Il savait, qu'elle n'avait pas envie d'entendre cela a propos de ses souvenirs, du traumatismes qu'elle avait vécu, de ce qu'elle venait de traverser. Mais par expérience, dans une vie lointaine, il avait vu bien des gens sombrer dans le désespoir lorsqu'ils refusaient cet élément, perdre le sommeil et s'isoler... D'une certaine façon, c'était exactement sa situation finalement... mais, contrairement à elle, il finissait par s'y accrocher, de plus en plus désespérément a ses souvenirs, même horrible. C'était sa façon de tenir.

Edwin avait ramené son épée vers elle, la gardant surélevé, tandis qu'elle s'observait au fur et a mesure. Lui-même regardait avec attention son visage, plus que jusqu'à maintenant. Ses marques etaient très différentes de ses marques a lui. Celles du maudit ressemblait à volutes sombres, qui entrelaçaient son corps, comme pour en prendre possession. Celles de Lyn étaient douces, pleins de lumières et chaleureuses.

« Non, jamais. Enfin... » Il prit le temps de réfléchir, alors qu'elle se retournait, lui montrant sa nuque. « Ça me fait penser... a ceux frappé par la foudre. Sauf qu'ils ne sont pas aussi... en forme que toi. » Il approcha sa main maudite de la nuque de la jeune femme, frôlant sa peau. Et se figea, reculant sa main avant de la toucher completement. Il en oubliait les règles basiques de bienséance. « Les marques... se rejoignent et descendent dans... ton dos. » Il cherchait ses mots, mais remarquait devenir plus a l'aise, les choses revenant petit a petit.

Je lui demandais s'il avait déjà vu ce genre de marques, ailleurs. Sa réponse m'arracha un léger sourire… Je ne serais plus là si la foudre m'avait prise en chasse. En revanche, mis à part une description un peu plus complète de ces fameuses inscriptions sur ma peau, je n'appris rien de nouveau. Bien au contraire, cette découverte soulevait de nombreuses interrogations supplémentaires dont je me serais bien passée.

– Si bas ? demandais-je, stupéfaite tandis que je relevais mes manches pour mieux observer mes bras. Rien ici.

D'un geste plus brusque que je ne l'aurais voulu, me tournais ensuite vers Edwin, me cognant légèrement à lui. Je m'en excusais aussitôt, remarquant que lui-même portait des marques sur son cou … Les siennes semblaient bien plus complexes…

– Ça fait mal ?

Je mourrais d'envie d'y toucher… d'effleurer cette peau aux reflets sombres … Mais, évidemment, je m'en abstins par crainte de me montrer, une nouvelle fois, trop intrusive à son égard. Au même instant, je pus ressentir une légère brûlure, une sensation de chaleur émanant de l'arbre étrange sur ma peau. Ce ne fut guère douloureux, seulement surprenant… Comme si je venais de toucher une bougie tout juste éteinte. Je grimaçais néanmoins.

Les marques de Lyn avait quelque chose de fascinant. Peut-être était-ce l’idée de découvrir une autre facette de ce qui pouvait lui arriver à lui-même. Ca n’avait rien de comparable. Plus il les fixait, plus Edwin s’en rendait compte. Cela n’avait rien à voir avec sa propre malédiction. Il suffisait de voir la façon dont elles semblaient suivre sa colonne et, si l’énergie semblait faible, elle dégageait quelque chose d’inexplicable. Même lorsque les gens ignoraient tout des malédictions, lorsqu’ils posaient les yeux sur lui, Edwin devinait aisément leur malaise. Il ne ressentait rien de tout cela. Ou peut-être était-ce simplement l’habitude de sa propre malédiction qu’il ne pouvait se sentir ainsi face à celles de Lyn ? Son instinct lui soufflait autre chose.

« Je ne vois pas… jusqu’où. Ca descend plus bas que tes…ta nuque. » Dit-il en butant légèrement sur le dernier mot. Il laissa retomber sa main, qu’il avait gardé en suspension sans en connaitre l’exacte raison. Ce qu’il y avait gravé sur la peau de Lyn était énigmatique, sûrement lié à une quelconque magie.

