Je ne tarde pas à m'endormir après cela. Un sommeil qui se veut réparateur, heureusement. Nous sommes éveillés par la sonnerie du téléphone de Tom, celui qui annonce le début d'une journée qui s'annonce chargée. Je dépose un baiser sur ses lèvres…Sincèrement heureuse de me réveiller près de lui. Je me sens si chanceuse de l'avoir trouvé et de pouvoir être à ses côtés.

Je réajuste la couette sur nous, et je serre un peu plus Emily contre moi. Cela ne me prend que quelques minutes pour plonger dans un sommeil réparateur.

Le lendemain matin, je suis réveillé par la sonnerie de mon téléphone. Mon premier réflexe est de chercher ce dernier sur la table basse, avant que les images de la veille ne me reviennent en mémoire.

Je souris au baiser qu'Emily dépose sur mes lèvres et j'y réponds aussitôt. Sauf que le téléphone sonne toujours... Et je suis bien obligé de me lever pour retrouver mon pantalon, abandonné au pied du lit, et fouiller dans la poche afin d'éteindre cette fichue sonnerie.

"- Réveil un peu brutal", je commente avec agacement.

Puis je tourne la tête en direction du lit, dans lequel Emily est toujours allongée. Une Emily dans le plus simple appareil, avec les cheveux en bataille.

"- Quoique... Finalement je dois admettre que la vue est très agréable"

Je monte de nouveau sur le lit, peu soucieux de ma propre nudité, jusqu'à venir embrasser Emily sur le bout du nez.

"- Bonjour, mon amour."

Je prends possession de ses lèvres, et souris aux courbatures qui tiraillent mes muscles.

"- Que dirais-tu d'une douche ? Ensuite j'appelerai le room-service pour un petit déjeuner."

Et je sais que ce dernier en vaudra la peine. Surtout que j'ai sacrément faim.

"- Je dois être aux répétitions à huit heures. Ce qui nous laisse... environ une grosse heure et demie avant de rejoindre Jeff. Enfin, si tu veux venir avec moi. Sinon je te laisse mon téléphone, et tu pourras me joindre sur celui de Jeff..."

–Réveil un peu brutal, lance-t-il en éteignant le maudit appareil laissant ainsi toute sa place au calme enfin retrouvé. Je m'étire un peu plus dans ce grand lit à l'espace décidément bien superflu quand on visualise celui que nous avons finalement occupé.
– Quoique.. Finalement je dois admettre que la vue est très agréable.
– Celle qui j'ai d'ici n'est pas mal non plus, je rétorque en souriant paresseusement.

Je pourrai très bien céder à l'oisiveté et profiter encore un peu de la douceur de ce lit douillet. Mais je sais très bien que je ne tiendrai pas cinq minutes avant de m'agiter dans tous les sens à cause de cette inactivité insupportable.

– Bonjour, mon amour.
– Bonjour, mon sourire s'étire… Je crois que je vais prendre goût à ces petits surnoms. Dire que je détestais cela autrefois, mais avec lui, ces derniers prennent tout leur sens.

Je ne dirai certainement pas non à une douche. D'ailleurs, je ne me fais pas prier pour prendre le chemin de la salle de bain avant même qu'il n'ait achevé sa phrase.

– Je dois être aux répétitions à huit heures. Ce qui nous laisse... environ une grosse heure et demie avant de rejoindre Jeff. Enfin, si tu veux venir avec moi. Sinon je te laisse mon téléphone, et tu pourras me joindre sur celui de Jeff…
– Je comptais y assister… Sauf si l'on estime que je suis de trop. Je ne voudrais pas déranger pendant que vous travaillez, dis-je en ouvrant le robinet pour laisser un peu de temps à l'eau pour chauffer. Après cela, j'irai m'acheter un nouveau téléphone et j'appellerai Sean pour le rassurer et prendre de ses nouvelles.

Je voudrais également rendre visite à mon amie, si c'est possible, évidemment. Une fois l'eau suffisamment chaude, je me glisse sous le jet pour profiter de la douceur apportée par cette pluie fine. Ici aussi, il y a bien assez d'espace pour nous deux, peut-être même beaucoup trop. Tout ici est extrêmement grand, comme si les architectes avaient essayé de détruire toute idée d'intimité ou de promiscuité. Cela octroie peut-être un certain confort, mais pour moi cela reste légèrement oppressant.

