouvantes, tant physiquement que moralement. Helene ne cessait d’enchaîner ses obligations sans pause, passant d’une identité à l’autre. De Helene, l’assistant médicale – plus médecin qu’assistante – à l’écoute des maladies mais surtout des souffrances psychiques, à Elana Sand, l’actrice aux oreilles indiscrètes, et pour finir par Robin Hood, au cœur d’une des cellules de la rébellion à Paris, aidant ceux qu’elle pouvait, plus encore les siens. Helene oscillait entre tous ses rôles, jusqu’à parfois – souvent – avoir l’impression de perdre son identité.
Plus éprouvant encore, les pensées de désespoirs, de peurs, de douleurs, et bien pire encore, qui hantaient ses nuits et certains de ses jours. Plus le temps passait et moins elle pouvait se laisser-aller, se détendre et espérer couper les ponts avec tout cela. Systématiquement, les pensées venaient l’envahir, et lorsqu’elle finissait par réussir à endiguer le flot et se retrouver avec elle-même, c’était ses propres angoisses qui la frappaient de plein fouet. Plusieurs fois elle avait rencontré John, jamais de façon constante et prévisible, et chaque soir, une boule d’angoisse se formait en son sein, ignorant si elle verrait à nouveau cet homme.
Helene s’inquiétait pour l’Angleterre et ses quelques proches restés là-bas, ayant appris les raides allemands et plus encore, elle s’inquiétait pour Lucien, dont elle n’avait aucune nouvelle depuis des semaines. Elle était allée à la librairie et s’était confrontée à l’angoisse d’une mère pour son fils, bien qu’elle cherche à la dissimuler. Depuis, elle passait souvent, voyant que sa présence rassurait Georgette. C’est durant l’une de ses visites qu’elle avait croisé Louise, qui était animée de cette même inquiétude qui semblait les souffler toutes les trois pour le même homme. Depuis, les deux femmes s’étaient rapprochées, la française invitant régulièrement Helene à boire le thé, s’ouvrant au fur et à mesure à quelques confidences, essayant de trouver un certain soutien auprès de l’autre.
C’était d’ailleurs chez la jeune femme que ses pas la conduisaient. Elle était en retard, ayant dû clôturer quelques dossiers plus tard que prévu. La porte s’ouvrit sur le visage encadré de cheveux flamboyants, les yeux rougis, mais un sourire éclatant aux lèvres. « Helene ! J’ai une merveilleuse nouvelle, viens ! » L’intéressée n’eut pas le temps de dire quoique ce soit, qu’elle se fit entraînée par la tornade.
Arrivée dans le salon, les yeux d’Helene se posèrent sur la silhouette qui s’y tenait. Son esprit eut besoin de quelques secondes pour assimiler l’information sur celui qui se tenait devant elle. La peur, l’angoisse, la douleur, toutes ces émotions accumulées durant les dernières semaines semblèrent soudainement s’évanouir, submergé par une vague de soulagement. Avant de savoir comment, elle venait de traverser la distance qui les séparait, passant ses bras autour de son cou, son corps tremblant sous l’émotion. « Où étais-tu ? J’ai tellement eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose… » Murmure-t-elle contre lui, sentant une chaleur rassurante venir remplacer le froid. Je croyais ne jamais te revoir. Pensa-t-elle en fermant les yeux embués, prenant une profonde inspiration, découvrant à quel point cet étreinte lui avait manqué.
Si cet instant sembla duré une éternité et une seconde à la fois, ce ne fut qu’un bref instant, avant qu’elle ne se reprenne et relâche son étreinte pour s’éloigner de lui. Elle replaça, un peu nerveusement, une de ses longues mèches de cheveux, se rendant compte de la présence de Louise, mais aussi de l’état amaigri et de fatigue dans lequel le libraire semblait se trouver. « Excuse-moi, je me suis laissée emporter. Elle le regarde, souriant de soulagement. Je suis contente de te voir. » Que tu sois encore vivant. Elle l’était oui, même si elle sentait d’autres émotions, plus contenues, qu’elle n’était pas en droit de lui faire subir.
J'ai 35 ans et je vis à Paris, rue Frédéric Sauton -(5e arrondissement), France. Dans la vie, je suis propriétaire d'une librairie et je m'en sors comme je peux, au vu des restrictions.... Sinon, je suis célibataire mais je ne suis jamais seul bien longtemps.
Lucien. Cela faisait tellement longtemps qu’on ne l’avait pas appelé par ce prénom. Il laissa la femme enlacer son cou, et se blottir contre son épaule. Déboussolé, il enroula finalement ses bras autour de la taille de sa vieille amie, conscient qu’il prendrait bientôt le deuxième savon de toute sa vie -le premier étant réservé à sa mère, qui n’avait pas encore eu l’occasion de le lui passer. “Tout va bien, Louise.” Lui glissa-t-il. Mais elle n’était pas née de la dernière pluie. Au lieu de contester, elle glissa ses lèvres sur sa joue. “Tu as l’air épuisé, viens t’asseoir je vais te servir quelque chose à manger.” Elle le dévisagea longuement, mais ne le laissa pas protester pour autant. Après quelques secondes à se demander ce qui avait bien pu lui faire perdre autant de poids, elle le tira par le bras et le força à aller s’asseoir dans le sofa.
“Je suis allé aider un vieil ami rencontré à Londres, qui vient de perdre sa femme de la grippe.” Dit-il avec une aisance déconcertante. Il l’avait répétée encore et encore pour essayer de croire à son propre mensonge. Il devait absolument paraître sûr de lui, sinon Louise le démasquerait. Elle afficha d’ailleurs l’air surpris, car il n’avait jamais mentionné personne de sa vie à Londres -bien qu’elle ait eu quelques bribes par l’arrivée de la charmante Helene… “Les temps sont difficiles aussi en zone occupée, le rationnement est important. Sa famille est venue en renfort ensuite pour me permettre de revenir à Paris.” Dit-il en mordant dans un morceau de pain que Louise lui avait ramené -boudant dans un premier la viande séchée et les quelques fruits que son amie avait le luxe de se payer.
Elle eut la décence de ne pas poser plus de questions, bien que son regard la trahisse. Elle était préoccupée, et elle peinait à le croire.