Bien qu’il soit perdu dans ses pensées, Edwin eut le réflexe d’écarter son bras, qui tenait toujours son épée, de l’elfe, dont le mouvement brusque aurait pu la blesser. Leur soudaine proximité le frappa soudain, alors qu’il remarqua le regard émeraude se baisser sur ses marques à lui, semblant exercer une étrange fascination sur l’elfe. « Non. Ce n’est pas douloureux. » Il ne saurait décrire la sensation de ses marques, encore plus car il ne s’y était jamais exercé. Simplement, il les sentait toujours. Et plus encore à l’instant, comme un frisson qui parcourut les dessins complexes de sa peau. « Et toi, tu as mal ? » Il ne s’était pas rendu-compte qu’il venait de parler dans sa langue, son regard posé sur elle, ne ratant pas l’expression qu’elle avait adopté durant un instant.

La sensation de chaleur descendait jusqu'au bas de mon dos, ce qui me donnait une bonne idée de son étendue. Mais pour l'heure, toute mon attention se porta sur les volutes sombres qui semblaient onduler sur la peau d'Edwin. Elles ne bougeaient pas le moins du monde pourtant… L'effet devait être dû à leur forme particulière. Je fus quelque peu soulagée d'apprendre que, pour l'heure, elles ne lui causaient aucune douleur. Lorsqu'il me renvoya ma question, j'hésitais, un peu perdue.

–Non… Mais… mais quoi… Je perdais mes mots. C'est… Fascinant… dis-je en me retenant pour ne pas toucher sa peau. A la place, j'effleurais ma propre joue, constatant pas la même que l'endroit était effectivement un peu plus chaud. C'est étrange, quand je te regarde, je peux sentir la sentir… Ça brûle un peu.

Je relevais alors mes yeux, les plongeant dans les siens… Un mélange de ciel d'orage et d'argent. Un regard digne… Je ne m'étais pas rendue compte qu'il était si grand.

– Pardon… Je sais, je suis un peu étrange, ajoutais-je, gênée.

Si les autres êtres humains étaient être mal à l’aise en fixant sa malédiction, Lyn, elle, réagissait complètement différemment, observant sans crainte les marques sur son cou. Ses yeux ne cillaient pas, ils n’étaient pas emplis d’effroi, d’horreur ou de dégoût, mais plutôt d’une forme de curiosité qu’il n’expliquait pas. Est-ce son côté elfique qui la préservait ? Non. Il en avait rencontré des créatures doués de magie et la plupart étaient bien plus atteint que les humains. Ils pouvaient sentir la malédiction, et pas seulement la constater. Alors pourquoi pas elle ? Quelque chose le dérangeait dans cette situation, échappant à l’habitude qu’il avait depuis tant d’année.

« Fascinant ? D’habitude les autres emplois d’autres termes pour décrire mes marques. Qu’est-ce qui se passe avec toi ? » Cette question, il la posait plus à lui-même qu’à l’elfe. Il pouvait sentir, sous sa peau, le frisson qui courait le long de ses marques, sans même savoir si cela était bien ou non. Il était si habituée à une douleur lancinante de leur part, que tout autre sensation perdait son sens.

« Etrange ? Il eut l’impression qu’elle croisait son regard pour la première fois. Peut-être bien… D’habitude les autres trouvent cela plutôt effrayant, surtout après ce que tu as vu hier. Mais ça n’a rien de négatif je suppose. » Et ça le changeait étrangement de ses interactions habituelles.

D'autres termes ? Pourquoi donc ? Les malédictions n'étaient pas contagieuses, enfin, pour ce que j'en savais. Alors certes, cet homme était particulièrement grand, ses yeux froids semblaient vous transpercer du regard… Ses cicatrices laissaient présager un passé de guerrier… Ce que j'avais évidemment pu percevoir dans la forêt. Mais son apparence ne faisait pas de lui quelqu'un de mauvais ou même de particulièrement effrayant … Impressionnant, peut-être, mais certainement pas effrayant.

–Il se passe que je n'ai tout simplement pas peur de toi… affirmais-je en penchant légèrement la tête sur le côté. Je te trouve même … intriguant.

La franchise des elfes… Je me doutais que cela pouvait être perturbant pour lui.

– Ce que j'ai vu hier, c'était un homme qui se battait pour sa vie mais aussi pour préserver la mienne…

Il n'y a rien de beau dans la bataille, c'est un fait que personne ne peut nier. Une mort donnée, une vie prise… Non, il n'y a certainement rien de plaisant dans tout ça.

