Dès lors qu'il prit la clé qu'elle lui tendait, Lily se détourna d'Abel, pour mieux se poster près de la fenêtre, observant les quelques étudiants qui allaient et venaient en direction du bâtiment principal. Est-ce que cette colocation était une bonne idée ? C'est quitte ou double pour Lily. Soit elle allait se faire plus de mal qu'en un an, à devoir regarder Abel sans l'avoir réellement, soit... soit elle se contenterait de ce petit bonheur de l'avoir auprès d'elle, même sans qu'il ne se souvienne d'elle. Il attira son attention avec une question. Définitivement, il est le même qu'avant. Elle hausse une épaule, et tourne à peine la tête pour le regarder. « Ca m'est déjà arrivé. Ca se passe jamais très bien en général. » La dernière soirée qu'elle a faite s'est soldée par un accident de voiture et d'un coma de trois semaines. Mais ça, elle allait le garder pour elle, et s'assurer que le brun ne puisse jamais voir les cicatrices de son accident. Quand il propose de sortir, elle tourne la tête vers lui plus franchement, sourcils haussés. « A peine sorti de l'hôpital, sérieusement ? » Comme s'il en avait quelque chose à foutre. Est-ce qu'elle était prête à le laisser sortir sans savoir ce qui pouvait bien lui arriver ? Elle pince les lèvres, Lily. Puis, elle hausse les épaules. « Peut-être. Pourquoi pas. »

Elle retourna s'asseoir en tailleur sur son lit pour consulter ses cours, et ne leva les yeux qu'en entendant Abel se battre contre ses cheveux et lui demander de l'aide. Elle mord à nouveau sa lèvre pour retenir un rire, et se redresse après avoir rassemblé ses cours. « Assieds toi, et donne moi ça.. » Doucement, elle vient chercher la brosse entre ses doigts, et se place face à Abel. Il est si grand et elle si petite que même installé, elle n'a pas vraiment besoin de se pencher pour le coiffer. Après un bref mouvement hésitant, elle finit par passer une main dans ses cheveux pour les ordonner, et mieux y passer la brosse. Et rien qu'à sentir ses boucles entre ses doigts, son myocarde s'accélère. « Abel... Je peux te poser une question ? » Elle baisse les yeux pour croiser son regard, une fraction de secondes, avant de demander doucement « T'as aucun souvenir de... ton coma ? » Est-ce qu'il a passé un an dans le noir ? Est-ce qu'il est passé de son accident à ce lit d'hôpital, comme si une seule nuit était passée ?

Elle était venue se mettre en face d’Abel qui était assis sur son lit. Il avait la tête au niveau de sa poitrine, et étrangement, il avait levé les yeux vers elle plutôt que vers ses seins –chose qui aurait dû être un automatisme. Mais il l’observait faire. Minutieusement, mèche après mèche, elle démêlait le foutoir qu’était sa tignasse bouclée, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Peut-être pendant son coma ? Peut-être l’avait-elle coiffé ? Il garda ces questions dans un tiroir fermé à double tour, elles étaient bien trop gênantes et intrusives. Et sincèrement, il ne connaissait pas cette fille, sa vie l’intéressait peu. Mais au moins, elle avait ça pour elle : elle était intriguante. Et ça, c’est quelque chose qu’Abel voulait creuser. « Merci… »

Mais quand elle passa sa main dans ses cheveux, Abel ferma les yeux lentement, comme s’il se détendait. Il se sentait bien, enveloppé quelque part, les ailes d’un ange l’entourant pour le protéger des noirceurs de ce monde. Et la voix de Lily brisa cet instant si pur pour lui poser une question concernant son coma. Il réfléchit une seconde. Il se remémorait les instants passés dans le noir, ce qu’il ressentait continuellement, et un frisson lui parcouru l’échine. Il sentit les poils s’hérisser sur sa peau, Lily pouvait probablement les voir. Peut-être qu’en le racontant, cela à s’exorciser. « Je… j’étais au volant d’une voiture et il y a une fille qui était sur le côté… Pour je ne sais quelle raison, je lui fonçais dessus sans qu’elle ne bouge. Je crois qu’elle me murmurait quelque chose, qu’elle m’aimait ou j’en sais rien… » Il frissonna d’un coup, son souvenir si présent. Il finit par regarder dans le vide, fixant un point –le ventre de Lily. « Ou alors, je chutais, chutais, chutais… sans jamais m’arrêter. » Il fermait les yeux en bougeant sa tête de gauche à droite, comme s’il revivait ces instants. « Parfois, j’étais la victime de l’accident et la fille était le conducteur. Je vivais ça en boucle. » Il se mit à bouger ses doigts nerveusement. « Mais un halo de lumière, une personne, un… ange (ne te moque pas de moi) venait pour me sauver ? Ouais, sauver. Et pendant un court laps de temps, ça allait mieux… » Il soupirait, ayant eu l’impression de lâcher un sac rempli de pierre.