– Combien de temps durent vos répétitions en moyenne ? je demande tout en l'invitant à tourner le dos pour que je puisse l'aider à se savonner. Cela aussi, je le fais avec un naturel déconcertant. Comme s'il s'agissait d'une vieille habitude venue de je-ne-sais-où…

Je suis Emily jusque dans la salle de bain tout en lui parlant de mon planning de ce début de matinée, et notamment des répétitions.

"– Je comptais y assister… Sauf si l'on estime que je suis de trop. Je ne voudrais pas déranger pendant que vous travaillez."

Elle ouvre le robinet de la douche. Mais l'eau est encore visiblement un peu froide à son goût.

"- Après cela, j'irai m'acheter un nouveau téléphone et j'appellerai Sean pour le rassurer et prendre de ses nouvelles."

"- Je ne pense pas que ça posera de problème. Ce ne sera pas la première fois que quelqu'un d'extérieur y assistera. Et tu passeras le bonjour à Sean de ma part."

Helena était venue plusieurs fois. Au début, du moins.
Après ça ne l'intéressait plus vraiment. J'ignore si c'était lié à la banalisation de notre style de musique, ou tout simplement parce que les coulisses de mon métier ne l'intéressaient juste plus.

Emily se glisse sous le jet d'eau chaude, et je la rejoins en nouant mes bras autour de sa taille. Et je dépose un baiser sur son épaule.

"- – Combien de temps durent vos répétitions en moyenne ? "

Je me tourne lorsqu'elle me fait signe et je soupire d'aise tandis qu'elle me savonne le dos. J'ai bien envie de faire ça tous les matins, à l'avenir.

"- Quelques heures. Ça devrait durer une grosse partie de la matinée. Au pire, tu pourras toujours prendre un taxi pour revenir ici si ça te parait trop long."

Je me tourne à nouveau vers elle, et lui pique le gel douche pour la savonner à mon tour.

"- J'ai hâte que tu me vois sur scène", j'admets en souriant. Avec le groupe au complet. Ce ne sera pas encore comme lors du concert, mais tu en auras un premier aperçu."

La douche ne dure pas. Nous savons l'un comme l'autre que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps.

J'enroule Emily dans une de ces longues serviettes épaisses mises à disposition. Et je lui vole un baiser avant de me sécher à mon tour.

Je commande notre petit déjeuner, et ce dernier arrive alors que je finis tout juste de m'habiller avec des vêtements confortables. Un jean, et une chemise à manches courtes. Je sais d'ors et déjà que la matinée va être fatiguante.

Discuter avec Emily autour d'un petit déjeuner a quelque chose de très domestique, à laquelle je pourrais vite m'habituer. Et j'ai même envie que ça se reproduise tous les jours.

Juste la voir ainsi, pas encore parfaitement coiffée, avec son premier café de la journée. Pouvoir lui prendre la main et lui voler un baiser. Et ce, avant d'affronter la journée.

Je prends juste le temps de revoir la vidéo que m'a envoyé Jeff. Celle avec cette nouvelle chanson. Et je grimace bien malgré moi. Une fois de plus.

"- C'est pas terrible, hein ?" je pouffe. "Mais il va falloir que je chante ça. Au moins, les paroles ne sont pas très variées. Ça m'évitera de les oublier. Et oui, c'est déjà arrivé."

Je me lance rapidement dans l'anecdote de ce concert, il y a quelques années. J'avais eu à peine quelques semaines pour apprendre une série de nouvelles chansons. Sauf que j'avais attrapé une bonne grippe juste avant, ce qui m'avait empêché de les travailler. Et je m'étais retrouvé à inventer les paroles. Nos fans avaient adoré. Mais Jake m'avait passé un sacré savon.

"- Je regrette de ne pas avoir noté cette version alternative de ces chansons. Quoique, je devrais pouvoir réussir à retrouver la vidéo, quelque part."

Cette anecdote me fait toujours rire, mais finalement ça illustre bien le fossé qu'il y a entre mon inspiration et le moule dans lequel mon groupe me force à rentrer.

La répétition ne devrait durer que quelques heures, le temps de la matinée. En soi, cela ne me paraît pas insurmontable, bien au contraire. Je pourrai très bien prendre mon carnet avec moi afin de m'occuper l'esprit si je viens à trouver le temps long. Et puis, son enthousiasme m'encourage. Plus particulièrement lorsqu'il exprime sa joie de me voir le découvrir sur scène. Je ne trouve donc aucune bonne raison pour me défiler, d'autant plus que je suis venue ici précisément pour passer plus de temps avec lui… Et j'ai encore tant de choses à apprendre sur cet homme dont je suis si vite tombée amoureuse, d'une façon si intense. Ce n'est pas le moment de reculer.