– J'ai bien conscience du prix que tu as dû payer pour ça, dis-je en désignant son bras. Alors non … Tu ne m'effraies pas. Si tu me voulais du mal, tu ne m'aurais pas sauvé, rien ne t'y obligeait. Tu ne m'aurais jamais emmené ici non plus…

Le sourire que je lui offris alors était sincère et empreint de reconnaissance. Il pouvait très bien l'abandonner ici, je ne lui en voudrais certainement pas. Il en avait déjà bien assez fait. Plus que n'importe qui avant lui et à mes yeux, cela représentait beaucoup.

Quelques bruits percèrent le silence alentour… Des voix, nombreuses… Mais aussi quelque chose de lourd qui semblait rouler… Je ne sentais pourtant aucune menace… Qui étaient ces gens ? Que faisaient-ils par ici ?

Leur conversation dérivait lentement sur un terrain auquel Edwin n’était clairement pas habitué. Si le rejet des autres ne l’atteignaient plus réellement, ne l’avait d’ailleurs jamais vraiment atteint pour les inconnus, l’idée qu’elle puisse voir autre chose qu’un être maudit, faible d’avoir cédé à la tentation, d’être devenu un monstre que tous détestaient. Ou peut-être que ce qu’elle savait des malédictions étaient bien trop limitées pour comprendre à quel point il pouvait se montrer dangereux. Ce qu’il serait capable de faire s’il laissait sa malédiction prendre le dessus. Ce qui se passerait inévitablement un jour. Elle l’avait pourtant vu combattre… Vu les ombres ne laisser aucune chance à ces soldats. En aurait-il eu besoin ? Il aurait sûrement pu faire sans après avoir sauté dans les ombres. Mais se limiter était bien plus dur encore qu’il ne l’eût imaginé au début.

« Tu ignores beaucoup de choses. Sur les humains, sur moi et sur ça aussi. Il leva sa main gauche, aux marques visibles. Sois plus méfiante si tu veux rester en vie. » La façon dont elle lui parlait, dont elle lui souriait et cette reconnaissance… Cela avait quelque chose d’insupportable, bien qu’il préfère le nier à lui-même. Une sensation qu’il préférait rejeter, reprenant son masque distant. Il ne souhaitait ni sa reconnaissance, ni sa curiosité. Il ne voulait pas qu’elle lui soit redevable.

Alors qu’il cherchait encore à enfermer ses émotions, il vit Elros se dresser et entendit juste après les bruits de voix et sûrement d’un chariot. Il tourna le dos à Lyn, ses yeux se posant sur le chemin plus loin. Ils s’en étaient éloignés pour la nuit, mais leur campement était bien trop visible et ces personnes semblaient s’en éloigner aussi. Peut-être pour faire boire les bêtes tirant le chariot. « Mets ta capuche. Il vaut mieux qu’ils ne voient pas que tu es une elfe pour le moment. » Lui lança-t-il. « Ce sont sûrement des marchands ou paysans, mais il vaut mieux être prudent. » Il se dirigea ensuite vers ses affaires, attrapant son ceinturon pour le passé à sa taille et y glisser l’épée dans le fourreau. Il ne l’avait pas eu hier, mais après son combat, il préférait être prudent.

Sa lumière changea brusquement de couleur, passant du bleu paisible au rouge … J'étais probablement allée trop loin et m'en sentie désolée. Il avait raison sur de nombreux points, notamment sur ma méconnaissance du monde des Hommes… Tout comme sa propre personne. Je ne le connaissais pas, pas plus que la nature même de sa malédiction.

Lorsqu'il me demanda de remettre ma capuche, j'obéis sans rechigner. Je pouvais voir sa méfiance même si les personnes qui approchaient ne semblaient pas particulièrement dangereuses. De nouveau, je m'abstins de tout commentaire par crainte de le mettre en colère. Je me rapprochais donc de Murmure, flattant ses joues de quelques caresses qu'il me rendit par quelques petits coups de tête.

Les personnes nous saluèrent gentiment, j'y répondis d'un geste de main… Jusqu'à ce qu'ils ne s'approchent suffisamment pour percevoir l'énergie d'Edwin. Ce genre de sensations, les humains l'appelaient "l'instinct" sans réellement savoir ce que cela signifiait réellement. Ils pouvaient sentir les ombres du maudit, jusque dans leurs tripes… Et ce fut la première fois que je pus constater de l'effet que cela pouvait avoir sur les autres… Ils s'éloignèrent tout en échangeant quelques messes basses… À leurs regards tout comme à leur couleur, je savais que cela n'avait rien de bien plaisant.