Lucien lui adressa un sourire sincère. “Tu m’as manqué”. La trentenaire essuya une larme qui menaçait de s'écouler sur sa joue, prit une longue inspiration, puis répondit à son tour : “Toi aussi, tu m’as manqué. Tu nous as manqué. Marcel était inconsolable…” Lucien pinça les lèvres. “Je suis désolé Louise. Je suis là maintenant.” D’ailleurs, son filleul ne tarda pas à pointer le bout de son nez, courant vers son parrain. “Comme tu as grandi !” Sourit Lucien en ébouriffant la tignasse aux reflets roux du petit garçon. Il mangea un fruit en s’enfonçant dans le canapé, bien trop heureux de se retrouver dans un environnement familier.
Pourtant, rien ne serait jamais pareil.
Après quelques instants de discussion avec son amie qui lui conta dans les grandes lignes ce qu’il s’était passé pendant son absence, quelqu’un toqua à la porte d’entrée. Elle s’absenta quelques instants pour aller ouvrir, mais ne revint pas seule.
La poitrine du français se serra, tandis qu’il se levait machinalement pour accueillir la nouvelle venue. Bien que Louise ait prononcé son prénom à plusieurs reprises dans son récit, il n’aurait pas imaginé voir Helene si rapidement après son retour. Il s’était tout bêtement dit qu’il aurait du temps pour préparer le moment où ils se retrouveraient. Qu’il trouverait les mots justes pour expliquer son départ…
Malgré le fait qu’il ait révisé ses gammes des centaines de fois sur le trajet du retour… la réalité était bien différente.
Lucien se trouvait au milieu du salon, le petit Marcel accroché à son pantalon devenu trop ample, contemplant le visage parcourut d’émotions d’Helene.
Helene… qui n’avait pas changé depuis leur dernier vrai échange. Un soupçon d’angoisse le traversa devant le lourd silence qui s’était installé. Ce n’était pas la première fois qu’il disparaissait, et avant cela, elle n’avait pas manqué de lui signaler que c’était lui qui n’avait pas donné signe de vie. Elle aurait toutes les raisons du monde de lui en vouloir.
D’un autre côté… Helene lui avait demandé du temps, de l’espace. Son acte y répondait complètement.
Il essaya de formuler quelque chose, n’importe quoi, mais il n’y parvint pas. Au lui de cela, la britannique allégea la distance entre eux pour venir l’étreindre de la même façon que Louise quelques minutes auparavant. Il sentit son corps trembler contre le sien.. où alors était-ce son propre corps qui ne voulait plus le porter ? Lucien resta immobile en recueillant les paroles de la femme à la longue chevelure brune. Peur ? Pour lui ? Il frissonna, perdu. Il avait imaginé tout sauf cela. “Nous étions folles d’inquiétude, Lucien.” Confirma la voix de Louise derrière eux. Nous… Est-ce qu’Helene faisait partie du groupe aussi ?
Il n’avait jamais eu l’intention de tout quitter pour ne jamais revenir. Pourtant, tout un tas de fois il s’était demandé ce qu’il se passerait si ses informateurs le trahissaient ? ll avait bien imaginé la peine de Marcel, Louise… sa mère évidemment. Mais Helene…
Finalement, il cessa de retenir le geste que son corps voulait exécuter depuis quelques secondes. Il cessa de lutter contre l’envie de poser ses mains sur ses hanches. Ses paumes glissèrent ensuite dans son dos, où ses bras enlacèrent sa silhouette frémissante avec fermeté. Dans une longue inspiration, le français glissa son visage dans la chevelure de son amie où il ferma les yeux. Apaisé par le parfum enivrant d’Helene, Lucien profita de ce court instant de répit, totalement hors du temps.
Son cœur battait la chamade, il sentait ses mains devenir moites.
Le petit garçon s’était écarté, et cherchait le regard de sa mère pour essayer de comprendre ce qu’il se passait. Mais Louise était sidérée par la scène à laquelle elle assistait. Arriverait-elle à sécher ses larmes si ce gros bêta ne cessait pas de faire monter les émotions en elle comme cela ? Elle s’essuya les yeux en attrapant la main de son fils, mais elle ne pouvait pas se détacher de la tendresse évidente qu’elle percevait entre son meilleur ami et.. et celle qui était devenue sa confidente pendant l’absence du libraire.
Helene s’écarta en s’excusant de s’être emportée. Il fit lui-même un pas en arrière, gêné de s’être autant attardé dans ses bras. “Il vous en faudra plus pour vous débarrasser de moi, Mesdames. Je suis désolée de vous avoir inquiétées toutes les deux.” Finit-il par déclarer en rendant un sourire timide à la britannique. Tu m’as manqué. Pensa-t-il sans risquer de le lui dire. Il avait pensé à elle chaque jour, mais n’oserait jamais se l’avouer. “Pour répondre à ta question, je suis venu en aide à un vieil ami dans le besoin.” Son discours était bien rodé.
“Je reviens, je vais préparer du thé et du café.” Souffla Louise en prenant Marcel dans les bras pour leur laisser un moment d’intimité. Lucien releva la tête vers la tête flamboyante de son amie, reconnaissant. Elle le connaissait, pour sûr, mais semblait s’être bien rapprochée d’Helene pendant son absence. Son cœur se serra à cette idée. “Merci d’avoir pris soin d’elle.” Dit-il de manière spontanée, dans un anglais un peu rouillé, mais également pour meubler le silence. Il lui tendit la main, et lui proposa de venir s’asseoir dans le canapé -bien assez large pour deux. Une fois qu’elle fut installée, Lucien s’assit à son tour sans la quitter du regard. Il n’osa pas lui demander comment elle se sentait, mais la dévisagea longuement pour essayer de décrypter un quelconque indice.
En vain. Helene ne laissait rien transparaître.
“Mange, Lucien !” Ordonna Louise en revenant vers les deux amis laissés dans le séjour. Il sourit, amusé. Il n’avait pas mangé en aussi grande quantité depuis… depuis trop longtemps. Son estomac n’était pas prêt à encaisser autant d’un coup. “Tout doux, mère poule, je n’ai juste plus faim.” Répondit-il en attrapant la tasse de café -de vrai café !- fumante qui fut la seconde odeur la plus agréable de la journée. Pouvait-il dire des dix semaines qui venaient de s’écouler, même ?
“Tu as l’air tellement affaibli… mais je connais une personne parfaite pour s’assurer que tout est en ordre…” Dit-elle lourde de sous entendus, alors qu’il haussa les yeux au ciel. “Laisse donc Helene tranquille, je peux encore m’occuper seul de ma vieille carcasse.” Grogna-t-il en se brûlant la langue contre le liquide de jais. Il grimaça, puis tourna un regard curieux vers sa voisine de sofa.