Notre toilette achevée, nous n'avons plus qu'à nous préparer. Tom est aux petits soins avec moi et chacune de ses attentions me touche. J'enfile une tenue simple composée d'un jean tout à fait neutre et d'un vieux t-shirt. Nous prenons ensuite notre petit déjeuner en face à face. Un moment simple, sans chichi empreint de cette normalité naturelle que j'ai tant envie de chérir. Je m'habitue très vite à sa présence. Même si "normaux", je ne les considère pas pour autant comme acquis. J'aime tant ces petits instants que l'on partage et je me surprends à les savourer. Je crois que je pourrai aisément envisager de poursuivre sur cette voie… Est-ce une bonne chose ? Aucune idée.

Tom lance la vidéo contenant la nouvelle chanson que son manager lui a refilé. Bon sang, c'est d'une platitude affligeante…

– C'est pas terrible, hein ?

A dire vrai, je trouve le mot bien faible. L'on pourrait croire que les paroles ont été écrites par une gamine de douze ans en plein premiers émois. Mais je décide de me passer de tout commentaire. Du moins… Je m'y efforce.

– Mais il va falloir que je chante ça. Au moins, les paroles ne sont pas très variées. Ça m'évitera de les oublier. Et oui, c'est déjà arrivé.

Je l'écoute me parler de cette histoire de paroles oubliées qui m'arrache un sourire. Je ne doute pas un seul instant que ses improvisations devaient être bien meilleures que les paroles originales… Surtout si elles étaient de cette qualité là… Bon sang, lui demander de chanter pareilles horreurs revient à demander à Monet de reproduire un dessin d'enfant et de le signer à son nom pour lui faire prendre de la valeur. C'est une arnaque, un gâchis honteux. Le monde de la musique est une industrie bien odieuse qui n'a aucun respect pour ses artistes, plus particulièrement une fois qu'ils deviennent connus.

– Je regrette de ne pas avoir noté cette version alternative de ces chansons. Quoique, je devrais pouvoir réussir à retrouver la vidéo, quelque part.
– C'est inutile, dis-je en posant ma tasse vide. Je sais que tu serais capable de faire cent fois mieux avec une fièvre de cheval…

Je ne peux retenir un soupir affligé.

– Je vais finir de me préparer, j'annonce tout en me relevant non sans déposer un baiser sur son front.

Je retourne dans la salle de bain pour me laver les dents et essayer de me coiffer. Devant le miroir, je rassemble tout mon courage et ma volonté pour m'enjoindre de garder tous mes ressentiments pour moi. Je sais par avance qu'il y aura bien des choses que je n'apprécierais pas durant cette matinée. Mais je prendrai sur moi, je le dois. Tom est ici pour travailler et il est hors de question que je me comporte comme un boulet. Une fois prête, je retourne dans la chambre pour enfiler une paire de baskets et récupérer mon sac… Mes cartes de crédit sont toujours dans mon portefeuille, heureusement. Je m'assure que mon carnet et mes crayons sont bien présents et… Je suis fin prête.

– Il me tarde de te voir sur scène, j'affirme en m'installant sur ses genoux. Je vais même pouvoir te croquer… Avec mes crayons, évidemment, je pouffe juste avant de lui mordiller le bout du nez.

Emily partage visiblement mon avis au sujet de cette nouvelle chanson. Et je ris lorsqu'elle me dit que même avec une fièvre de cheval je pourrais toujours faire mieux sur le choix des paroles.
Sa confiance en mes capacités me touche, et surtout me donne encore plus envie de me sortir de ces chansons trop banales, pour enfin chanter mes propres textes. Malheureusement, je sais que ce ne sera pas pour tout de suite.

Nous finissons de nous préparer, et quand Emily sort de la salle de bain, je suis installé dans l'un des fauteuils de la chambre.

"– Il me tarde de te voir sur scène," déclare-t-elle en s'installant sur mes genoux. "Je vais même pouvoir te croquer… Avec mes crayons, évidemment".

Elle me mordille le bout du nez, et je relève la tête pour lui voler un baiser.

"- Je crois je préfèrerais que tu me croques avec tes lèvres", je soupire avant de l'embrasser à nouveau.