Longtemps, elle s'était demandé pourquoi Abel n'avait jamais répondu à ses messages. Pourquoi elle a pu l'atteindre, et lui non. Se pourrait-il que ça aie été parce qu'il était dans son propre Enfer personnel ? Elle posa sa question à voix basse, mais elle le sentit se tendre immédiatement, puis frissonner. Elle s'en voulu immédiatement d'avoir posé la question, et s'apprêtait à dire qu'elle la retirait, quand il commença à parler d'une voiture, et d'une fille. Une fille qui lui disait l'aimer avant qu'il ne la renverse. Un instant, le mouvement de ses doigts et de la brosse cessa. Et elle resta figée, choquée de l'entendre mentionner des détails qui ressemblaient bien trop à son accident de voiture. Son coeur se serra à mesure qu'il expliquait ce qu'il a vécu une année durant, pendant son coma. Sans s'en rendre compte, Lily, elle avait abandonné la brosse. Abel fixait le vide, et elle, elle se contentait d'effleurer doucement ses boucles brunes, ordonnées grâce à elle. Et quand il mentionne une lumière, un "ange" qui le sortait de toute cette noirceur, elle dut prendre sur elle pour retenir un sanglot. Est-ce qu'au final, chaque visite qu'elle lui rendait avait apaisé son calvaire ? Est-ce qu'il sentait sa présence dans ce chaos, ou bien s'agissait-il juste d'une accalmie ? « Je n'ai pas envie de me moquer. » Et elle fait un effort pour maitriser sa voix, ne pas montrer le sanglot qui remonte dans sa gorge depuis le début de son récit. Elle lève la tête pour regarder vers le ciel, et respire. « C'est fini... Le plus important, c'est que ce soit fini. » Et quand elle baisse les yeux, elle se fait violence pour ne pas s'agenouiller et le prendre dans ses bras. Enfouir son visage dans son cou, lui murmurer qu'elle est là, qu'il est là, et qu'ils n'ont besoin de rien d'autre en ce monde. L'embrasser jusqu'à manquer d'air, jusqu'à en oublier son nom.

Au lieu de quoi, elle réalise que sa main est toujours dans ses cheveux, et elle recule doucement, pour lui rendre sa brosse. « Tiens.. à priori, c'est bon. » Elle souffle, et se dégage rapidement jusque la salle de bain, pour mieux s'y cacher et cacher ses larmes face au miroir. Après un long soupir, elle demande alors en haussant le ton pour qu'il lui parvienne « Et qu'est-ce que tu voulais faire, ce soir ? »

Son corps s’était refroidi à Abel, et c’était à vif qu’il expliquait tout ça à Lily, comme un besoin de se confier à elle. Ses mains dans ses cheveux agissaient comme de la morphine qui coulait dans son sang pour l’apaiser un peu plus que de raison. Il sentait qu’il était en osmose totale avec elle et pendant une seconde, il souhaitait plus que tout que ce moment dure pour toujours. Abel arrivait à échéance. Il avait vidé son sac et il sentait un poids en moins, comme si de le partager rendrait les choses plus faciles. Mais soudain, Lily retire sa main de ses cheveux et il revint à la réalité comme une bonne claque dans un visage. Il était bien trop intime avec elle et il ne la connaissait pas. C’était gênant et malaisant. Il secoua la tête et passa une main dans ses cheveux. Il ne voulut pas continuer, pas lui répondre. Il paraissait déjà bien trop faible alors si en plus il jouait la carte du comateux, il n’allait pas avoir l’air d’un homme. « T’as des doigts de fée Lily, mes cheveux sont redevenus normaux ! » Il cria victoire en levant les bras en l’air et il regardait l’heure. « Oula, déjà dix-neuf heures. On mange où quand on se réveille d’un coma ? » Et en tête, il se rappelait qu’il devait prendre ses médicaments. Il soufflait légèrement, ouvrit son sac de voyage et prit le petit pilulier pour récupérer trois types de cachets différents. Il afficha sur son mur à côté de sa table de chevet l’ordonnance avec la posologie de tous les médicaments. « Non mais on dirait un vieux dans une maison de retraite qui doit prendre ses drogues contre Parkinson merde ! » Il la posa un peu violemment sur la table mais était de bonne humeur. Il savait que ce n’était pas pour longtemps.