Il fallait qu’il arrête de la dévisager, c’était impoli. De son côté, Louise ne pouvait pas s’empêcher de passer de l’un à l’autre. Comment avait-elle pu louper la complicité qui s’était installée entre les deux passionnés de livres ?
J'ai 33 ans et je vis là où me mène mes recherche, partout dans le monde. Dans la vie, je suis Docteure en médecine, tératologie et biologie et je m'en sors bien. Sinon, grâce à ma chance-malchance, je suis mariée sur le papier, mais je me considère divorcée
Si Louise avait pris Helene comme confidente ces derniers temps, la réciproque n'était pas tout à fait vraie. Elle se confiait plus à la femme à la chevelure flamboyante, mais restait discrète sur de nombreux sujets. A dire vrai, la plupart de la conversation était dirigée vers la vie mondaine de Louise, sur Marcus, qui acceptait petit à petit la présence de l'anglaise malgré sa grande timidité. Louise parlait peu d'Emile, mais elle n'avait pas besoin de parler, Helene pouvait lire toutes les tensions et les douleurs que ce couple vivait. Elle aurait aimé pouvoir l'aider, lui en dire quelque chose, cette situation à la fois proche et bien différente de ce qu'elle avait pu vivre par le passé. Cependant, son intervention n'aiderait guère Louise dans la situation. Alors, en attendant, elles s'ouvraient l'une à l'autre, sur d'autres sujets, mais au fur et à mesure, trouvant un appui l'une envers l'autre, soulageant l'anxiété comme elles pouvaient. Souvent elles riaient, partageaient quelques bons moments ou balade. Parfois, l'ambiance était plus austère et sombre...
Et parfois, souvent, le sujet de Lucien se manifestait. Elles s'inquiétaient pour lui, de sa disparition soudaine. Helene plus encore, bien trop consciente de ce qui se déroulait en ville et partout en France. Est-ce qu'il faisait parti de ces pauvres hères ? Cette idée la faisait frissonner. Mais ces discussions avec Louise lui permettait un peu d'éclaircir quelque peu ses sentiments envers lui. Elle l'avait repoussé par crainte, pour se protéger de ce qui se développait entre eux. Cela avait été bien trop vite, bien trop soudain, un véritable raz-de-marée incontrôlable et qu'elle n'avait pas pu anticiper. Elle ignorait simplement de quoi ce raz-de-marée était composé. Une forte amitié ou bien autre chose, quelque chose qu'elle ne voulait pas s'avouer ? Ce trouble était toujours présent, renforcé par la présence de John et par les diverses activités auxquelles elle était liée. Elle ne pouvait pas plongée Lucien dans ce cercle. Et pourtant... Pourtant leur discussion lui manquait, ses conseils sur les livres lui manquaient, leurs échanges et son sarcasme lui manquaient et plus que tout, sa présence lui manquait. Bien trop souvent elle pensait à leur dernier moment ensemble, celui où il l'avait accompagné, où il avait été l'épaule sur laquelle pleuré, où il l'avait tenu dans ses bras toute une nuit. Et elle qui avait simplement brisé tout cela avec une phrase...
Oui, Helene y pensait souvent et culpabilisait de cet état de fait, de l'anxiété lui soufflant que sa disparition était en partie, si ce n'est complètement, sa faute. Elle forçait son esprit rationnel à se rassurer, à chasser ces pensées qu'elle savait intrusives et fausses, en partie du moins. Elle lui avait demandé du temps après tout... Il l'avait prit en disparaissant de sa vie...
Alors le voir soudainement face à elle, sans qu'elle n'y soit préparée la bouleversa, vint couper sa respiration. Son palpitant s'emballa. Et ses bras s'enroulèrent autour du cou de Lucien, son corps venant s'appuyer contre la poitrine du libraire. Elle le sentit trembler, où était-ce sa propre agitation ? Elle enfouit son visage dans son épaule, prenant une profonde inspiration qui chassa la fatigue et l'angoisse accumulée. Pendant un instant le silence dans son esprit se fit. Il n'eut plus que elle et Lucien. Elle sentit son hésitation et commença à relâcher son étreinte. Sous l'émotion, elle s'était permise cela, alors que peut-être préférait-il ne plus avoir à faire à elle. Sans doute que leur dernière rencontre les avait ramené à n'être que de simples clients l'un pour l'autre. Son cœur se serra à cette idée, mais elle ne pouvait guère lui en vouloir. C'est elle qui avait créé cette distance.
Puis Lucien lui rendit son étreinte. Ses bras, certes amaigris mais puissants, l'enlacèrent avec force et douceur et son souffle vint caresser sa nuque. Elle resserra son étreinte, profitant de cet instant hors du temps, rassurer de le sentir réagir ainsi.
Mais tout comme elle s'était laissée aller à ses émotions brutalement, son flegme britannique revint tout aussi vite. Helene reprit le contrôle sur sa personne et relâcha le libraire, prenant un peu de recul, chassant les quelques larmes accumulées dans ses yeux par quelques battements de cils. Helene voulut répliquer à la phrase de Lucien, mais aucun son ne s'échappa de ses lèvres. {Tu m'as manqué.} Son contrôle tout juste retrouvé céda un instant, croisant le regard de Lucien, son cœur accélérant soudainement, perturbée par cette unique pensée. Est-ce que Lucien la considérait encore comme une amie malgré tout ?
Puis son expression se raffermit à nouveau. « Ah oui, un ami ? J'espère qu'il va mieux dans ce cas. » Un sentiment étrange vint l’assaillir, un de ceux que tout humain expérimentait, mais que ses pouvoirs lui avaient toujours épargnés : le doute face à des paroles dont elle ne pouvait savoir la véracité. Mais pourquoi Lucien leur mentirait-il ? Cela n'avait pas de sens, Lucien n'était pas ainsi et Louise y croyait. Ce sentiment n'avait d'autre existence que son incapacité à utiliser sa télépathie, mais aussi la présence de John. Si ce dernier n'avait jamais pu lui mentir, son métier faisait que bien trop souvent il partait sans explication, sans qu'elle ne sache durant combien de temps. Le départ de Lucien au moment du retour de John n'avait fait que raviver toutes ses inquiétudes, un poison lent, grignotant son énergie.