Je n'ai vraiment pas envie de bouger de ce fauteuil, surtout avec Emily installée ainsi à califourchon sur moi.

Mais je sais que nous ne devons pas tarder.

Nous retrouvons Jeff dans le hall, et nous prenons la direction de la salle de concert. Arrivés sur place, je suis comme toujours surpris par la taille du lieu. Le bâtiment semble se dresser sur plusieurs étages, et je sais que cela comprend la salle de concert, au toit retractable, et aussi les locaux tout autour pour les bureaux et autres locaux techniques.
Seuls quelques fans sont présents devant l'entrée et Jeff et moi les saluons au travers de la vitre.
Nous nous garons en sous-sol, et je prends machinalement la main d'Emily tandis que nous empruntons l'ascenceur qui nous mènera à la salle de concert en elle-même.

Lorsque nous arrivons, Jake est déjà présent, accompagné d'une série de techniciens qui s'agitent dans tous les sens en obéissant aux ordres qu'il leur lance.

Je note la présence de Kelly, occupée à refaire son maquillage.

Frank et Peter sont absents.

"- Probablement occupés à décuver quelque part", me murmure Jeff. "Frank m'a appelé ce matin, peu avant que tu arrives.  Visiblement leur nuit a été riche en émotions."

"- Tu m'étonnes..."

Ma main se resserre autour de celle d'Emily lorsque Kelly tourne la tête vers moi. Je note le sourire charmeur qu'elle me lance, et le regard curieux qu'elle pose ensuite sur ma compagne.

"- Jeff, Tom ! Je suis tellement contente que vous soyez là !" s'exclame-t-elle en accourant vers nous. "Tom, tu m'as manqué hier soir. Et... Tu es venu accompagné ?"

"- Je te présente Emily, ma copine", je déclare en insistant sur le dernier mot.
Je préfère ne pas revenir sur la soirée de la veille. La mienne a été suffisamment mouvementée.

"- Emily, ravie de te rencontrer ! Je suis Kelly Kherson, mais tu le sais probablement déjà."
Et elle éclate de rire. Un rire forcé. Je n'ose même pas lui dire qu'Emily ne suit pas du tout l'actualité musicale et n'a donc sûrement aucune idée de qui est Kelly.

"- Il faudra qu'on se voit pour travailler la nouvelle chanson, Tom ! Peut être ce soir, ou..."

Fort heureusement, Jake remarque enfin notre présence et nous salue en avançant vers nous.

"- Jeff, Tom ! Et vous devez être Emily... Je peux vous appeler Emily ? Je suis Jake Hethings J'ai bien connu votre père, vous savez ?"

Je ne sais même pas si Jake exagère. C'est toujours difficile de savoir, avec lui. Il a croisé David Greene, assez pour prendre une photo avec lui. Mais de là à l'avoir bien connu...

Avec ses lunettes de soleil, sa bedaine et ses cheveux grisonnant, Jake est égal à lui même. Toujours ce sourire, qui devient agaçant à la longue, toujours ce costume qui doit valoir une fortune.

Je lâche la main d'Emily, pour passer un bras autour de sa taille. Je sais que c'est idiot, mais j'ai envie de la protéger.

L'idée de me retrouver au milieu de tous ces gens ne m'enchante pas vraiment. Pour autant, je m'efforce à rester souriante, prenant sur moi pour ne pas l'inquiéter avec mon étonnement constant et le malaise que je ressens au milieu de toute cette agitation. C'est bien différent que de simplement se balader en ville. Ici, les gens ne sont pas là pour flâner, ils courent partout en expirant leur stress à tout va. Et je trouve cela très impressionnant. Alors je me focalise uniquement sur la main qui tient la mienne. Je sais qu'il va forcément devoir la lâcher à un moment ou à un autre, mais pour l'heure il reste mon point d'ancrage.

Je salue la gamine surexcitée qui s'agite encore plus que les techniciens. Je me dis qu'elle devrait laisser tomber le traitement qu'elle prend parce que, visiblement, ce dernier ne lui convient absolument pas. Cette demoiselle semble certaine que le monde entier sait qui elle est… J'imagine bien que cette dernière doit être connue, même si je ne sais absolument pas ce qu'elle fait.

Je me contente donc de lui offrir un sourire de circonstances… Ce même sourire que j'arbore lorsque je cherche à m'isoler. Et ce dernier restera bien en place durant toute la matinée.