Je me saisis alors des rênes de Murmure pour le rapprocher de son maître. Une fois à sa hauteur, je lui tendis, attendant de savoir si je devais le suivre ou bien rester ici. Sans même m'en rendre compte, j'avais placé mon destin entre ses mains… À l'image des lanières de cuir composant les liens de l'équidé.

Edwin mit ses émotions de côté, toute son attention se portant sur le groupe qui arrivait. Il s’était approché d’Elros, apaisant l’animal qui s’agitait légèrement de voir des inconnus débarquer. Il apprécia qu’elle lui obéisse malgré ce qui s’était passé entre eux, ou bien malgré sa naïveté et sa curiosité. Qui sait, elle aurait pu aller les saluer bien gentiment ? Ca n’aurait sûrement pas posé de problème en temps normal, mais elle était avec lui, c’était une elfe et la situation était trop tendue.

Edwin en profita pour ramasser quelques-unes de leurs affaires, jetant de la terre sur le feu pour terminer d’étouffer les braises. Les inconnues s’approchèrent d’eux, semblant plutôt calme, voir contents, de voir des inconnus, bien qu’une certaine méfiance s’installe en voyant l’arme à son côté. Jusqu’à ce qu’ils s’approchent un peu trop. Edwin vit clairement la crainte s’installer en eux, certains plus sensibles pâlirent même et reculèrent. Tous s’éloignèrent rapidement d’eux, baissant la voix, lançant des regards inquiets vers eux. Habitué, Edwin n’y fit pas attention, prenant juste garde à ce qu’aucun n’ait de mauvaises intentions envers eux.

Lyn s’approcha de lui alors qu’il terminait le paquetage. Il en avait laissé de côté dans un sac, le jetant sur son dos. Il posa les yeux sur Lyn. « Tu peux rester avec moi si tu veux. Le temps que tu saches ce que tu veux faire. » Sa vie n’avait rien de stable pour elle, ni d’intéressant. Elle avait mieux à vivre. En attendant sa réponse, il saisit l’équipement de Murmure, prenant le temps d’installer le tapis et la selle pour qu’il soit confortable. « Je ne vais pas monter sur son dos aujourd’hui. Puis, il sera sûrement reconnaissant, tu es plus légère que moi. » L’animal supportait bien son poids, mais ils ne pouvaient pas passer leur temps à deux sur son dos. Il marcherait, il avait l’habitude. « Je vais aller les voir avant de partir. » La prévint-elle.

Ainsi, il m'autorisait à l'accompagner encore un peu. Au moins le temps de savoir ce que je voulais faire… Que pouvais-je réellement faire en ce monde mis à part de simplement continuer d'avancer ? Je compris alors qu'il me faudrait y réfléchir, car il semblait évident que je ne pourrais m'imposer éternellement. Ne sachant que répondre, je me contentais de hocher doucement la tête avant de ramasser mes vêtements… Seuls objets m'appartenant.

Lorsqu'il équipa Murmure, il décida que je serais seule à monter sur son dos… Chose que je trouvais particulièrement injuste. L'intruse ici, c'était moi. Il était hors de question que je sois la seule à profiter du soutien de l'équidé.

– Mais… Je peux marcher ! m'écriais-je subitement, ce qui sembla amuser Murmure qui ponctua mes propos d'un hennissement railleur. Mais si ! Je le jure !

Je ne voulais pas qu'il me voit comme un poids… Un boulet supplémentaire qu'il devrait traîner derrière lui. Je voulais être utile. Lui apporter un minimum de soutien… Juste un petit peu.

Finalement, il m'annonça qu'il voulait voir les marchands avant de partir… Soit. J'espérais simplement qu'ils seraient gentils avec lui.

– Attends, dis-je en retirant la broche accrochée à ma veste. C'est un lapis-lazuli. Je sais que cela a de la valeur pour les humains… Tu peux peut-être l'échanger contre quelque chose…

À dire vrai, je ne lui laissais pas vraiment le choix en plaquais la broche dans sa main.

– Je t'attends ici…