Helene suivit Louise du regard, essayant de chasser ses pensées. Elle ramena son attention sur l'homme. Elle fit un léger sourire. « Je me demande si ce n'est pas elle qui a le plus veillé sur moi au final. » Rétorqua-t-elle en repensant à tous ces moments passés avec la jeune femme. La docteur suivit Lucien, passant ses mains sous sa jupe pour s'asseoir. Elle put sentir le regard du libraire ne pas se détacher d'elle. « Nous nous sommes beaucoup inquiété pour toi tu sais... Je suis contente que tu sois revenue. » Ses mains se serrèrent un instant sur le tissu de sa jupe, déstabilisée par sa pensée. Un silence s'installa entre eux.
Louise revint avec son énergie bouillonnante à ce moment, chargée de thé et de café. Helene se reprit, reprenant son habituel sourire. « J'ai bien peur que Louise ne te laisse pas repartir si tu ne manges pas plus. » S'amusa Helene face au comportement maternant de l'intéressée. « Et je ne crois pas qu'elle accepte que tu ne te nourrisses que de café. » Elle lança un regard complice à Louise, qui rit en retour.
Helene secoua légèrement la tête en souriant, puis la tourna vers lui en haussant un sourcil. « Permets-moi de douter de ta capacité à prendre soin de toi au vu de mes constatations jusqu'ici. Mais peut-être que tu vas déjouer mes observations jusqu'ici et faire attention à toi. » Elle pouvait sentir les regards qu'il ne cessait de lui lancer. S'était-elle montrée trop directe dans ses paroles ? Dépassait-elle les nouvelles limites de leur relation et la gêne qu'elle avait instauré à cause de ses craintes ? La médecin se pencha et saisit la tasse de thé entre ses doigts, prenant une gorgée du liquide, essayant de faire le tri dans ses pensées et sentiment. Dix semaines qu'ils ne s'étaient pas vu et sa vue venait à nouveau chambouler son univers, déjà bien branlant en ce moment. Un chamboulement qui lui redonnait une forme de stabilité étrange./div>
J'ai 35 ans et je vis à Paris, rue Frédéric Sauton -(5e arrondissement), France. Dans la vie, je suis propriétaire d'une librairie et je m'en sors comme je peux, au vu des restrictions.... Sinon, je suis célibataire mais je ne suis jamais seul bien longtemps.
Dans la douceur de son étreinte avec Helene, Lucien avait frémi. Frémi en sentant son parfum enivrant se propager partout dans l’air. Frémi en sentant sa silhouette se blottir contre la sienne alors que cela faisait si longtemps. Si longtemps qu’il avait presque cru rêver. Frémi en s’imprégnant de toute l’émotion qu’elle dégageait, en écho avec ses propres sensations. Mais surtout, il avait frémi lorsqu’elle l’avait regardé après qu’il ait formulé dans sa tête à quel point elle lui avait manqué. Comme si elle avait été capable de l’entendre… ses yeux s’étaient mis à briller d’un autre éclat. Tout cela n’était que pure idylle, bien sûr, car il savait très bien qu’elle n’avait rien pu entendre.
Assis dans le fauteuil du salon de sa meilleure amie, Lucien se trouvait bien étranger à la situation. Les deux femmes semblaient s’être beaucoup rapprochées : si cette hypothèse lui faisait très plaisir, il n’en restait pas moins sur la réserve en sachant qu’il les avait inquiétées. Une Louise inquiète est déjà suffisante à gérer -sans compter sa mère dont il préférait oublier l'existence pour le moment. Alors Helene ? Lui avait-il fait du mal en partant ? C’était pourtant elle qui avait imposé de la distance.
“Comment vas-tu ?” Demanda Lucien comme réponse à l’affirmation sur le fait que Louise ait veillé sur elle. Mais il n’avait aucun doute sur ses capacités à materner tout Paris… “Je suis heureux d’être à la maison.” Dit-il avec un sourire sincère en désignant ce salon dans lequel il était si souvent venu voir son filleul, prendre un café avec sa vieille amie… En parlant de café, justement, il y avait bien longtemps qu’il n’en avait pas vu la couleur. Quand on peine à se nourrir, une boisson chaude est loin d’être la priorité. “C’est bien dommage, parce que c’est le meilleur remontant du monde !” Ajouta-t-il alors que Louise déposait une tasse de vrai café dans ses mains, de quoi le ravir en un instant. Là où tous les autres parisiens auraient parlé d’un verre de rouge, il était impensable que Lucien touche à une seule goutte d’alcool de son plein gré.
Finalement, Helene rebondit sur son état -qui devait être déplorable, puisque les deux femmes bouclaient sur le fait qu’il ait beaucoup maigri. “Quelles sont vos conclusions, Docteur ? Vais-je y passer si je ne me gave pas comme une oie dans la seconde ?” Répondit-il, fidèle à lui-même avec ses habituels sarcasmes. “Dis-lui oui ! Enfin qu’il mange quelque chose, on pourrait mettre deux Lulu dans cette chemise !” S’offusqua Louise en donnant une tasse de thé -là aussi du vrai- à sa voisine d’à côté. “Tu devrais laisser Helene t'ausculter, c’est quand même préoccupant. Georgette va faire une syncope en te voyant !” Lucien soupira, conscient qu’elle n’était pas bien loin de la réalité avec ses suppositions.
“Helene n’a peut-être pas envie de passer sa pause thé à parler de travail.” Grogna-t-il avant que ses lèvres ne se trempent dans le précieux breuvage. Instantanément, tous ses problèmes s’envolèrent, et il eut une sensation de joie alors que les arômes d’arabica glissaient sous sa langue, imprégnait sa bouche. Quel bonheur, il avait presque oublié comme c’était bon. “Comment pouvez-vous boire ça…” dit-il en désignant leurs tasses fumantes remplies de végétaux. “... alors que ce petit or noir existe.” Il tourna les yeux, croisant le regard bleuté d’Helene qui lui coupa le souffle. Il s’en détourna immédiatement en sentant la chaleur lui monter aux joues -sûrement le café.