– Jeff, Tom ! Et vous devez être Emily... Je peux vous appeler Emily ? Je suis Jake Hethings. J'ai bien connu votre père, vous savez ?
– Non, je ne sais pas, je réponds en haussant simplement les épaules.

Je ne sais pas vraiment quoi dire d'autre. Quelle importance dans tous les cas, ce genre de personnage aime avant tout s'écouter parler… Alors autant le laisser faire.

– Je vais aller m'asseoir par là-bas, dis-je en désignant une rangée de sièges bien à l'écart. Vous ne remarquerez même pas que je suis là.

Un sourire plus franc étire mes lèvres lorsque mon regard se pose sur Tom. Je n'ose pas l'embrasser au milieu de toutes ces personnes au regard empreint d'une curiosité que je juge malsaine. Alors je me contente simplement de m'éloigner pour aller m'asseoir dans mon coin.

D'ici, j'ai une vue sur absolument tout sans gêner personne, c'est parfait. Je m'installe avec mon carnet et laisse mes yeux se poser çà et là pour mieux découvrir cet environnement étrangement familier. Ce n'est pas la première fois que j'assiste à ce genre d'événement. Je me souviens de quelques répétitions, suffisamment pour entendre mon père donner ses indications. Ici, c'est ce Jake qui décide de tout. Sa voix résonne à travers les murs jusqu'à faire trembler quelques demoiselles… La costumière en vient même à faire tomber son portant… La pauvre… Je comprends mieux pourquoi tout le monde semble si stressé ici… Je comprends aussi pourquoi Tom doute autant de ses capacités…

En réalité, ce Jake me fait penser au Colonel Parker, cet homme qui a autrefois exploité Elvis et sa famille jusqu'à ce que ce dernier ne se rende compte de la supercherie… Bien que trop tard… Je regarde l'endroit et je commence à redouter que l'on exige de Tom qu'il tienne une résidence ici… Ce joli terme qui ne représente rien d'autre qu'une exploitation humaine…

De l'autre côté de la salle, la jeune Kelly ne cesse de faire les yeux doux à Tom. Je me demande s'il s'est rendu compte de son manège… Sans doute. Il faudrait être aveugle pour ne rien remarquer. Je note également que cette dernière échange régulièrement quelques messes basses avec son assistante… Plus particulièrement lorsque son regard se pose sur moi… Tiens, elle éclate de rire… Alors je lui offre un grand sourire.

Je reste là un très long moment à observer la scène avant de sortir mon matériel. Je me concentre sur l'architecture avant de porter mon attention aux personnes. Leur malaise ressort dans chacun de mes traits… Et puis, finalement… Le groupe monte sur scène.

Jake est manifestement déçu qu'Emily n'ai jamais entendu parler de lui, du moins pas en relation avec son père. Et il se lance dans un de ses fameux monologues au sujet de ce qu'était le milieu de la chanson à cette époque.  Soit-disant avec des artistes qui se donnaient corps et âme, et qui se sentaient davantage concernés par ce qu'ils chantaient.
Je sais qu'il me vise directement par cette accusation, mais à vrai dire je m'en moque. J'ai décidé de ne plus prêter attention à ces remarques. Ou du moins, j'aimerais essayer de me concentrer uniquement sur la chanson.

"– Je vais aller m'asseoir par là-bas. Vous ne remarquerez même pas que je suis là", annonce finalement Emily en pointant du doigt quelques sièges à l'écart.

Et j'approuve d'un signe de tête. L'endroit est très bien choisi.
Son sourire est lumineux lorsqu'elle croise mon regard, et je ne peux que lui répondre par un sourire qui me vient naturellement. Je remarque bien que son regard glisse vers mes lèvres, mais qu'elle n'ose pas m'embrasser. Pas devant tout le monde.
J'effleure donc doucement sa joue du bout des doigts, et la lâche enfin.

Je n'ai même pas le temps de m'attrister de son absence que Frank et Peter arrivent en courant. Et les répétitions peuvent enfin commencer.

Jake me tend une liste de chansons, que je consulte en diagonale. Rien de nouveau, à part celle que je vais vraiment devoir apprendre. Je fronce tout de même les sourcils en notant que deux chansons ne sont pas de nous. Visiblement, Kelly, ou son équipe, ont bien su négocier sa présence.
Je fais un rapide calcul dans ma tête. Cela devrait donner environ deux heures de concert.