Il se mit à enlever sa chemise, une douche s’imposait avant de sortir quelque part. « Je voudrais boire. Et me sociabiliser à nouveau. Et boire à nouveau. » Il fit une moue de réflexion intense et il attendit que la nana est fini pour aller se laver. Il avait sa chemise sur l’épaule, torse nu, la braguette déjà descendu jusqu’en bas. Il n’avait prévu de se laver que le corps, ses cheveux étaient trop bien coiffés pour les toucher. « Et n’oublie pas Abernathy… Tu peux mater ! » Il tira sa langue pour la serrer entre ses dents et fronçant le nez. L’emmerder. Ca allait être son quotidien.

La dernière fois qu'elle a touché ses cheveux, c'était sur ce balcon, chez Tom. Perchée dans les bras d'Abel, leurs lèvres écrasées contre celles de l'autre, ses bras fermement noués autour d'elle pour l'empêcher de chuter. Et souvent, quand elle y repense, elle se dit qu'elle donnerait tout, absolument tout pour retourner à cette soirée. Pour ne plus s'enfuir face à lui. Peut-être qu'aujourd'hui... Oula, déjà dix-neuf heures. Elle sort de sa rêverie. Secoue la tête et regarde son reflet dans le miroir, tout en écoutant Abel chouiner. « Les médecins conseillent un régime précis, et beaucoup de protéines pour retrouver des forces. » Elle le sait parce qu'elle y a eu droit. « Mais franchement... Un fast food. Rien ne vaut un fast food à la sortie de l'hôpital. » La première chose qu'elle a demandé à sa mère - et celle-ci avait frôlé l'infarctus - c'était un Big Mac et une grande frite. Et le lendemain, une pizza. Elle balaie encore les larmes qui perlent au coin de ses yeux, quand elle entend Abel râler après ses médicaments. Elle voudrait lui dire qu'elle a connu tout ça. Qu'elle avait le double de médicaments, en raison de ses blessures provoquées par l'accident. Mais elle se contente de ne rien dire, et de l'interroger plutôt sur ce qu'il veut faire ce soir.

La réponse est évidente : boire. Boire et se sociabiliser. Typique d'Abel Silverstein. « Y a plein de bars dans le coin. Je suppose que je t'apprends rien. » Lily soupire, se passe un peu d'eau sur le visage. Constate que ses cernes sont si marquées qu'elle vont finir par devenir permanentes. Quand elle quitte la salle de bain, ses yeux s'écarquillent devant un Abel torse nu. C'est injuste, comment est-ce qu'il peut encore être bien foutu après un coma ? Malgré elle, son regard descend plus bas. Et elle rougit si fort que ça lui monte jusqu'aux oreilles, tandis qu'elle avance vite dans la chambre en se cachant les yeux. « Jamais de la vie ! » qu'elle s'écrie en claquant presque la porte derrière lui. Elle aurait juré l'entendre rire. Se pourrait-il qu'au fond, même sans la connaître, il en vienne à redevenir l'Abel avec lequel elle étudiait, avant la soirée de Tom ? Est-ce qu'il finira par... l'apprécier à nouveau ?

Jetant un regard à l'heure, elle finit par profiter de l'absence d'Abel pour retirer son tee shirt et son jean, et attraper un pantalon noir et un chemisier rose. Le même chemisier qu'elle portait à la soirée de Tom... Normal, elle n'a pas grand chose de fait pour "sortir", encore moins depuis un an. Puis elle finit par s'installer sur son lit, pour inspecter son visage. Tenter un brin de maquillage, pour ressembler à quelque chose. Depuis combien de temps n'avait-elle pas pris soin d'elle ? Depuis qu'elle n'y trouvait plus d'intérêt. Mais ce soir... même si ses espoirs étaient maigres, c'était plus fort qu'elle. Elle espérait que lorsqu'il la regarde, il pense ne serait-ce qu'un peu qu'elle est jolie, Lily.