Le petit Marcel revint en courant, laissant à peine le temps de donner sa tasse à Helene pour éviter qu’il ne la renverse sur eux. Le petit garçon sauta sur les genoux de son parrain avec un livre dans les mains. “Lulu, j’ai un nouveau livre regarde !” Tout sourire, l’homme installa l’enfant correctement sur l’une de ses cuisses et ouvrit le livre avec lui pour le feuilleter. “Oh Marcel, laisse tonton Lulu respirer un peu !” Le gronda sa mère. Mais Lucien avait entouré le petit de ses bras et fit un clin d'œil à Louise pour lui intimer de les laisser tranquilles. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus, eux aussi… “N’imagine pas là que ça t’épargnera de manger, toi !” Elle débarrassa les mains d’Helene et posa la tasse de Lucien sur une table à côté de lui.
Finalement, bercé par la voix de Lucien qui lisait les quelques phrases du livre pour enfant, le petit garçon tomba dans les bras de Morphée… enfin, dans ceux de Lucien tout simplement. Le français le serra contre lui, le berçant doucement, alors que son regard croisait une nouvelle fois celui d’Helene. “Je crois que je n’ai pas d’autre choix que de faire attention à moi, vu comme vous surveillez mes arrières… je n’aimerais pas prendre les foudres pour avoir sauté un repas.” Ricana-t-il en faisant attention au volume de sa voix. Il tenta d’attraper un coussin du fauteuil pour le glisser sous la tête tombante du bambin, mais sa main vint effleurer celle de la jolie britannique. Il sentit le feu lui monter aux joues tout en retirant sa main rapidement. “Désolé.” Mais ses yeux ne parvenaient pas à se détacher de l’azur de ceux de la britannique.
Louise, en face d’eux, ne pouvait pas s’empêcher de sourire. Ils étaient si beaux tous les deux, comment était-il possible qu’ils ne soient pas tombés dans les bras l’un de l’autre ? Helene était une femme indépendante, cultivée, pleine de valeurs… Elle l’avait découverte pendant la longue absence de son ami. Et bien sûr, elle était belle. Aussi belle que Lucien était beau, même s’il n’en avait pas la moindre idée.
J'ai 33 ans et je vis là où me mène mes recherche, partout dans le monde. Dans la vie, je suis Docteure en médecine, tératologie et biologie et je m'en sors bien. Sinon, grâce à ma chance-malchance, je suis mariée sur le papier, mais je me considère divorcée
L'étreinte tout juste échanger avec Lucien avait eu un effet vivifiant chez elle, une nouvelle énergie parcourait son corps. Helene eut la sensation que la pierre nichée au creux de sa poitrine, dont le volume n'avait eu de cesse d'augmenter ces dernières semaines, s'était allégée, presque comme un mauvais souvenir. Elle se sentait bien plus légère en cet instant. Pourtant, rapidement les sombres pensées revinrent, celles qui lui soufflaient que Lucien mentait sur les raisons de son départ, parce qu'elle était incapable de distinguer le vrai du faux. Incapable de deviner ce qu'il avait en tête – la plupart du temps. Parce qu'elle ignorait tous des capacités qu'il pouvait avoir. Est-ce qu'il en avait conscience ? Il était rare de croiser des êtres comme eux ignorant sur leur pouvoir de par la peur et l'incompréhension que cela créait chez eux et chez les autres. Mais Lucien ignorait peut-être tout de cela ? Il n'avait aucune raison de mentir. Et pourtant, son esprit ne cessait de ressasser les anciennes angoisses que John avaient créé.
Helene essaya de raisonner son esprit, bridant ses angoisses. Elle lui avait manqué, c'était une chose importante après tout ? Prise dans ses inquiétudes, elle fut ramenée par le regard de Lucien et son sourire sincère. Elle lui répondit par une expression douce, essayant de dissimuler sa fatigue. « J'ai beaucoup de travail en ce moment. » Lui dit-elle, sans tout à fait lui répondre sur son état. Elle ne désirait pas lui mentir, mais elle ne pouvait lui parler de tout ce qui la traversait. Helene fut saisi par l'expression sincère du libraire. Elle se mordit discrètement la lèvre, ne sachant exactement comment se comporter avec lui après ce qu'elle lui avait dit lors de leur dernière rencontre. « Je suis co... » Commença-t-elle avec une pointe d'hésitation. Elle fut interrompu par le retour de Louise.
Elle mit de côté sa phrase, ne sachant pas la fin de sa propre pensée, et reporta son attention sur Louise. Helene leva les yeux au ciel en secouant la tête. « La meilleure boisson... Si tu aimes tant les boissons amères, je devrais te faire goûter une boisson traditionnelle au Mexique, enfin si l'on veut, autrement plus impressionnante, peut-être que tu en abandonnerais même le café. » Helene rit légèrement, repensant à quelques voyages réalisés au Mexique et les rencontres qu'elle avait pu y faire. Elle avait beaucoup de chances de découvrir tant de choses et de voyager autant. Cela n'était pas permis à de nombreuses personnes.
Cependant, malgré sa boutade, Helene était contente de voir le visage de Lucien s’illuminer d'un sourire et prendre un air apaisé tandis qu'il saisissait la tasse entre ses doigts. Ses joues qui s'étaient creusées et son visage semblaient reprendre des couleurs. Un frisson de plaisir parcourut sa colonne, n'ayant pas été appelé Docteur depuis un petit moment. Elle pencha la tête en l'observant, prenant une mine réfléchie. « Hm... Je suppose que tu devrais t'en sortir pour encore quelques heures, mais je te prescris un repas complet pour ce soir. Ordre du médecin! » Lui dit Helene avec sa taquinerie habituelle, essayant d'apaiser les inquiétudes de Louise. « Et ne t'inquiètes pas, quand je suis plongée dans mes recherches, je peux passer plusieurs jours sans sortir de mon laboratoire, alors t'examiner pendant une pause est bien loin de mon rythme habituel. » Avoua-t-elle en riant. « Enfin, je ne crois pas que tu ais besoin d'être ausculter. Prends simplement le temps quand tu mangeras. » Reprit-elle, sachant une réalité que Louise ignorait sûrement dû à son statut : les restrictions affectaient bien plus qu'elle n'imaginait.
« C'est parce que ton palais est certainement détruit et devenu insensible au bon goût à force de boire du café. » Lui rétorqua Louise. Marcel vint à ce moment. Il s'était habitué à la présence de la médecin et était désormais moins timide lorsqu'elle se trouvait chez eux. Il se précipita vers le libraire et Helene eut juste le temps de sauver sa tasse avant de réceptionner le jeune garçon au dernier moment sur ses genoux. « Je crois qu'il y a une autre personne à qui tu as manqué. » Rit-elle doucement, en regardant le duo avec chaleur, tandis que Lucien s'intéressait à l'enfant. Si certains le voyaient de cette façon, ils le jugeraient sûrement un côté trop maternel, loin de l'image du père qu'on attendait et pourtant, cette scène était attendrissante. Elle sentit son cœur battre un peu plus vite un instant, avant qu'une autre réalité ne la rattrape.