Je grimace en remarquant que Jake n'a prévu aucun temps pour que je puisse chanter une des chansons que j'ai écrites récemment. Reste à savoir si j'arriverai à le convaincre.

Je discute de quelques réglages avec les autres membres du groupe. Pas de guitare pour moi pour le moment, et je laisse Frank accorder une Fender d'un joli vert pâle. Son nouveau bébé, visiblement. Malgré son allure nonchalante, je connais suffisamment Frank pour considérer ce dernier comme un petit géni de cet instrument qui me tient à coeur. Ses solos sont de véritables merveilles, et je souris tandis qu'il joue déjà en suivant une pentatonique mineure, avant d'improviser sur un mode. Probablement en mixolydien.

Je parle plusieurs fois dans mon micro lorsqu'un technicien me le demande. Viens ensuite le tour de Jeff, puis de Peter, et enfin de Kelly.

Nous faisons également un point avec l'équipe chargée des costumes. Mais j'ai déjà une série de tenues de scènes à ma taille. Je me contente donc de leur indiquer laquelle je vais utiliser.

Les discussions vis à vis de la tenue de Kelly prennent beaucoup plus de temps.

Le temps des réglages, je ne peux m'empêcher d'observer Emily. Sa présence me calme. Jake a habituellement la capacité extraordinaire de stresser tous ceux qui se trouvent à moins de quinze mètres de lui. Mais cette fois je me sens bien.
J'ignore platement les regards en coin que me lance Kelly. Toute mon attention est dirigée vers Emily.
Ce n'est que lorsque Jeff me donne un coup de coude que je reviens à la réalité. Et je lance un sourire d'excuse à mes compagons, tout en ignorant la remarque de Frank au sujet de l'amour qui rend distrait.

Nous montons tous les quatre sur scène, et je vois le sourire de Jeff s'agrandir tandis qu'il se place derrière sa batterie. Je sens moi-même des frissons courir sur mes bras. Je ferme les yeux alors que mes mains se referment sur le micro devant moi.

Et seul un bref raclement de gorge à ma gauche, de la part de Kelly, terni un peu mon sourire. Mais je trouve le regard d'Emily, et je lui lance un bref clin d'oeil.

Jeff donne le tempo, Peter suit avec la ligne de basse. Frank plaque ses premiers accord. Et enfin, c'est à moi.

Les paroles me viennent aisément, et je ne tarde pas à me laisser porter par la chanson. Nous en enchainons une autre, puis une troisième.
Je m'amuse vite sur scène, lançant des sourires complices aux autres membres du groupe.
Reste juste la présence de Kelly, qui nous perturbent quelque peu. Ce n'est pas la première fois que je chante avec elle. Mais la dernière fois, elle s'était tenue à ce refrain que nous partageons, et à quelques phrases dans les couplets. A présent, c'est comme si elle essayait d'empiéter sur mon espace vital.
Jake nous coupe en plein milieu de la quatrième chanson.

"- Ca ne va pas ! Ca ne va pas du tout ! Tom on ne t'entend pas assez. Il faut augmenter le son de son micro. Jeff, je veux quelque chose de plus dynamique. Peter, ait l'air un peu plus motivé. On croirait que tu viens tout juste de te lever."

Peter lui répond par un grognement et un haussement d'épaules. Visiblement, Jake n'est pas très loin de la vérité à son sujet.

"- Frank", reprend Jake, "Arrête de bricoler ta guitare et concentre toi sur les accords. Il faut que ça corresponde à la bande son de l'album."

Je roule des yeux. Je sais très bien que Frank ne bricole pas.

"- J'altère juste mes accords, Jake", rétorque d'ailleurs ce dernier. "C'est juste pour faire quelques petites variations, pour faire joli."

Il échange un bref regard avec moi, et je lui lance un sourire désolé.

"- Et Tom, laisse plus de place à Kelly ! Tu l'empêches de s'exprimer."

"- Alors qu'elle arrête de me marcher sur les pieds", je marmonne suffisamment bas pour que Jake n'entende pas.

Nous reprenons quelques minutes plus tard, avec de nouveaux réglages. Et cette fois, c'est le micro de Kelly que j'entends beaucoup trop fort. Il faut plusieurs nouveaux réglages pour que tout soit en place.

Nous faisons une pause vers le milieu de matinée pour que Jake nous débrieffe.

"- Le concert tombe après-demain, et vous avez intérêt à être prêts, donc bougez vous les fesses, les petits gars. Surtout toi, Tom ! Ce n'est pas parce que tu te l'es coulé douce dans le Maine que tu as le droit d'en faire moins que les autres."