Il lit le papier qu’il avait reçu du médecin et c’était exactement ce que disait Lily. Un régime hyper-protéiné à base de poulet, d’oeufs et de fromages blancs. L’enfer sur Terre quand son métabolisme lui permettait de manger autant de fast-food qu’il le souhaitait. Il ne grossissait jamais et c’était son petit plaisir face aux nanas qui pleuraient parce qu’elles prenaient un kilo pour un peu trop de salade. « Ca va être une joie de cuisiner du poulet à longueur de journée... » Il soufflait légèrement et pinçait ses lèvres. Il finit par prendre sa douche en se demandant comment elle pouvait être aussi au courant des conséquences des comateux après leur réveil. Mais comme toujours, questions = tiroir. Au moins, il était sûr de ne pas être dérangé par ses interrogations pendant sa soirée. Après s’être lavé correctement partout sur le corps, mauvais réflexe il se frottait partout, bien trop fort, comme pour effacer ces événements des derniers mois, il enroula une serviette autour de sa taille, le corps luisant d’humidité. Il passa devant le miroir qu’il essuya de son avant-bras, puis mit du déodorant qu’il avait sorti de sa trousse de toilette. Il le posa sur l’évier, se foutant complètement d’un espace personnel ou pas. Il se brossait les dents vivement -au cas où. Il regarda ses dents, puis sortit toujours dans la même tenue dans la pièce de vie. Il s’approcha de son lit pour chercher son boxer. « T’as vu, j’ai laissé la porte entrouverte juste pour toi, juste pour que tes yeux se baladent ! J’suis un mec bien trop gentil. » Il leva les yeux au ciel en riant et il enfila son boxer sous la serviette. Abel n’avait aucune pudeur donc ce n’était pas d’être en boxer devant une fille qui allait le déranger. Il remit son paquet en place de manière pas du tout gracieuse et enfila son jean, une chemise, une cravate un peu débraillé et un peu de parfum.

« Il est toujours ouvert le Lochness sur la place des artistes ? » Il cherchait l’argent que lui avait laissé sa mère, et il le mit dans sa poche. Il prit son paquet de cigarette et un cure-dent. Il pesa le pour et le contre, et finalement, mit une clope dans sa bouche qu’il alluma du briquet que lui avait prit Lily auparavant. Mais surtout, il ne s’était pas encore retourné pour observer la jeune femme. « Au fait, est-ce que tu… Waw. » Il écarquilla les yeux, surpris. Elle était profondément belle. Elle dégageait une chaleur qui l’atteignait de plein fouet, et il secouait la tête histoire de dire que jamais il ne pourrait avoir une bombe comme ça. « Tu es... » Il n’avait pas le bon mot, le bon terme pour exprimer ce qu’il pensait réellement. Un instant, dans sa tête, il l’imaginait assise sur une rambarde de balcon, les jambes serrées autour de lui et passant ses doigts dans ses boucles brunes comme elle l’avait fait précédemment. Il imaginait ce chemisier rose par dessus sa main qu’il glisserait dans le bas de son dos et puis… il secoua la tête. Mais ce qu’il pensait n’était pas la réalité, c’était un fantasme. Ou pas ? « On y va ? On prends ta voiture, j’ai pas le droit de conduire mais j’le fais quand même. » Pas de pudeur physique, de la pudeur émotionnelle.

Lorsqu'il sort de la douche, elle est encore en train de mettre son mascara, Lily, quand elle remarque la tenue d'Abel. Il n'a vraiment aucune pudeur, et la pensée qu'il puisse agir de la sorte avec d'autres lui fit mal au coeur. Néanmoins, la brune chasse cette pensée, et se tourne vivement sur son lit, manquant de se mettre du mascara sur la paupière au passage. « Et je te répèterais autant de fois qu'il le faudra que je n'ai pas envie de te mater. » C'est faux, profondément faux, car dans son miroir, Lily elle regarde le dos d'Abel. Rien qu'un peu. Elle reste bien trop timide de toute façon pour essayer d'en voir plus. Elle repose son mascara, et lâche ses boucles brunes jusqu'ici regroupées en un chignon négligé, pour qu'elles cascadent sur ses épaules, indisciplinées. Est-ce que ça suffira ? A quoi bon en faire trop, de toute façons. Elle finit par s'assurer qu'Abel était bien habillé avant de descendre de son lit pour enfiler des chaussettes. « J'en sais rien du tout, j'ai dit qu'y avait des bars dans le coin, pas que je les connaissais. » Elle a déjà vu le Lochness, mais la dernière fois qu'elle est passée à côté remonte peut-être à un an et demi, traînée de force, sans grand étonnement, par Mackenzie.