Helene détourna les yeux et plaqua un sourire en confiant les tasses à Louise. La médecin pouvait lire à quel point cette scène touchant la mère de Marcel et aussi les regrets qu'elle pouvait ressentir sur sa vie et Emile. Souhaitant la distraire, Helene lui raconta une anecdote sur la boisson qu'elle avait évoqué plus tôt. Une ancienne boisson que les Aztèques utilisaient. Peu utilisé au Mexique, certains descendants continuaient de perpétuer cet héritage : un mélange de cacao et d'épice. Louise aimait entendre tout cela, comme si elle lisait un livre d'une vie qu'elle était incapable d'imaginer ou d'avoir. Cette restriction était triste et énervait Helene, mais elle savait oh combien il fallait se battre plus que quiconque pour pouvoir espérer vivre cette vie, ainsi que la force de caractère afin de conserver ce mode de vie hors des sentiers battus.
Son regard croisa à nouveau celui de Lucien. Est-ce qu'il était agacé par la façon dont elle-même pouvait manifester son inquiétude pour lui ? Il en avait parfaitement le droit après tout. Pourtant elle ne lisait aucun grief à son encontre. Où voulait-elle se rassurer de cela ? Dans le tumulte de ses pensées, elle eut un sursaut lorsqu'elle sentit un contact bref sur sa main. « Ce n'est rien. » Souffla-t-elle en se reprenant. « Laisse-moi t'aider. » Elle se redressa et saisit le coussin, se penchant vers le duo. Ses cheveux glissèrent par-dessus son épaule dans un léger mouvement de balancier. Elle essaya de faire attention à ce qu'aucune mèche ne frôle le visage de l'enfant pour ne pas le tirer du sommeil. Sa main se glissa doucement sous la tête de ce dernier, touchant le libraire par mégarde, puis elle mit délicatement l'oreiller sous sa tête, l'installant confortablement. Un doux sourire éclaira ses lèvres, sa main se portant doucement au visage du garçon pour écarter quelques mèches aux reflets roux de son visage.
« Voilà, c'est mieux comme cela. » A ce moment, ses yeux croisèrent ceux de Lucien, toujours penchée sur eux. Ses joues rosirent légèrement, constatant leur soudaine proximité physique, qu'elle venait de lui imposer dans son envie de l'aider. Elle se redressa, repoussant ses cheveux derrière son oreille. Elle se rassit sur le canapé, lissant les plis de sa jupe. L'expression de Louise n'échappa à son regard, ce qu'elle choisit d'ignorer. « Je crois que je ne devrais pas rester trop longtemps, vous avez sûrement beaucoup de choses à vous dire tous les deux. » Finit-elle par dire, consciente qu'elle était sûrement de trop dans toute cette petite ambiance malgré l'engouement de Louise de l'accueillir chez elle.
J'ai 35 ans et je vis à Paris, rue Frédéric Sauton -(5e arrondissement), France. Dans la vie, je suis propriétaire d'une librairie et je m'en sors comme je peux, au vu des restrictions.... Sinon, je suis célibataire mais je ne suis jamais seul bien longtemps.
Pourquoi avait-il soudainement eu envie d’abandonner le café pour goûter cette boisson amère dont elle ne vantait pourtant pas les mérites… ? Lucien ne sut pas l’expliquer. Il repoussa les pensées qui se bousculaient dans son esprit, utilisant son sarcasme habituel pour ne pas la laisser sans réponse. “Je suis sûr que tu exagères. On m’a souvent dit que l’amertume était un goût d’adulte, peut-être n’avez-vous juste pas grandi, toutes les deux… Il me tarde donc de goûter cette boisson, en tout cas !”
La voir rire lui donnait du baume au cœur, chose à laquelle il ne s’était pas du tout attendue en franchissant la cour de l’immeuble de Louise quelques minutes auparavant. Des larmes, des reproches, beaucoup de culpabilité… mais pas de rires, ni de terrible envie de la serrer dans ses bras.
“Il faudra l’ordonner à Georgette. Je crains qu’elle ne me prive de nourriture pour l’avoir laissée sans nouvelles…” Dit-il sur le ton de l’humour, bien que ses yeux ne trahissaient l'inquiétude. Évidemment qu’elle ne le laisserait pas mourir de faim -plutôt mourir elle-même- mais il risquait de passer un très mauvais moment.
Louise parut quelque peu contrariée quand Helene répondit qu’il n’aurait pas besoin d’être ausculté. Lucien était maigre comme un clou, il avait peut-être attrapé quelque chose ? Elle ne pourrait jamais se le pardonner de le perdre une nouvelle fois.
Le cœur de Lucien sembla se remplir de douceur lorsqu’Helene insista sur le fait qu’il leur ait manqué, à tous.
Une larme perla sur la joue de Louise, qu’elle essuya pour ne pas risquer d’être vue par ses deux amis. C’était ridicule de pleurer, elle avait retrouvé son Lucien, et elle espérait avoir gagné une nouvelle amie. Elle ne manqua d’ailleurs rien de la proximité de ses deux interlocuteurs : la douceur des gestes de Lucien qui sembla retenir son souffle alors que la belle Helene se penchait vers lui pour l’aider avec son filleul. Mais rapidement, elle témoigna son intention de les laisser seuls.
Ma chère Helene, pensa-t-elle, ce n’est pas à moi qu’il semble avoir tant de choses à dire. Elle ne dit rien à voix haute, évidemment. De son côté, Lucien sentait son cœur battre dans ses tempes. Il ne quittait pas le regard de la britannique sans oser la retenir. Il aurait été mal venu de lui témoigner son envie de passer du temps avec elle alors qu’il avait disparu si longtemps.
“Je vais coucher Marcel !” Louise n’avait pas la moindre intention de les laisser partir sur cette situation. Elle récupéra son enfant endormi, tellement paisible qu’il ne releva pas un cil dans la manœuvre, puis les laissa dans la pièce -non sans un clin d'œil amusé vers Lucien. Ce dernier s’était redressé pour lui poser l’enfant dans les bras, et n’avait pas bougé.