Je roule des yeux. Je sais que tout était parfait. Du moins, pour mon groupe et moi. Reste Kelly, qui empiète sur les parties que je suis censé chanter.

"- Vingt minutes de pause !" S'exclame alors Jeff.

Et il s'en va pour discuter bruyamment avec les ingénieurs du son.

Je profite de cette pause bienvenue pour quitter la scène, et me diriger vers Emily. Je me laisse tomber dans le siège à sa gauche, et je lui colle un baiser sur la joue. Je transpire un peu, et j'espère que ça ne la dérange pas alors que je passe un bras autour de ses épaules.

"- Tout va bien ?"

Je n'ose pas lui demander ce qu'elle a pensé de nos prestations. Nous aurons probablement une longue discussion à ce sujet plus tard, lorsque nous ne risquerons pas d'être entendus.

Je suis content de la retrouver. Elle me calme, plus que je n'aurais pu l'imaginer.

J'observe en silence, me contentant de reproduire ce que je vois sur quelques feuilles de papier. Je vois Tom sourire devant son micro et je ne peux m'empêcher de m'émerveiller devant ce rictus inédit. Il est dans son élément, cela ce voit et pourtant la salle est encore vide. Je suis heureuse pour lui même si cela ne dure pas … Plusieurs choses me chiffonnent, notamment l'attitude de la gamine capricieuse.

À quoi joue-t-elle au juste ? Je ne comprends pas vraiment ce changement d'attitude. Et tout semble fait pour la faire passer au premier plan, ce qui m'étonne grandement. Le manager du groupe s'agace de plus en plus… L'ingénieur du son tremble, ses câbles en main… Et si l'incompréhension règne sur scène, en coulisse… c'est un désordre sans nom. Rien ne va…

Quand sonne la pause, je peux aisément entendre les membres du staff soupirer. Le temps du repos n'est pas encore venu pour eux. La gamine exige un jus de fruit sans sucre et sans fructose… Et pique une crise quand son assistante affirme qu'une telle chose n'existe pas…

– Tout va bien ? me demande Tom lorsqu'il me rejoint. Je suis contente de le voir et ne me gêne pas le moins du monde pour me blottir contre lui.
– Ça va… Observer tout ça est plutôt… divertissant à dire vrai, je lui offre un sourire moqueur avant de déposer un baiser sur sa joue. Et pour toi, comment ça se passe ?

La gamine grogne si fort que nous pouvons l'entendre depuis notre place. Je croise son regard noir et je me retrouve alors totalement incapable de retenir un fou rire… Bon sang. Moi qui voulais rester discrète.

– Je crois qu'elle n'apprécie pas beaucoup ma présence, j'affirme en la désignant du regard. Elle essaie désespérément d'attirer ton attention depuis tout à l'heure… Mais elle s'y prend comme une enfant de cinq ans mal éduquée.

Honnêtement, il me tarde de quitter cet endroit. Les hurlements de leur Colonel m'agacent de plus en plus et je dois prendre sur moi pour garder le silence. On peut dire que je ne l'aime pas du tout.

– En tout cas, je murmure à son oreille. Je te trouve extrêmement séduisant sur scène. Je comprends pourquoi elles sont toutes là à t'admirer avec des yeux brillants … Je comprends mieux ce que tu disais à propos des marques dissimulées sous les vêtements… C'est très plaisant de les imaginer.

Emily se blottit contre moi, et j'hume son parfum, avant de lui poser un baiser dans les cheveux.

"– Ça va… Observer tout ça est plutôt… divertissant à dire vrai."

"- Divertissant ?" je répète. "Fort bien. Ravi de pouvoir être utile."

Et je ris tandis qu'elle me colle un baiser sur la joue.

"- Et pour toi, comment ça se passe ?"

"- Ca pourrait aller mieux", je soupire. "Je suis content de remonter sur scène, mais il y a quelques petits... inconvénients."

Je murmure ce dernier mot à son oreille, tout en jetant un regard équivoque en direction de Kelly.
Elle râle au sujet d'un jus de fruit. Comme si c'était d'une importance vitale.

Visiblement ça fait beaucoup rire Emily, et je pouffe à mon tour. Suffisamment fort pour que Kelly nous jette à tous les deux un regard noir.

Mais à vrai dire, je m'en moque.
Au sujet de Kelly, Emily la désigne du regard, avant de reprendre.