Elle enfile sa seconde chaussette pour se redresser, faisant face à un Abel manifestement bouche bée. Et son expression lui fit monter le rouge aux joues, à Lily, qui ne put s'empêcher de constater que malgré tout... même s'il ne se souvenait de rien... elle lui faisait toujours un certain effet. « Je suis..? Est-ce que je..? » Elle répète ses deux questions interrompues, mais constate qu'elle n'aura jamais plus de précision. Alors elle se contente de passer nerveusement une main dans ses cheveux, et d'aller mettre ses chaussures.« Je conduis ma voiture, tu guides. » Et alors qu'elle attrape ses clés de voiture et son sac à main qu'elle balance sur son épaule, c'est sans laisser place à la discussion qu'elle sort de la chambre en attendant qu'Abel la suive.

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Pourquoi est-ce qu'elle a accepté de sortir ce soir ? Pourquoi est-ce qu'elle l'a suivi ? Enfin, techniquement parlant, elle l'a même emmené ici. Lily, elle se sent comme un chaton acculé par la foule. Elle qui n'a jamais trop aimé faire la fête, c'est pire encore après un an sans franchir la porte d'un bar ou sans être allée à une soirée. Elle se maudit intérieurement, mais elle suit Abel, les bras croisés, signe qu'elle est loin d'être à l'aise et détendue. « Si tu vomis dans ma voiture, je te tue, alors sois raisonnable s'il te plait, les médicaments font pas bon ménage avec l'alcool. » Et sur ces mots, elle se commande... un cocktail sans alcool.

Le trajet n’était pas long jusqu’au Lochness, et entre Abel qui tentait de mettre la musique à fond et Lily qui baissait le son dès qu’il touchait le bouton de volume, c’était un trajet plutôt drôle, entrecoupé par les indications de route d’Abel. Se garant sur une place de parking payante, c’était avec joie qu’Abel s’en alla payer le parcmètre. C’était sa première sortie. Une première fois qui le rendait tout à fait niais et jovial. Il se dirigea vers l’entrée du bar, et il commanda sa boisson favorite du passé : perrier, pulco citron et vodka. Ce petit alcool bien traître qui avait un goût absolument merveilleux. Il le portait à ses lèvres et il eut l’impression qu’on le brûlait totalement. C’était une sensation nouvelle. En fait, Abel était devenu un puceau de la vie, et il avait besoin de recommencer ses premières fois pour être à nouveau lui-même. Il leva son verre vers Lily, qui paraissait totalement hors de son élément. « Promis, on reste une heure ! Après on rentre, ok ? » Il lui tendit sa main pour qu’elle la serre afin de sceller le marché. Il passa une main ensuite dans ses cheveux et il se dirigea vers une sorte de piste de danse que le bar avait créé pour les amateurs de chorégraphies. Plein de filles dansaient et se mouvaient au rythme d’un gars qui chantait en espagnol, Louis Fonzi, ou Luis Foussi, il n’en savait rien. Il retenait juste le fait que cette chanson était bien trop entraînante et que toutes les filles avaient l’air plus qu’heureuse d’entendre cette chanson. Despacito ? Aucune idée de ce que cela signifiait. Mais rien que de savoir que les filles étaient heureuses, ça le mettait en joie.