Il retourna les yeux vers Helene, ne sachant plus quoi ajouter à la conversation. Lui en voulait-elle ? Était-ce la raison pour laquelle elle préférait partir ?
Ces dernières semaines, sorti de son quotidien de libraire, il avait eu l’esprit tellement occupé qu’il n’avait pas eu le temps de s’ennuyer de ses proches… Pourtant, se trouver là, le petit dans les bras, sa meilleure amie veillant sur eux… aux côtés d’Helene, à échanger quelques joutes verbales comme il les aimait tant… Lucien était à la place où il avait envie d’être. Pour la première fois depuis longtemps, il se détendit, laissant ses muscles se décontracter alors qu’il s’appuyait contre les coussins du divan.
“Tu m’as beaucoup manqué.”Dit-il finalement à voix haute, faisant écho à son esprit qui le formulait. Les prunelles bleutées du français brillaient d’un étrange éclat, tandis qu’il jouait nerveusement avec ses doigts.
J'ai 33 ans et je vis là où me mène mes recherche, partout dans le monde. Dans la vie, je suis Docteure en médecine, tératologie et biologie et je m'en sors bien. Sinon, grâce à ma chance-malchance, je suis mariée sur le papier, mais je me considère divorcée
Alors que l'ambiance semblait apaisée malgré le contexte de leur retrouvaille, Helene ressentait une forme de chaleur et d'apaisement qu'elle n'avait pas connu depuis un petit moment. Un sourire naturel s'épanouissait sur ses lèvres, tandis que Lucien réagissait à ses piques. Elle leva les yeux au ciel en secouant la tête. « Exagérée, moi ? Tu me connais bien mal. Et ne dit-on pas que les adultes deviennent aigris et ennuyant à pleurer ? Quitte à choisir, l'enfance ne me paraît pas si mal. Même si certains thé sont très amère eux-mêmes. » souffle-t-elle, le ton de sa voix dissimulant mal le sourire qui flottait ses lèvres.
« Eh bien... Tu as bien raison, je n'aurais aucune envie d'affronter Georgette le dragon. » En plus de ses craintes, Helene avait ressenti intensément la peine de cette mère sans nouvelle. « Heureusement que nous allions la voir régulièrement, peut-être qu'elle sera plus douce avec toi. » Ajouta Louise sur le ton de l'humour, bien que tous étaient conscients de ce que Georgette avait pu ressentir et du mauvais moment qu'il allait devoir essuyer.
La médecin sentit l'avis contraire de Louise et lui sourit pour la rassurer. Elle n'avait aucune intention de le forcer et, s'il ne présentait aucun symptôme, cela n'aurait que peu d'utilité. Il avait certes semblé en sous-nutrition, mais elle ne pouvait y faire grand-chose, à part lui conseiller de manger plus, ce qui n'était pas évident au vu des circonstances, bien que les parisiens soient mieux lotit que dans certaines autres parties de la France – et que l'Occupant commençait à encourager le marché noir qui s’organisait. Tous craignaient l'arrivé d'un rude hiver et le manque de charbon pour se chauffer. Une situation qui irait de mal en pis, même pour la classe bourgeoise sans aucun doute. Louise n'en avait simplement pas encore conscience.
Helene mit de côté ses pensées et revint à leurs échanges. Malgré la bonne humeur, elle avait cette sensation d'être de trop. Lucien avait certainement envie de discuter avec Louise sans qu'elle ne soit dans les parages. Louise ne sembla pas de cet avis, qu'elle exprima silencieusement. La médecin posa ses yeux sur elle, incertaine de la véracité de ses paroles. Pourtant c'était sa meilleure amie, elle le connaissait bien. Et, la coupant dans son élan, Louise finit par se lever et embarquer Marcel avec elle. Helene ne pouvait plus faire ses salutations et la voilà retenu ici.
Leurs yeux se croisèrent, un silence s’installant entre eux. Elle fut prise d'une hésitation, ne sachant que dire devant cette situation. A sa grande surprise, se fut Lucien qui s'exprima en premier. Le trouble l'envahit : troublée par cette déclaration, par sa sincérité. Troublée parce qu'après l'avoir repoussé, il revenait quand même vers elle. Ne gardait-il pas rancoeur après l'avoir frappé ainsi ?
Helene rougit légèrement. Elle glissa une mèche de cheveux derrière son oreille, à la fois gênée et heureuse de ce qu'il venait de dire. Son regard revint sur lui. « Toi aussi, tu m'as manqué. Tu m'as beaucoup manqué. Souffle-t-elle a mi-voix. Je suis contente de te revoir. J'ai eu très peur de ne plus jamais de revoir. » Termine-t-elle dans un murmure en détournant les yeux. Oui, ne plus le revoir. [Encore une fois]... Mais cette fois était pire que la première fois.
Elle se mordit légèrement la lèvre, se détournant pour prendre sa tasse de thé, essayant de garder un peu de contenance en avalant une gorgée du liquide chaud et reposant la tasse, peu habituée à être aussi sincère. Quoique, cela devenait une habitude avec Lucien... « Tu ne m'en veux pas ? Pour ce que je t'ai dit la dernière fois ? J'ai pensé qu'après cela, tu ne voudrais plus me revoir. » Sa voix est chargée de regret et de tristesse. « Excuse-moi, je ne devrais pas te demander ça. C'est moi qui l'est provoqué après tout, tu es dans ton droit. » Oui, elle n'avait rien à lui demander.
J'ai 35 ans et je vis à Paris, rue Frédéric Sauton -(5e arrondissement), France. Dans la vie, je suis propriétaire d'une librairie et je m'en sors comme je peux, au vu des restrictions.... Sinon, je suis célibataire mais je ne suis jamais seul bien longtemps.
A présent plongés dans le silence de la pièce de vie, tandis que Louise et Marcel étaient partis dans une des nombreuses chambres de l’appartement, les deux passionnés de livres ne se quittèrent pas des yeux. Pas un instant. Lucien se sentait partagé entre la culpabilité de l’avoir laissée sans nouvelles -mais vis à vis de sa mère et de Louise également- et la joie de se retrouver avec elle.
Quelques instants lui suffisaient à lui rappeler comme il aimait Paris, sa librairie… Et peut-être même sa clientèle. Il ne réalisa pas que ses paroles l’avaient troublée, trop aveuglé par ses propres sentiments qui le submergeaient.