"– Je crois qu'elle n'apprécie pas beaucoup ma présence. Elle essaie désespérément d'attirer ton attention depuis tout à l'heure… Mais elle s'y prend comme une enfant de cinq ans mal éduquée."

"- Ne m'en parle pas", je gémis. "Ca devient gênant. Surtout qu'elle sait pertinemment que je suis avec toi."

J'entends Jeff qui hurle sur la scène. J'ai hâte de sortir d'ici, et de déambuler dans Las Vegas avec Emily.

"– En tout cas. Je te trouve extrêmement séduisant sur scène. Je comprends pourquoi elles sont toutes là à t'admirer avec des yeux brillants … Je comprends mieux ce que tu disais à propos des marques dissimulées sous les vêtements… C'est très plaisant de les imaginer."

Je ferme les yeux, et je grogne légèrement. Elle a murmuré ces quelques mots à mon oreille, juste pour moi.
Et je vois Jeff qui, de l'autre côté de la pièce, hausse un sourcil interrogateur à mon attention tandis que je gigote sur ma chaise. Ce n'est vraiment pas le moment de me laisser distraire par certaines réactions tout à fait naturelles de mon corps.

"- On en reparlera ce soir", je souffle à Emily d'une voix rauque. "Mais tu es la seule qui a le droit de me déshabiller du regard."

J'effleure son épaule, recouverte par son t-shirt, à l'endroit exact oú je sais que se trouve encore une marque rouge.

Je lui lance un clin d'oeil, et me lève juste après.

"- Je vais juste aller me rafraîchir avant de reprendre."

Je l'embrasse sur la joue, et m'éclipse en direction des sanitaires.
J'y trouve Peter, assis à même le sol, serrant contre lui une bouteille d'eau.

"- La nuit a été compliquée ?"

"- Rappelle-moi de ne plus jamais aller boire avec Kelly", marmonne-t-il. "En plus elle n'a fait que parler de toi."

Je secoue la tête.

"- Elle perd son temps."

"- Faudrait peut être lui dire."

Il a un haut le coeur, et s'enfuit dans une cabine pour vomir.

"- Je vois..."

Je me sens déjà mieux en ressortant. Me passer de l'eau fraîche sur le visage m'a fait du bien.

Je croise Kelly en sortant des sanitaires, et j'ignore platement le regard enjôleur qu'elle me lance.

"- Tom, attends !" s'exclame-t-elle alors que je repars en direction de la salle de concert.

Elle m'emboite le pas, et en vient même à s'accrocher à mon bras.

"- Tu es libre ce soir ? On pourrait répéter ensemble ? Apporte ta guitare, et on se met dans ma suite à l'hôtel ?"

"- J'ai prévu de passer la soirée avec ma copine", je rétorque. "Et je n'ai pas encore eu le temps d'apprendre cette nouvelle chanson..."

"- Et qu'est ce que tu fous, Tom ?" intervient Jake qui a visiblement entendu la fin de notre conversation. "Tu restes là après les répétitions, jusqu'à ce que tu la connaisses !"

Je fronce les sourcils.

"- Quoi ?" je proteste.

C'est totalement injuste, et je jette un regard en direction d'Emily, toujours installée à sa place.

"- Attends, Jake, je t'assure que je m'y mets dès ce soir, et..."

"- Et rien du tout, Tom ! Tu restes ici jusqu'à ce que tu la connaisses ! Je j'ai pas payé cette chanson aussi chère pour que tu fasses un caprice de star."

Je prends une profonde inspiration. J'ai horreur quand Jake est comme ça.

"- Et je ne comprends pas pourquoi je dois chanter cette chanson alors que j'en ai écrit des bien meilleures", je rétorque en croisant mes bras sur mon torse.

Jake plisse les yeux, et me fusille du regard.

"- Quand je parlais de caprice de star...", siffle-t-il. "Fais attention à ce que tu dis, Tom..."

Je lâche l'affaire pour le moment. Je n'ai pas envie de perdre mon temps. Pas pour le moment. Et Jake relance les répétitions.
Je suis énervé, et mes mains tremblent sur mon micro.  Surtout que Kelly a l'air particulièrement ravie de cette décision. Je me promets au fond de moi que c'est la dernière fois que je me fais ainsi marcher dessus, mais je sais que c'est complètement faux. Reste simplement à le faire changer d'avis, lorsque les répétitions seront terminées.