Il se fit accoster par une jeune brune aux yeux sombres, mat de peau. Elle était typé latine et avec des formes sublimes. Elle lui proposa de danser, et Abel fit le signe OK avec ses doigts à Lily. « Je reviens ! » et il se fit emporter sur la piste. Il se mit à danser avec elle, bien trop collé, bien trop près de lui. Quelque chose clochait. Il n’était pas à l’aise. Il tentait de reprendre ses esprits. Abel le connard, Abel le queutard, il était toujours là quelque part, alors pourquoi il n’avait aucune envie de repartir avec cette bombe latine ? Elle se pencha vers lui et l’embrassa dans le cou, mais sans comprendre son geste, il la repoussa. Elle fut choqué de son geste voire humilié et elle lui jeta son verre à la figure. Il se crispa légèrement puis éclata de rire en revenant vers Lily. « Bon, je crois que je suis rouillé. Ca marche comment déjà la drague? En un an, il y a une nouvelle technique qui est apparu ? » Il but son verre, pas en entier. Ce soir, il allait être raisonnable. « Tu veux goûter ? » Il lui proposa son verre, en sortant une cigarette. Il avait envie de prendre l’air.

Il promet de rester une heure, et bizarrement, Lily, elle n'y croit qu'à moitié. Pour quelle raison il écourterait sa sortie pour elle ? Plus les secondes s'égrainaient, et plus Lily, elle se répétait que venir avec lui était une très très très mauvaise idée. Elle se contente de hausser une épaule et de récupérer son cocktail sans alcool, qu'elle porte directement à ses lèvres. Quelle frustration, de ne pas pouvoir se mettre la tête à l'envers parce qu'elle conduit. Peut-être que ça rendrait les choses plus simples. Elle faisait clairement tâche dans le décor, Lily. Trop sage, mal à l'aise sous les regards de certains garçons qui la balaient, pour finalement s'arrêter sur une autre aux formes plus généreuses. La plupart des filles sont... en petite tenue, à se déhancher sur la piste de danse. Lily, elle aime pas la musique latino. Et quand elle vit cette belle brune plantureuse approcher d'Abel, elle comprit très vite qu'elle n'aimait plus du tout les latinos, tout court. Le regard que lui lança Abel faisait plus mal que si elle avait été frappée par la foudre, mais elle se contente de lui retourner un hochement de tête tout en détournant les yeux, portant son verre à ses lèvres pour le finir d'une traite, et en prendre un second.

Et le voir danser avec elle, se coller contre elle, c'était trop. Beaucoup trop. Elle voudrait courir sur la piste pour la pousser, lui dire qu'il est à elle, rien qu'à elle, et à personne d'autre. Elle ferait l'effort de danser pour lui, Lily, même si elle n'aime pas la musique. N'importe quoi tant qu'aucune autre ne se colle dans ses bras... Sauf qu'elle ne pouvait pas. Alors elle se contente de tourner le dos à la piste, et de jouer avec son verre du bout des doigts. "C'est triste pour une jolie fille, de s'ennuyer dans un bar toute seule." Elle lève les yeux pour voir qu'un étudiant lui parle, son verre à la main, le regard rivé sur elle - et oscillant dangereusement vers son chemisier légèrement ouvert, qu'elle referme d'une main - avec un sourire qui en dit long sur ce qu'il cherche à faire. La brune détourne les yeux, mal à l'aise. « Je suis pas toute seule, j'attends juste mon petit ami. » dit-elle simplement en haussant une épaule, faisant clairement comprendre au type qu'elle n'est pas intéressée. Il n'y croit pas, évidemment. "Suffit de dire que t'es pas intéressée, ça sert à rien de mytho, c'est marqué sur ton front que t'es frigide." Elle ignore, et laisse l'idiot s'éloigner en soupirant, avant d'être accaparée par Abel, de retour, et visiblement arrosé d'alcool. Elle ne le regarde même pas, quand elle répond : « T'avais pourtant l'air de bien t'en tirer. » Détends toi, Lily. Il ne te doit rien. Elle ferme les yeux, et soupire. « Je sais pas. Comme je t'ai dit, je ne sors pas, et je laisse pas vraiment le loisir aux garçons de me draguer. » Parce qu'il n'y en a qu'un que je veux : toi.

Elle se mord l'intérieur de la lèvre, termine son verre d'une traite pour la deuxième fois avant de regarder le verre qu'Abel lui tendait. D'ici, elle pouvait sentir les effluves de citron, la ramenant un an et demi en arrière. « Je bois pas vraiment en soirée, mauvaise expérience. » La dernière fois, elle s'est fait renverser par une voiture, quoi. Et cette fois, c'est elle qui conduit. Elle soupire, et regarde toutes ces filles qui s'amusent et regardent vers Abel. Et puis merde, elle habite juste à côté après tout. Elle tourne à nouveau les yeux vers Abel, puis sans un mot, elle lui prend le verre des mains pour le finir d'une traite, sans le quitter des yeux une seconde. Elle commande au barman la même chose pour qu'il soit resservi, et elle tourne les talons pour aller vers la sortie. Elle a besoin d'air, Lily.