Il aperçut la teinte rosée sur ses joues, qu’il interpréta comme une forme de modestie. Comment pouvait-il en être autrement après leur dernier échange ? “Tu ne comptais pas te débarrasser si vite de mes conseils poussiéreux, j’espère.” Répondit-il sur le ton de la plaisanterie, bien que ses mots n’aient eu beaucoup plus d’effet qu’il ne laissa paraître sur son visage.
Son cœur s’était resserré dans sa poitrine, lui rappelant comme il avait pu être idiot de ne pas protéger ses amis de son départ. Encore une fois. “Je suis tellement désolé d’avoir recommencé, Helene. J’ai cette fâcheuse tendance à partir sur un coup de tête…” Il avait baissé les yeux, honteux de ce comportement qu’elle avait pris pour une sorte de… oui, d'd’abandon. Lucien n’avait pas la moindre envie d’effacer de sa vie la britannique. Il n’en avait jamais eu l’intention, pas même quand il avait quitté Londres. “C’était provisoire.”
Avait-elle pensé que tout cela était de sa faute ? Lucien l’observa, bouche bée. Une telle interprétation était si loin de la réalité ! Du moins, sa réalité à lui. Il remit les idées en place dans son esprit, comprenant que son geste pouvait être confus. Il était parti car il n’avait rien à perdre. En tout cas, c’est ce qu’il avait pensé un centième de seconde avant que son départ ne soit réel.
Evidemment qu’il n’avait pas pensé une seconde au fait qu’il n’avait rien à perdre, littéralement.
Machinalement, il vint poser une main sur la sienne. “Je suis parti de ma propre volonté, et cela n’avait rien à voir avec… avec l’autre fois.” Il serra ses doigts dans les siens, avant de réaliser qu’il n’avait pas vraiment demandé si ce contact lui plaisait, alors il le rompit. [[En réalité, c’est plutôt moi qui craignais que tu n’aies plus envie de me voir.]] pensa-t-il, en proie à ses émotions, tandis qu’il affichait un sourire rassurant sur ses lèvres pincées.
Louise n’était toujours pas revenue, et il soupçonna qu’elle l’ait fait volontairement pour leur laisser du temps pour discuter.
Qu’avaient-elles bien pu se raconter pendant son absence ?
J'ai 33 ans et je vis là où me mène mes recherche, partout dans le monde. Dans la vie, je suis Docteure en médecine, tératologie et biologie et je m'en sors bien. Sinon, grâce à ma chance-malchance, je suis mariée sur le papier, mais je me considère divorcée
Helene se sentait troublée face aux paroles de Lucien, qui amenaient de nombreux doutes dans son esprit. Sur ses propres sentiments, mais aussi sur ceux du libraire. Elle n'avait guère envie de se fourvoyer et préférait tuer cette maigre lueur dans l'oeuf. Se rassurer autant elle que lui sur ce qui ne pouvait être une réalité. Pourquoi était-ce auss inacceptable ? Parce qu'elle se sentait au prise avec sa vie trop complexe ? Parce qu'elle savait qu'elle ne pouvait se reposer que sur de rares personnes sans prendre de risque ? Parce que l'homme qui lui avait fait le plus de mal et dont elle avait été le plus proche, faisait également parti de ce secret ? Nombreuses raisons se battaient dans son esprit pour étouffer des sentiments qu'elle ne pouvait accepter. Des sentiments qui prenaient pourtant de l'ampleur et dont elle n'arrivait pas encore à mettre un mot dessus.
Et pourtant, Lucien, avec un simple "tu m'as beaucoup manqué", venait chambouler tous ses efforts pour ignorer tout ceci. Il chassait ses doutes avec sa simple présence, apportait une lumière chaleureuse, une présence agréable, sur laquelle elle voulait se reposer. De tous, il était celui qui brisait si facilement ses barrières, sans s'en rendre compte, sans chercher à le faire, et pourtant...
Helene sourit à ce qu'il ajouta. « Cela aurait été mal avisé de ma part, je devrais perdre du temps à rechercher un nouveau libraire compétent, cela prendrait bien trop de temps, je suis une femme occupée. » Rétorqua-t-elle sur le même ton qu'il avait employé. Un mélange de vérité, mais également pour cacher la raison pour laquelle elle tenait tant au libraire : ses conseils, mais aussi son amitié lui était précieuse. « Excuse-toi surtout auprès de ta mère et de Louise, tu sais, elles se sont beaucoup inquiétées pour toi. » Après tout, elle ne pouvait s’inclure dans ce type de relation avec lui. Quand bien même elle s’était inquiétée tout autant, quand bien même elle connaissait au trop bien cette sensation que d’être sans nouvelle, que de craindre pour la vie d’un être cher…
Et, malgré son contrôle, la britannique finit par laisser transparaitre ses regrets et sa culpabilité, quand bien même s'était-elle promis de ne pas les faire ressentir à Lucie, car il n'était en rien responsable de la situation qu'elle avait elle-même créé en le repoussant. Ses yeux s'étaient alors détournés, incapable de faire face à son regard, angoissée à l'idée qu'il puisse lui en vouloir, comme elle se l'imaginait. Elle fut prise d'un léger sursaut lorsque la main de son ami vint se poser sur la sienne. Ses yeux se baissèrent sur ce contact. Un frisson la traversa face à ses mots et son touché. Elle ferma les yeux, resserrant doucement ses doigts. La main qui se retira laissa un grand froid sur sa peau. Helene se redressa légèrement en posant ses yeux dans les siens, comprenant à quel point ses mots avaient dû être dur à entendre pour Lucien, tout comme la façon dont il les avait interprétés. « Non… Je n’ai jamais voulu sous-entendre ça, s’insurgea-t-elle. Tu es important pour moi Lucien, je ne veux pas rompre contact. C’est juste que, la dernière fois… Helene détourna les yeux, sa main venant se refermer sur son poignet, dont la marque avait disparu, mais qui lui semblait toujours douloureux. « A ce moment, je n’avais pas les idées claires et j’ai toujours ce réflexe de préférer gérer les choses seule, quitte à repousser ceux qui veulent me soutenir. Sa main fut prise d’un léger tremblement, mais elle réussit à garder le contrôle de sa voix. Mais tu sais… Je suis contente que tu ais été présent ce soir-là, Elle releva les yeux vers lui, tendant sa main pour la poser sur celle du libraire. Je n’aurais pas voulu quelqu’un d’autre. » Ses yeux brillent d’une émotion qu’elle ne souhaite nommer, ses doigts serrant ceux de Lucien.
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