Etrangement, Abel n’avait pas envie de rester avec d’autres personnes que Lily. Elle était un aimant vers lequel il était attiré inconsciemment et qui lui permettait de garder les pieds sur Terre. Auprès d’elle, il sentait qu’il pouvait lâcher prise et c’était ce dont il avait besoin. Mais pourquoi avec Lily ? Qui était-elle pour lui ? Quel impact avait-elle eu sur sa vie pour qu’elle soit autant importante à ses yeux sans en comprendre le sens ? Toujours ces questionnements… Et ces messages qu’elle avait envoyé comme s’il pouvait lui répondre dans son coma… C’était une folie, une incompréhension totale. Tiroir, tiroir, tiroir… Tout dans le tiroir. Les questions, c’est bien plus tard. Dans quelques années peut-être.

« Elle n’est pas mon genre. » Avait-il réellement un genre ? Peut-être. Lily pourrait être son genre. Il mit les mains dans ses poches quand Lily avala cul sec le verre qu’Abel avait dans les mains précédemment et l’action le fit énormément rire. « Wow, Abernathy, tu es une dévergondée ! » Il riait encore un peu plus. Mais son regard dans le sien, il vibrait étrangement au contact de ses yeux. C’était comme une fusion entre des braises et de l’eau, ça crée un lien, une brume qui s’élevait dans les airs. C’était ça, qu’il y avait entre eux en ce moment, un voile fin qui ne demandait qu’à se lâcher. Lily commanda un nouveau verre et le barman lui colla dans les mains, qu’elle donna à Abel. Il n’eut pas le temps de prononcer un mot qu’elle était déjà partie dehors, pour respirer de l’air frais. Il but une longue gorgée sans courir après elle. C’était une grande fille après tout.

Une dizaine de minute plus tard, alors qu’Abel regardait sur le cellulaire de Lily pour savoir l’heure qu’il était, il s’inquiétait de ne pas la voir revenir. Il avait dit une heure, il souhaitait tenir sa promesse. Étrangement, il en avait envie. Il posa son verre sur le comptoir et se dirigea vers l’extérieur du bar. Il remontait les manches de sa chemise et chercha Lily du regard. Il marchait vers la ruelle à gauche. Personne. Celle de droite. Personne. Il contourna le bar et il vit un homme penché en avant sur une jeune femme qui, dans la pénombre, eut du mal à être reconnu par Abel. Il s’approcha doucement, et reconnu le chemisier rose sur lequel il avait rêvé quelques heures plus tôt. « Hé ! » Il s’approcha à grandes enjambées de l’homme qui tenait Lily par la taille, et il le repoussa violemment. L’homme recula d’un coup. « Tu la touches encore une fois, tu es un homme mort. » L'instinct animal. Il se mit à rire. Il était vrai qu’il était un peu plus costaud qu’Abel mais l’avantage du frisé, c’était qu’il savait se battre ; enfin… il avait su il y a longtemps. Le costaud s’avança pour donner un coup à Abel mais ce dernier l’esquiva. Bon, les réflexes étaient là, c’était un bon début. Le temps que le mec se retourne, il le repoussa encore contre le mur et il eut le souffle coupé. Abel en profita pour aller vers Lily. « Est-ce qu’il t’a fait du mal ? Est-ce que tu veux que je lui fasse du mal ? » Il était sérieux. L’alcool avait son corps instantanément, et l’agresseur se releva tant bien que mal. « Alors, c’est lui ton petit-ami ? » Un rire mesquin siffla entre ses lèvres et Abel ne le regarda même pas. Il s’approcha de Lily, passa un doigt sous son menton, un geste tendre du doigt. « Ouais, c’est moi. »   Et il se retourna d’un coup pour lui mettre une droite de l’espace. Il finit étalé sur le sol et un rire nerveux, soudain, s’échappa d’Abel. « Mais j’ai encore de la force malgré le coma ! » Il était content de lui mais… sa main était en sang. Il sentait qu’elle était douloureuse mais il se rapprocha de Lily en priorité. « Viens, on rentre. Ca va aller ? »